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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
15 février 2022 2 15 /02 /février /2022 18:03
Un extrait de Réforme sociale ou Révolution? de Rosa Luxemburg disponible dès 1899 en langue française dans la revue Le Mouvement Socialiste.

Démocratie industrielle et Démocratie politique – Le Mouvement socialiste N° 11 – Juin 1899

 

Cet extrait de Réforme sociale ou révolution?" a été publié dans l'importante revue "Le Mouvement socialiste" en juin 1899, au moment même de sa parution en Allemagne et donc disponible en langue française très précocement. Il est disponible sur le site Gallica sous forme PDF, image et texte. Il était accessible sur le site Bataille socialiste sous sa forme PDF. Comprendre donne accès à sa version texte.

 

CRITIQUE DE BERNSTEIN(1)

Le socialisme de Bernstein se ramène à faire participer les ouvriers au développement de la richesse sociale et à transformer ainsi les pauvres en riches. Comment cela peut-il s'effectuer? Dans ses articles de la Neue Zeit, intitulés Problèmes du Socialisme, Bernstein ne laissait entrevoir que quelques indications à peine compréhensibles. Mais dans son livre, il nous fournit un éclaircissement complet sur cette question : son socialisme doit être réalisé par deux moyens, par les syndicats, ou selon l'expression qu'il emploie par la démocratie industrielle, et par les coopératives. Par les premiers, il veut s'en prendre au profit industriel ; par les seconds, au profit commercial.

Pour ce qui est des coopératives, et avant tout des coopératives de production, elles représentent, dans leur essence, au milieu de l'économie capitaliste, une forme hybride : une production socialisée en petit, dans un système d'échange capitaliste. Or, dans la société capitaliste, c'est l'échange qui domine la production et, par suite de la concurrence, pose comme condition même de l'existence pour toute entreprise une exploitation brutale, c'est-à-dire une subordination complète du processus de production aux intérêts du capital. En pratique, cela s'exprime par la nécessité de rendre le travail le plus intense possible, de le raccourcir ou de le prolonger selon la situation du marché, d'attirer la force de travail ou de la repousser et la jeter sur le pavé selon les exigences du débouché, en un mot de pratiquer toutes les méthodes connues qui rendent une entreprise capitaliste apte à soutenir la concurrence. Il résulte de ce qui précède que, dans les coopératives de production, les ouvriers se trouvent dans l'obligation contradictoire de se régir eux-mêmes avec tout l'absolutisme inévitable, de jouer par rapport à eux-mêmes le rôle de l'entrepreneur capitaliste. Et c'est précisément par suite de cette contradiction que la coopérative de production doit sombrer. Car, ou bien elle redevient, par un développement régressif, une entreprise capitaliste ; ou bien, si les intérêts ouvriers sont plus forts, elle se dissout.

Ce sont là des faits que Bernstein lui-même constate, mais qu'il comprend mal; car, avec Mme Potter-Web, il voit dans une « discipline » insuffisante la cause de la décadence des coopératives de production. Ce qu'on appelle ainsi « discipline » d'une façon superficielle et plate, ce n'est pas autre chose que le régime absolutiste propre au capital, qu'il est évidemment impossible aux ouvriers de s'appliquer à eux-mêmes.

Il suit de là que la coopérative de production ne peut assurer son existence, au milieu de l'économie capitaliste, que si elle réussit à résoudre par un détour la contradiction — qu'elle porte en elle — entre le mode de production et le mode d'échange, et si elle se soustrait d'une façon artificielle aux lois de la libre concurrence. Elle ne le peut que si elle s'assure à l'avance un débouché, un cercle fixe de consommateurs, — et c'est la coopérative de consommation qui lui en fournit le moyen.

Et c'est là — et non pas dans la distinction entre coopératives d'achat et de vente — que gît ce mystère que cherche à résoudre Bernstein, à savoir pourquoi les coopératives indépendantes de production sombrent et pourquoi c'est seulement une coopérative de consommation qui peut leur assurer la vie.

Mais si c'est ainsi, si les conditions d'existence des coopératives de production sont, dans la société actuelle, liées aux conditions d'existence des coopératives de consommation, il en résulte, comme conséquence ultérieure, que les coopératives de production sont limitées, dans les cas les plus favorables, à un petit marché local restreint, et en sont réduites à la fabrication des choses — peu nombreuses — de consommation immédiate, et surtout à la production des objets de première nécessité. Toutes les branches les plus importantes de la production capitaliste : les industries textile, houillère, métallurgique, du pétrole, de même que la construction des machines, des locomotives, des navires, sont exclues par avance de la coopérative de consommation et par conséquent aussi de la coopérative de production. Donc, même en faisant abstraction de leur caractère hybride, les coopératives de production ne peuvent pas être un instrument de réforme sociale générale, déjà pour cette raison que leur généralisation suppose avant tout la suppression du marché mondial, —la dissolution de l’économie mondiale présente en petits groupes locaux de production et d'échange, c'est-à-dire essentiellement une régression de l'économie capitaliste vers l'économie médiévale.

D'ailleurs, même dans les limites de leur réalisation possible, dans les cadres de la société actuelle, les coopératives de production se réduisent naturellement à de simples appendices de coopératives de consommation, lesquelles, en leur qualité de porteurs principaux de la réforme socialiste poursuivie, montent ainsi au premier plan. Mais si c'est cela, alors toute la réforme socialiste poursuivie au moyen des coopératives cesse d'être une lutte contre le capital de production, c'est-à-dire contre le tronc principal de l'économie capitaliste, pour devenir une lutte contre le capital commercial, et notamment contre le moyen et le petit commerce, c'est-à-dire contre de simples ramifications du tronc capitaliste.

Pour ce qui est des syndicats, qui, eux aussi, représentent, d'après Bernstein, un moyen de lutte contre le capital de production, ils ne sont pas en état— comme nous l'avons démontré d'ailleurs — (2) d'assurer aux ouvriers une influence quelconque sur le processus de production, ni au point de vue de son étendue, ni au point de vue de ses procédés techniques.

Mais pour ce qui est du côté purement économique, « la lutte du taux du salaire contre le taux du profit », comme l'appelle Bernstein, cette lutte ne se produit pas dans l'espace éthéré, mais dans les limites déterminées de la loi des salaires, qu'elle ne peut pas transgresser, qu'elle ne peut que réaliser. Cela devient évident aussi lorsqu'on prend la question à un autre point de vue, et que l'on se demande quelles sont les fonctions propres des syndicats.

Les syndicats auxquels Bernstein assigne le rôle de mener, dans la lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière, l'attaque principale contre le taux du profit industriel et de le dissoudre progressivement dans le taux du salaire, ne sont nullement en état d'entreprendre une politique économique offensive contre le profit. Ils ne sont, en effet, que la défensive organisée de là force de travail contre les attaques du profil, qu'un moyen de résistance de la classe ouvrière contre la tendance dépressive de l'économie capitaliste.

D'abord les syndicats ont comme rôle d'influencer sur le marché, par leur organisation, la situation de cette marchandise qu'est la force de travail. Mais cette organisation est continuellement disloquée par le processus de prolétarisation des couches moyennes, qui fait affluer sur le marché du travail des marchandises toujours nouvelles. En second lieu, les syndicats ont pour but d'élever le niveau de la vie, la part de la classe ouvrière à la richesse sociale. Mais cette part est continuellement rabaissée, avec la fatalité d'un processus naturel, par la croissance de la productivité du travail. Pour comprendre cela, on n'a pas du tout besoin d'être marxiste ; il suffit d'avoir eu une fois entre ses mains le Zur Bedeutung der sozialen Frage de Rodbertus.

De cette façon, la lutte syndicale se transforme, dans ses deux fonctions économiques principales, grâce à des processus objectifs de la société capitaliste, en une sorte de travail de Sisyphe. Ce travail de Sisyphe est, il est vrai, inévitable, si l'ouvrier veut arriver à obtenir le taux du salaire qui lui est échu d'après la situation donnée du marché, si la loi capitaliste des salaires doit être réalisée, et si la tendance dépressive du développement économique doit être paralysée, ou plutôt, plus exactement, affaiblie dans son action. Mais lorsqu'on songe à transformer les syndicats en un instrument de réduction progressive du profit au bénéfice du salaire, cela suppose avant tout, comme condition sociale : 1° un arrêt dans la prolétarisation des classes moyennes et dans la croissance de la classe ouvrière; 2° un arrêt dans l'augmentation de la productivité du travail. Donc dans les deux cas, de même que dans l'économie basée sur les coopératives de consommation, c'est une régression vers les formes sociales précapitalistes.

Les deux moyens de Bernstein pour accomplir la réforme socialiste : les coopératives et les syndicats, apparaissent donc comme complètement impuissants à transformer le mode de production capitaliste. A proprement parler, Bernstein en a une conscience obscure. Il ne les considère que comme moyen de rogner le profit capitaliste, et d'enrichir de cette façon les travailleurs. Mais par là même il renonce lui même à la lutte contre la production capitaliste, et oriente le mouvement démocrate socialiste vers la lutte contre la distribution capitaliste. En effet, Bernstein formule, à plusieurs reprises, son socialisme, comme la tendance à une distribution « juste », « plus juste » (page 51 de son livre), même « encore plus juste » (Vorwaerts, 26 mars 1899).

Certes le motif qui pousse le plus immédiatement vers le mouvement démocrate socialiste, au moins dans les masses populaires, est aussi sans contredit la distribution « injuste » de l'ordre capitaliste. Et en luttant pour la socialisation de toute l'économie, la démocratie socialiste tend par cela même aussi à établir une distribution « juste » de la richesse sociale. Seulement, grâce à cette conception marxiste que la distribution n'est à chaque moment que la conséquence naturelle du mode de production donné, elle dirige sa lutte, non pas contre la distribution dans le cadre de la société capitaliste, mais vers l'abolition de la production marchande elle-même. En un mot, la démocratie socialiste veut instaurer la distribution socialiste par la suppression du mode de production capitaliste, tandis que le procédé de Bernstein est juste le contraire. Il veut combattre la distribution capitaliste et espère amener, par cette voie, l'établissement du mode de production socialiste.

Cela étant, quelle base théorique peut-on maintenant donner à la réforme socialiste de Bernstein? Peut-on la fonder sur des tendances déterminées de la production capitaliste? — Nullement. Car, en premier lieu, il nie lui-même ces tendances ; et, en second lieu, d'après ce que nous venons de dire, la forme poursuivie de la production n'est, chez lui, que le résultat et non la cause de la distribution. Le fondement théorique de son socialisme ne peut donc pas être économique. Après avoir renversé de fond en comble les buts et les moyens du socialisme, et par .cela même les rapports économiques, il ne peut plus donner des bases matérialistes à son programme : il est forcé d'avoir recours à un fondement idéaliste.

« Pourquoi déduire le socialisme de la nécessité économique? », s'écrie Bernstein. « Pourquoi dégrader l’intelligence, la conscience du droit, la volonté de l'homme? ». (Vorwaerts, 26 mars 1899). La distribution plus juste de Bernstein sera donc réalisée, grâce à la volonté humaine souveraine n'agissant pas sous l'impulsion de la nécessité économique, ou, plus,exactement, — comme cette volonté n'est elle-même qu'un instrument,— grâce à la conscience de la justice, en un mot grâce à l'idée de la justice.

Nous voici donc arrivés— heureusement —au principe de la Justice, ce vieux cheval de retour, monté depuis des siècles par tous les rénovateurs du monde privés de plus sûrs moyens de locomotion historique, à cette Rossinante déhanchée sur laquelle ont chevauché tous les Don Quichotte de l'histoire, à la recherche de la grande réforme mondiale, — pour ne rapporter de ces voyages autre chose que quelque œil poché.

Les rapports de pauvre à riche, comme base sociale du socialisme, le « principe » coopératif comme son contenu, la « distribution plus juste » comme son but et l'idée de la justice comme son unique légitimation historique, voilà ce que l'on nous propose.

Avec combien plus de force, avec combien plus d'esprit, avec, combien plus d'éclat cette sorte de socialisme fut défendue par Weitling, il y a cinquante ans ! Il est vrai que et; tailleur génial ne connaissait pas encore le socialisme scientifique. Et si aujourd'hui, un demi-siècle plus tard, toute sa conception déchirée en petits morceaux par Marx et Engels a été de nouveau heureusement apiécéc et recousue pour être soumise au prolétariat allemand comme le dernier mot de la science, il a fallu pour ce travail un tailleur..., mais pas un tailleur génial !

De même que les syndicats et les coopératives en sont le point d'appui économique, de même la principale condition politique de la théorie de Bernstein est le développement continuellement progressif de la démocratie. Les explosions présentes de la réaction ne sont pour lui que des « spasmes » qu'il tient pour fortuits et passagers, et avec lesquels on n'a pas à compter, lorsque l'on pose la directive générale de la lutte ouvrière.

Mais ce qui est important, ce n'est pas ce que Bernstein pense en se fondant sur les assurances orales et écrites de ses amis sur la durée de la réaction, mais c'est le rapport objectif interne entre la démocratie et le développement social réel.

