En 1900, Karl Liebknecht a terminé son droit et peut enfin intervenir politiquement publiquement. Ceci est le premier texte référencé dans les Gesammelte Reden und Schriften.
Compte-rendu du discours prononcé à Dresde, paru le 3 octobre 1900 dans la Sächsische Arbeiter-Zeitung
Gesammelte Reden und Schriften., Tome 1, Pages 3-7. Sur le net sur marxist.org.
Le samedi 29 septembre, l'association social-démocrate de Dresden-Altstadt a organisé une soirée scientifique, suivie par environ 800 personnes sur le thème "Le nouveau droit bourgeois, un recul ou un progrès pour la classe ouvrière ? » Pour celle conférence, le Comité directeur avait fait appel, et nous l’en remercions, au camarade et avocat, le Dr Karl Liebknecht, de Berlin.
Accueilli avec enthousiasme par l'assemblée, celui-ci a repoussé cet accueil solennel et empreint d’émotion adressé à sa personne, le dédiant à son père qui n'est malheureusement plus des nôtres.
Au cours d'un discours magistral de deux heures et demie, le conférencier s'est penché sur les paragraphes les plus importants pour les ouvriers, en indiquant à peu près ceci : C'est étrange de poser la question de savoir si le nouveau droit civil représente un progrès ou un recul pour les ouvriers par rapport au précédent, et l’on ne peut que répondre : ce n’est ni l'un ni l'autre. Lorsqu'on s'est attelé à la création d'un nouveau code, il s'agissait de remédier à un état de fragmentation tel que l'on ne peut en imaginer de pire. Non seulement chacun des 25 États fédéraux possédait son propre droit, mais à l'intérieur de chaque État régnait souvent la confusion la plus variée, situation devenant de plus en plus insupportable au fur et à mesure que le droit en vigueur disparaissait de la conscience populaire.
On a travaillé à l’élaboration de ce nouveau droit pendant plus de deux décennies,. L'homogénéisation recherchée n'a toutefois pas été atteinte comme on aurait pu l'espérer. Après l'opposition énergique des Agrariens, on n'a pas osé s'attaquer au rapport de "servitude", qui aurait certainement eu besoin d'être amélioré ; seul a été supprimé « le droit de punition », et le fait même qu'il ait encore fallu le supprimer résonne comme une moquerie à l'égard de la culture allemande. Mais ce n'est pas seulement le rapport de servitude qui est resté "intact", non, c'est aussi le droit des concessions minières, et ce terme d’ "intact" revient presque une centaine de fois et témoigne de l'échec des efforts d'unification. D'autre part, les droits de la haute noblesse - des seigneurs de droit divin encore au pouvoir et de ceux déjà déchus - nont pas non plus été touchés.
Le défaut le plus grave du nouveau droit est qu'il ne tient pas compte des évolutions. Ce ne sont pas des esprits visionnaires qui ont créé le nouveau droit, et c'est pourquoi ils ont juste fixé ce qui existait déjà. Le droit français est toujours adapté à la vie moderne, bien qu'il soit déjà centenaire, et cela s'explique par le fait que les juges y font les lois et les interprètent en fonction de l'évolution. Je n'ose affirmer que quelque chose de semblable serait à recommander chez nous en Allemagne. Vous êtes les mieux à même juger de ce qui pourrait en résulter. Le jugement de Löbtau a montré de la manière la plus limpide où nous en serions dans des conditions semblables. C'était un jugement de la pire espèce, et le pire, c'est que les juges eux-mêmes ne le savent pas. Si les juges avaient le pouvoir législatif chez nous, comme en France, la situation serait encore plus sinistre qu'elle ne l'est déjà.
Nous disposons maintenant dans la nouvelle législation de toute une série de dispositions de protection des ouvriers; qui n’existent malheureusement que sur le papier, comme par exemple le paragraphe 616, qui traite du fait que l'ouvrier ne peut être privé de son salaire pour un "temps relativement peu important qu'il a manqué au travail en raison d'un motif d'empêchement inhérent à sa personne". Cette disposition a manifestement été conçue par le législateur pour tous les cas où l'ouvrier doit s'absenter de son travail pendant une période relativement courte sans qu'il y ait faute de sa part : par exemple en cas d'affaires de tutelle, de réunions de contrôle, de visites médicales, mais aussi en cas de maladie et de service militaire d'une durée maximale de 14 jours. C'est à mon avis le sens de cette disposition. Plusieurs tribunaux du travail, ainsi que l'assemblée des juges du travail de Mayence, ont récemment établi le même principe. Mais ici, comme pour beaucoup d'autres dispositions, la loi autorise des accords différents, et les entrepreneurs s'empressent bien sûr d'en profiter. Le roi Stumm, qui ne tarit pas d'éloges sur les institutions sociales de son entreprise, a été l'un des premiers à se faufiler par cette porte dérobée et à rendre ainsi les dispositions légales inefficaces pour ses ouvriers. De telles dispositions abrogatoires ne modifient en rien la situation existante, et les paragraphes n’existent donc que sur le papier et ne peuvent absolument pas être utiles aux travailleurs. Un tel esprit contraire à la volonté du législateur est tout simplement immoral.
