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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
23 août 2011 2 23 /08 /août /2011 18:16

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Extrait de la préface de E. Mandel à l'édition de 1970 de L'Introduction à l'économie politique. L'ensemble de l'article est à lire sur le site Ernest Mandel .

 

Rosa Luxemburg, le travail salarié.

Rosa Luxemburg. Introduction à l'économie politique chez Agone

Les oeuvres complètes de Rosa Luxemburg chez Agone. Une philosophie de la publication ...



 

1. L’introduction à l’économie politique de Rosa Luxemburg est née directement de son activité de professeur à l’École Centrale du parti social-démocrate à Berlin. Ouverte le 15 novembre 1906, cette école, qui reçut quelque cinquante élèves par semestre, compta Rosa Luxemburg parmi ses professeurs à partir du 1" octobre 1907. Elle y remplaça Hilferding et Pannekoek auxquels la police prussienne avait interdit tout enseignement politique ; ses cours portèrent sur l’économie politique et l’histoire économique. A partir de 1911, elle donna en outre un cours sur l’histoire du socialisme, en remplacement de Franz Mehring.[1]

L’idée de faire éditer ses conférences lui vint, semble-t-il, en 1908. Mais, entre-temps, le sujet qui allait lui permettre d’apporter sa contribution personnelle à l’histoire de la théorie économique marxiste - le problème de l’impérialisme, ou, pour reprendre son propre titre, celui de L’Accumulation du Capital - l’absorba de plus en plus matériellement et intellec tuellement.

L’Accumulation du Capital parut en 1913, et c’est, sans doute, seulement après avoir achevé son magnum opus, que Rosa reprit la rédaction de son Introduction à l’économie politique. De nouveau interrompue par l’éclatement de la guerre, elle poursuivit l’élaboration de L’Introduction pendant son séjour en prison, à Wronke, en Posnanie, en 1916-1917.

Paul Levi, qui était son exécuteur testamentaire, voulait éditer les Œuvres complètes de Rosa, mais L’Introduction fut publiée comme un ouvrage à part. Sans doute pensait-il qu’il ne s’agissait pas d’un livre achevé. Voici ce qu’il écrivait dans la préface de l’édition allemande de 1925 :

« Ces feuilles de Rosa Luxemburg sont dues aux conférences qu’elle a tenues à l’école du parti social-démocrate. Elles sont manuscrites ; mais le style trahit bien souvent le fait qu’il s’agit d’un discours écrit. L’ouvrage n’est pas non plus complet. Il y manque notamment les parties théoriques sur la valeur, la plus-value, le profit, etc., c’est-à-dire ce qui est exposé dans « Le Capital » de Karl Marx sur la fonction du système capitaliste. L’état du manuscrit posthume ne permet pas de saisir les raisons de ces lacunes. Est-ce la fin abrupte de sa vie qui a empêché Rosa d’achever ce qu’elle avait entrepris ? Est-ce dû au fait que les bandits, gardiens de « l’ordre », qui avaient pénétré dans sa maison, ont volé entre autres les parties manquantes du manuscrit ? Le manuscrit posthume offre en tout cas des indices certains que le texte, tel qu’il se présente aujourd’hui, ne peut pas être considéré comme achevé. [2]

Paul Frölich, un des principaux disciples de Rosa Luxemburg, est, cependant, plus précis que Paul Levi. Dans sa biographie de Rosa, il écrit :

« Nous connaissons le plan d’ensemble de l’ouvrage d’après une lettre envoyée à l’éditeur I.H.W. Dietz, écrite à la prison militaire des femmes de Berlin, le 28 juillet 1916. Voici quels en étaient les chapitres prévus :

  1. Qu’est-ce que l’économie politique ?
  2. Le travail social.
  3. Éléments d’histoire économique : la société communiste primitive.
  4. Id. le système économique féodal.
  5. Id. la ville médiévale et les corporations artisanales.
  6. La production marchande.
  7. Le travail salarié.
  8. Le profit capitaliste.
  9. La crise.
  10. Les tendances de l’évolution capitaliste.

En l’été 1916, les deux premiers chapitres étaient prêts pour l’impression, tous les autres étaient des brouillons. Parmi les manuscrits laissés par Rosa Luxemburg, on n’a cependant retrouvé que les chapitres 1, 3, 6, 7 et 10. Paul Levi les a publiés en 1925, malheureusement avec beaucoup d’erreurs, des modifications arbitraires et en omettant des remarques importantes. » [3]

Il faut souligner cependant que si, comme l’affirme Paul Levi, les problèmes de la valeur et de la plus-value ne sont pas traités de manière systématique dans les chapitres qui nous sont parvenus, ils sont éclaircis de manière satisfaisante dans les chapitres relatifs à la production marchande et à la loi des salaires.

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14 août 2011 7 14 /08 /août /2011 10:56

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Le tome 1 des Oeuvres complètes chez Rosa Luxemburg :


Introduction à l'économie politique

 


Rosa Luxemburg


Introduction à l’économie politique
Co-édition avec le collectif Smolny… — Préface de Louis Janover

De 1907 à 1913, Rosa Luxemburg donne des cours d’économie politique à l’école du parti social-démocrate allemand. Alors que ce dernier se montre de plus en plus complaisant à l’égard d’un système qui conduit tout droit à la Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg fait ressortir les contradictions insurmontables du capitalisme, son inhumanité croissante, mais aussi son caractère transitoire. Appuyé sur les avancés scientifiques et critiques de son temps, son regard embrasse les formes d’organisations sociales les plus variées, depuis le « communisme primitif » jusqu’au dernier-né des modes d’exploitation, le capital « assoiffé de surtravail ». Dans ces leçons, qui s’inscrivent dans le droit-fil de la Critique de l’économie politique de Marx comme du Manifeste communiste, elle pose la question qui resurgit aujourd’hui avec plus d’insistance que jamais : socialisme ou chute dans la barbarie !

Théoricienne communiste héritière de Karl Marx et révolutionnaire allemande, Rosa Luxemburg participe à la création de la gauche polonaise puis crée en Allemagne, avec Karl Liebknecht, le mouvement révolutionnaire spartakiste, ancêtre du Parti Communiste d’Allemagne (KPD). Elle passe de nombreux séjours en prison, notamment pour pacifisme ; arrêtée avec Karl Liebknecht à l’issue de la révolution de Novembre 1918, elle est assassinée le 15 janvier 1919 par une unité de Corps Francs, sur ordre de Gustav Noske « commissaire du peuple » social-démocrate. Ses écrits publiés en français sont de deux sortes : sa correspondance, qui donne à voir son quotidien militant et son intimité ; et des essais économiques et politiques actualisant les thèses de Marx et théorisant l’internationalisme.

 




Notes

[1] Note marginale de R.L. (au crayon) : typhus famélique.

[2] Note marginale de R. L. (au crayon) : extermination des peuples primitifs.

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13 août 2011 6 13 /08 /août /2011 22:27

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Cette note des éditeurs et l'avant-propos du  Tome 1 des Oeuvres complètes de Rosa Luxemburg paru chez Agone témoignent de la philosophie et de l'exigence qui animent cette entreprise.


Note des éditeurs

 

"Au rédacteur responsable de l'imprimerie du grand journal social-démocrate Vorwärts qui lui proposait une parution en fascicules de ses oeuvres et de celles de Marx, Friedrich Engels répondait : "Ce à quoi je ne pourrais me résoudre, c'est de laisser subir aux anciens travaux de Marx et aux miens la plus petite opération de castration afin de me plier aux contraintes de publication du moment. [...] J'ai l'intention de restituer au public les moindres écrits de Marx et les miens dans une édition complète, c'est-à-dire non par livraisons successives, mais directement en volumes complets (1). " On mesure l'enjeu qu'aurait représenté une telle édition conçue non comme une finalité académique mais comme instrument d'approfondissement de la conscience politique. Cet espoir ne devait malheureusement pas se concrétiser. Et les projets d'édition savante d'une intégrale Marx-Engels, qui ont surgi depuis, progressent encore avec de grandes difficultés

 

Ainsi en a-t-il été des écrits de Rosa Luxemburg, autre figure majeure d'un mouvement ouvrier dont la force, qui semblait irrésistible, devait pourtant se briser à l'épreuve de la Guerre et de la Révolution.

 

En nous engageant dans la voie de la publication des Oeuvres complètes de Rosa Luxemburg, nous souhaitons que l'intégralité du corpus des écrits fasse écho à la totalité d'une pensée qui ne se laisse réduire à aucune de ses parties et dont l'inaltérable intégrité continue de nous questionner sur nos propres responsabilités. Qu'en est-il de nos projets d'émancipation? Que sont devenues les exigences d'égalité sociale, d'abolition de l'exploitation et d'épanouissement de la liberté pour le plus grand nombre?"