D'après Bernstein, la démocratie apparaît comme une phase inévitable dans le développement de la société moderne. La démocratie est même pour lui, tout comme pour un théoricien quelconque du libéralisme, la grande loi fondamentale du développement historique en général. C'est à sa réalisation que doivent servir toutes les forces agissantes de la vie politique. Ce principe, sous cette forme absolue, est foncièrement faux ; ce n'est qu'une schématisation petite-bourgeoise et superficielle des résultats d'une courte période de l'évolution bourgeoise pendant les vingt-cinq à trente dernières années.

En effet, lorsqu'on regarde de plus près le développement de la démocratie dans l'histoire et en même temps l'histoire politique du capitalisme, on arrive à un résultat essentiellement différent.

Pour ce qui est du premier point, nous trouvons la démocratie dans les formes sociales les plus diverses : dans les sociétés communistes primitives ; dans les Etats antiques basées sur l'esclavage, dans les communes urbaines du Moyen-Age. De même on rencontre la monarchie liée aux conditions économiques les plus différentes. D'autre part, le capitalisme provoque à ses débuts—comme production marchande — une constitution purement démocratique dans les communes urbaines.

Plus tard, dans sa forme plus développée — comme manufacture — il trouve sa forme politique adéquate dans la monarchie absolue.

Enfin, il produit en France — au stade de l'économie industrielle développée — successivement la république. démocratique(1793), la monarchie absolue de Napoléon Ier, la monarchie aristocratique de la Restauration(1815-1830), la monarchie bourgeoise constitutionnelle de Louis-Philippe, puis de nouveau une République démocratique, puis la monarchie de Napoléon III, enfin la troisième République.

En Allemagne, l'unique institution vraiment démocratique, le suffrage universel, n'est pas une conquête du libéralisme bourgeois, mais un instrument qui a servi à l'unification du pays par la soudure des petits Etats, et qui n'a pas d'autre signification dans le développement de la bourgeoisie allemande ; laquelle se contente fort bien pour le reste d'une monarchie constitutionnelle à moitié féodale.

En Russie, le capitalisme prospère merveilleusement, sous l'absolutisme oriental, sans que la bourgeoisie ait l'air, pour le moment du moins, de désirer ardemment la démocratie.

En Autriche, le suffrage universel se montre en grande partie comme une ceinture de sauvetage pour la monarchie en perdition, et le peu de rapport qu'il a avec la démocratie proprement dite est prouvé par la puissance du paragraphe 14.

En Belgique enfin, la conquête démocratique du mouvement ouvrier, le suffrage universel, est indubitablement liée à la faiblesse du militarisme (donc à la position géographique et politique spéciale du pays), et avant tout ce n'est pas « un bout de démocratie » conquis par la bourgeoisie, mais contre la bourgeoisie.

La montée ininterrompue de la démocratie qui parait être pour Bernstein et pour le libéralisme bourgeois la grande loi fondamentale de l'histoire humaine ou tout m moins de l'histoire moderne, n'est donc, si on la regarde de plus près, qu'une construction en l'air. Il n'est pas possible d'établir une connexité absolue entre le développement du capitalisme et la démocratie.

La forme politique est chaque fois la résultante de tous les facteurs politiques intérieurs et extérieurs, et permet — dans ces limites — une extrême diversité, depuis la monarchie absolue jusqu'à la République démocratique.

Si donc après avoir ainsi dû rejeter de la société moderne la loi historique générale du développement de la démocratie, nous nous adressons à la phase actuelle de l'histoire de la bourgeoisie, nous voyons ici encore, dans la situation politique, des facteurs qui tendent non pas à la réalisation du schéma de Bernstein, mais plutôt, au contraire, à l'abandon par la société bourgeoise de toutes les conquêtes faites jusqu'à présent.

D'une part, les institutions démocratiques, et cela est d'une importance capitale, ont en grande partie épuisé leur rôle dans le développement de la bourgeoisie : autrefois nécessaires pour la réunion des petits Etats et pour la constitution des grandes nationalités modernes (Allemagne, Italie), elles sont devenues superflues.

Le développement économique a, depuis amené une « coalescence organique » entre les différentes parties, et les « bandages » de la démocratie politique peuvent être enlevés sans danger pour l'organisme des sociétés bourgeoises.

Les mêmes considérations valent pour la transformation en un mécanisme capitaliste du mécanisme féodal de toute la machine politico-administrative de l'Etat.

Cette transformation qui, au point de vue historique, a été indissolublement liée à la démocratie, s'est accomplie aujourd'hui dans une mesure telle que les « ingrédients » purement démocratiques de l'Etat ; le suffrage universel, la forme républicaine, peuvent être éliminés sans danger, sans que l'administration, les finances, la défense nationale retombent dans les formes d'avant 48.

Si donc à ce point de vue, le libéralisme est, pour la société bourgeoise, essentiellement superflu, à un autre point de vue non moins important il est devenu pour elle un obstacle immédiat. Ici il faut prendre surtout en considération deux facteurs, qui dominent toute la vie politique de l'Etat moderne : la politique mondiale et le mouvement ouvrier — qui ne sont que deux côtés différents de la phase actuelle du développement capitaliste.

Le développement de l'économie mondiale, l'accentuation et la généralisation de la concurrence sur le marché mondial ont fait du militarisme et du ce « marinisme » le moment déterminant de la vie intérieure et de la vie extérieure de tous les grands Etats. Mais si la politique mondiale et le militarisme présentent indubitablement — parce que liés aux besoins économiques du capitalisme, — une tendance ascendante de la phase actuelle, il en résulte logiquement que la démocratie bourgeoise doit suivre une marche descendante. — et nous en trouvons l'exemple le plus frappant dans les Etats-Unis depuis la guerre espagnole.

En France, la République doit surtout son existence à la situation politique internationale, qui rend une guerre momentanément impossible.

En Allemagne, l'ère récente des « grands armements » et la politique mondiale inaugurée à Kiau-Tchéou a été immédiatement payée par deux sacrifices de la démocratie bourgeoise, la décomposition du libéralisme et la défaillance du centre catholique.

Si donc la politique extérieure de la bourgeoisie la pousse dans les bras de la réaction, il en est de même de sa politique intérieure — déterminée par l'ascension de la classe ouvrière. Bernstein lui même le reconnaît en rendant responsable de la désertion de la bourgeoisie; libérable la légende de l'Ogre démocrate socialiste, c'est-à-dire les tendances socialistes de la classe ouvrière, et c'est pour celte raison qu'il conseille au prolétariat d'abandonner son but final, afin de tirer du terrier réactionnaire le libéralisme effrayé jusqu'à la mort.

Mais avec cela, il prouve de la façon la plus frappante — en faisant aujourd'hui du rejet du mouvement ouvrier socialiste la condition vitale et la «présupposition » sociale de la démocratie bourgeoise —, que cette démocratie est contradictoire au développement de la tendance intérieure de l'évolution de la société bourgeoise et dans la même mesure que le mouvement ouvrier est le produit direct de cette tendance.

Mais il prouve encore autre chose. En faisant de  l'abandon par la classe ouvrière du but final socialiste, la condition et la présupposition de la résurrection de la démocratie bourgeoise, il montre combien peu au contraire la démocratie bourgeoise peut être une condition et une présupposition nécessaire du mouvement socialiste et de sa victoire.

Ici, le raisonnement de Bernstein aboutit à un cercle vicieux, sa dernière conclusion détruisant sa première supposition.

Le moyen de sortir de ce cercle est très facile ; du fait que le libéralisme bourgeois a rendu l'âme, par peur du mouvement ouvrier ascendant et de son but final, il ne résulte que ceci : c'est que le mouvement ouvrier peut être et est aujourd'hui l’unique soutien de la démocratie ; que le sort du mouvement socialiste n'est pas lié à la démocratie bourgeoise, mais au contraire que le sort de la démocratie est lié au mouvement socialiste ; que la démocratie n'acquiert jias d'autant plus de vitalité que la classe ouvrière abandonne plus la lutte pour son émancipation, mais au contraire qu'elle en acquiert dans la mesure où le mouvement socialiste devient assez fort pour combattre les conséquences réactionnaires delà politique mondiale et de la désertion de la bourgeoisie; que quiconque désire le renforcement de la démocratie doit aussi désirer le renforcement—et non pas l'affaiblissement— du mouvement socialiste ; enfin qu'en abandonnant les tendances socialistes, on abandonne en même temps la démocratie.

Bernstein déclare à la fin de sa « réponse » à Kautsky dans le Vorwaerts qu'il est complètement d'accord avec la partie pratique du programme de la démocratie socialiste et que s'il a quelque objection à faire, c'est uniquement contre la partie théorique. Malgré tout cela il croit encore pouvoir marcher à bon droit dans les rangs du Parti, « car, pour lui, quelle importance y a-t-il, à ce que dans la partie théorique il y ait une phrase qui ne soit pas à l'unisson de sa conception? » Cette déclaration prouve tout au plus combien Bernstein a perdu le sens de la connexité entre l'action pratique de la démocratie socialiste et ses principes généraux, combien les mêmes mots ont cessé d'exprimer les mêmes choses pour le « Parti » et pour « Bernstein ». En réalité, les théories propres à Bernstein conduisent à cette conception socialiste très élémentaire que, sans les principes fondamentaux, toute la lutte pratique devient inutile et sans valeur, qu'avec l'abandon du but final le mouvement lui-même doit sombrer.

ROSA LUXEMBURG

(Traduit par J. Rivière)

(1) Voir sur la même question les numéros 0, 7 et 8 du Mouvement socialiste.

(2) Nous reproduisons le passage auquel Rosa Luxemburg l'ait allusion :

« L'onction principale des syndicats (et personne ne l'a mieux prouvé que Bernstein lui-même, il y a sept ans, dans la Neue Zeit) consiste en ce qu'ils fournissent aux ouvriers le moyen de réaliser la loi capitaliste des salaires, c'est-à-dire la vente de la force de travail d'après la situation du marché. Ce en quoi les syndicats servent au prolétariat, c'est qu'ils lui permettent de tirer profit des conjonctures du marché à chaque moment donné. Mais ces conjonctures elles-mêmes, c'est-à-dire d'une part la demande de la force de travail déterminée par l'état de la production, et d'autre part l'offre de cette force de travail conditionnée par la prolétarisation et par la reproduction naturelle, et enfin le degré donné de la productivité du travail, — tout cela se trouve en dehors de la sphère d'action des syndicats. Et c'est pour cela qu'ils ne peuvent pas renverser la loi des salaires. Ils peuvent tout au plus replacer l'exploitation capitaliste dans ses limites « normales », mais en aucun cas supprimer progressivement cette exploitation capitaliste elle-même.

« Conrad Schmidt, il est vrai, traite le mouvement syndicat présent de « stade initial faible », et il annonce qu'à l'avenir « le syndicalisme exercera une influence croissante sur la production elle-même ». Mais on ne peut comprendre que deux choses sous ce mot « réglementation de la production » : 1° l'intervention dans la technique du processus de production; 2° la détermination de l'étendue de la production. Quelle peut être, sur ces deux questions, la nature de l'action des syndicats? Il est évident que, pour ce qui est de la technique de la production, l'intérêt d'un capitaliste pris individuellement se confond complètement avec le progrès et le développement de l'économie capitaliste. Ce sont ses propres besoins qui le poussent aux améliorations techniques. Mais la situation d'un ouvrier pris individuellement est précis sèment tout à fait le contraire; toute amélioration technique est en opposition avec les intérêts des ouvriers, qui en sont atteints directement, et empire leur situation immédiate, en dépréciant la valeur de la force de travail. En tant que le syndical peut intervenir dans la technique de la production, il ne peut le faire que dans le sens que nous venons d'indiquer, c'est-à-dire agir dans l'intérêt du groupe d'ouvriers directement intéressé, en s'opposant à toutes les innovations. Or, dans ce cas, il n'agit pas dans l'intérêt de la classe ouvrière prise dans son ensemble et dans le sens de son émancipation, — lesquels concordent plutôt avec le progrès technique, c'est-à-dire avec- l'intérêt d'un capitaliste pris individuellement; — mais précisément dans le sens contraire, dans le sens de la réaction. Et, en effet, nous trouvons celle tendance d'agir sur la technique de la production, non pas dans l'avenir, où la cherche Conrad Schmidt, mais dans le passé du mouvement syndical : elle est ta marque caractéristique de l'ancienne phase du trade-unionisme anglais (jusqu'en 1860 environ), pendant laquelle il se rattachait encore aux traditions des corporations du Moyen-Age, et s'appuyait d'une façon caractéristique sur le principe suranné « du droit acquis à un travail convenable ».

« Par contre, la tendance des syndicats à déterminer l'étendue de la production et les prix des marchandises est un phénomène de date tout à fait récente. Ce n'est que tout dernièrement que nous avons vu (de nouveau en Angleterre seulement) surgir des tentatives dirigées dans ce sens.

