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Premières notations sur Rosa Luxemburg prisonnière ...
Parloirs sous surveillance, transferts, les courriers qui mettent si longtemps à arriver, la tristesse d'une après-visite, le silence de la nuit, les dimanches sinistres, le sentiment de flottement, d'attente, sa propre voix que l'on n'entend plus puisqu'on ne parle plus, l'extinction des feux, l'impuissance à accompagner ceux qui sont dehors, les cadeaux dérisoires.
Dans les lettres à Sonja Liebknecht, Rosa Luxemburg en décrivant au détour d'une ligne, d'un souvenir, d'une évocation le quotidien vécu, transmet avec toute sa sensibilité, son intelligence et son engagement, la réalité des prisons.
Une réalité qui change si peu qu'elle résonne intensément pour tous ceux qui de près ou de loin connaissent, combattent la prison ...
Prisons de Berlin, Barnimstrasse et de Wroncke
La longueur des courriers
"Aujourd'hui 5 août, je viens de recevoir vos deux lettres à la fois, celles du 11 juillet (!) et celle du 23 juillet. Vous voyez que le courrier met plus de temps à me parvenir que pour aller à New York."
Prison de Barnimstrasse - le 5 août 1916 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 14
L'impuissance à accompagner ses proches et amis
"Il m'a été très pénible de vous quitter dans la situation où vous êtes".
Prison de Barnimstrasse - le 5 août 1916. Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 14
Cher Sonitschka, qu'il m'est pénible de ne pas être auprès de vous en ce moment.
Prison de Wroncke - le 24 août 1916. Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 15
"Ma chère petite Sonitscka, j'ai appris par Mathilde que votre frère est mort à la guerre ... Et dire que je puis même pas être vous redonner du courage!..
Prison de Wroncke - le 21 novembre 1916 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 16
Offrir
"Je voulais tant vous envoyer quelque chose par l'intermédiaire de Mathilde, mais je n'ai rien d'autre ici que ce petit fichu bariolé; il vous fera peut-être sourire, mais il vous dira simplement que je vous aime beaucoup.
Prison de wroncke - le 21 novembre 1916 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 16
La fin d'un parloir
Ah J'ai passé aujourd'hui un moment très pénible. A 3 h 19, le sifflet de la locomotive m'avertit du départ de Mathilde, et j'ai couru comme une bête en cage tout le long du mur, faisant et refaisant la "promenade" habituelle. J'avais le cœur crispé à l'idée que je ne pouvais partir moi aussi. Oh! Partir! Mais cela ne fait rien. Mon cœur a reçu une tape, ensuite, il s'est tenu tranquille; il est habitué à obéir comme un chien bien dressé. Ne parlons plus de moi.
Prison de wroncke - le 15 janvier 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 17
Les parloirs hygiaphone (ici un grillage)
Depuis longtemps rien ne m'avait autant bouleversée comme le bref compte-rendu que m'a fait Martha de votre visite à Karl et de l'impression que vous avez ressentie quand vous l'avez retrouvé derrière un grillage. ... Du reste, cela m'a tout à fait rappelé le jour où j'ai revu mes frères et sœurs à la citadelle de Varsovie, il y a dix ans. Là-bas, on vous conduit dans une sorte de double cage en treillis de fil de fer, c'est-à-dire dans une petite cage placée à l'intérieur d'une plus grande et on doit parler à travers les deux treillis qui scintillent. En outre, comme cela se passait aussitôt après une grève de la faim de six jours, j'étais si affaiblie que le capitaine (qui commandait la forteresse) a pratiquement été obligé de me porter jusqu'au parloir. Je me soutenais des deux mains au grillage, ce qui donnait encore plus l'impression d'un fauve au zoo. La cage se dressait dans un angle assez obscur de la salle et mon frère approchait son visage du treillis. "Où es-tu?" demandait-il sans cesse, et il essuyait sur son lorgnon, les larmes qui l'empêchaient de voir. Que je serais heureuse d'être en ce moment dans la cage de Luckau pour éviter à Karl cette épreuve!
Prison de wroncke - le 18 février 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 19
Dimanche
Aujourd'hui, c'est à nouveau dimanche, le jour le plus sinistre pour les prisonniers et pour tous ceux qui souffrent de la solitude. Je suis triste, mais je souhaite de tout cœur que ni Karl ni vous n'éprouviez le même sentiment ...
Prison de wroncke - le 18 février 1917Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 20
Réduite au silence
A vrai dire, j'éprouve rarement le désir de parler, je passe des semaines sans entendre le son de ma propre voix ..
Prison de wroncke - le 23 mai 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 32
Le sentiment d'attente
J'étais debout à la fenêtre, et j'attendais moi aussi - dieu sait quoi! . A six heures, on nous "boucle", et je n'ai plus rien à attendre entre ciel et terre ...