 

Smolny et Agone, novembre 2009

 

1. Engels à  Richard Fischer, 15 avril 1895 ....

 

Rosa Luxemburg. Tome 1, P 7

 


Avant-propos

 

Redonner à lire un ouvrage comme celui de Rosa Luxemburg, après sa première édition en langue française en 1970 - déjà bien tardive si l'on se souvient que la première édition allemande date de 1925 -, mérite sans doute quelques éclaircissements sur les conditions d'une telle parution. Celle-ci participe des objectifs du collectif d'édition Smolny: rendre à nouveau disponibles certains textes majeurs de l'histoire politique du mouvement ouvrier et redonner ainsi la parole à quelques internationalistes que l'édition "traditionnelle" semble ne pas toujours retenir. Cette entreprise se présente comme le fruit d'une association de bonnes volontés animées par l'écho persistant des propos de Pannekoek qui souhaitait que "les masses toujours plus larges prennent les choses en main, se considèrent comme responsables, se mettent à chercher, à faire de la propagande, à combattre, expérimenter, réfléchir, à peser, puis oser, et aller jusqu'au bout." (1)

 

Pour que cette nouvelle édition soit pleinement utile au lecteur, il nous a semblé qu'il devait disposer d'un texte revu, corrigé et confronté à la dernière édition allemande lorsque le sens ou la syntaxe de la précédente traduction (2) nous paraissait problématique. Et il était également indispensable que l'appareil de notes apporte un éclairage, fût-il succinct, sur toutes les personnes ou les travaux évoqués au fil des pages, et précise certains des éléments, ethnologiques notamment, abordés différemment depuis. Que ce soit par les références détaillées des textes cités par Rosa Luxemburg ou par les renvois vers d'autres ouvrages, nous espérons rendre encore plus évidente la richesse d'une pensée qui puisait dans tous les domaines, arts, sciences, histoire, philosophie ou sociologie, sans se laisser enfermer dans aucune spécialisation

 

C'est dans ce même esprit que les appendices essaient d'offrir un aperçu plus large sur une période charnière de l'histoire du mouvement ouvrier, un combat dont la vie de Rosa Luxemburg est indissociable. Chronologie et notices sont bien entendu le résultat de choix qui restent éminemment subjectifs; la place que nous avons voulu donner à des courants d'opposition est par exemple sans rapport avec celle que leur réserve l'historiographie officielle.

 

Aussi n'était-il pas question de publier un auteur, dont la seule perspective fût celle du communisme et de la révolution prolétarienne sans se confronter à la réalité de ce qui, au XXème siècle s'est présenté sous ces noms, mensonges déconcertants qui restent toujours présents dans notre histoire. Que nous dit aujourd'hui l'oeuvre de Rosa Luxemburg des partis qui ont revêtu ces mouvements d'émancipation sociale des habits repoussants taillés par les idéologues des régimes dits "soviétiques" ou sociaux-démocrates"? C'est à cette question que s'est attelé Louis Janover dans le texte qui ouvre ce volume..

 

Nous adressons nos plus vifs remerciements à M. Jean Pavlevski, directeur des éditions Economica, qui nous a permis de reprendre ce texte à la suite des éditions Anthropos; à M. Jean-Marie Tremblays, responsable du site internet des classiques des sciences sociales de l'université de Chicoutimi, qui a rendu publique une version numérisée de l'édition de 1973. Nos témoignages de reconnaissance vont aussi aux souscripteurs dont le soutien moral et financier important a rendu possible la réalisation de ce projet. Monique et Louis Janover ont aidé à la relecture du texte de Rosa Luxemburg et des notes attenantes. Louis Janover et Franjo Jugel nous ont été d'un secours précieux pour les traductions de l'allemand au français. Enfin, Philippe Dos et Pascale ont bien amicalement contribué à la mise en forme finale de la maquette.

 

Smolny, mars 2008

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13 août 2011 6 13 /08 /août /2011 22:06

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Le projet

Rosa Luxemburg : l'intégrité d'une œuvre. Par Agone le mardi 4 janvier 2011

Le collectif d'édition Smolny et les éditions Agone ont entrepris la publication de l'œuvre complète de Rosa Luxemburg. Édition aussi « complète » que ce qu'il sera effectivement possible de réunir au cours de l'avancement des travaux, menés en concertation avec l'équipe des éditions Verso préparant la version anglaise.

Paru en 2009, le premier volume contient l'ouvrage posthume Introduction à l'économie politique qu'accompagne une réflexion sur la signification de l'œuvre de Luxemburg [ ], et inaugure un ensemble qui comportera dix volumes de textes, cinq de correspondance et qui devrait s'achever pour le centenaire de sa mort, en 2019.

La bibliographie générale de Rosa Luxemburg réunit un peu plus de 850 entrées, pour les seuls articles, livres, brochures ou discours, auxquels s'ajoute une imposante correspondance. Néanmoins, les Gesammelte Werke de l'édition Dietz Verlag [ ], de loin le plus important ensemble de textes publié, n'en réunissent que… 369. Bien entendu, en termes de volume de texte, la différence n'est pas aussi importante, du fait de la présence dans les œuvres réunies par cette édition allemande des ouvrages les plus imposants, tels L'Accumulation du Capital ou l'Introduction à l'économie politique et la plupart des brochures. Notre édition pourrait également n'être pas exhaustive puisqu'il sera peut-être difficile, voire impossible, de retrouver certains exemplaires de journaux et partant certains articles. Le principal fond d'articles non encore publiés est en langue polonaise et les archives de Varsovie devraient permettre de combler cette lacune [ ]. Les autres titres inédits, le plus souvent des articles anonymes, proviennent du Leipziger Volkszeitung ou de la Sozialdemokratische Korrespondenz notamment. Au final, même en tenant compte de cette différence entre ce qui peut être listé dans la bibliographie et ce qui peut être édité, il apparaît d'ores et déjà possible de réunir bien plus de textes que tout ce qui est paru jusque-là.

Ces dernières décennies, les travaux de chercheurs familiers de longue date de l'œuvre et de la vie de la révolutionnaire internationaliste ont permis la découverte ou l'identification de textes jusque-là ignorés ou écartés. Les recherches de Annelies Laschitza, Feliks Tych, Narihiko Ito ou Ottokar Luban, pour ne citer que les principaux de ces contributeurs, ont ainsi significativement étendu le corpus de textes connus. Notons que certains sont à l'état de manuscrits (ou tapuscrits) et se présentent comme des notes de travail ou des réflexions préliminaires, imposant un travail spécifique pour les rendre publiables [].

Mais les textes de Luxemburg jusque-là disponibles ne nous suffisaient-ils pas pour saisir l'essentiel de ce qu'elle peut nous transmettre ? Après le travail des pionniers que furent Lucien Laurat (qui dès 1930 publie L'Accumulation du Capital d'après Rosa Luxemburg,) André Prudhommeaux et Marcel Ollivier, c'est à René Lefeuvre et aux cahiers Spartacus que Luxemburg dut longtemps d'être éditée, depuis l'article « Une dette d'honneur » paru dans Masses n°15-16 (1934) ou La révolution russe (1937), jusqu'à La crise de la social-démocratie (1993), sans oublier Réforme ou révolution et Grève de masse, parti et syndicats (1947) [5]. Les éditions Maspero ont complété ce catalogue par la publication de deux remarquables volumes de correspondance, de l'intégrale de L'Accumulation du Capital et de deux recueils de textes politiques, autant de réalisations où les contributions de Irène Petit et Claudie Weill, traductrices et annotatrices, prennent une grande part [6]. Deux volumes de lettres à Léo Jogiches parus chez Denoël en 1971 constituent le complément le plus significatif à ces deux ensembles. Indéniablement, la dette des lecteurs de langue française envers ces militants, éditeurs et traducteurs est considérable.

Il suffit pourtant d'ouvrir une fenêtre d'observation aussi décisive que la période de la révolution allemande comprise entre la libération de Luxemburg de la prison de Breslau le 8 novembre 1918 et son assassinat le 15 janvier 1919, pour constater que sur les 27 articles qu'elle rédige alors, seuls dix ont été traduits en français. Qui pourrait prétendre que la connaissance et le regroupement de ces articles ne serait pas une aide précieuse à la compréhension de la dynamique révolutionnaire et de la réflexion de Luxemburg, au cœur d'un événement d'une portée immense pour toute l'histoire du XXe siècle ?

On peut même s'étonner qu'un tel travail n'ait pas encore été entrepris depuis de si longues années. Il est bien sûr possible d'évoquer une tare bien connue de l'édition française qui rechigne à traduire ce qui n'a pas été produit sur le sol de l'auguste patrie. Ce phénomène nourrit a contrario une abondante glose de nos penseurs nationaux, qui s'assurent ainsi de la reproduction de leur statut social. Karl Marx, pour ne citer qu'un auteur emblématique de ce point de vue et dont l'édition des œuvres en langue française reste également délicate, est bien malgré lui foncièrement devenu une rente pour tout un pléthorique milieu de spécialistes. Pour tenter de comprendre tout à la fois cette situation, et comment pourrait se concevoir un projet qui en serait le dépassement, il nous faut d'abord réexaminer l'histoire de l'édition de l'œuvre en langue allemande.

La publication des œuvres de Rosa Luxemburg en Allemagne a été entreprise très tôt, dès 1923, sous la responsabilité de Clara Zetkin et Adolf Warski. En plus de l'attachement personnel très fort de ces militants à Rosa Luxemburg, les admonestations de Lénine ont sans doute contribué à la précocité de cette entreprise. En effet celui-ci, réagissant vivement à la parution « dissidente » par Paul Levi de la brochure sur La Révolutionrusse de Luxemburg disait, concernant « sa biographie et ses œuvres complètes », que « les communistes allemands mettent un retard impossible à publier ; on ne peut les excuser partiellement que par leurs pertes énormes dans une lutte très dure [7]. » Ce qui laisse pantois quand on pense à l'intensité des combats menés alors en Allemagne. Une clé de compréhension nous est donc donnée : il fallait avant tout faire pièce au travail effectué par Paul Levi. Pour Rosa Luxemburg, comme pour d'autres auteurs, au premier rang desquels Karl Marx, la question éditoriale ne sera jamais totalement séparée de la question de la légitimité politique… et de la légitimation supposément induite par l'édition elle-même.