« Mais aussi bien, pour ce qui est de leur caractère et de leurs tendances, ces tentatives valent celles qui précèdent. Car en somme à quoi se réduit nécessairement la participation active des syndicats dans la détermination de l'étendue et des prix de la production marchande? — A un cartel des ouvriers et des patrons contre le consommateur, — et notamment en employant à l'égard des patrons en concurrence des mesures de compression qui ne cèdent en rien aux méthodes employées par les syndicats patronaux réglementaires. Ce n'est plus en fait une lutte entre le travail et le capital, mais une lutte solidaire du capital et du travail contre les consommateurs. Au point de vue de sa valeur sociale, c'est une entreprise réactionnaire qui ne peut devenir une étape clans la lutte que le prolétariat mène pour son émancipation, pour la raison qu'elle représente plutôt le contraire de la lutte des classes. Au point de vue de sa valeur pratique;, c'est une utopie qui, comme quelques instants de réflexion doivent le faire voir, ne pourra jamais s'étendre, à des branches de production d'une certaine importance; et produisant pour le marché mondial. « L'activité des syndicats si; borne donc essentiellement à la lutte pour le salaire et pour la réduction de la journée de travail, c'est-à-dire à la simple, réglementation de l'exploitation capitaliste d'après la situation du marché; l'action sur le processus de production leur est fermée par la nature même des choses. Plus encore. Toute la marche du développement syndical tend précisément, à l'encontre de ce que dit Conrad Schmidt, à supprimer complètement tout rapport immédiat entre le marché du travail et le reste du marché. Le fait le plus significatif, à ce sujet, c'est même la tendance de mettre le contrat de travail au moins en rapport passif avec la situation générale de la production, à l'aide du système de l'échelle mobile, qui est actuellement complètement dépassé par l'évolution, et dont les trades-unions anglaises se détournent de plus en plus. »

Un extrait de Réforme sociale ou Révolution? de Rosa Luxemburg disponible dès 1899 en langue française dans la revue Le Mouvement Socialiste.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57372256/f3.item#

https://bataillesocialiste.wordpress.com/2012/06/01/democratie-industrielle-et-democratie-politique-rosa-luxemburg-1899/

https://bataillesocialiste.files.wordpress.com/2012/06/rosa1899.pdf

 

 

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11 mai 2021 2 11 /05 /mai /2021 10:51

Rosa Luxemburg et la Commune, une histoire de révolution.

 

En janvier 2019, pour la commémoration de l'assassinat de Rosa Luxemburg, j'avais été invitée à l'Université libre de Belgique. Je garde un souvenir précieux de cette rencontre, de l'attention apportée et de la qualité des questions posées. Invitation renouvelée cette année, en ligne cette fois pour cause de Covid. Depuis décembre et la fin des obligations du travail salarié, je suis allée à la recherche  de la Commune dans les articles, discours de Rosa Luxemburg, travail archéologique de la pensée que je trouve si essentiel. Ce travail sera édité. J'ai intitulé mon intervention "Rosa Luxemburg et la Commune, une histoire de révolution. Car quel lien plus étroit les unit l'une et l'autre si ce n'est la révolution". Et qu'est-ce qui nous parle aujourd'hui le plus intensément si ce n'est la possibilité de réfléchir grâce à l'une et l'autre à comment changer une société toujours marquée par l'exploitation, l'oppression, l'aliénation.

 

J'ai pensé au fur et à mesure des lectures  et compte tenu du temps dont nous disposons à quatre éléments de réflexion. En Introduction l'importance pour Rosa Luxemburg des dates commémoratives, puis :

 

- La Commune comme moment essentiel d'un siècle de révolution, pivot entre les révolutions bourgeoises et la révolution prolétaire qu'elle appelle de ses vœux.

 

- Fallait-il y aller? La Commune pour Rosa Luxemburg ne pouvait aboutir. Alors fallait-il y aller? Pour le passé et pour l'avenir, sa réponse est oui.

 

- La République, ce mot "magique" qui a permis à la république bourgeoise (une République sans Républicains) de s'installer contre le peuple

 

- L'assassinat de la Commune et de la révolution en Allemagne, un même déroulement, un même destin.

 

N'hésitez pas à mettre des commentaires et des questions.

Ecouter Sabrina Lorre lit Rosa Luxemburg : https://vimeo.com/user39571601

 

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9 mai 2021 7 09 /05 /mai /2021 02:15
Rosa Luxemburg, la Commune et la République - Un mot magique!

Le journal “Rappel” a dévoilé clairement ce secret de la Troisième République ... On peut y lire : les travailleurs supportent leur misère dans le calme parce que le gouvernement se nomme républicain. « Ce mot exerce une influence magique sur l’esprit des travailleurs, cette supercherie les maintient dans l’espoir ». Rosa Luxemburg, 1908.

République sans Républicains, une leçon pour aujourd'hui?"

 

En 1908, Rosa Luxemburg développe dans un article "Les enseignements des trois Doumas", une analyse du système qui s'est mis en place dans la Russie tsariste après la défaite de la Révolution russe de 1905. Et elle s'appuie sur l'expérience de la Commune pour faire avancer l'idée de révolution prolétaire : comme elle le dit ailleurs, "jusqu'alors les prolétaires ont tiré les marrons du feu", puis ont été trahis et la bourgeoisie a continué sa marche et établit, espérait-elle définitivement son pouvoir. 

De cela, la Commune est pour elle un exemple parfait. Non seulement, c'est le système républicain qui a décidé de la défaite et du massacre de l'expérience de la Commune, mais ce système continue à asseoir le pouvoir de la bourgeoisie et à perpétuer l'exploitation capitaliste des prolétaires. République sans Républicains, République qui n'a de République que le nom, mais qui n'est qu'un habillement, une supercherie, un mot "magique" pour pacifier les prolétaires, pour empêcher qu'ils se révoltent à nouveau. La IIIème  République est le témoignage qu'il ne suffit pas que le régime soit "républicain" pour que disparaisse l'exploitation capitaliste.

Et ce n'est pas là le régime républicain en lui-même qui est en cause. Au contraire dans les années 1910, Rosa Luxemburg rentrera en conflit ouvert avec le réformisme politique qui refuse son engagement contre la forme impériale du pouvoir (Petite référence personnelle à l'Espagne où le même réformisme acceptera le maintien de la royauté après le franquisme!). Mais la forme bourgeoise de la République qu'elle dénonce, pour elle, c'est la bourgeoisie toute entière qu'il convient de combattre.

 

Le texte de Rosa Luxemburg
 

"Mais l’histoire appela pour la troisième fois le prolétariat français à accomplir la révolution bourgeoise et fit de lui l'initiateur de la Commune de Paris de 1871 - et de l’actuelle république française. La Troisième République que l’on explique de la façon la plus simple comme une conséquence naturelle, née d’elle-même sur les ruines morales et militaires du Second Empire lors de la guerre contre la Prusse, était en réalité le résultat de causes bien plus profondes, avant tout de la Commune de Paris ainsi que de tout un siècle de révolutions. La constitution républicaine et le gouvernement républicain de la France actuelle - il ne faut pas l’oublier – sont issus d'une Assemblée à majorité monarchiste. Et tout comme les élections de février 1871 ont donné la majorité aux monarchistes, la réaction la plus sanglante et la plus sauvage a régné sur toute la politique de cette honorable Assemblée qui a tenu pendant quatre ans la barre politique de la France, surtout après l'anéantissement de la Commune. Le climat politique de cette France bourgeoise, de la France de Thiers et de Favre, a été décrit de façon classique par Jules Guesde dans son remarquable pamphlet de 1872, dans lequel il dénonce le crime de Versailles et qualifie la France de " République sans Républicains".  La France bourgeoise de 1871 était une République sans Républicains, tout comme celles de 1792 et 1848. Et si néanmoins cette même bourgeoisie réactionnaire et monarchiste a fondé la Troisième République et cette fois pour toujours, la raison essentielle en était d’une part la peur qu'elle avait du prolétariat, la conviction donc après un siècle de révolution que le prolétariat momentanément vaincu ne pouvait être pacifié que par une constitution républicaine, et d’autre part la certitude que le prolétariat vaincu cette fois ne pourrait reprendre la barre de la République pour semer le désordre avec ses fantasmes « sociaux » et ses volontés de subversion dans cette société bourgeoise. Le journal “Rappel” a dévoilé clairement ce secret de la Troisième République dans son numéro du 4 avril 1874. On peut y lire : les travailleurs supportent leur misère dans le calme parce que le gouvernement se nomme républicain. « Ce mot exerce une influence magique sur l’esprit des travailleurs, cette supercherie les maintient dans l’espoir ». Rosa Luxemburg, Les enseignements des trois Doumas, 1908. Traduction Villaeys-Poirré

Premiers résultats du travail sur la Commune  http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/10-rosa-luxemburg-et-la-commune/ - Sur mediapart https://blogs.mediapart.fr/villaeys-poirre/blog

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2 mai 2021 7 02 /05 /mai /2021 20:34
Rosa Luxemburg, la Commune, le 1er mai et la lutte de classes. "Elle jetait son éclat de pourpre dans la capitale de la France, sur le mouvement de 1871"
« La lutte de classes, génératrice de ces crises qui déchirent la société bourgeoise et qui, fatalement, causera sa perte, fait comme une trainée rouge à travers toute l’histoire d’un siècle. Elle se dessinait confusément dans la grande tourmente de la Révolution française. Elle s’inscrivait en lettres noires sur la bannière des canuts de Lyon, les révoltés de la faim qui, en 1834, jetèrent le cri : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! » » Elle alimentait le feu rouge des torches allumées par les chartistes anglais de 1830 et de 1840. Elle se levait comme une colonne de flammes du terrible massacre de juin 1848 à Paris. Elle jetait son éclat de pourpre dans la capitale de la France, sur le mouvement de 1871, lorsque la canaille bourgeoise victorieuse se vengeait sur les héros de la Commune par le fer meurtrier des mitrailleuses. … »

 

1er mai 1909, Rosa Luxemburg est immergée dans un de ses travaux majeurs : "La question des nationalités et l'autonomie". Elle est sollicitée par un journal français Le Socialiste pour écrire un article sur le 1er mai. Il paraît sous le titre "Le 1er mai et la lutte de classes". Les guerres et incidents sont omniprésents en ce début de siècle, en 1909, cela se passe en Bosnie. La guerre mondiale n'est jamais loin, elle s'approche inexorablement et les crises économiques sont bien présentes.

Rosa Luxemburg écrit : "… Le vingtième 1er mai nous arrive au milieu d'une paix apparente. Le monde bourgeois croit de nouveau les bases de sa domination complètement assurée. ... Guerre, révolution, ces ombres sinistres de la fatalité élémentaire sont momentanément conjurées. La société bourgeoise se sent de nouveau maitresse de sa destinée et des millions d'échines courbées sont sous son joug. Les aspirations des prolétaires de deux mondes, l'idéal du socialisme, le rêve insensé d'une nouvelle société faite d'hommes libres et égaux, comme tout cela parait lointain aux honnêtes bourgeois qui croient tenir les rênes du monde! ... Cependant il y a une ombre au tableau. C'est l'ombre épaisse de la crise économique. Des centaines de milliers, on peut dire des millions d'ouvriers sans travail en Europe et en Amérique, réclament du pain, que la société capitaliste est hors d'état de leur fournir ... Elle suit comme une ombre toute révolution, toute guerre moderne, étendant aussi son voile noir sur la tête du 1er mai de cette année. C'est la preuve certaine que la victoire remportée par la société bourgeoisie sur la guerre et la révolution n'est qu'une apparence mensongère, que la sécurité et la quiétude par elle simulée ne sont qu'un trompe-l’œil. Dans la nuit des misères que font naître les crises du capitalisme, des fantômes s’élèvent, annonçant l’inexorable destin, qui déjà se pouvait prévoir à l’aurore même de l’ère capitaliste ... »

 

Elle continuant faisant référence aux luttes en France et en dernier de la Commune : « La lutte de classes, génératrice de ces crises qui déchirent la société bourgeoise et qui, fatalement, causera sa perte, fait comme une trainée rouge à travers toute l’histoire d’un siècle. Elle se dessinait confusément dans la grande tourmente de la Révolution française. Elle s’inscrivait en lettres noires sur la bannière des canuts de Lyon, les révoltés de la faim qui, en 1834, jetèrent le cri : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! » » Elle alimentait le feu rouge des torches allumées par les chartistes anglais de 1830 et de 1840. Elle se levait comme une colonne de flammes du terrible massacre de juin 1848 à Paris. Elle jetait son éclat de pourpre dans la capitale de la France, sur le mouvement de 1871, lorsque la canaille bourgeoise victorieuse se vengeait sur les héros de la Commune par le fer meurtrier des mitrailleuses. … »

Elle conclut : « Le but du 1er mai est une déclaration de guerre retentissante sans merci, lancée à cette société par des millions de bouches et qui se répercute sur toute l’étendu du globe. Dans cette unanimité internationale du mouvement se trouve la garantie que nos bataillons ne seront plus écrasés dans une lutte héroïque, mais inégale, parce qu’isolés, comme ceux de Juin et de la Commune, comme les glorieux combattants de Saint-Pétersbourg, de Varsovie et de Moscou. Le 1er mai est la fête mondiale du travail, la commémoration annuelle des luttes révolutionnaires glorieuses du prolétariat moderne, la continuation de leurs traditions et la proclamation solennelle de cette vérité qu’un jour sonnera l’heure où non plus des détachements isolés du prolétariat de telle ou telle nation mais le prolétariat de tous les pays soulèvera dans une lutte commune pour mettre bas le jour exécrable du capitalisme. »

Le 1er mai et la lutte de classes(extraits) - Socialisme N° 74, 1er mai 1909, P 1 et 2 - Publié dans Le socialisme en France P 265 – 267, Editions Agone/Smolny,

Rosa Luxemburg, la Commune, le 1er mai et la lutte de classes. "Elle jetait son éclat de pourpre dans la capitale de la France, sur le mouvement de 1871"
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27 avril 2021 2 27 /04 /avril /2021 02:02
Grève à Limoges en 1905 - Barricades - face à face - Protection policière pour convois Haviland - Porte de prison enfoncée
Grève à Limoges en 1905 - Barricades - face à face - Protection policière pour convois Haviland - Porte de prison enfoncée
Grève à Limoges en 1905 - Barricades - face à face - Protection policière pour convois Haviland - Porte de prison enfoncée
Grève à Limoges en 1905 - Barricades - face à face - Protection policière pour convois Haviland - Porte de prison enfoncée
Grève à Limoges en 1905 - Barricades - face à face - Protection policière pour convois Haviland - Porte de prison enfoncée
Grève à Limoges en 1905 - Barricades - face à face - Protection policière pour convois Haviland - Porte de prison enfoncée

Grève à Limoges en 1905 - Barricades - face à face - Protection policière pour convois Haviland - Porte de prison enfoncée

Une république sans républicains

Rosa Luxemburg a consacré de nombreux articles au mouvement socialiste en France. Dans le dernier, pratiquement, de cette série, "L'unification des socialistes en France", elle  livre une analyse précise, incisive et toujours d'actualité de la collaboration de classe que représente le réformisme politique. C'est un texte majeur.