Prison de wroncke - le 23 mai 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 36
Transfert
Vous savez probablement qu'on me transfère à Breslau. Ce matin, j'ai dit adieu à mon petit jardin. Le ciel est gris et pluvieux, l'orage menace, dans le ciel courent des lambeaux de nuages, mais j'ai bien profité de ma promenade habituelle
Ma chère Sonitschka, votre lettre m'est parvenue le 28. C'était la première fois que je recevais ici des nouvelles de l'extérieur, et vous imaginez ma joie. Vous avez tant de sollicitude à mon égard que vous prenez mon transfert trop au tragique ... Vous savez que j'accueille toujours avec le plus grand calme les vicissitudes de la vie. Déjà, je me suis adaptée; mes caisses de livres sont arrivées aujourd'hui. Bientôt les deux cellules que j'occupe paraitront aussi intimes et confortables que mon logis de Wroncke grâce aux livres, aux reproductions et à la modeste décoration que j'emporte toujours avec moi et je redoublerai d'ardeur au travail. Ce qui me manque, c'est la relative liberté de mouvement que j'avais à Wroncke où la forteresse restait ouverte toute la journée, alors qu'ici je suis tout simplement enfermée. Je regrette aussi l'air pur et surtout les oiseaux! Vous ne pouvez imaginer combien je suis attachée à ces petits compagnons. Mais on peut se passer de tout cela et j'oublierais bientôt que j'ai connu un meilleur sort. Ici la situation est assez semblable à celle de la rue Barnim, mais il manque la jolie cour verte de l'infirmerie où je faisais chaque jour quelques petites découvertes de botanique ou de zoologie. Ici, il n'y a rien à découvrir dans la grande cour pavée de l'économat où se passent mes promenades.
Prison de Breslau - le 23 mai 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 41 - 42
Les co-détenus
Je tiens les yeux obstinément fixés sur les pavés gris pour ne pas voir les prisonniers qui travaillent dans la cour, vêtus de leur tenue infamante dont le spectacle m'est pénible. Parmi eux il y en a toujours qui, sous l'influence de la plus profonde dégradation humaine n'ont plus d'âge, de sexe, de personnalité, mais qui attirent mes regards car ils exercent sur moi une douloureuse fascination. ...
Prison de Breslau - le 23 mai 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 41 - 42
Communication clandestine
Ecrivez-moi tout de suite, si possible, par la même voie, ou à défaut par la voie officielle, sans mentionner cette lettre
Prison de Breslau - le 23 mai 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 48
l'affreux décor de ma vie
(voir sur le blog)
Prison de Breslau - le 24 novembre 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 49 - 50
C'est mon troisième Noël
Prison de Breslau - mi-décembre 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 51
Extinction des feux - silence de la nuit carcérale
Hier, je suis restée longtemps éveillée - je ne peux pas dormir avant une heure du matin, mais il faut que j'aille au lit à dix heures ...Me voici couchée dans une cellule obscure, sur un matelas dur comme la pierre, autour de moi, la prison est plongée dans un silence de mort, on se croirait au fond d'un sépulcre, le reflet de la lanterne qui brûle toute la nuit devant la prison entre par la fenêtre et danse au plafond. De temps à autre, on entend au loin, le roulement étouffé d'un train ou bien, tout près, sous la fenêtre, la toux et le pas lent de la sentinelle qui se dégourdit les jambes en traînant ses lourdes bottes. Le bruit du sable qui crisse désespérément sous ses pas semble évoquer, dans la nuit noire et humide, toute la désolation d'une vie sans issue. Je suis étendue là, seule, livrée à l'obscurité, à l'ennui, à l'hiver et, malgré tout, une joie étrange, inconcevable, fait battre mon coeur, comme si je marchais dans une prairie en fleurs, sous un soleil éclatant. Je souris à la vie, comme si je connaissais la formule magique qui change le mal et la tristesse en clarté et en bonheur ...
Prison de Breslau - mi-décembre 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 51 - 52
Rejet d'une demande de mise en liberté, d'une autorisation de sortie
A vrai dire les "événements" m'enlèvent toute envie d'écrire ... Quelle joie ce serait si nous pouvions nous retrouver, aller flâner ensemble dans la campagne, bavarder de choses et d'autres! Mais on a repoussé ma requête en faisant valoir, dans un rapport détaillé, que je suis mauvaise et incorrigible et l'on m'a de même refusé l'autorisation de sortir quelques jours. Je devrai donc attendre que nous ayons vaincu le monde entier.
Prison de Breslau - 24 mars 1918 Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 59
L'intolérable des parloirs sous surveillance
Sonitschka, ma très chère amie, je vous ai écrit avant-hier. Je n'ai toujours pas de nouvelles du télégramme que j'ai adressé au chancelier de l'Empire. Cela peut encore demander quelques jours. En tout cas, une chose est certaine: je suis dans un tel état d'esprit que je puis recevoir mes amis en présence d'un gardien. Pendant des années j'ai tout supporté avec beaucoup de patience et j'aurais continué pendant des années encore si les circonstances n'avaient changé. Mais depuis le renversement de la situation, je suis en proie à de trop vives émotions. Les entretiens sous surveillance au cours duquel je ne puis parler de ce qui m'intéresse vraiment me sont devenus si pénibles que je préfère renoncer à toute visite jusqu'à ce que nous puissions nous revoir en toute liberté.
Prison de Breslau - 18 octobre 1918 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 67