Cette première édition des Gesammelte Werke devait comprendre neuf volumes ainsi ordonnés : 1. Pologne — 2. Révolution russe — 3. Contre le réformisme — 4. Lutte syndicale et grève de masse — 5. L'impérialisme — 6. L'Accumulation du Capital — 7. Guerre et révolution — 8. Économie politique — 9. Lettres, articles commémoratifs et historiques. Les préfaces et présentations des regroupements de textes furent écrites par Paul Frölich pour les tomes III et IV des trois seuls volumes publiés : – VI. Die Akkumulation des Kapitals, Berlin, 1923 ; – III. Gegen den Reformismus, Berlin, 1925 ; – IV. Gewerkschaftskampf und Massenstreik, Berlin, 1928.

Il faut ici souligner la grande qualité de cette première édition effectuée par une équipe militante, regroupant déjà plus de 120 titres, auxquels s'ajoutent les extraits de discours parus en 1928 comme tome XI de la série des orateurs de la Révolution [8]. Mais il devait en être de cette édition comme de celle de la première MEGA [9] conduite par David Riazanov à Moscou : l'implication de ses premiers coordinateurs dans le combat de leur classe, gage de profondeur politique (au-delà des désaccords toujours possibles) et d'une réelle motivation, devait s'avérer fatale dès lors que l'approfondissement de la contre-révolution stalinienne imposait une doxa visant à laminer toute compréhension historique et critique du mouvement révolutionnaire.

Aussi, est-ce sans surprise que la condamnation de Luxemburg formulée dans un article de 1931 [10] par celui que bientôt tous les thuriféraires du monde dénommeraient le « génial petit-père des peuples », bloqua toute parution dans la sphère d'influence du « socialisme dans un seul pays », incluant les partis ou éditeurs associés des pays occidentaux, et notamment en France, le PCF et les Éditions Sociales Internationales. C'est à ce moment que la revue Masses commença à publier ces textes qui n'étaient plus en odeur de sainteté dans l'église dite « communiste ». On assista néanmoins à une timide ouverture au cours des années 1950 et au recyclage par la nouvelle RDA de celle qu'elle considère alors digne de devenir une figure emblématique du « mouvement ouvrier allemand » face à la social-démocratie honnie de la République Fédérale [11]. Cela se traduit par la publication en 1951 des Ausgewählte Reden und Schriften en deux volumes, réédités en 1955, ainsi que des Spartakusbriefe en 1958. Mais cela a surtout permis qu'émerge en Allemagne comme en Pologne une génération d'historiens qui effectueront un indéniable travail de recherche — sous la houlette des comités centraux de leurs Partis respectifs, avec tout ce que cela impose comme limitations et figures obligées —, que certains ont poursuivi jusqu'ici, permettant que s'ouvre enfin la possibilité d'œuvres réellement complètes. Un premier aboutissement, bien que partiel, fut la seconde version des Gesammelte Werke entreprise dans les années 1970, comprenant cinq tomes en six volumes et caractérisée par un appareil critique que l'on peut qualifier de minimaliste, contrairement aux standards en la matière dans les pays du « socialisme réel ». Bénéficiant d'une émulation internationale plus étendue, l'édition en six volumes de la correspondance de Luxemburg dans les Gesammelte Briefe, de 1982 à 1993, marque une avancée qualitative indéniable, de part la relative complétude de l'ensemble et l'effort très significatif de contextualisation et d'érudition de l'appareil critique. Arrêtons-nous ici sur le problème spécifique de l'édition de la correspondance de Luxemburg. S'il est vrai que ses lettres de prison, et quelques-unes de ses « lettres à des amis » ont toujours bénéficié de ce que l'on pourrait appeler un traitement de faveur, l'essentiel de la correspondance fut longtemps difficile d'accès. Mais si l'on pouvait encore dans les années 70 souligner que nombre de commentateurs ou même d'historiens de Rosa Luxemburg rédigeaient leurs publications sans avoir lu une part importante de sa correspondance, la tendance s'est depuis plutôt inversée. La dimension parfois toute personnelle de la correspondance a permis de se focaliser sur le « personnage » et ce que l'on voulait bien en extraire pour valoriser telle ou telle facette de la personnalité de la révolutionnaire, au détriment des textes politiques dont la publication s'est tarie, notamment après la disparition des éditions Maspero et de leur active collaboration avec Irène Petit et Claudie Weill.

Porteur de cet « héritage », tout projet de nouvelle édition de textes de Luxemburg doit répondre à un double questionnement : comment restituer cette somme imposante au lecteur d'aujourd'hui et quelle motivation tirer de cette œuvre même qui en expliquerait la nécessité, de sorte que l'on pourrait dire des ouvrages à paraitre ce qu'elle-même disait de l'édition des textes de Marx entreprise par Mehring : « la classe ouvrière allemande peut être fière de ce livre qui lui est principalement dédié [12] » ?

La première question peut sembler étroitement formelle. Mais y répondre, c'est déjà par exemple faire un choix aussi décisif que celui des œuvres complètes, et donc affirmer que ce que nous connaissons de Luxemburg ne saurait suffire. Citons ici la note qui ouvre le premier volume paru chez Agone-Smolny, l'Introduction à l'économie politique : « En nous engageant dans la voie de la publication des Œuvres complètes de Rosa Luxemburg, nous souhaitons que l'intégralité du corpus des écrits fasse écho à la totalité d'une pensée qui ne se laisse réduire à aucune de ses parties [13] ». Cette volonté s'inscrit dans une continuité qui faisait déjà sens dans le mouvement ouvrier d'alors. Engels par exemple déclara explicitement : « Ce à quoi je ne pourrais me résoudre, c'est de laisser subir aux anciens travaux de Marx et aux miens la plus petite opération de castration afin de me plier aux contraintes de publication du moment. J'ai l'intention de restituer au public les moindres écrits de Marx et les miens dans une édition complète, c'est-à-dire non par livraisons successives, mais directement en volumes complets [14]. » C'est dans le même esprit que Luxemburg saluait la méthode d'exposition et d'explication des textes de Marx par Mehring, « reconstruisant de bas en haut un Marx non achevé, en devenir, ne livrant au compte-gouttes, pour chacune des manifestations de son esprit, que les bases nécessaires, laissant le tout faire de lui-même son effet sur le lecteur [15] ». Ainsi comprise, l'édition intégrale, non seulement décourage l'instrumentalisation ou la focalisation sur tel ou tel aspect par celui qui opère une sélection, mais elle laisse aussi à Luxemburg le soin de déployer toute la cohérence et le sens de son combat, par l'entremise de son expression littérale. Aussi pouvons-nous nous associer à ce qu'écrivait Louis Janover dans son introduction : « penser l'œuvre de Rosa Luxemburg autrement qu'au passé, c'est la rendre au présent et, surtout, à la simplicité d'inspiration première qui fut la sienne. Les mots, s'ils ne se rapportent pas à une idée fausse de l'objet qu'ils désignent, dénoncent par leur énoncé même les subterfuges dont l'histoire nous a abreuvés [16] ».

La nécessité d'une édition complète établie, comment restituer au lecteur d'aujourd'hui ce foisonnement d'articles, de brochures ou de discours sans dénaturer le sens même de son combat ? Luxemburg fut avant tout une militante révolutionnaire, qui ne concevait sa propre activité que comme un élément du combat de la classe prolétaire. Ses écrits se font au rythme de l'histoire, des événements, des besoins en approfondissements théoriques, avec la volonté de faire de chaque élément particulier analysé, critiqué, une réflexion qui débouche sur une compréhension générale permettant de s'orienter dans les combats de classes. En ce sens, son œuvre, comme celle de Marx, est essentiellement critique et didactique. La « production » de Luxemburg est donc tout sauf académique. Portée par le mouvement de classe, elle en subit les flux et les reflux. Deux articles recensés en 1897 mais soixante l'année suivante, dix-sept en 1901 mais quatre-vingt-un en 1905 ! L'effort de contextualisation et de spécification historique des interventions de Rosa Luxemburg est donc primordial et doit soutenir l'ensemble de l'appareil critique accompagnant ses textes. Celui-ci, exempt de toute apologie béate, doit être conçu tout à la fois dans un esprit que l'on pourrait qualifier de « pédagogique » qui ne donne rien d'autre que les éléments de culture du mouvement ouvrier nécessaires à la compréhension immédiate du discours de l'auteur, mais aussi dans un esprit d'élargissement de la réflexion assurant une mise en correspondance soit interne, entre les différentes composantes de l'œuvre, soit en relation avec des textes d'autres acteurs du mouvement politique, ou des contributions plus récentes qui en approfondissent la problématique, éventuellement de façon critique. Aucune volonté ici de faire « système », ni de prétendre à une quelconque « scientificité », souvent synonyme d'une spécialisation étouffante. Luxemburg n'écrivait pas à destination d'un public de spécialistes, il doit en être de même d'une édition contemporaine. Comme Marx, elle s'adresse à « l'humanité souffrante qui pense et l'humanité pensante qu'on opprime » (1843). Restituer son œuvre de façon dite « scientifique » porterait le risque d'introduire une distanciation entre l'auteur et la finalité qu'il souhaitait donner à son œuvre, écartant ainsi la dimension proprement révolutionnaire de son message de libération et de critique radicale.