En 1899, pour la première fois, un ministre socialiste était entré au gouvernement. Rosa Luxemburg remet en cause cette décision et le soutien d'une partie du mouvement social de l'époque à cette initiative. On retrouve dans ses critiques, en écho à aujourd’hui, tout ce que nous combattons dans le réformisme :le prétexte du bloc républicain, le militarisme, l’exploitation des travailleurs, la répression des mouvements ouvriers. "Ironie du sort, le sang des ouvriers français n’avait peut-être jamais coulé aussi souvent que du temps du gouvernement « socialiste » de Waldeck-Rousseau" écrit-elle, en donnant l'exemple de la grève ouvrière de Limoges. Et Rosa Luxemburg livre le triste secret du réformisme politique : "Quant à ce dernier [le gouvernement], le fait qu’il comprenait un socialiste ne l’empêchait nullement de demeurer un gouvernement de domination de classe, l’organisation politico-policière de la bourgeoisie contre le prolétariat révolutionnaire, et il continua de servir fidèlement les intérêts de la classe capitaliste dans tous les domaines de la vie sociale". Rosa Luxemburg montre aussi concrètement que 35 après, pour le réformisme, la Commune est et reste bien … l’ennemi : "Il faut également noter que la police parisienne interdit à l’époque tout discours et se comporta d’une manière particulièrement insolente et provocatrice envers les congressistes quand ceux-ci se rendirent au cimetière où reposent les dépouilles des héros de la Commune, afin de rendre hommage à leur mémoire. Et ceci malgré la présence de Millerand dans le gouvernement républicain."

Le texte de Rosa Luxemburg

"Une première unification, bien qu’encore très lâche, des différentes organisations socialistes existant en France depuis longtemps avait eu lieu en 1899. Mais, la même année, l’un des députés socialistes, Millerand, accepta le portefeuille de ministre du Commerce dans le gouvernement bourgeois de Waldeck-Rousseau. Le motif invoqué était que la République française aurait été menacée par les cléricaux et les conservateurs visant à restaurer la monarchie en France et que, partant, tous les républicains sincères devaient s’unir pour défendre solidairement la République contre les attaques des monarchistes. Une partie des socialistes — les partisans de Jaurès — décida de soutenir le gouvernement « républicain » de Waldeck-Rousseau dans lequel, à côté du socialiste Millerand, prit place, en tant que ministre de la Guerre, le général de Galliffet, un de ceux qui, de la manière la plus sauvage et la plus cruelle, avaient écrasé, en 1871, la glorieuse insurrection des ouvriers: la Commune de Paris. Ces socialistes conclurent une alliance (dite « Bloc Républicain ») avec divers partis bourgeois radicaux, donc avec des ennemis de la classe ouvrière, et ils consentirent à la participation de Millerand au gouvernement bourgeois. ...

 

Le danger majeur d’une telle participation était qu’elle engageait la responsabilité des socialistes dans les agissements de ce gouvernement. Quant à ce dernier, le fait qu’il comprenait un socialiste ne l’empêchait nullement de demeurer un gouvernement de domination de classe, l’organisation politico-policière de la bourgeoisie contre le prolétariat révolutionnaire, et il continua de servir fidèlement les intérêts de la classe capitaliste dans tous les domaines de la vie sociale. C’était précisément cette circonstance – la participation d’un socialiste au gouvernement – qui encourageait davantage le gouvernement bourgeois à agir de la manière la plus brutale contre les ouvriers en grève et de recourir en toute occasion à la force armée. Ironie du sort, le sang des ouvriers français n’avait peut-être jamais coulé aussi souvent que du temps du gouvernement « socialiste » de Waldeck-Rousseau.

 

Dans la période antérieure au récent congrès qui décida l’unification, Millerand n’était plus depuis longtemps au gouvernement, mais les partisans de Jaurès restaient toujours alliés avec les partis bourgeois pour une prétendue « défense » de la République : c’est alors qu’à Limoges coula à flot le sang des ouvriers français qui revendiquaient d’être mieux traités par leurs contremaîtres. En devenant un parti qui soutenait toujours et partout la politique du gouvernement, les jauressistes étaient obligés de voter un budget dont les plus beaux fleurons étaient les fonds secrets (aux fins de rétribuer les mouchards), des dépenses sans cesse accrues pour la marine et l’armée – cet instrument le plus puissant de la bourgeoisie dans sa lutte contre les revendications ouvrières – , un budget fondé dans sa quasi-totalité sur les impôts indirects et qui pèse donc de tout son poids sur les épaules des couches sociales les plus pauvres. Pris dans cet engrenage, les partisans de Jaurès durent également soutenir l’alliance franco-russe, en tant que prétendue « garantie » de la paix européenne. Tant et si bien que pendant l’Exposition universelle de Paris en 1900, Millerand s’abstint d’assister au congrès socialiste international qui se tenait au même moment, afin de ne pas se compromettre aux yeux de ses collègues bourgeois du ministère, tandis que ses convictions « socialistes » ne l’empêchaient pas d’accueillir à l’Exposition le tsar sanglant et même de laisser orner sa propre poitrine d’une décoration impériale ... ."

 

Il faut également noter que la police parisienne interdit à l’époque tout discours et se comporta d’une manière particulièrement insolente et provocatrice envers les congressistes quand ceux-ci se rendirent au cimetière où reposent les dépouilles des héros de la Commune, afin de rendre hommage à leur mémoire. Et ceci malgré la présence de Millerand dans le gouvernement républicain...."

 

L'unification des socialistes en France, 1905

Chez Agone Smolny - 5 tomes sont déjà parus

Chez Agone Smolny - 5 tomes sont déjà parus

Mémoire ouvrière. La grève à Limoges en 1905

"... c’est alors qu’à Limoges coula à flot le sang des ouvriers français qui revendiquaient d’être mieux traités par leurs contremaîtres." Rosa Luxemburg

Dans l'article Rosa Luxemburg, cite la grève qui a eu lieu en 1905 à Limoges. Nous avons la chance unique de pouvoir voir et entendre ce combat des ouvriers de Limoges, d'analyser et de réfléchir pour aujourd'hui grâce au travail d'une chercheuse : Geneviève DËSIRË-VUILLEMIN. Elle livre en effet dans un long article un récit incroyablement précis, au jour le jour de cette grève . ... . Même si tout récit est sous-tendu par des analyses, les faits bruts parlent d'eux-mêmes A lire aussi la partie sur les forces politiques qui est un écho dans une situation concrète des analyses de Rosa Luxemburg : https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1971_num_83_101_5686

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3 mars 2021 3 03 /03 /mars /2021 15:37

Extrait de "Les enseignements des trois Doumas", 1908

"Mais l’histoire appela pour la troisième fois le prolétariat français à accomplir la révolution bourgeoise et fit de lui l'initiateur de la Commune de Paris de 1871 - et de l’actuelle république française. La Troisième République que l’on explique de la façon la plus simple comme une conséquence naturelle, née d’elle-même sur les ruines morales et militaires du Second Empire lors de la guerre contre la Prusse, était en réalité le résultat de causes bien plus profondes, avant tout de la Commune de Paris ainsi que de tout un siècle de révolutions. La constitution républicaine et le gouvernement républicain de la France actuelle - il ne faut pas l’oublier – sont issus d'une Assemblée à majorité monarchiste. Et tout comme les élections de février 1871 ont donné la majorité aux monarchistes, la réaction la plus sanglante et la plus sauvage a régné sur toute la politique de cette honorable Assemblée qui a tenu pendant quatre ans la barre politique de la France, surtout après l'anéantissement de la Commune. Le climat politique de cette France bourgeoise, de la France de Thiers et de Favre, a été décrit de façon classique par Jules Guesde dans son remarquable pamphlet de 1872, dans lequel il dénonce le crime de Versailles et qualifie la France de " République sans Républicains".  La France bourgeoise de 1871 était une République sans Républicains, tout comme celles de 1792 et 1848. Et si néanmoins cette même bourgeoisie réactionnaire et monarchiste a fondé la Troisième République et cette fois pour toujours, la raison essentielle en était d’une part la peur qu'elle avait du prolétariat, la conviction donc après un siècle de révolution que le prolétariat momentanément vaincu ne pouvait être pacifié que par une constitution républicaine, et d’autre part la certitude que le prolétariat vaincu cette fois ne pourrait reprendre la barre de la République pour semer le désordre avec ses fantasmes « sociaux » et ses volontés de subversion dans cette société bourgeoise. Le journal “Rappel” a dévoilé clairement ce secret de la Troisième République dans son numéro du 4 avril 1874. On peut y lire : les travailleurs supportent leur misère dans le calme parce que le gouvernement se nomme républicain. « Ce mot exerce une influence magique sur l’esprit des travailleurs, cette supercherie les maintient dans l’espoir ». Rosa Luxemburg, Les enseignements des trois Doumas, 1908.

Commencée en décembre, cette recherche sur Rosa Luxemburg est maintenant pratiquement achevée. Les premiers extraits se trouvent sur le net sur mon autre blog créé au moment ou over-blog avait imposé des publicités sur les blogs gratuits. : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/10-rosa-luxemburg-et-la-commune/ L'article a été publié aussi sur médiapart pour lui donner plus de visibilité sur les moteurs de recherche. Afin de faciliter l'accès à ceux que lire des textes peut rebuter, nous avons décidé avec Sabrina Lorre de les enregistrer sous forme de lectures. 12 extraits sont déjà disponibles. Dominique Villaeys-Poirré. Traduction par mes soins. Mars 2021.

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Cet extrait est l'un des plus important pour la réflexion qu'il induit pour aujourd'hu sur la République, le réformisme politiquei. En 1908, Rosa Luxemburg fait l'analyse du système qui s'est mis en place dans la Russie tsariste après la défaite de la Révolution russe de 1905. Elle s'appuie sur l'expérience de la Commune pour faire avancer l'idée de révolution prolétaire, comme elle le dit ailleurs jusqu"alors les prolétaires ont "tiré les marrons du feu" pour la bourgeoisie, puis ont été trahis par elle, et la bourgeoisie a continué sa marche et établit son pouvoir, elle l'espère cette fois-ci définitivement!  De cela, la Commune est un exemple parfait. Non seulement, c'est le système républicain qui a décidé de la défaite et du massacre de l'expérience de la Commune, mais ce système continue à asseoir le pouvoir de la bourgeoisie et à perpétuer l'exploitation capitaliste des prolétaires.  Leçon encore plus que valable pour aujourd'hui?

République sans Républicains, République qui n'a que le nom de République, mais qui n'est qu'un habillement, une supercherie, mot "magique" pour pacifier les prolétaires, pour empêcher qu'ils se révoltent à nouveau. La IIIème  République est le témoignage qu'il ne suffit pas que le régime soit "républicain" pour que disparaisse l'exploitation capitaliste. Et ce n'est pas là le régime républicain en lui-même qui est en cause. Au contraire dans les années 1910, Rosa Luxemburg rentrera en conflit ouvert avec le réformisme politique qui refuse son engagement contre la forme impériale du pouvoir (Petite référence personnelle à l'Espagne où le même réformisme acceptera le maintien de la royauté après le franquisme!). Mais la forme bourgeoise du pouvoir. Comme elle le dit et comme le montre jusqu'à aujourd'hui le réformisme politique : c'est la bourgeoisie toute entière qu'il convient de combattre.En 1908, Rosa Luxemburg fait une analyse du système qui s'est mis en place dans la Russie tsariste après la défaite de la Révolution russe de 1905.

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19 avril 2020 7 19 /04 /avril /2020 21:14
Georg Grosz

Georg Grosz

Article paru dans La Leipziger Zeitung, le 30 avril  1913

 

Au moment du premier 1er mai, en 1886, la crise semblait dépassée, l'économie capitaliste de nouveau sur les rails de la croissance.

 

On rêvait de d'un développement pacifique : les espoirs et les illusions d'un dialogue pacifique et raisonnable entre travail et capital germaient ; le discours de la « main tendue à toutes les bonnes volontés » perçait ; les promesses d'une « transition graduelle au socialisme » dominaient ».

