Plusieurs lettres sont datées du 24 novembre 1917. Dans l'une Rosa Luxemburg indique qu'elle l'a fait sortir clandestinement. Peut-être est-ce le cas des autres courriers. Elle peut donc être un peu plus longue et précise. Nous publions ici les extraits concernant la Révolution d'Octobre.
Nous sommes environ quinze jours après le 17 octobre, calendrier russe de l'époque (cela correspond aujourd'hui au 7 novembre). Elle écrit à ses principaux interlocuteurs politiques. Le contenu des lettres est semblable, dans le fond et parfois même dans la reprise des expressions.
A ce moment précis, Rosa Luxemburg ne pense pas que la révolution puisse se maintenir. Non pas du fait de la révolution elle-même, mais du fait de la situation générale et avant tout du manque de soutien des partis sociaux-démocrates dans les autres pays occidentaux.
Elle est convaincue cependant que cela constituera un jalon essentiel dans l'histoire mondiale et que les bouleversements suivront.
24 novembre 1917 – Luise Kautsky :
... Est-ce que tu te réjouis pour ce qui concerne les Russes ? Evidemment, ils ne pourront pas se maintenir dans ce sabbat qui règne aujourd’hui – non pas parce que les statistiques témoignent d’un état de développement si arriéré en Russie comme le montre ton époux si malin, mais parce que la social-démocratie dans les pays hautement développés de l’Occident se compose de lamentables lâches qui – regardant calmement le spectacle - vont laisser les Russes agonir. Mais il vaut mieux un tel déclin que « de rester en vie pour la patrie », c’est un événement d’importance historique mondiale dont la trace ne disparaîtra pas dans le néant. J’attends encore de grandes choses dans les prochaines années, j’aimerais seulement ne pas admirer l’évolution de l’histoire mondiale de derrière les barreaux …
24 novembre 1917 – Franz Mehring :
En politique, il en va pour vous certainement comme pour moi. Je m’empare impatiemment de tout journal nouvellement paru, pour voir les nouvelles de Saint- Petersbourg, mais on ne comprend pas plus pour autant ce qui se passe. C’est malheureusement presque exclu que les camarades de Lénine se maintiennent au pouvoir dans ce terrible chaos et devant l’indifférence des masses en occident. Mais leur tentative est déjà historique en soi.
24 novembre 1917 – Clara Zetkin :
Ma chère Klara ! Je t’écris ce courrier en utilisant une possibilité de sortir cette lettre, donc n’y fais pas référence dans ta prochaine lettre. …
La petite guerre des « Indépendants » avec le courant de Scheidemann me dégoûte. Je ne suis vraiment plus en état de lire les comptes rendus de victoire des prêches de campagne des Vogtherr, Geyer et Dittmann, surtout quand je m’imagine ces personnages. Comme ils se sont conduits de manière lamentable et ridicule dans cette triste affaire Michaelis (à propos des événements de Wilhemshaven). C’était à hurler.
Que le diable les emporte tous. Mais je reste malgré tout positive par rapport à l’ensemble de cette situation, parce que je suis convaincue maintenant qu’un grand bouleversement est inévitable dans toute l’Europe – surtout si la guerre dure encore longtemps -, et c’est plus que vraisemblable.
Les événements en Russie sont d’une grandeur et d’un tragique magnifique. Naturellement, face à ce chaos inextricable les camarades de Lénine ne peuvent pas vaincre, mais leur tentative constitue déjà un fait historique d’importance mondiale et un véritable « jalon » bien différent de cet autre « jalon » posé par le bienheureux Paulus [Singer], à la fin de l’effroyable Congrès du parti allemand. Je suis persuadée que les nobles prolétariens allemands, de même que les Français et les Anglais laisseront tranquillement mourir les Russes. Mais dans quelques années, les choses prendront un tout autre tour, et la lâcheté et la faiblesse ne seront d’aucune aide. Du reste, je prends tout cela avec calme et sérénité. Plus la banqueroute généralisée prendra des dimensions gigantesques et durera, plus on en reviendra à des considérations élémentaires qui sont loin des normes communément admises. S’énerver contre toute une humanité est ridicule, il faut considérer et étudier les choses avec le calme d’un naturaliste. Mais je suis seulement curieuse de savoir si j’admirerai cela de derrière les barreaux. …