Si d'un point de vue technique, la plus évidente, la plus simple et d'un point de vue scientifique, la seule façon valable d'éditer les œuvres de Rosa Luxemburg serait de s'en tenir à un ordre chronologique rigoureux (livres complets à part), nous proposons une autre approche, que l'on pourrait qualifier de mixte : thématique et chronologique. Il s'agit d'essayer de donner une cohérence, volume après volume, à des regroupements thématiques qui pourront constituer pour le lecteur d'aujourd'hui autant de portes d'accès à son œuvre mais également rendre compte d'une réalité plus profonde, dans le contexte de l'époque et du mouvement ouvrier dans son ensemble, que la simple juxtaposition temporelle. Pour en somme répondre à la question : quels sont les combats de l'heure ? Au sein de ces grandes divisions thématiques, l'aspect chronologique permettra de saisir l'évolution de la pensée de Luxemburg ou celle des conditions dans lesquelles elle se déploie. Dans ce cadre, et si cela s'avère nécessaire à la compréhension, des textes d'auteurs tiers pourront rejoindre tel ou tel volume. Enfin, des extraits de la correspondance, par ailleurs publiée intégralement en volumes séparés sur une stricte base chronologique, viendront compléter ces volumes de textes. En procédant de la sorte, nous espérons permettre au lecteur de faire avec Luxemburg ce que Maximilien Rubel envisageait avec Marx et sa proposition d'édition du centenaire : « refaire avec lui une partie du chemin parcouru ».

En choisissant ainsi une approche thématique nos pas suivent ceux de la première édition des Gesammelte Werke évoquée plus haut. Le découpage opéré par Paul Frölich s'affinait en outre par sous-ensembles thématiques dans chaque volume. Par exemple, le tome IV, Combat syndical et grève de masse, se composait des sections « Situation sociale et syndicats », « Parti et syndicats », « La fête du 1er mai », « La grève de masse en Belgique », « Le débat sur la grève de masse 1905/06 », « Combat électoral et grève de masse ». Quant au tome III, Contre le réformisme, une sous-section regroupait quelques-uns des textes sur le « ministérialisme français » qui rejoindront notre volume sur le socialisme en France. Signalons enfin que le volume contenant L'Accumulation du Capital intégrait en annexe le compte-rendu critique de Gustav Eckstein paru dans le Vorwärts et que fustigeait Rosa Luxemburg dans l'Anticritique.

Bien entendu, tout découpage expose à séparer des textes qui pourraient être rassemblés selon d'autres critères que ceux retenus. Chacun peut sans doute invoquer quantité d'exemples qui montrent la difficulté de l'entreprise. On peut penser aux parties sur l'art et l'intelligentsia dans « La question nationale et l'autonomie » qui renvoient au volume de miscellanées prévu sur l'Art, l'Histoire et les commémorations, alors que le texte principal doit s'insérer dans le second des deux volumes prévus sur la Pologne et la question nationale. La question du ministérialisme en France s'inscrit dans le cadre international de la lutte contre le réformisme, l'un et l'autre faisant l'objet de volumes séparés. Les articles sur la situation en Pologne pendant la révolution de 1905-1906 peuvent se lire dans le cadre de la question polonaise ou en lien avec le débat sur la grève de masse, etc. Tout choix restera éminemment critiquable et c'est avec la conscience de cette imperfection que nous pourrions être amenés à dupliquer certains textes ou extraits si cela doit permettre de faire de chaque volume un corpus plus cohérent.

 

Si nous avons maintenant une idée plus précise de la manière dont il serait possible de restituer l'œuvre de Rosa Luxemburg, il nous reste à illustrer la nécessité d'une telle réalisation, même si la dimension collective du projet interdit une vision uniforme des motivations de l'ensemble de ses participants ou de leur perception de l'œuvre de Luxemburg.

En particulier, que signifierait publier un auteur dont la seule perspective fut celle du communisme et de la révolution prolétarienne sans se confronter à la réalité de ce qui, au XXe siècle, s'est présenté sous ces noms, mensonges déconcertants qui restent toujours présents dans notre histoire ? La crise qui frappe l'économie mondiale depuis 2007-2008 et confirme la logique éminemment destructrice de la dynamique d'accumulation du capital semble dédouaner bon nombre d'auteurs — et d'éditeurs — de la nécessité de poser cette question. Nous assistons ainsi à une quasi unanime « redécouverte » de Marx alors même que sa critique du Capital comme rapport social, sa mise à nu des formes de domination et d'aliénation, sa conception matérialiste et critique de l'histoire et de la pratique révolutionnaire, etc., n'ont jamais cessé d'être pertinentes. Sans doute ce « retour à Marx » est-il d'autant plus passionné qu'il est souvent le fait de ceux-là mêmes dont les courants politiques dont ils continuent de se réclamer contribuèrent le plus au travestissement de sa pensée sous les différents habits idéologiques du « marxisme ». La plupart des ouvrages de ce Marx-revival se gardent donc bien de se confronter explicitement avec ce qui ne peut être nommé : la contre-révolution, la ruine quasi-universelle de tous les espoirs d'émancipation que portait le mouvement ouvrier.

Dans ce cadre, que serait précisément une « actualité » de Rosa Luxemburg qui justifierait la publication de ses œuvres complètes ? Nul doute que la position toute particulière qu'elle occupe dans l'histoire du mouvement ouvrier et, plus encore, l'importance de ses contributions aux débats de la social-démocratie internationale à l'heure de la Guerre et de la Révolution trouvent un écho profond aujourd'hui, dans un monde marqué par le spectre de l'effondrement. Pour la raison fort simple que ces débats ne purent malheureusement pas trouver leur conclusion à l'époque du fait même de l'ampleur de la contre-révolution qui devait en balayer toute appropriation réelle par la classe. Ainsi en a-t-il été de la critique du réformisme, de la réflexion sur l'intégration des structures de masses de la social-démocratie et des syndicats dans la société bourgeoise, de la place des conseils ouvriers, de la destruction des rapports sociaux extra-capitalistes, de la compréhension de la dynamique de la grève de masse comme auto-activité du prolétariat, des différentes formes de la critique de l'idéologie et de tant d'autres débats. Il ne s'agit donc pas de nier la prégnance de ces questionnements et il importe d'en redonner avec les œuvres de Luxemburg nombre d'éléments d'appréciation. Mais nul doute également que chacune de ces problématiques, dont d'authentiques courants prolétariens tentèrent la synthèse — des gauches allemandes et hollandaises à la revue Bilan de la fraction italienne ou des groupes comme Internationalisme — risquerait tout aussi bien de venir alimenter sous une forme ou une autre ce que nous désignerons à la suite de Louis Janover comme une feinte-dissidence. Rien ne saurait être plus indécent que de voir l'œuvre de Luxemburg, restée si longtemps à la marge, venir aujourd'hui nourrir un discours de faux-semblants. « Est-il autre manière de défendre la pensée de Rosa Luxemburg que de donner à ses « auditeurs » actuels le moyen de ne pas se perdre dans cette Babel de la Subversion qui rend inaudible toute parole de révolte ; de faire sentir en un éclair ce qui sépare l'aspiration à un changement radical des rapports sociaux de tous les ersatz de dissidence et de critique qu'utilisent les « avocats scientifiques » de l'institution pour introduire la confusion dans les esprits ? [17] » Voilà ce qu'il faudrait saisir du combat de la révolutionnaire internationaliste, et voilà peut-être ce que peut révéler l'intégralité de ses textes : une œuvre qui doit nécessairement se présenter à nous comme un « réquisitoire éthiquement justifié [18] » comme le disait Rubel du legs de Marx.

Dans une époque profondément marquée par l'amnésie historique, lire Luxemburg ce n'est donc pas fondamentalement coller à une « actualité » et s'en tenir à un rapport exclusif à un présent insaisissable qu'entretient en permanence la domination du Capital. C'est faire un pas de côté et accepter de repenser l'histoire et le combat pour l'émancipation d'un point de vue radicalement différent. Celui d'un Marx, d'une Luxembug, d'un Pannekoek et de tant d'autres qui scrutèrent le devenir de l'humanité du point de vue de la classe exploitée, s'en remettant à celle-ci et à sa capacité de développer une conscience aigüe de son rôle historique pour accoucher d'une communauté débarrassée des scories marquant la « préhistoire de la société humaine [19] ». Aussi serait-il vain de tirer à toute force Luxemburg à nous pour l'auréoler d'une actualité dont elle n'aurait eu que faire. Ne faut-il pas plutôt se référer à ce qu'elle-même percevait du jeune Marx édité par Mehring : « Ce n’est pas Marx qui est amené jusqu’à nous, arraché à son temps, comme un étranger, un homme révolu, un défunt, afin qu’on nous raconte ses aspirations et ses luttes intérieures . C’est nous que Mehring arrache à notre temps, nous transférant dans les années trente et quarante pour nous placer au cœur de l’agitation de l’époque, nous faire vivre et ressentir avec elle, nous faire voir notre Marx en plein dans son temps, dans ses luttes, dans son devenir et dans sa croissance [20]» ? Faire ce pas de côté, c'est ainsi replonger dans ce que pouvait représenter une authentique éthique de l'émancipation, un combat collectif du prolétariat international qui sous quelque forme qu'il se manifeste, dans la dénonciation de l'hypocrisie réformiste, dans le tumulte de la grève de masse en Pologne, dans une lettre écrite depuis une sinistre cellule de prison, dans la critique du budget de la flotte allemande, face à la déchéance de l'asile, au milieu de la boucherie de la Première Guerre mondiale, dans sa sourde angoisse face aux erreurs du jeune pouvoir révolutionnaire russe, exprimait toujours « l'impératif catégorique de bouleverser tous les rapports où l'homme est un être dégradé, asservi, abandonné, méprisable [21] » et donc une indéfectible volonté de mettre à bas le système social qui reproduisait ces rapports.