 

Crises, guerres et révolution semblaient des choses du passé, l'enfance de la société moderne : le parlementarisme et les syndicats, la démocratie dans l’État et la démocratie sur le lieu de travail étaient supposées ouvrir les portes d'un nouvel ordre, plus juste.

 

L'histoire a soumis toutes ces illusions à une épreuve de vérité redoutable. A la fin des années 1890, à la place du développement culturel promis, tranquille, fait de réformes sociales, commençait une phase de violent aiguisement des contradictions capitalistes – un boom avec ses tensions électriques, un krach avec ses effondrements, un tremblement de terre fissurant les fondements de la société.

 

Dans la décennie suivante, une période de dix ans de prospérité économique fut payée au prix de deux crises mondiales violentes, six guerres sanglantes, et quatre révolutions sanglantes.

 

Au lieu des réformes sociales : lois de sécurité, répression et criminalisation du mouvement social. Au lieu de la démocratie industrielle : concentration extraordinaire du capital dans des ententes et trusts patronaux, et plans de licenciement massifs. Au lieu de la démocratie dans l'Etat : un misérable écroulement des derniers vestiges du libéralisme et de la démocratie bourgeoise.

 

La classe ouvrière révolutionnaire se voit aujourd'hui globalement comme seule, opposée à un front réactionnaire uni des classes dominantes, hostile mais ne se maintenant que par leurs ruses de pouvoir.

 

Le signe sous lequel l'ensemble de cette évolution, à la fois économique et politique, s'est consommée, la formule à la quelle elle renvoie, c'est l'impérialisme.

Rien de nouveau, aucun tournant inattendu dans les traits généraux de la société capitaliste. Les armements et les guerres, les contradictions internationales et la politique coloniale accompagnent l'histoire du capitalisme dès sa naissance.

 

Nous ne sommes que dans la phase d'intensification maximale de ces contradictions. Dans une interaction dialectique, à la fois la cause et l’effet de l'immense accumulation de capital, par l'intensification et l'aiguisement de ces contradictions tant internes, entre capital et travail, qu'externes, entre Etats capitalistes – l'impérialisme a ouvert sa phase finale, la division du monde par l'offensive du capital.

 

Une chaîne d'armements infinis et exorbitants sur terre comme sur mer dans tous les pays capitalistes du fait de leurs rivalités ; une chaîne de guerres sanglantes qui se sont répandues de l'Afrique à l'Europe et qui a tout moment peut allumer l'étincelle qui embrasera le monde.

Si on y ajoute le spectre incontrôlable de l'inflation, de la famine de masse dans l'ensemble du monde capitaliste. Chacun de ces signes est un témoignage éclatant de l'actualité et de la puissance de l'idée du 1er mai.

 

L'idée brillante, à la base du Premier mai, est celle d'un mouvement autonome, immédiat des masses prolétariennes, une action politique de masse de millions de travailleurs qui autrement auraient été atomisées par les barrières des affaires parlementaires quotidiennes, qui n'auraient pour l'essentiel pu exprimer leur volonté que par le bulletin de vote, l'élection de leurs représentants.

 

La proposition excellente du français Lavigne au Congrès de Paris de l'Internationale ajoutait à cette manifestation parlementaire, indirecte de la volonté du prolétariat, une manifestation internationale directe de masse : la grève comme une manifestation et un moyen de lutte pour la journée de 8 heures, la paix mondiale et le socialisme.

 

Et cette idée, cette nouvelle forme de lutte, a donné un nouvel élan au mouvement cette dernière décennie ! La grève de masse a été reconnu internationalement comme une arme indispensable de la lutte politique.

 

Comme action, comme arme dans la lutte, elle revient sous des formes et des nuances innombrables dans tous les pays, ces quinze dernières années.

 

Pas étonnant ! Le développement dans son ensemble de l'impérialisme dans la dernière décennie conduit la classe ouvrière internationale à voir plus clairement et de façon plus tangible que seule la mise en mouvement des masses, leur action politique autonome, les manifestations de masse et leurs grèves ouvriront tôt ou tard une phase de luttes révolutionnaires pour le pouvoir et pour l'Etat, peuvent apporter une réponse correcte du prolétariat à l'immense oppression que produit les politiques impérialistes.

 

En cette période de course aux armements et de folie guerrière, seule la volonté résolue de lutte des masses ouvrières, leur capacité et leur disposition à de puissantes actions de masse, peuvent maintenir la paix mondiale et repousser la menace d'une guerre mondiale.

 

Et plus l'idée du Premier Mai, l'idée d'actions de masse résolues comme manifestation de l'unité internationale, comme un moyen de lutte pour la paix et le socialisme, s'enracinera, et plus notre garantie sera forte que de la guerre mondiale qui sera, tôt ou tard, inévitable, sortira une lutte finale et victorieuse entre le monde du travail et celui du capital.

 

In Leipziger Volkszeitung, 30 avril 1913

 

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

Repris sur  http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

Article publié en 2018 sur le blog avec cette introduction : Où l'on voit qu'aujourd'hui comme hier, le 1er mai doit être défendu

En pleine lutte sociale, alors que tout pourrait basculer, ce 1er mai 2018 est à l'image de ce qui se passe depuis des semaines. Alors que des luttes puissantes sont menées par des travailleurs, pas d'appel général à la mobilisation de tous. Alors que le 1er mai aurait dû être la voix de toutes nos luttes, pas d'appel pressant de chacun à manifester en ce jour. Rosa Luxemburg a multiplié tout au long du début du siècle qui va mener au conflit mondial les appels à défendre ce jour international de lutte. Elle l'a fait contre le réformisme dominant. Hier comme aujourd'hui, négliger ce 1er mai, c'est négliger les fondements de nos luttes. Hier comme aujourd'hui, le 1er mai est menacé parce qu'il est le symbole de notre volonté commune de lutter ensemble.

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4 avril 2020 6 04 /04 /avril /2020 13:30
Sur le site Contre-temps

Sur le site Contre-temps

En suivant Rosa Luxemburg (V) - Lire Marx

Dans son article sur « l’œuvre posthume de Karl Marx » (paru le 8 janvier 1905 dans le Vorwärts), Rosa Luxemburg livre au lecteur sa compréhension de la portée scientifique et historique de l’édition par Karl Kautsky des Théories sur la plus-value de Marx : non pas seulement ajouter quelques « particules isolées de véritable savoir » aux théories économiques mais faire en sorte que « l’œuvre nouvelle de Marx prenne vie dans toute sa grandeur et son esprit révolutionnaire au sein du prolétariat en lutte ».

 

D’un certain point de vue, l’économie politique constitue une exception parmi toutes les sciences, le seul exemple d’une discipline à qui il est défendu d’écrire sa propre histoire. Dans ce cas en effet, la condition première de l’historiographie est la connaissance du rapport entre le processus social et son reflet théorique, dont l’absence même constitue la base scientifique de l’économie politique bourgeoise et de ses méthodes. De ce fait résulte l’étrange réalité que l’économie politique est dans l’obscurité en ce qui concerne son objet d’étude, sa matière même, alors que ses historiens érudits cherchent désespérément les débuts de ses théories à l’aube de l’histoire humaine, dans l’Orient classique, presque chez les hommes-singes, en un mot, partout où il est aussi peu probable de la trouver que de découvrir son unique et véritable objet : le mode de production capitaliste. La représentation de l’économie politique comme science absolue et éternelle en regard du passé répond logiquement à la représentation de la société bourgeoise comme forme sociale absolue et éternelle en regard de l’avenir. Il ressort de ces deux faits que l’histoire de l’économie politique ne pouvait être écrite que par un socialiste, plus exactement du seul point de vue de Marx. […] Dans un strict parallélisme à ses mutations politiques, la bourgeoisie demeure, en économie politique également, porteuse de la recherche scientifique tant qu’elle se tourne contre la société féodale, et tombe immédiatement dans le vulgaire et l'apologétique dès qu’elle se trouve face à la classe ouvrière grandissante. Et si l’histoire théorique du socialisme se développe dans le sens de l’utopie vers la science, Marx nous décrit pour la première fois l’histoire de l’économie bourgeoise de la science vers l’utopie – de la connaissance des lois de mouvement internes de la société bourgeoise à la théorie apologétique de l’immortalisation de cette société contre ses propres lois de mouvement. […]

 

Le Capital de Marx, et par la même occasion son œuvre de dépassement scientifique de la société bourgeoise, s’achèvent avec la publication de cette histoire de l’économie politique1. Comme les œuvres fondamentales de la théorie de Marx, ce livre n’est pas seulement un accomplissement scientifique de premier ordre mais un acte historique qui ne peut être apprécié à sa juste valeur que dans le contexte de la lutte historique de la social-démocratie et à la lumière de cette lutte.

 

Mais ce superbe fruit de l’esprit de Marx n’a bien évidemment pas été conçu pour la science officielle bourgeoise. Le moment où il paraît montre l’économie politique bourgeoise à un stade de décomposition encore plus avancé qu’elle ne l’était à l’époque de la parution du Capital. Lors de la parution du premier tome de l’œuvre majeure de Marx, l’« école historique » était encore en pleine apogée, et à l’époque du deuxième tome et jusque dans les années 1890, le « subjectivisme » faisait dans les cercles bourgeois des allégations trompeuses quant à un nouvel essor de l’économie politique en tant que science2. Aujourd’hui, à part un concert de lamentations pour seule retombée pratique, il ne reste de l’« école historique » que la production massive par Lotz et Brentano de docteurs pleins d’espoir avec un institut microscopico-anatomique au service des besoins journaliers « scientifiques » du capital d’affaires. La communauté « subjective » de Böhm et Jevons quant à elle, après avoir déjà démontré son aride stérilité dans tous les problèmes fondamentaux de l’économie politique, est incapable de faire quoi que ce soit du véritable nouveau problème avec lequel elle a réellement quelque chose à voir – les cartels. L’appel à revenir à la méthode déductive des vieux classiques, qui résonne çà et là, est un symptôme éloquent de cette situation désespérée.

 

Mais que cet appel lui-même soit né d’une confusion sans espoir des économistes d’aujourd’hui face à leur propre sort comme face à la nature de l’économie politique classique, voilà qui est prouvé par le fait que par exemple, celui qui se présente comme le dernier héraut de la « méthode déductive » n'est autre que le professeur Pohle de Francfort, le représentant scientifique des syndicats de propriétaires, la matière pensante de la flambée du foncier urbain, l’avocat théoricien du droit de Shylock à la livre de chair prolétarienne transposé à l’époque moderne des grandes villes. Monsieur le professeur ignore donc totalement que la « méthode déductive » des classiques n’est pas un outil de pensée mécanique que l’on sort à sa guise du placard, comme un tire-bouchon qui peut être mis par n’importe quel garçon à la disposition de ces messieurs, mais que c’est le regard homérique, joyeux et libre que le patriarche de l’économie, Adam, portait sur le vieux monde en badinant en costume divin dans l'éden de la société bourgeoise encore en pleine éclosion. Après que la science bourgeoise a goûté à l’arbre de la connaissance de la lutte des classes et, terrifiée par sa nudité, s’est glissée dans le frac de fonctionnaire du professeur appointé, et surtout, après que la connaissance de Marx a elle aussi pris corps dans trois millions de têtes pensantes, il est tout autant possible pour l’économie actuelle de revenir à la méthode déductive et à la compréhension des classiques, qu’il est possible pour la poésie naïve allemande actuelle du Überbrettl de « revenir » au doux « Tandaradei » de Walther von der Vogelweide3.

 

C’est aussi pour cela que nous ne pouvons pas adhérer aux attentes optimistes de Kautsky, qui dans son avant-propos parle d’un retour désormais proche de l’économie politique bourgeoise à une étude approfondie et féconde de l’école classique. Quoi qu’il en soit, les lumières de la sagesse de chaire4 peuvent toujours retenir que c’est justement ce représentant du marxisme, de l’exclusivité rigide et des chasses aux sorcières doctrinaires duquel la plupart d’entre eux se plaignent habituellement, qui va aussi loin dans l’humanisme doux et généreux, attendant même que leur buisson d’épines spirituel porte encore les fruits de la connaissance scientifique.

 

En un sens, il est toutefois indéniable que la science professorale s’appropriera aussi ce nouveau don de Kautsky, tout comme elle s’est nourrie jusqu’à aujourd’hui des anciennes découvertes de Marx – en démolissant notamment ce formidable contenu en petites particules isolées et en ajoutant ainsi à sa théorie scientifique quelques bribes de véritable savoir. C’est seulement dans le prolétariat en lutte que l’œuvre nouvelle de Marx peut prendre vie dans toute sa grandeur et son esprit révolutionnaire.