Si le contrat de travail est résilié, la nouvelle législation accorde à l'ouvrier le bénéfice d'une heure et demie à deux heures de recherche d'un nouveau travail chaque jour, et l'employeur ne peut pas le lui refuser.
En ce qui concerne la saisie, une petite amélioration est intervenue. Jusqu'à présent, la saisie de biens essentiels n'était pas autorisée, tout ce qui était nécessaire à la vie ne pouvait pas être saisi. Désormais, le cercle des objets non saisissables a été élargi. Seuls les objets qui ne font pas partie d'un niveau de vie "raisonnable" peuvent être saisis. Quand on entend cela, on se dit : c'est bien, qu'on ne peut plus tout me prendre. Mais en tant qu'avocat, j'ai souvent constaté que cette disposition est inefficace pour les travailleurs. Si un officier est saisi, il dit qu’il a besoin de ceci et de cela pour maintenir un niveau de vie "raisonnable", mais pour l'ouvrier, on saisit déjà le troisième costume, il doit aller le dimanche comme il va les jours ouvrés. (Applaudissements.)
La situation juridique est exactement la même pour le droit de bail. Comme il aurait été nécessaire, dans ce cas justement, de réduire les pouvoirs bien trop étendus des pachas domestiques. "Le nouveau droit de bail", "le contrat de travail", voilà des mots qui avaient un grand pouvoir d'attraction sur la population, on en espérait un allègement de la pression économique qui pèse lourdement sur tous les moins fortunés. Mais ceux qui espéraient trouver des morceaux d'or dans le nouveau droit se sont lourdement trompés, ne trouvant que de l'or en paillettes. En matière de droit de bail, le droit presque illimité de conclure des accords joue un rôle très discutable. Cette disposition ne signifie rien d'autre, ici comme ailleurs, que d'obliger le plus faible économiquement à "autoriser" la suppression des dispositions prises dans son intérêt par la loi, et c'est pourquoi la normalisation de telles dispositions n'est rien d'autre qu'une hypocrisie. Les riches ne souffrent évidemment pas de cette situation intenable, ils déménagent quand quelque chose ne leur convient pas et obtiennent des logements en abondance. Le pauvre, en revanche, s'il se rebelle et déménage, tombe dans le ruisseau, car les petits logements, dont il a besoin, en fonction de ses revenus, ne sont généralement pas disponibles en nombre suffisant et le propriétaire peut donc le traiter comme il le souhaite. Si quelqu'un pense que l'introduction de la nouvelle loi a changé quelque chose dans le droit de bail, qu'il prenne un ancien et un nouveau contrat de location et qu'il compare : Il ne trouvera absolument rien de changé. D'un trait de plume, les droits des pachas ont été balayés par des dispositions quelque peu restrictives. Jusqu'à présent, l'achat rompait le bail ; c'est désormais différent : L'achat n'annule pas la location. Dans le contexte actuel de spéculation immobilière, c'est tout à fait approprié, car il arrive qu'une maison passe de main en main plus vite qu'un sou. Je recommande d'ailleurs à chaque locataire d'utiliser son contrat de location comme une bible pendant huit jours : S'il a lu cette bible pendant sept jours, il sera certainement social-démocrate le huitième.
L'orateur aborde encore plus en détail le paragraphe sur l'usure, le droit des enfants illégitimes, le droit du mariage et des associations et conclut que le nouveau droit ne représente ni un recul ni un progrès pour les ouvriers. C'est un kaléidoscope : du bon et du mauvais en alternance. Pour s'assurer une influence sur la législation, les travailleurs n'ont qu'une chose à faire : s'unir et s'organiser, car s'ils constituent un pouvoir fort, le législateur doit aussi compter avec eux. C'est pourquoi, encore et toujours : organisez-vous, unissez-vous, recrutez, travaillez, luttez ! (Applaudissements nourris.)
Le père de Karl Liebknecht, fondateur du parti social-démocrate est décédé en 1900.En février 1899, à Löbtau, près de Dresde, 9 ouvriers du bâtiment ont été condamnés à un total de 61 ans de réclusion et de prison pour avoir protesté contre le fait que des travaux étaient effectués sur un bâtiment voisin au-delà des heures de travail fixées. Des voies de fait avaient eu lieu lorsque le chef de chantier avait tiré avec un revolver chargé à l'aveugle.
Karl Freiherr von Stumm-Halberg (1836-1901), grand industriel et maître presque illimité du territoire de la Sarre, défenseur de la politique de protection douanière de Bismarck, cofondateur et membre dirigeant du Parti impérial allemand, membre de la Chambre des députés prussienne de 1867 à 1870, de la Chambre des représentants de 1882 à 1901, du Reichstag de 1867 à 1881 et de 1889 à 1901.
Traduit le 6 janvier 2023 par Dominique Villaeys-Poirré. Merci pour toute amélioration de la traduction, en particulier du vocabulaire juridique.