Il y a dans le discours de Rosa Luxemburg en défense de l'école du parti au congrès de Nuremberg en 1908, cette remarque particulièrement éclairante : « Pour nous, qui sommes un parti de lutte, l’histoire du socialisme c’est l’école de la vie. Nous en retirons sans cesse de nouvelles stimulations [22] ». Luxemburg nous expose ici que le mouvement ouvrier se construit aussi de la conscience qu'il a de lui-même, par l'étude de sa genèse, de son histoire et — comme elle dira dans sa célèbre Brochure de Junius — des leçons de ses innombrables erreurs, par une « autocritique sans merci ». Cette dimension réflexive est essentielle. Tout le déploiement de la conscience révolutionnaire s'y joue. Contrairement à la classe capitaliste qui put asseoir progressivement sa domination sur les décombres de la société féodale et d'Ancien Régime au travers de différents leviers étatiques et économiques ou de compétences — administratives, juridiques, technologiques — parfaitement compatibles avec sa vocation hégémonique, le prolétariat ne peut compter que sur cette conscience. Lui retirer cela, c'est tout lui retirer. Et c'est bien ce qu'il advint. Sous le double coup de boutoir du délitement de la social-démocratie face à la guerre et d'une contre-révolution menée essentiellement sous la bannière du « communisme », le mouvement ouvrier fut défait sans même avoir la force de reconnaître cette défaite comme telle et d'en analyser toutes les causes, d'un point de vue matérialiste. Qui aurait bien pu trouver dans l'étude de ce qui depuis lors nous a été donné à voir, à suivre ou à défendre sous l'appellation de « mouvement ouvrier » une quelconque « stimulation » pour reprendre le mot de Luxemburg ? C'est bien le contraire qui s'est produit, avec une puissance de rejet aussi profonde que compréhensible. La responsabilité historique de ceux qui ont défendu ou cautionné ces aberrations estampillées « communisme », « socialisme réel » ou leurs « conquêtes objectives » n'en est que plus écrasante.

Rosa Luxemburg ne put voir pleinement que la première phase de cette défaite et seulement percevoir des fragments de la seconde, en gestation dans l'échec même de la révolution allemande. Mais cela lui suffit pour, d'une part, comprendre que cet « échec » s'enracinait profondément dans une pratique et une faiblesse théorique qui avait fait de la social-démocratie ce « tas de pourriture organisée [23] », dont les débats sur le réformisme, la grève de masse en 1905/06, la tactique en 1910 ou l'affaire Molkenbuhr furent autant de signes avant-coureurs, et d'autre part, développer un sens aigu de la signification et de la portée de cette défaite, qui excluait tout « raccourci » historique quelle que soit la volonté parfois héroïque avec laquelle une génération d'ouvriers se lancera dans la vague révolutionnaire d'après-guerre. Aussi n'hésita-t-elle pas à parler de « situation historique jamais vue dans l'histoire mondiale [24] », et dans ce « processus historique de proportions gigantesques [25] » elle comprend que dorénavant toute contre-révolution se fera sous le drapeau même de la révolution, dès lors que « le parti cesse de pratiquer la politique qu'implique son essence même [26] » : « Les masses attirées sous les bannières de la social-démocratie et des syndicats en vue de livrer combat au capital ont été aujourd'hui, par ces organisations précisément, placées sous le joug de la bourgeoisie comme elles ne l'avaient jamais été depuis qu'existe le capitalisme moderne [27] ». Cette situation a-t-elle jamais été renversée depuis ? On comprend avec Luxemburg à quel point la Première Guerre mondiale — et ses suites immédiates — constitue une bifurcation de l'histoire mondiale : « C’est un attentat non pas à la culture bourgeoise du passé, mais à la civilisation socialiste de l’avenir, un coup mortel porté à cette force qui porte en elle l’avenir de l’humanité et qui seule peut transmettre les trésors précieux du passé à une société meilleure. Ici le capitalisme découvre sa tête de mort, ici il trahit que son droit d’existence historique a fait son temps, que le maintient de sa domination n’est plus compatible avec le progrès de l’humanité [28]. » À quel point aussi l'éthique du prolétariat s'évanouit à mesure que se dénature son « mouvement réel » (Marx). C'est pourtant à cette posture éthique irréductible, sans concession, que nous invite au final Luxemburg : « Les dés qui vont décider pour des décennies de la lutte de classes en Allemagne sont jetés , et pour chacun de nous jusqu'au dernier il importe de clamer : “Je suis là et ne puis agir autrement !” [29] »

Par cette exigence, il n'est pas sûr que Rosa Luxemburg soit très « actuelle » ! Son œuvre ne donne-t-elle pas au contraire toute la mesure de l'écart entre ce que nous vivons et avons vécu depuis l'échec de la vague révolutionnaire au sortir de la Première Guerre mondiale, et ce que fut un véritable projet d'émancipation, inscrit tout à la fois dans le développement matériel de la société et porté par un irrépressible élan utopique ? Mais la vieille taupe continue de creuser, et pour la première fois de nouvelles générations surgissent qui n'ont pas connu la chape de plomb des idéologues « marxistes » et doivent se confronter avec un capitalisme dont la dynamique mortifère interdit tout statu quo. Invoquer Luxemburg dans ce contexte, c'est rendre possible une réappropriation de ce que fut le sens réel du combat révolutionnaire. « Nous ne sommes pas perdus et nous vaincrons pourvu que nous n’ayons pas désappris d’apprendre [30] » disait-elle. Contribuer à faire en sorte qu'il en soit ainsi, c'est la seule justification d'un projet qui vise à restituer l'intégrité d'une œuvre.

Collectif Smolny-Agone

Texte initialement paru dans ContreTemps n°8 et repris du site contretemps.

 


 

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17 juin 2011 5 17 /06 /juin /2011 16:44

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

  C’est ainsi que Tolstoï, pour sa force comme pour ses faiblesses, pour le regard profond et aigu de sa critique, le radicalisme audacieux de ses perspectives comme pour sa foi idéaliste en la puissance de la conscience subjective doit être placé parmi les grands utopistes du socialisme. Ce n’est pas sa faute, mais sa malchance historique que sa longue vie s’étende du seuil du 19e siècle, époque où Saint-Simon, Fourier et Owen se tenaient comme précurseurs du prolétariat moderne, au seuil du 20e siècle où, solitaire, il se trouve sans le comprendre face à face avec le jeune géant. Mais pour sa part, la classe ouvrière révolutionnaire mûre peut avec un sourire de connivence serrer la main honnête du grand artiste et de l’audacieux révolutionnaire et socialiste malgré lui, auteur de ces bonnes paroles :

« Chacun parvient à la vérité selon sa propre voie, il faut, cependant, que je dise ceci : ce que j’écris ne sont pas seulement des mots, mais je le vis, c’est mon bonheur, et je mourrai avec. »

 

LUXEMBURG Rosa (1908) : Tolstoï, comme penseur social
Article paru dans la « Leipziger Volkszeitung » n° 209, du 9 Septembre 1908

Le collectif Smolny a remis en ligne le texte de Rosa Luxemburg sur Tolstoï publié en 1908 dans la Leipziger Volkszeitung.

Pour consulter le texte entier:  lire

Tolstoï en 1908, année de l'article de Rosa Luxemburg

680px-Leo_Tolstoi_v_kabinetie.05.1908.ws.jpg

Tolstoix-Pasternak_Tolstoy_1908.jpg

Autre portrait

Pasternak_leo_tolstoy.jpg

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5 mai 2011 4 05 /05 /mai /2011 17:44

SUFFRAGE FEMININ ET LUTTE DES CLASSES
ROSA LUXEMBURG, 1912

 

http://www.solidarites.ch/journal/docs/rosa.pdf

Dans ce texte, écrit juste après le triomphe électoral de la social-démocratie allemande, en janvier 1912, Rosa Luxemburg présente la lutte pour le suffrage féminin comme  partie intégrante de la lutte pour l’émancipation de tous les travailleurs -euses.

 
«Pourquoi n’y a-t-il pas d’organisation pour les femmes travailleuses en Allemagne? Pourquoi entendons-nous si peu parler du mouvement des femmes travailleuses?» C’est par ces questions qu’Emma Ihrer, l’une des fondatrices du mouvement des femmes prolétariennes d’Allemagne, introduisait son essai de 1898: «Les femmes travailleuses dans la lutte des classes». A peine quatorze ans se sont écoulés depuis, qui ont vu une grande expansion du mouvement des femmes prolétariennes. Plus de cent cinquante mille femmes sont organisées dans des syndicats et sont parmi les contingents les plus actifs des luttes économiques du prolétariat. Plusieurs milliers de femmes politiquement organisées ont rallié la bannière du prolétariat: le journal des femmes sociales-démocrates [Die Gleichheit (L’Egalité), édité par Clara Zetkin], compte plus de cent mille abonné-e-s; le suffrage féminin est l’un des points vitaux du programme de la social-démocratie.
 

 

Pourquoi le suffrage féminin est un objectif essentiel?