 

Bien entendu, le rapport entre une histoire critique de l’économie politique bourgeoise et le combat quotidien de la social-démocratie semble difficile à saisir au premier abord, d’autant plus que, ces derniers temps, la vivacité même du sentiment pour l’importance de la théorie n’apparaît pas assez clairement dans le flot formidablement élargi du mouvement prolétarien. Sans aucun doute, tout le combat de la social-démocratie est animé par les vues de Marx sur les conditions et les visées sociales, tel un train en route sur des rails bien définis qui suit la direction prescrite par la seule loi de l’inertie. Mais le travail de fourmi de la pratique et les escarmouches économiques et politiques quotidiennes menacent de plus en plus de reléguer à l’arrière-plan le processus conscient et incontournable de transformation, de réévaluation de l'ensemble de la pensée du prolétariat dans l’esprit de la conception révolutionnaire du monde chez Marx. Ces derniers jours cependant, une affaire a montré une fois de plus à quel point ce processus est une nécessité permanente et pressante, quand un social-démocrate investi d’une fonction, donc officiellement appelé à représenter le parti et l’éducation des masses, a développé la théorie d’un « sentiment religieux » métaphysique qui serait inhérent à tout cœur humain, et de la nécessité future de maintenir la religion, pour le peuple, sans la prêtraille, plus ou moins une théorie d’« évidement » de l'Église, en entière analogie avec la fameuse théorie de l’évidement du capitalisme, avec qui elle a en commun les racines d’un éloignement complet de la conception historique du matérialisme5 [5]. Comme beaucoup d’autres, cette affaire montre clairement qu’il est non seulement de notre devoir de gagner au plus vite de larges masses à la reconnaissance formelle du programme de la social-démocratie, mais aussi de révolutionner de fond en comble le mode de pensée de ces masses, donc surtout de nos agitateurs, par la théorie de Marx. C’est uniquement de cette manière, et non par la seule arrivée de nouvelles recrues dans les masses électorales de la social-démocratie, dans les organisations de parti et de syndicat, que le prolétariat pourra se détacher intellectuellement de la domination de la bourgeoisie et de sa culture de classe.

 

En ce sens, le nouveau livre de Marx est une abondante source de stimulations, appelée notamment à rafraîchir et à aiguillonner les forces intellectuelles de nos importants groupes d’agitateurs qui exercent leur influence sur les grandes masses du prolétariat par le biais de la presse et de l’activité parlementaire. Se plonger avec un zèle sincère dans les œuvres fondamentales de Marx et trouver dans leurs moindres recoins le lien entre ses théories scientifiques et la pratique de la social-démocratie qu’elles sous-tendent, pour ainsi s’extraire soi-même et extraire les masses de la désolation et de l’abattement intellectuels qui les menacent dans le combat quotidien – voilà la tâche des rédacteurs, des journalistes et des parlementaires sociaux-démocrates. C’est à eux principalement qu’est destiné le livre que nous présente Kautsky, d’autant qu’il devrait, par le grand plaisir intellectuel qu’il nous offre, devenir le point de départ d’une nouvelle étude assidue de la théorie dans les rangs du parti. Montrer un peu moins d’enthousiasme éperdu dans la résistance aux attentats cléricaux contre l’art bourgeois ou à propos de la fondation de coopératives de consommation, et s’efforcer en échange, avec plus d’enthousiasme, de comprendre les racines historiques, philosophiques et économiques de la lutte des classes de la social-démocratie, se détourner des billons de cuivre usés des mots d’ordres et des solutions provisoires du quotidien pour retrouver l’or pur de la conception marxiste dans toute sa puissance universelle – voilà à quoi nous exhorte la nouvelle et dernière des œuvres de l’héritage scientifique de Marx.

 

Rosa Luxemburg

 

Extrait de À l’école du socialisme, tome II des Œuvres complètes, Agone & Smolny, 2012, p. 90-99.

De Rosa Luxemburg sont parus les cinq premiers tomes des Œuvres complètes (Agone & Smolny) : Introduction à l’économie politique (2009), Le Socialisme en France (2013), La Brochure de Junius (2014), L’Accumulation du capital (2019).

À paraître en 2021 aux éditions Agone & Smolny, le premier volume de la Correspondance complète (1891-1909).

Notes

1. Theorien über den Mehrwert. Aus dem nachgelassenen Manuskript “Zur Kritik der politischen Ökonomie” von Karl Marx, herausgegeben von Karl Kautsky, Bd. I: Die Anfänge der Theorie vom Mehrwert bis Adam Smith, Stuttgart, J.H.W. Dietz, 1905.

2. Sous l'appellation de « subjectivisme », Rosa Luxemburg désigne l'école marginaliste, représentée principalement par Carl Menger, Léon Walras et William Jevons, qui abandonnent le concept de la valeur-travail, théorie objective héritée de l'économie classique, pour celui d'utilité marginale, ou théorie subjective.

3. Überbrettl était le lieu de rencontre de la bohème berlinoise au tournant du XXe siècle. « Tandaradei » est le leitmotiv de « Sous le tilleul », écrit par ce premier grand poète en langue allemande.

4. Allusion au socialisme de la chaire (Kathedersozialismus).

5. L'emploi du terme « Aushöhlung [évidement, érosion] » n'est pas si usuel. Rosa Luxemburg se réfère aux théories révisionnistes, pour qui le but révolutionnaire n'étant plus rien il s'agit de vider de sa substance le capitalisme par le travail de sape du mouvement social-démocrate et l'affirmation de sa puissance économique. Au congrès de Hanovre, le 11 octobre 1899, au cours du débat sur les positions de Bernstein, Rosa Luxemburg avait eu cette pointe contre le réformiste Eduard David, qui venait de faire la veille et le jour même une intervention fleuve : « David a énoncé toute une théorie de l'évidement de la propriété capitaliste. Je ne sais pas si sa conception de la lutte socialiste mène effectivement à un tel évidement ; j'en doute fort. Mais il ne fait aucun doute qu'une telle conception présuppose un évidement de nos têtes. » (Protokoll1899, p. 172.)

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4 avril 2020 6 04 /04 /avril /2020 13:25
A propos de Cuba et les Etats-Unis, lire "Le prix d'une victoire", article de Rosa Luxemburg.  Inédit en françaissur la guerre hispano-américaine et les débuts de l'impérialisme américain.

Traduction Dominique Villaeys-Poirré. 1988 - Publié sur ce blog 02.04.2014

LE PRIX D’UNE VICTOIRE – Leipziger Volkszeitung – 19 décembre 1898

 

Les négociations de paix entre l’Espagne et les Etats-Unis ont scellé la victoire de l’Union. L’Union nord-américaine reçoit un territoire de 4OO OOO km2 avec une population de 12 millions d’habitants, dont 7 millions de race jaune et un million de race noire.

 

 

Il est intéressant de se poser la question de savoir combien cette victoire a bien pu coûter aux Etats-Unis. Nous ne comptons pas les pertes en vies humaines car la victoire doit tout d’abord être mesurée à l’aune de ce qui a aujourd’hui la valeur la plus haut : l’argent.

 

Dès après l’explosion du Maine, le caractère inéluctable de la guerre est apparu clairement à chacun dans l’Union et les préparatifs de guerre ont été rapidement entamés. Aussitôt, le Congrès donna, le 8 mars, son accord pour engager un crédit de 50 millions de dollars pour la « défense nationale », mais ce crédit fut rapidement épuisé, en l’espace de quelques semaines. Les Etats-Unis dépensèrent 18 millions de dollars pour l’acquisition d’une flotte de 101 bâtiments. Certains croiseurs comme le « Haward » ou le « Yale » revinrent chacun, pour chaque jour de guerre à  2OOO dollars, et le « Saint-Louis » et le « Saint-Paul » à 25OO dollars. Tout aussi onéreux étaient les canons de la marine, puisque chaque boulet de 13 revenait à 500 dollars et chaque boulet de canon de 8 mm à 134 dollars

 

Les achats nécessaires au renouvellement complet du stock de munitions utilisées par la flotte occasionnèrent une dépense de 65 millions de dollars. La destruction de la flotte espagnole au large de Manille par l’Amiral Dewey a coûté un demi-million de dollars, celle de la flotte de Cevera de même, tandis que les pertes de l’Espagne en bâtiments au large de Santiago devraient se chiffrer aux alentours des 16,5 millions de dollars.

 

De plus, 125 OOO hommes ont été appelés sous les drapeaux dès le début de la guerre entraînant le quintuplement du budget des armées.

 

En tout, les dépenses de l’Union pour son armée et sa flotte durant toute la guerre ont atteint 1 25O OOO dollars par jour, alors qu’elles se montent à 25O OOO en temps de paix..

 

Le crédit de 2O millions de dollars approuvé en mars par le Congrès a donc été très rapidement épuisé et les crédits se sont succédés si bien que la somme allouée se monte au total à 361 788 dollars. Quand il s’est agi de voter ces crédits, le Congrès patriotique, où l’influence discrète du trust de l’industrie sucrière joue un grand rôle, l’a fait avec toujours le plus grand enthousiasme. Mais il fallait bien aussi que ces crédits soient couverts par des liquidités. Et qui allait payer, si ce n’est  la grande masse du peuple des Etats-Unis.

 

Le prélèvement des fonds patriotiques pour les besoins de la guerre fut organisé de deux façons. D’abord grâce à ce moyen efficace que constituent pour tout gouvernement capitaliste, les impôts indirects. Dès la déclaration de guerre, l’impôt sur la bière fut doublé, ce qui permit de récolter une somme totale de 3O millions de dollars. Les taxes supplémentaires sur le tabac rapportèrent 6 millions de dollars, le nouvel impôt sur le thé 10 millions et l’augmentation de la taxe d’affranchissement 92. En tout, les ressources provenant des impôts indirects s’élevèrent à 15O millions de dollars supplémentaires. Cependant il fallait en trouver encore 200 millions et le gouvernement des Etats-Unis eut recours à l’émission d’un emprunt national à 5% sur 2O ans. Mais cet emprunt devait aussi permettre de prendre l’argent des gens modestes, c’est pourquoi l’on organisa cette opération avec un luxe inhabituel à grands renforts de coups de cymbales et de roulements de tambours.

 

La circulaire annonçant cet emprunt patriotique fut adressée à toutes les banques, à tous les bureaux de poste et aux 24 OOO journaux. Et « le petit gibier » s’y laissa prendre. Plus de la moitié de l’emprunt, soit 1O millions de dollars fut couvert par la souscription de coupures inférieures à 500 dollars et le nombre total de souscripteurs atteignit le chiffre record de 32O OOO , tandis que par exemple le précédent emprunt émis sous Cleveland n’en avait rassemblé que 5O 7OO. Cette fois-ci, les économies des petits épargnants affluèrent, attirées par tout ce vacarme patriotique, elles sortirent de tous les recoins et des bas de laine les plus cachés pour aller remplir les caisses du ministère de la Marine et de la Guerre. Ce sont directement les classes laborieuses et la petite-bourgoisie qui payèrent l’addition de leur propre poche.

 

Mais ne considérer le prix d’une guerre qu’à partir des fonds dépensés pour sa conduite reviendrait à voir les événements historiques à travers le petit bout de la lorgnette d’un petit boutiquier. La véritable addition à payer pour la victoire sur l’Espagne, l’Union va devoir la régler maintenant et elle dépassera la première.

 

Avec l’annexion des Philippines, les Etats-Unis ont cessé d’être une puissance uniquement européenne pour devenir une puissance mondiale. Au principe défensif de la doctrine Monroe succède une politique mondiale offensive, une politique d’annexion de territoires se trouvant sur des continents étrangers. Mais cela signifie un bouleversement fondamental de l’ensemble de la politique étrangère de l’Union. Alors qu’elle avait jusqu’à présent à défendre simplement ses intérêts américains, elle a maintenant des intérêts en Asie, en Chine, en Australie et elle est entraînée dans des conflits politiques avec l’Angleterre, la Russie, l’Allemagne, elle est impliquée dans tous les grands problèmes mondiaux et soumise au risque de nouvelles guerres. L’ère du développement interne et de la paix est terminée et une nouvelle page s’ouvre sur laquelle l’histoire pourra inscrire les événements les plus inattendus et les plus étranges.

 

Dès maintenant, l’Union nord-américaine doit procéder à une réorganisation de fond de son armée pour défendre les nouveaux territoires qu’elle a acquis. Jusqu’à présent, elle disposait d’une armée modeste (30 OOO hommes dont 12 OOO pour l’infanterie, 6OOO pour la cavalerie, 4OOO pour l’artillerie, 8OOO fonctionnaires et 6O batteries) et d’une flotte d’importance secondaire (81 bâtiments représentant un tonnage de 230 OOO tonnes, 18 amiraux, 12 OOO matelots et 75O mousses.)

 

Il lui faut à présent procéder à une augmentation énorme de son armée de terre et de sa flotte. A Cuba et à Porto Rico, il lui faudra entretenir au minimum 40 à 50 OOO hommes et au moins autant aux Philippines. En bref, l’Union devra certainement augmenter les effectifs de son armée permanente pour les porter à 15O OOO voire 2OO OOO hommes. Cependant, une telle armée ne pourra pas être constituée sur la base du système actuellement en vigueur aux Etats-Unis. Aussi passera-t-on probablement au système européen du service militaire et de l’armée permanente dans les délais les plus brefs ; ainsi l’Union pourra-t-elle fêter solennellement son entrée dans le véritable système militariste.

 

De même la flotte américaine ne pourra pas en rester à ses modestes dimensions actuelles. Les Etats-Unis doivent s’imposer maintenant aussi bien sur l’Océan Atlantique que sur l’Océan Pacifique. Ils se voient donc contraints de rivaliser avec les puissances européennes et surtout avec l’Angleterre et devront donc très bientôt constituer une flotte de tout premier rang. En même temps que la politique mondiale, entrent aussi aux Etats-Unis ses jumeaux inséparables : le militarisme et les intérêts maritimes. L’avenir des Etats-Unis va donc aussi se jouer « sur mer » et les eaux profondes des océans lointains paraissent bien troubles.

 

Non seulement l’organisation militaire mais aussi la vie économique et la vie intérieure vont être profondément modifiées par les conséquences de cette guerre. Soit les nouveaux territoires ne seront pas intégrés comme pays membres de l’Union avec les mêmes droits et alors les Etats-Unis qui étaient édifiés sur une base démocratique se transformeront en Etat tyran. Et l’on peut avoir une petite idée de la façon dont cette domination va s’exercer en se rappelant les premières années qui ont suivi la Guerre de Sécession où les Etats du Sud étaient gouvernés par ceux du Nord et soumis à un régime sans scrupule de pilleurs (carpet-badgeur). Il n’est pas nécessaire de montrer plus avant les effets que peut avoir la domination sur des territoires étrangers, même exercée de manière plus humaine, même dans un pays démocratique, ni comment les fondements de la démocratie sont progressivement remis en question laissant place à la corruption politique.

 

Soit les territoires seront intégrés à l’Union et au Congrès en tant qu’Etat avec les mêmes droits  que les autres. Mais on peut se demander quelles conséquences cet afflux d’un courant si profondément différent aura sur la vie politique américaine ; seuls les Dieux peuvent répondre à cette question. La question peut aussi être aisément formulée comme le fit Carlile (l’ancien secrétaire au Trésor de Cleveland) dans le magazine Harper : « La question n’est pas de savoir ce que nous ferons des Philippins, mais ce que les Philippins feront de nous ».

 

Dans ce dernier cas surgit une autre question importante. Si les habitants des Philippines, sont considérés comme des citoyens ayant les mêmes droits, leur immigration vers les Etats-Unis ne pourra être interdite du fait même de la Constitution des Etats-Unis  Mais apparaît alors le fantôme menaçant du « péril jaune », la concurrence des Malais des Philippines et des Chinois qui y sont en grand nombre. Pour prévenir ce danger, une voie médiane est proposée : faire des pays annexés un protectorat ou quelque chose de semblable afin de pouvoir traiter au moins ces territoires comme des pays étrangers. Mais il est clair qu’il s’agirait alors d’un compromis et qu’il ne s’agirait que d’une phase de transition, qui se développera ensuite, soit vers une domination pleine et entière, soit vers une pleine et entière égalité des droits.

 

Mais on peut s’attendre encore dès maintenant à d’autres conséquences économiques et politiques suite à cette victoire. Du fait de leur entrée dans cette ère nouvelle de la grande politique navale, les Etats-Unis ressentent le besoin d’une liaison rapide entre les deux océans où ils ont des intérêts. La guerre avec l’Espagne a montré le caractère insupportable du détour forcé que constitue le contournement du continent américain. Aussi l’on s’achemine de plus en plus vers le creusement du Canal du Nicaragua. D’où l’intérêt de l’Union du Nord  pour l’Amérique centrale et le désir d’y prendre pied. En Angleterre, on a compris cela et l’on voit ce qui va se passer avec une résignation forcée. « Il est absurde et de plus très dangereux », écrit le journal anglais l’Economiste, « de vouloir se battre contre les faits, et c’est un fait que si les Etats-Unis veulent établir leur domination sur les côtes de l’Amérique centrale, leur situation géographique leur rendra cette domination possible. » La victoire sur l’Espagne entraîne donc des bouleversements pour l’Union, non seulement pour ce qui concerne sa position par rapport à la politique mondiale mais encore en Amérique même. D’autres effets encore inconnus pour l’instant devraient se faire sentir.

 

Ainsi, l’Union nord-américaine doit-elle faire face à une situation tout à fait nouvelle dans les domaines militaire, politique et économique, suite à sa guerre victorieuse. Et si l’on considère l’avenir, totalement imprévisible pour ce qui concerne l’Union, on est tenté de s’écrier pour résumer le prix de cette victoire : vae victori ! (Malheur aux vainqueurs !).

 

Ces bouleversements actuels des conditions d’existence des Etats-Unis ne tombent pas du ciel. Le saut politique vers la guerre a été précédé par de lents et imperceptibles changements économiques. La révolution ayant lieu dans les conditions politiques exacerbées est le fruit d’une évolution capitaliste progressant doucement durant la première décennie. Les Etats-Unis sont devenus un Etat industriel exportateur.

 

« Nos exportations » déclare Monsieur Gage, le secrétaire d’Etat au Trésor dans son rapport trisannuel, « se sont montées à 246 297 OOO livres sterling et nos importations à seulement 123 210 OOO livres ». Pour la première fois de notre histoire », constate-t-il avec fierté, « nos exportations de produits manufacturés ont dépassé nos importations ». C’est ce rapide essor économique qui a produit l’enthousiasme pour la guerre d’annexion menée contre l’Espagne, de même qu’il a permis de rassembler les fonds pour en assumer le coût. La bourgeoisie américaine comprend très bien elle aussi la dialectique de son histoire.

 

« La volonté de nous imposer sur le marché mondial », écrit le journal new-yorkais « Banker’s Magazine » a développé depuis longtemps le désir d’une « strong foreign policy » (d’une politique extérieure forte). L’Union devait devenir « a world power » (une puissance mondiale).

 

Si l’explosion sur le Maine pouvait donc être le fruit d’un hasard, la guerre avec l’Espagne, elle, ne l’était pas. Et la politique mondiale l’est encore moins.

 

Nous, qui avec Goethe trouvons « que toute ce qui existe est digne de disparaître » et qui considérons avec intérêt l’état des choses actuel, nous ne pouvons qu’être satisfaits  du cours des événements.

 

L’histoire a donné un fort coup d’éperon à son poulain et celui-ci a fait un prodigieux bond en avant. Mais pour ce qui nous concerne, nous préférons toujours un galop vif et joyeux à un trot endormi. Nous n’en arriverons que plus rapidement au but.

 

Mais comme il apparaît comique, face à ces gigantesques bouleversements qui ont lieu dans l’autre hémisphère et qui ont provoqué un ouragan politique impressionnant, le raisonnement de ceux qui, en s’appuyant sur une décennie de statistiques dans le monde, affirment que l’ordre capitaliste est maintenant établi pour un temps indéfini et que cet ordre reposerait sur une base inébranlable. Ils font penser à cette grenouille qui considérant le calme régnant dans son étang boueux, explique que la terre s’est arrêtée de tourner parce qu’elle ne voit aucun souffle de vent agiter la surface verte de cet étang. Mais les événements historiques concernent un bien plus vaste morceau de terre que ce que l’on peut voir en se plaçant dans la perspective (digne de cette grenouille) de la politique « réaliste ».

 

 

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4 avril 2020 6 04 /04 /avril /2020 13:24
Sur le site "Les matérialistes"

Sur le site "Les matérialistes"

Le congrès affirme :

                                                            

L'immigration et l'émigration des travailleurs sont autant inséparables de l'essence du capitalisme que le chômage, la surproduction et la sous-consommation des travailleurs. Il s'agit souvent d'un moyen de réduire la part des travailleurs dans la production du travail et elles prennent à certains moments des dimensions anormales, par les poursuites politiques, religieuses et nationales.

Concernant l'aide face aux conséquences menaçantes, pour les masses travailleuses, de l'émigration et de l'immigration, le congrès se refuse à prendre en considération de quelconques lois d'exception économiques ou politiques, étant donné que celles-ci sont improductives et dans leur essence même réactionnaires, en particulier dans une limitation des autorisations et une exclusion de nationalités ou de races étrangères.

A l'opposé, le congrès se positionne pour le devoir des masses travailleuses organisées à se défendre contre l'abaissement des conditions de vie, survenant de plusieurs manières, qui suit l'importation de masse de travailleurs inorganisés, et affirme que c'est, de plus, leur devoir d'empêcher que soient utilisés par intermittence des briseurs de grèves .

Le congrès reconnaît les difficultés qui naissent dans beaucoup de cas pour le prolétariat d'un pays étant à un haut niveau de développement du capitalisme en raison de l'immigration passive de travailleurs inorganisés et habitués à un niveau de vue plus bas venant de pays avec une culture surtout agraire et paysanne, tout comme les dangers qui naissent pour lui d'une certaine forme d'immigration.

Il ne voit cependant pas comme une forme appropriée de lutte, et même condamnable du point de vue de la solidarité prolétarienne, l'exclusion de certaines nations ou races de l'immigration.

Il conseille, partant de là, les mesures suivantes :

 

I. Pour le pays d'immigration

1. Interdiction de l'exportation et de l'importation des travailleurs qui ont signé un contrat accordant [à l'employeur] la libre disposition de leur force de travail tout comme de leurs salaires.

2. Protection ouvrière au moyen de la loi par la réduction de la journée de travail, mise en place d'un salaire minimal, abolition de la rémunération à la pièce et établissement de règles pour le travail à domicile.

3. Abolition de toutes les limitations excluant ou rendant l'accès difficile à certaines nationalités ou races la résidence dans un pays et les droits sociaux, politiques et économiques des natifs, facilitation la plus large de la naturalisation.

4. Pour les syndicats de tous les pays, les principes suivants doivent avoir une valeur générale :

a) accès sans aucune restriction des travailleurs immigrés dans les syndicats de tous les pays,

b) facilitation de l'entrée [dans les syndicats] par des cotisations à un tarif adapté,

c) transfert sans paiement de l'organisation d'un pays à une autre lorsque toutes les conditions d'appartenance à l'organisation d'un pays précédente sont établies,

d) établissement de cartels syndicaux internationaux, qui rendra possible une application internationale de ces principes et nécessités.

5. Soutien aux organisations syndicales des pays où est recruté en première ligne l'immigration.

II. Pour le pays d'émigration :

1. Agitation syndicale la plus vive.

2. Instruction des travailleurs et de l'opinion publique sur l'état véritable conditions de travail dans les pays d'immigration.

3. Accord le plus vif des syndicats avec ceux des pays d'immigration concernant une action conjointe dans la question de l'immigration et de l'émigration.

4. Etant donné que l'émigration des travailleurs est, qui plus est, souvent simulé artificiellement par les compagnies ferroviaires et de navigation, par des spéculateurs terriens et autres entreprises mensongères, par la diffusion de fausses et mensongères promesses, le congrès exige la surveillance des agences de navigation des bureaux d'émigration, éventuellement pas des mesures légales ou administratives, afin d'empêcher que l'émigration soit abusée par les intérêts de telles entreprises capitalistes.

III. Une nouvelle réglementation des transports, en particulier par bateau, la surveillance des décisions par des inspecteurs avec un pouvoir disciplinaire et issus des rangs des travailleurs organisés syndicalement du pays d'immigration comme celui d'émigration. Mesures sociales pour les immigrants nouvellement arrivés, afin qu'ils ne tombent pas dès le départ dans l'exploitation des escrocs du capital.

Étant donné que le transport des émigrants ne peut être réglé que sur une base internationale, le congrès demande au Bureau socialiste international de travailler à des propositions pour une nouvelle réglementation en ce domaine, où sont définies les installations et dispositions des bateaux ainsi que les espaces minimums revenant au minimum à chaque émigrant, et ici en accordant une place particulière à ce que chaque émigrant règle son passage directement avec l'entreprise, sans l'intervention d'entreprises intermédiaires quelconques.

Ces propositions sont à faire partager par les directions des partis dans le cadre législatif comme dans la propagande.

Résolution sur l'immigration et l'émigration du congrès socialiste international, Stuttgart 1907

Lire aussi: http://barthes.enssib.fr/clio/revues/AHI/ressources/documents/international.html

 

Congrès des internationales ouvrières, résolutions, motions, comptes rendus relatifs à la question immigrée.

Documents rassemblés et présentés par C. PIERRE, docteur en Histoire.

Congrès de la IIe Internationale, Amsterdam, 14-20 août 1904.

Une résolution est d’abord proposée par la Commission. Le rapporteur est Ugarte (Argentine).

Le Congrès déclare que l’ouvrier émigrant est la victime du régime capitaliste, qui le force souvent à l’expatriation pour s’assurer péniblement l’existence et la liberté; Que les ouvriers émigrés ont souvent en vue de supplanter les grévistes, ce qui a pour résultats des conflits quelquefois sanglants entre ouvriers de nations différentes. Le Congrès condamne toute mesure législative ayant pour objet d’empêcher l’émigration.

Il déclare qu’une propagande tendant à éclairer les émigrants attirés artificiellement par les entrepreneurs de la classe capitaliste, abusant de renseignements souvent faux, paraît d’une absolue nécessité.
Il est convaincu que, grâce à la propagande socialiste et par l’organisation ouvrière, les émigrants se rangeront après quelques temps du côté des ouvriers organisés des pays d’émigration et exigeront des salaires légaux.

Le Congrès déclare, en outre, qu’il est utile que les représentants socialistes dans les Parlements demandent que les gouvernements combattent par un contrôle sévère et efficace les nombreux abus auxquels l’émigration donne lieu, et qu’ils proposent des mesures tendant à réformer la législation, afin que les ouvriers émigrés acquièrent aussitôt que possible les droits politiques et civils dans les pays d’émigration et qu’ils reprennent leurs droits aussitôt qu’ils retourneront dans leur pays, ou bien que les différents pays assurent aux émigrés les mêmes droits par les traités de réciprocité.