De tels faits pourraient précisément nous inciter à sous-estimer l’importance de la lutte pour le suffrage féminin. Nous pourrions penser: même sans l’égalité des droits politiques des femmes, nous avons réalisé d’énormes progrès dans l’éducation et l’organisation des femmes

.
Ainsi, le suffrage féminin n’est pas une nécessité urgente. Mais si nous pensions cela, nous serions dans l’erreur. Durant ces quinze dernières années, l’éveil politique et syndical des masses du prolétariat féminin a été magnifique. Mais cela n’a été possible, que parce que les femmes travailleuses ont pris un intérêt vivant dans les combats politiques et parlementaires de leur classe, en dépit du fait qu’elles étaient privées de leurs droits. Jusqu’ici, les femmes travailleuses ont été soutenues par le suffrage masculin, auquel elles ont bien sûr pris part, certes indirectement seulement. Les larges masses des hommes et des femmes de la classe ouvrière considèrent déjà les campagnes électorales comme des causes communes. Dans tous les meetings électoraux sociaux-démocrates, les femmes constituent une large fraction des participants, parfois la majorité. Elles sont toujours intéressées et passionnément concernées.

 
Dans tous les districts où existe une organisation social-démocrate sérieuse, les femmes soutiennent la campagne. Et ce sont les femmes qui font un travail inestimable en distribuant des tracts et en gagnant des abonnements à la presse social-démocrate, cette arme si importante de ces campagnes.


L’Etat capitaliste n’a pas été en mesure d’empêcher les femmes de porter ces charges et ces efforts de la vie politique. Pas à pas, l’Etat a été en effet forcé de leur allouer et de leur garantir cette possibilité en leur accordant les droits syndicaux et de réunion. Seul le dernier des droits politiques est dénié aux femmes: le droit de voter, de décider directement des représentant-e-s du peuple dans les domaines législatif et exécutif, de devenir un membre élude tels corps. Mais ici, comme dans tous les autres domaines de la vie sociale, le mot d’ordre est: «ne pas laisser les choses progresser!» Mais les choses ont commencé à avancer. L’Etat actuel a reculé devant les femmes du prolétariat lorsqu’il les a admises dans les réunion publiques, dans les associations politiques. Et l’Etat n’a pas concédé cela volontairement, mais par nécessité, sous la pression irrésistible de la classe ouvrière montante. Ce n’est pas moins la poussée passionnée des femmes prolétaires elles- mêmes, qui a forcé l’Etat policier germano-prussien à (…) ouvrir grandes les portes des organisations politiques aux femmes.

 
Ceci a réellement mis la machine en mouvement. Les progrès irrésistibles de la lutte des classes prolétarienne ont jeté les droits des femmes travailleuses dans le tourbillon de la vie politique. Utilisant leurs droits syndicaux et de réunion, les femmes prolétariennes ont pris une part très active dans la vie parlementaire et dans les campagnes électorales. C’est seulement la conséquence inévitable, le résultat logique du mouvement, qui fait
qu’aujourd’hui, des millions de femmes prolétaires crient avec défiance et pleine d’assurance en elles-mêmes: gagnons le suffrage

 

Abattre la monarchie et arracher le suffrage féminin


Il était une fois, dans l’ère idyllique de l’absolutisme d’avant-1848, une classe ouvrière qu n’était pas réputée «assez mûre» pour exercer les droits politiques. Cela ne peut pas être dit des femmes travailleuses d’aujourd’hui, parce qu’elles ont démontré leur maturité politique.

 
Tout le monde sait que sans elles, sans l’aide enthousiaste des femmes prolétariennes, le part social-démocrate n’aurait pas remporté la victoire glorieuse du 12 janvier [1912], en obtenant 4,25 millions de voix. Dans tous les cas, la classe ouvrière a toujours dû prouver sa maturité pour la liberté politique par un soulèvement révolutionnaire de masse victorieux. C’est seulement lorsque le Droit Divin sur le trône et les meilleurs et les plus nobles des hommes de la nation ont senti le poing calleux du prolétariat sur leurs faces et son genou sur leurs poitrines, qu’ils ont fait confiance dans la «maturité» politique du peuple, et cela, ils l’ont réalisé à la vitesse de la lumière. Aujourd’hui, c’est au tour des femmes du prolétariat de rendre l’Etat capitaliste conscient de leur maturité. Cela est le fait d’un mouvement de masse constant et puissant, qui doit user de tous les moyens de lutte et de pression du prolétariat.

 
Le suffrage féminin, c’est le but. Mais le mouvement de masse qui pourra l’obtenir n’est pas que l’affaire des femmes, mais une préoccupation de classe commune des femmes et des hommes du prolétariat. Le manque actuel de droits pour les femmes en Allemagne n’es t qu’un maillon de la chaîne qui entrave la vie du peuple. Et il est intimement lié à cet autre pilier de la réaction: la monarchie. Dans ce pays avancé, hautement industrialisé, qu’es tl’Allemagne du 20e siècle, au temps de l’électricité et de l’aviation, l’absence de droits politiques pour les femmes est autant une séquelle réactionnaire du passé mort, que l’est le règne de Droit Divin sur le trône. Les deux phénomènes: le pouvoir politique dirigeant comme instrument du ciel et les femmes, cloîtrées au foyer, non concernées par les tempêtes de la vie publique, par la politique et la lutte des classes – les deux phénomènes plongent leurs racines dans les circonstances obsolètes du passé, de l’époque du servage à la campagne et des guildes dans les villes. En ces temps- là, ils étaient justifiables et nécessaires. Mais autant la monarchie, que l’absence de droits pour les femmes, ont été déracinées par le développement du capitalisme moderne et sont devenues des caricatures ridicules. Elles se perpétuent dans notre société moderne, non pas parce que les gens ont négligé de les abolir, non pas à cause de la persistance et de l’inertie des circonstances. Non ils existent encore parce que les deux – la monarchie et les femmes sans droits – sont devenues de puissants outils au service d’intérêts hostiles à ceux du peuple. Les pires défenseurs et les plus brutaux de l’exploitation et de l’asservissement du prolétariat sont retranchés derrière le trône et l’autel, comme derrière l’asservissement politique des femmes. La monarchie et le manque de droits des femmes sont devenus les plus importants instruments de la classe capitaliste régnante.


Femmes prolétaires et femmes bourgeoises

 
En vérité, notre Etat est intéressé à priver de vote les femmes travailleuses et elles seules. l l craint à juste titre qu’elles n’en viennent à menacer les institutions traditionne lles du pouvoir de classe, par exemple le militarisme (duquel aucune femme travailleuse consciente ne peut s’empêcher d’être une ennemie mortelle), la monarchie, le vol systématique que représentent les droits et taxes sur l’alimentation, etc. Le suffrage féminin est une horreur et une abomination pour l’Etat capitaliste actuel, parce que derrière lui se tiennent des millions de femmes qui renforceraient l’ennemi de l’intérieur, c’est-à-dire la social-démocratie révolutionnaire. S’il n’était question que du vote des femmes bourgeoises, l’Etat capitaliste ne pourrait en attendre rien d’autre qu’un soutien effectif à la réaction. Nombre de ces femmes bourgeoises qui agissent comme des lionnes dans la lutte contre les «prérogatives masculines» marcheraient comme des brebis dociles dans le camp de la réaction conservatrice et cléricale si elles avaient le droit de vote. En fait, elles seraient certainement bien plus réactionnaires que la fraction masculine de leur classe

.
A part quelques-unes d’entre elles, qui exercent une activité ou une profession, les femmes de la bourgeoisie ne participent pas à la production sociale. Elles ne sont rien d’autre que des coconsommatrices de la plus-value que leurs hommes extorquent au prolétariat. Elles sont les parasites des parasites du corps social. Et les co-consommateurs sont généralement plus frénétiques et cruels pour défendre leurs «droits» à une vie parasitaire, que l’agent direct du pouvoir et de l’exploitation de classe. L’histoire de toutes les grandes luttes révo lutionnaire confirme cela de façon effrayante. Prenez la grande Révolution Française. Après la chute des Jacobins, lorsque Robespierre fut conduit enchaîné sur son lieu d’exécution, les putains dénudées d’une bourgeoisie ivre de victoire, dansaient de joie, sans vergogne, autour du héros déchu de la Révolution. Et en 1871, à Paris, lorsque la Commune héroïque des travailleurseuses a été défaite par les mitrailleuses, les femmes bourgeoises déchaînées ont dépassé en bestialité leurs hommes dans leur revanche sanglante contre le prolétariat vaincu. Les femmes des classes détentrices de la propriété défendront toujours fanatiquement l’exploitation e t l’asservissement du peuple travailleur, duquel elles reçoivent indirectement les moyens de leur existence socia lement inutile.

 

Des femmes actives et conscientes


Economiquement et socialement, les femmes des classes exploiteuses ne sont pas un segment indépendant de la population. Leur unique fonction sociale, c’est d’être les instruments de la reproduction naturelle des classes dominantes. A l’opposé, les femmes du prolétariat sont économiquement indépendantes. Elles sont productives pour la société, comme les hommes.


Par cela, je n’ai pas en vue leur investissement dans l’éducation des enfants ou leur travail domestique, par lesquels elles aident les hommes à subvenir aux besoins de leur famille avec des salaires insuffisants. Ce type de travail n’est pas productif, au sens de l’économie capitaliste actuelle, quelle que soit l’ampleur des sacrifices et de l’énergie consentis, de même que les milliers de petits efforts cumulés. Ce n’est que l’affaire privée du travailleur, son bonheur et sa bénédiction, qui pour cela n’existe pas aux yeux de la société actuelle. Aussi longtemps que le capitalisme et le salariat dominent, le seul type de travail considéré comme productif est celui qui génère de la plus- value, du profit capitaliste. De ce point de vue, la danseuse de music-hall, dont les jambes suintent le profit dans les poches de son employeur est une travailleuse productive, tandis que toutes les peines des femmes et des mères prolétariennes entre les quatre murs de leurs foyers sont considérées comme improductives.


Cela paraît brutal et absurde, mais reflète exactement la brutalité et l’absurdité de notre économie capitaliste actuelle. Le fait de voir cette cruelle réalité clairement et distinctement voilà la première tâche des femmes du prolétariat.


En effet, précisément de ce point de vue, la revendication des femmes prolétariennes de droits politiques égaux est ancrée dans une base économique ferme. Aujourd’hui, des millions d e femmes travailleuses créent du profit capitaliste, tout comme les hommes – dans les usines les ateliers, les fermes, le bâtiment, les bureaux, les magasins. Elles sont pour cela productives dans la société actuelle, dans le strict sens scientifique du terme. Chaque jour élargit le champ d’exploitation des femmes par le capitalisme. Chaque nouveau progrès de l’industrie ou de la technologie crée de nouvelles places pour les femmes dans le processus du profit capitaliste. Ainsi, chaque jour et chaque pas en avant du progrès industriel ajoutent une nouvelle pierre aux fondations solides des droits politiques égaux pour les femmes. L’éducation des femmes et leur intelligence sont devenues nécessaires à la machine économique elle-même. La femme
étroitement recluse dans le «cercle familial» patriarcal répond aussi peu aux attentes du commerce et de l’industrie, qu’à ceux de la politique. C’est vrai, l’Etat capitaliste a négligé son devoir, même dans ce domaine. Jusqu’ici, ce sont les syndicats et les organisations sociales-démocrates qui ont fait le plus pour éveiller l’esprit et le sens moral des femmes.


Cela fait des décennies déjà, que les sociaux-démocrates sont réputés être les travailleurs les plus capables et intelligents d’Allemagne. De la même façon, les syndicats et la socialdémocratie ont arraché les femmes à leur existence étroite et bornée, ainsi qu’à l’abrutissement misérable et étriqué de la tenue du ménage. La lutte de classe prolétarienne a élargi leurs horizons, rendu leur esprit plus flexible, développé leur pensée; elle leur a montré de grandes perspectives, dignes de leurs efforts. Le socialisme a suscité la renaissance mentale de la masse des femmes prolétariennes – en faisant d’elles aussi, sans aucun doute, des travailleuses productives et compétentes pour le capital.

 

Sentiment d’injustice et changement social


Au vu de tout cela, le fait que les femmes prolétariennes sont privées de droits politiques est une vile injustice, ceci d’autant plus qu’il s’agit maintenant d’un demi mensonge. Après tout, une masse de femmes prennent activement part à la vie politique. Pour autant, la socialdémocratie ne recourt pas à l’argument de l’«injustice». C’est la différence essentielle entre nous et le socialisme antérieur, sentimental et utopique.

 

Nous ne dépendons pas de la justice de la classe dominante, mais seulement de la force révolutionnaire de la classe ouvrière et du cours du développement social qui prépare les bases de son pouvoir. Ainsi, l’injustice en ellemême n’est certainement pas un argument de nature à renverser les institutions réactionnaires.


En revanche, si un sentiment d’injustice se développe dans de larges secteurs de la société – relève Friedrich Engels, le co-fondateur du socialisme scientifique – voilà un indice sûr que les bases économiques de la société ont changé considérablement, que les conditions actuelles entrent en conflit avec la marche du développement. Le formidable mouvement actuel de millions de femmes prolétariennes, qui considèrent leur privation de droits politiques comme une injustice criante, est un tel signe infaillible, un signe que les bases sociales du système dominant sont pourries et que ses jours sont comptés.


Il y a cent ans, le français Charles Fourrier, l’un des premiers grands prophètes des idéaux socialistes, a écrit ces mots mémorables: dans chaque société, le degré d’émancipation des femmes est la mesure naturelle de l’émancipation générale. Ceci est parfaitement vrai pour la société actuelle. La lutte de masse en cours pour les droits politiques des femmes est seulement l’une des expressions et une partie de la lutte générale du prolétariat pour sa libération. En cela réside sa force et son avenir. Grâce au prolétariat féminin, le suffrage universel, égal et direct des femmes, ferait avancer considérablement et intensifierait la lutte des classes du prolétariat. C’est la raison pour laquelle la société bourgeoise déteste et craint le suffrage féminin. Et c’est pourquoi nous le défendons et nous l’obtiendrons. En luttant pour le suffrage féminin, nous rapprocherons aussi l’heure où la société actuelle tombera en ruines sous les coups de marteau du prolétariat révolutionnaire.


Rosa LUXEMBURG*

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19 avril 2011 2 19 /04 /avril /2011 21:06

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Compte-rendu de lecture : "La crise de la social-démocratie" de Rosa LUXEMBURG

vendredi 8 avril 2011 sur le site table rase

 

« "La Crise de la Social-Démocratie" est de la dynamite de l’esprit qui fait sauter l’ordre bourgeois. »

 

C’est en ces termes que Clara Zetkin parle du livre que Rosa Luxemburg a écrit depuis sa cellule de la prison des femmes de Berlin en avril 1915, et qui est d’abord paru sous le titre de "La Brochure de Junius".

 

En Aout 1914, le Parti Social-Démocrate Allemand, LE modèle du parti de la classe ouvrière en Europe, vote les crédits pour la guerre, capitulant devant la bourgeoisie impérialiste allemande.

 

Rosa Luxemburg expose ici les raisons d’une telle capitulation, et livre une analyse politique et économique de la situation qui couvait en Europe depuis dès années, jusqu’à aboutir au massacre de milliers d’ouvriers transformés en soldats au profits des grandes puissances impérialistes.

 

Elle dénonce la responsabilité des dirigeants sociaux-démocrates allemands, coupables de s’être transformés en ennemis de classe, mais dirige bien son attaque principale contre l’ennemi n° 1 : le capitalisme et l’impérialisme.

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6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 15:25

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Lors de sa première sortie de prison, en 1915, elle est accueillie par un millier d'ouvrières berlinoises venues la saluer ; ce qui lui inspire ce commentaire lucide :


« Je ne suis rien d'autre que le mât auquel elles ont accroché le drapeau de leur enthousiasme pour la lutte en général ».

 

sur le site le petitblanquiste

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22 novembre 2010 1 22 /11 /novembre /2010 11:41

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Peut-on enseigner la lutte? Peut-on enseigner "l'histoire" du mouvement ouvrier? Comment donner les connaissances indispensables aux militants. Rosa Luxemburg a donné plusieurs années des cours à l'école du parti. Cette lettre nous donne de précieuses indications sur sa conception de l'enseignement. Elle est à lire sur le site marxists.org


1911

Source : — LUXEMBURG Rosa, Vive la lutte ! Correspondance 1891-1914, Textes réunis, traduits et annotés sous la direction de Georges HAUPT par Claudie WEILL, Irène PETIT, Gilbert BADIA, Editions François Maspero, Bibliothèque Socialiste n°31, Paris, 1975, p. 331-334.

luxemburg

Rosa Luxemburg

Rosa Luxemburg à Wilhelm Dittman

23 mai 1911

Sur l’école du Parti

23 mai 1911.

 

Cher camarade Dittman,

Pardonnez-moi de ne vous donner qu’aujourd’hui les informations que vous m’avez demandées au sujet de notre école du parti. J’étais très prise et n’avais aucune minute de liberté.

Si vous voulez mon avis, je crois que l’organisation de l’enseignement à l’école du parti a parfaitement fait ses preuves ; on devrait cependant, selon moi, améliorer encore le programme. Je suis très contente que nous ayons réussi, le camarade Schulz et moi, à y introduire enfin l’histoire du socialisme international [1] ; actuellement c’est à cela que je travaille - et j’ai encore demandé lors de la dernière réunion des professeurs et de la direction du parti que l’on mette au programme, à part, l’histoire du mouvement syndical et sa situation dans différents pays.

J’estime que c’est extrêmement important et aussi nécessaire que l’histoire du socialisme. Bebel appuie totalement cette suggestion et il ne s’agit que de savoir quand on aura la possibilité pratique de réaliser ce projet. Il faut en effet tenir compte du temps dont disposent les élèves et de leur capacité de travail. La manière dont l’enseignement est organisé maintenant correspond à mon avis à toutes les exigences de la pédagogie. Nous avons tout au plus dans chaque cycle de cours trente élèves sur lesquels, depuis trois ans, dix places sont réservées aux syndicats ; malheureusement, seuls le syndicat des mineurs et celui du bâtiment en font usage : ils nous envoient chacun deux élèves par session. Les autres syndicats, notamment celui des métallurgistes, boycottent l’école du parti, ce qui est regrettable pour eux et pour nous.