Le Congrès engage le Parti Socialiste et les Fédérations syndicales à travailler plus énergiquement qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent à étendre parmi les ouvriers émigrés la propagande de l’organisation ouvrière et de solidarité internationale.?

Puis une seconde proposition est proposée par H. van Kol (Hollande), Morris Hillquit (USA), Claude Thompson (Australie), H. Schlüter (USA), A. Lee (USA), et P.H. Verdorst (Hollande). (Amsterdam, 1904).

Le Congrès, tout en tenant compte des dangers qui découlent de l’immigration d’ouvriers étrangers, vu que ceux-ci causent souvent une baisse des salaires, l’emploi des jaunes et quelquefois même des combats sanglants entre les ouvriers, déclare que par l’influence de l’agitation socialiste et syndicale, les ouvriers immigrés prendront après quelques temps le parti des ouvriers indigènes et réclameront le même salaire que ceux-ci.
Par conséquent le Congrès condamne toute loi qui défend ou empêche l’immigration d’ouvriers étrangers que la misère oblige à émigrer.

Le Congrès considérant ensuite que des ouvriers de nationalités arriérées, comme les Chinois, les Nègres, etc., sont souvent importés par des capitalistes pour nuire aux ouvriers indigènes en travaillant pour un minimum de salaires et que ceux-ci se laissant exploiter vivent dans une sorte d’esclavage, déclare que la social-démocratie doit combattre de toutes ses forces l’emploi de ce moyen qui sert à détruire l’organisation des ouvriers et par là à arrêter le progrès et la réalisation du socialisme.

(A l’issue de débats et de désaccords, le Président annonce que la commision et Hillquit retirent leurs résolutions, et que l’on remet la question au prochain congrès; mais il propose d’émettre le voeu que les syndicats rendraient l’acceptation d’étrangers le plus facile possible)

Congrès de la IIe Internationale, août 1907.

Henri de la Porte écrit Les Leçons de Stuttgart en octobre 1908.

L'émigration et l’immigration  : 
 J’ai déjà dit que cette question me paraissait être celle qui, avec la question coloniale, devait d’ici peu prendre la première place dans les préoccupations de l’Internationale.

Aucune, en effet, ne soulève plus complètement les graves problèmes qui doivent bouleverser le monde. A côté d’elle, comme à côté de la question coloniale, les conflits internationaux ou les conflits constitutionnels, passent au second plan. Ils ne sont que l’effet.

L’immigration (comme à l’heure présente pour les Japonais aux Etats-Unis d’Amérique) et l’expansion coloniale (comme l’affaire marocaine), dérivés directement du capitalisme, sont la cause, - on ne peut même pas dire le prétexte. Et c’est vraiment là qu’au fond gît toute la raison et toute la force de l’internationalisme socialiste. (...) C’est sur le terrain des rapports entre peuples, - colonisation ou immigration, - que se pose dans son ampleur tout le vaste problème humain, et que s’établit la valeur de l’Internationale travailleuse contre le Capitalisme cosmopolite sur l’immense champ de bataille de l’Humanité.

(...) L’unanimité du Congrès ne se produisit qu’après de substantiels débats (...). C’est dire l’importance de la résolution. (...)
Cependant de dangereuses déviations menaçaient.

 Sous le couvert de conditions particulières à certains pays (toujours!), des délégués, bien intentionnés sans doute, mais terriblement aveugles proposaient, contre l’immigration, des propositions de caractère nettement antiinternationaliste; inquiets sans doute d’un danger de concurrence, ils négligeaient le point de vue marxiste et se laissaient entraîner par l’opinion courante de leur pays à une révolte instinctive, antiscientifique et antisocialiste de protection? chauvine. (...) (...)

Chinois, Japonais, Italiens, Allemands, Français ou Belges, tous les immigrants arrivant dans un pays ne sont pas à priori des sarrazins;. Le devoir des socialistes en tous cas n’est pas de se prêter à la guerre interprolétarienne entre travailleurs de différentes races, - ce qui favorise, par la concurrence entre exploités, l’intérêt des capitalistes et des employeurs. Le devoir est de tout faire pour étendre entre indigènes et immigrés le lien syndical. Le devoir, loin d’être d’éloigner du syndicat et de l’organisation ouvrière les nouveaux venus, est au contraire de tout faire pour les y amener. Le devoir, comme allait le dire le rapporteur, est de protéger aussi bien l’ouvrier indigène que l’ouvrier immigrant.

Résolution du Congrès de la IIe Internationale approuvée à l’unanimité, Stuttgart, août 1907  : 

L'immigration et l’émigration des travailleurs sont des phénomènes aussi inséparables du capitalisme que le chômage, la surproduction, la sous consommation  :  elles sont souvent l’un des moyens dont le capitalisme dispose pour réduire la part des travailleurs dans les produits de leur travail et prennent parfois des proportions anormales par suite de persécutions politiques, religieuses ou nationalistes. Le Congrès ne peut considérer comme des moyens d’écarter le danger éventuel dont l’émigration et l’immigration menacent la classe ouvrière, ni les mesures exceptionnelles quelconques, économiques ou politiques, parce qu’elles sont inefficaces et essentiellement réactionnaires, ni spécialement une restriction de la libre circulation, ni une exclusion des individus appartenant à des nationalités ou à des races étrangères.

Par contre, le Congrès déclare qu’il est du devoir de la classe ouvrière organisée de s’opposer à la dépression fréquente de leur niveau de vie par suite de l’importation en masse de travailleurs inorganisés; il déclare de même qu’il est de leur devoir d’empêcher l’importation ou l’exportation des sarrazins.

Le Congrès reconnaît les difficultés créées dans beaucoup de cas pour le prolétariat par l’immigration en masse d’ouvriers inorganisés, habitués à un niveau de vie inférieur, et originaires principalement de pays agraires ou à économie familiale, ainsi que les dangers provoqués par certaines formes de l’émigration; Il considère, du reste, en se plaçant au point de vue de la solidarité prolétarienne, l’exclusion d’individus de nationalités ou de races déterminées comme une mesure inadmissible dans ce but ;

Par ces motifs, il préconise les mesures suivantes  : 

I. Dans les pays d’immigration  : 

  • 1) Défense de l’importation d’ouvriers à contrats qui les empêchent de disposer librement de leur force de travail et de leurs salaires;
  • 2) Protection légale par l’introduction d’une journée normale de travail, d’un salaire minimum, de la suppression du sweating system et de la réglementation du travail à domicile, d’une surveillance sévère des conditions hygiéniques et des habitations;
  • 3) Suppression de toutes les restrictions qui excluent et rendent plus difficiles à des nationalités ou des races déterminées, le séjour dans un pays, la jouissance des droits sociaux, politiques et économiques et facilités données pour la naturalisation;
  • 4) Pour les syndicats de tous les pays, les principes suivants seront d’application générale  : 
    • 1)Accès sans restriction des ouvriers émigrants dans les syndicats de tous les pays;
    • 2)Facilité d’accès par la fixation d’une cotisation raisonnable;
    • 3)Passage gratuit d’une organisation nationale dans une autre, sous condition complète des obligations envers l’organistion nationale;
    • 4)Création d’un cartel syndical international qui déterminera une réglementation précise et conforme à ces diverses prescriptions et assurera l’exécution des présents principes et mesures;
    • 5)Aide en faveur des organisations syndicales des pays où l’émigration se produit principalement;

II. Dans les pays d’émigration  : 

  • 1)Propagande syndicale active;
  • 2 Renseignements donnés avec publicité sur la véritable situation des conditions du travail dans les pays à immigration;
  • 3)Accord intime des syndicats des pays d’émigration et d’immigration afin d’aboutir à une action commune au sujet des questions d’émigration et d’immigration;
  • 4)Attendu qu’en outre, l’émigration des travailleurs est souvent stimulée artificiellement par des compagnies de chemins de fer et de navigation, par des spéculateurs terriens et d’autres entreprises d’escroqueries, par des promesses fausses et mensongères, le Congrès demande  :  Surveillance des agences de navigation et des bureaux d’émigration, éventuellement mesures légales et administratives contre ceux-ci, afin d’empêcher que l’émigration soit organisée dans l’intérêt d’entreprises capitalistes;

 III. Réglementation nouvelle de l’industrie des transports, spécialement par navires. Surveillance de l’exécution des règles admises par des inspecteurs avec pouvoirs discrétionnaires, à choisir parmi les ouvriers organisés des pays d’immigration et d’émigration;

Mesures préventives en faveur des émigrants à leur arrivée, afin qu’ils ne soient pas livrés à l’exploitation des parasites du capitalisme (corsaires du capitalisme). Comme le transport des émigrants ne peut être réglé légalement que sur une base internationale, le Congrès charge le Bureau socialiste international de préparer des propositions pour la réglementation nouvelle de cette matière, dans lesquelles on fixera la disposition et l’installation des navires, ainsi que le cube d’air minimum par passager, et on donnera une importance spéciale à ce que les émigrants traitent de leur passage directement avec les entreprises de transports sans intervention d’intermédiaires quelconques. Ces propositions seront communiqués aux diverses directions des Partis socialistes dans le but d’en amener l’application législative et de les faire servir à la propagande.

Conférence internationale des secrétaires de centrales syndicales, tenue à Christiana, les 15 et 16 septembre 1907

Le journal des correspondances, numéro 12, décembre 1907, pp. 154-155.

La conférence condamne les ouvriers ou les groupes d’ouvriers qui, en cas de conflit, se rendent aux pays où les ouvriers sont en lutte, y prennent la place des grévistes ou lock-outés. Les patrons capitalistes pratiquant maintenant cette méthode d’aller trouver des ouvriers traîtres dans les autres pays, la conférence recommande donc aux représentants des organisations syndicales d’y attirer l’attention des Centres nationaux des pays respectifs et d’y proposer de publier les noms des traîtres à l’étranger pour y trahir leurs frères de travail (...)

(...) La conférence recommande ensuite que les députés socialistes de tous les pays, où il y a des députés socialistes, soumettent au Parlement des lois empêchant l’exportation des sarrazins (...).

K. Kautsky, Le programme socialiste, 1909.

(Pierre Saly, Alice Gérard, Céline Gervais, Marie-Pierre Rey, Nations et nationalismes, Armand Colin, Paris, 1996, p. 243.)

Pour les ouvriers des pays qui jouissent d’une existence supérieure et de meilleures conditions de travail, où par la suite l’immigration dépasse l’émigration, cet internationalisme cause de nombreux inconvénients et provoque même des dangers. Il est incontestable, en effet, que ces ouvriers qui occupent une situation élevée sont gênés dans leur lutte par la concurrence d’immigrants besogneux et sans force de résistance.

Dans certaines circonstances, cette concurrence, comme la rivalité des capitalistes appartenant à des nations différentes, peut envenimer les antagonismes nationaux; éveiller la haine nationale des travailleurs contre les prolétaires étrangers. Mais la lutte des nationalités qui dans les sphères bourgeoises est un phénomène constant ne peut être que passagère parmi les prolétaires.

Tôt ou tard, ceux-ci sont obligés de reconnaître, sinon par une autre voie, du moins au prix de cruelles espérances, que l’immigration de forces de travail peu coûteuses, provenant de régions arriérées, dans des pays économiquement avancés, est aussi nécessairement liée au mode de production capitaliste que l’introduction des machines, du travail de la femme et de l’enfant dans l’industrie. Cette immigration ne peut pas plus être empêchée que ces deux derniers phénomènes.

Le mouvement ouvrier d’un pays avancé souffre encore à un autre point de vue de l’état arriéré des travailleurs dans les pays étrangers  :  le degré d’exploitation que tolèrent ces derniers fournit aux capitalistes de la première nation un excellent prétexte, et même une raison solide de résister aux efforts des prolétaires pour améliorer leurs conditions de travail au moyen de la législation ou de  ??bres?conventions. D’une façon ou de l’autre, les ouvriers qui demeurent dans le pays comprennent que les progrès de leur lutte dépendent beaucoup des progrès de la classe ouvrière dans les autres pays. Si au commencement ils ressentent quelque mauvaise humeur contre les travailleurs étrangers, ils finissent par se convaincre qu’il n’est qu’un moyen efficace de remédier aux effets néfastes du peu de développement de l’étranger  :  il faut mettre un terme à cette infériorité. Les ouvriers allemands ont les meilleures raisons de souhaiter que les travailleurs slaves et italiens obtiennent à l’étranger comme dans leur patrie des salaires plus élevés et des journées plus courtes, et, s’il est possible, ils doivent agir en ce sens. Les ouvriers anglais ont le même intérêt vis-à-vis des travailleurs allemands ou autres, les américains vis-à-vis des européens. L’étroite dépendance où se trouve la lutte de classe menée par le prolétariat d’un pays à l’égard des luttes de classe des autres pays conduit nécessairement à une union étroite des fractions prolétariennes des différentes nations.

Les vestiges d’isolement national, de haine nationale, empruntés à la bourgeoisie par le prolétariat, disparaissent de plus en plus. La classe ouvrière se libère de plus en plus des préjugés nationaux. L’ouvrier apprend de plus en plus à reconnaître et à apprécier dans son compagnon de travail, quelle que soit d’ailleurs la langue qu’il parle, le compagnon de lutte, le camarade.

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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009