L’enseignement ne comprend par jour que deux matières, parfois trois ; pour chacune sont prévues deux heures de suite (interrompues chez moi par ¼ d’heure de pause). En fait, seule la matinée, de huit heures à midi, est consacrée à l’enseignement. L’après-midi on n’enseigne que des matières faciles, peu astreignantes, des exercices de style, des exercices oratoires ou encore des sciences exactes. Notre idéal serait de laisser l’après-midi tout à fait libre (même quand il y a des cours l’après-midi ils finissent généralement à trois ou quatre heures), car les élèves doivent avoir l’après-midi et le soir de libres pour travailler à la maison. S’ils n’ont pas cette possibilité d’approfondir à la maison ce qui a été enseigné le matin, de reprendre leurs notes, s’ils ne lisent pas les livres ou brochures correspondants, tout l’enseignement est absolument sans valeur, inutile. Il vous suffit de considérer l’école des syndicats. Connaissez-vous son organisation ? Il me semble inconcevable que des gens pratiques [2] puissent ainsi jeter leur temps et leur argent par la fenêtre. D’abord le cycle entier des cours dure six semaines (alors que nous arrivons à peine en six mois à inculquer aux élèves quelques connaissances solides !). Ensuite chaque cours s’adresse à soixante ou soixante-dix élèves, si bien qu’il est vain de songer à une discussion avec le professeur et qu’il n’est pas question d’aborder le sujet plus en profondeur, en posant des questions aux élèves ou en suscitant une discussion générale. En outre le programme quotidien comprend cinq matières différentes enseignées à la suite par cinq professeurs différents, chacun ne disposant que d’une heure (une seule matière a droit à deux heures, de trois à cinq). Ainsi, c’est une course d’une matière à une autre, et les élèves ont à peine le temps de reprendre leurs esprits. Et l’enseignement est organisé de telle manière qu’il occupe - de neuf heures du matin à six heures du soir - toute la matinée et tout l’après-midi. Quand les élèves ont-ils le temps d’apprendre quelque chose par eux-mêmes, de lire, de réfléchir et d’assimiler ce qu’ils ont entendu ? (Pendant la pause de midi à trois heures on ne travaille naturellement pas ... car le repas prend le pus clair du temps et le reste fatalement se passe à flâner.) Le temps de rentrer le soir à la maison et de manger quelque chose, il est sept ou huit heures. Alors naturellement on est trop fatigué. Il ne reste plus aux élèves qu’à reprendre des forces dans un café. Voilà évidemment qui est fait pour les aider à approfondir leurs connaissances et à les préparer à travailler joyeusement le lendemain ! Puis autre chose frappe encore : du début de septembre au début d’avril, pendant que nous avons un seul cycle de cours, les professeurs des syndicats doivent en assurer successivement quatre, au cours desquels il répètent forcément la même chose quatre fois. Pour ma part, une fois terminé un cours difficile, le semestre d’été libre m’apparaît comme une vraie délivrance : on refuse de se borner à se répéter, on veut pour chaque nouveau ours rassembler des matériaux nouveaux, les exploiter, apporter des changements et des améliorations. Enfin, je ne puis m’imaginer comment un professeur ne prend pas son enseignement en dégoût lorsqu’il doit le rabâcher quatre fois de suite en sept mois ; avec la meilleure volonté du monde on devient un phonographe. Ainsi tout semble mis en oeuvre pour gâcher aux professeurs, comme aux élèves la joie de travailler et diminuer leur capacité de rendement. Je considère tout cela, comme vous le voyez, du seul point de vue pédagogique, je ne mentionne même pas que les matières les plus importantes sont enseignées par Bernstein, Schippel, Bernhard, Calwer [3], celui-ci assurant le cours sur les cartels !

L’orientation des professeurs est une affaire de conviction ; mais l’organisation de l’enseignement est une affaire de pédagogie rationnelle et, sur ce point, toute l’école des syndicats est un mystère. Les « doctrinaires » et les « théoriciens » ne se révèlent-ils pas une fois encore plus pratiques que les soi-disant « hommes de la pratique » ?

Cependant, chez nous aussi, à l’école du parti, il faut encore apporter des améliorations et développer les choses. A la fin de chaque cycle on entend répéter le voeu, soit de le voir se prolonger, soit de voir s’instituer un cours de perfectionnement. Moi, je préférerais la seconde solution, qui pourrait être adoptée sans surcroît e charges pour le parti [4]. Mais naturellement, à l’heure actuelle, les élections au Reichstag passent au premier plan et le temps manque pour les projets de réforme. J’espère d’ailleurs vivement que cette année l’école vaquera - je l’espère car je voudrais tout de même pouvoir travailler un hiver pour moi.

Comment allez-vous, ainsi que votre femme ? Votre petite lettre m’a fait grand plaisir. Merci aussi du rapport. Dans ma prochaine lettre je vous enverrai les matériaux sur le libéralisme. Je parlerai avec Ros. [5] aujourd’hui ou demain.

En attendant, meilleurs souvenirs.

Votre R. Luxemburg

Notes

[1] Voir à ce propos la lettre à Kostia Zetkin de septembre 1909.

[2] Allusion aux réformistes qui affirmaient être des gens de la pratique et affectaient d’ignorer ou de mépriser la théorie. Par ailleurs, l’école du parti fut soumise à de violentes critiques de la part des révisionnistes, en particulier d’Eisner, lors du congrès du SPD à Nuremberg en septembre 1908. L’école des syndicats avait été fondée à la même époque que celle du parti et comptait surtout des enseignants révisionnistes et réformistes, alors que ceux de l’école du parti étaient surtout des radicaux.

[3] Révisionnistes proches de Bernstein, collaborateurs de la revue Sozialistische Manitshefte.

[4] Rosa Luxemburg avait écrit cette lettre à Dittmann - comme il ressort d’une autre lettre encore inédite à Dittmann du 9 juin 1909 - pour qu’il puisse prendre position sur le problème. Dans la mesure où rien n’avait été fait, elle écrivit elle même un article : « École des syndicats et école du parti », Leipziger Volkszeitung, 21 juin 1911, qui s’inscrivait dans la polémique avec les révisionnistes entamée au Congrès de Nuremberg.

[5] Probablement Kurt Rosenfeld.

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1 mai 2010 6 01 /05 /mai /2010 10:48

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C'est un texte les plus connus de Rosa Luxemburg. Quand a-t-il été écrit et dans quel contexte?


Rosa Luxemburg a 24 ans. Comme de nombreux militants de l'empire tsariste, elle s'est réfugiée en Suisse. Elle les cotoie et peut  échanger et réfléchir à la poursuite de son action politique. Elle rencontre ainsi des révolutionnaires polonais, et ils créent le Parti social-démocrate du royaume de Pologne sur des bases de classes et internationalistes en opposition au parti socialiste polonais (PPS) qui met en avant la revendication nationale. Le SDKP, puis SDKPiL (pour Lituanie) se dote d'un journal la Sprawa Robotnicza. C'est pour assurer la publication de ce journal que Rosa Luxemburg effectue des séjours à Paris. Quelques indications dans sa correspondance montrent concrètement  les relations avec l'imprimeur, avec les militants - cela parlera à tous ceux qui ont eu à réaliser un journal militant! -, sa part dans le journal et la diffusion en Pologne en particulier, diffusion clandestiine et dangereuse qui s'arrrêtera avec la répression, les arrestations. C'est l'arrière-plan qu'il faut avoir à l'esprit quand on lit le texte qu'elle consacre au Ier mai. Nous ne sommes pas en présence d'un texte académique mais d'un texte de lutte, un texte qui veut mettre en avant la dimension internationaliste et de classe, un texte réalisé dans un contexte de lutte dangereux et clandestin pour sa diffusion en Pologne, un des premiers textes de Rosa Luxemburg qui témoigne de la continuité de ses choix politiques.


Texte paru dans la Sprawa Robotnicza, le  8 février 1894.
Titre original : Jak powstalo Swieto Majowe.

 


Pourquoi ce texte de Rosa Luxemburg sur le 1er mai? Deux citations du texte de Rosa Luxemburg


Concernant le 1er mai lui-même, il est important de resituer ce texte dans l'histoire de ce jour international de manifestations ouvrières. Important surtout de réaliser que l'histoire en est très récente. Que cela ne fait  pas dix ans qu'il est célébré, que nous n'en sommes qu'au début de sa diffusion au sein du mouvement ouvrier, que c'est encore une journée de lutte et non institutionnalisée. Le SDKP et ce texte s'inscrivent donc dans le mouvement pour  le développement de cette initiative dans le monde. Le texte de Rosa Luxemburg a pour but d'informer les prolétaires en Pologne en décrivant l'histoire de cette journée et de les convaincre de se joindre à cette initiative. Nous reprenons ici deux citations de ce texte:

 

"De fait, qu’est-ce qui pourrait donner aux travailleurs plus de courage et plus de confiance dans leurs propres forces qu’un blocage du travail massif qu’ils ont décidé eux-mêmes ? Qu’est-ce qui pourrait donner plus de courage aux esclaves éternels des usines et des ateliers que le rassemblement de leurs propres troupes ? Donc, l’idée d’une fête prolétarienne fut rapidement acceptée et, d’Australie, commença à se répandre à d’autres pays jusqu’à conquérir l’ensemble du prolétariat du monde."


"Le 1° mai revendiquait l’instauration de la journée de 8 heures. Mais même après que ce but fut atteint, le 1° mai ne fut pas abandonné. Aussi longtemps que la lutte des travailleurs contre la bourgeoisie et les classes dominantes continuera, aussi longtemps que toutes les revendications ne seront pas satisfaites, le 1° mai sera l’expression annuelle de ces revendications. Et, quand des jours meilleurs se lèveront, quand la classe ouvrière du monde aura gagné sa délivrance, alors aussi l’humanité fêtera probablement le 1° mai, en l’honneur des luttes acharnées et des nombreuses souffrances du passé.


A lire sur marxists.catbull.com


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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009