Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

Rechercher

Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
5 août 2014 2 05 /08 /août /2014 19:48

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

Publié sur le blog en septembre 2008                 
Gilbert Badia, Le Spartakisme
L'Arche, 1967 - Chapitre 1 - P 15 à 20

Au soir du 4 août ...

Le 4 août 1914, le parti social-démocrate allemand unanime vote au Reichstag les crédits militaires, inaugurant ainsi la politique "d'Union sacrée" que la majorité de ses dirigeants poursuivra jusqu'à la fin des hostilités, approuvant implicitement l'attitude du Chancelier Bethmann Hollweg et les décisions de son gouvernement, c'est-à-dire la guerre et l'invasion de la Belgique.

Au soir du 4 août, quelques opposants se réunissent dans l'appartement berlinois de Rosa Luxemburg. Il y a là Franz Mehring, Julian Karski-Marchlewski, Ernst Meyer, Käthe et Hermann Duncker, Hugo Eberlein et Wilhem Pieck. La proposition de quitter le parti fut repoussée. On convint d'inviter les sociaux-démocrates connus pour leurs sympathies envers les positions de la gauche à une réunion de discussion. Sur-le-champ, on expédia plus de trois cents télégrammes. Le résultat fut catastrophique. Clara Zetkin fut la seule à dire immédiatement son accord sans réserve. Beaucoup ne donnèrent même pas signe de vie. Ceux qui malgré tout, répondirent, invoquèrent de mauvaises et sottes raisons.

Ainsi, ces quelques opposants se retrouvaient seuls, ou presque. C'est le signe de l'effondrement quasi-total de la gauche dans le parti, ce que Liebknecht appelle "l'atomisation de l'aile radicale".

Comment expliquer cet échec?

Au Congrès d'Iéna, en 1913, la gauche social-démocrate s'était comptée à l'occasion de deux scrutins: elle avait recueilli un peu moins du tiers des mandats. Mais, maintenant, la guerre venait d'éclater qui bouleversait bien des choses. Et pourtant cette éventualité avait été prévue et avait l'objet de longs et passionnés débats.


La social-démocratie et la guerre

Bien avant 1914, le parti avait pris position sur le problème de la guerre. Dans les congrès de l'Internationale, on avait voté des résolutions. A Stuttgart, en 1907, Lénine et Rosa Luxemburg avaient proposé un amendement important, faisant obligation aux socialistes, si la guerre malgré tout venait à éclater, "de s'entremettre pour la faire cesser promptement et d'utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste".

Mais les résolutions que la social-démocratie acceptait de voter dans les congrès internationaux étaient une chose, autre chose la pratique politique quotidienne. On condamnait la guerre, certes - qui donc eût pu l'approuver? - mais si on était attaqué, ne fallait-il pas se défendre? D'où la distinction courante entre guerre offensive et guerre défensive qui allait permettre tous les accomodements avec le régime. Après Bebel et plus nettement que lui, Noske avait proclamé au congrès social-démocrate d'Essen en 1907, qu'en cas de guerre, les socialistes allemands ne se montreraient pas moins patriotes que les bourgeois : "Au cas où notre pays serait sérieusement menacé, les sociaux-démocrates défendront leur patrie avec enthousiasme [...] car ils ne sont pas moins patriotes que la bourgeoisie". Combattant ces idées, Clara Zetkin assurait qu'affirmer la nécessité de la défense nationale signfiait tout simplement "conserver [aux ennemis de la classe ouvrière] la patrie en tant que domaine où s'exerçaient l'exploitation et la domination d'une classe et permettre d'étendre cette exploitation, par-delà les frontières, au prolétariat d'autres pays".

Aussi Liebknecht préconisait-il avec insistance le développement de la propagande antimilitariste, parmi les jeunes surtout (sans méconnaître toutefois, la possibilité de guerres révolutionnaires : il peut y avoir des cas de guerre "que la social-démocratie ne saurait repousser" disait-il). Cependant les Gauches n'allaient pas jusqu'à considérer, avec Lénine, que le prolétariat devait s'employer à transformer en guerre révolutionnaire toute guerre impérialiste.

Les divergences que l'on constate entre la majorité et la minorité du parti social-démocrate allemand se retrouvent au sein de l'Internationale. Les délégués allemands s'y sont toujours opposés aux tentatives, émanant surtout des socialistes français, de faire inscrire expressément dans les résolutions des congrès la grève générale, voire l'insurrection, parmi les moyens les plus efficaces pour lutter contre la menace de guerre (motion Vaillant-Keir Hardie présentée à Copenhague en 1910). Les socialistes allemands ne voulaient pas avoir les mains liées par une résolution de cet ordre. Ils affirmaient que la grève générale paralyserait d'abord et surtout le pays où les socialistes étaient les plus forts et les plus disciplinés, favorisant ainsi les nations les plus rétrogrades; ils disaient aussi qu'un tel mouvement permettrait aux gouvernements de porter des coups terribles à l'organisation ouvrière; et les socialisrtes allemands étaient très fiers de leur organisation.

En fait, dès avant 1914, malgré la persistance de la phrase socialiste et l'élection de Haase (représentant le centre gauche) au poste laissé vacant par la disparition de Bebel, le parti social-démocrate allemand est aux mains de la droite.

D'ailleurs, en 1914, la crainte de la guerre a diminué. Après les alertes d'Agadir et des guerres balkaniques, on croit que le conflit austro-serbe pourra être, lui aussi, localisé. Plus profondément, l'idée a cours, dans les milieux socialistes, que l'imbrication internationale des capitaux est en dernière analyse un facteur de paix. Les capitalistes savent bien que leur guerre sera ruineuse, même pour le vainqueur. Peut-être cela explique-t-il qu'en juillet 1914, les socialistes allemands (y compris Rosa Luxemburg), tout comme les socialistes français, aient cru à la volonté de paix et à l'action pacifique de leurs gouvernements respectifs ...

L'argument de la légitime défense ...

Il est vrai que la guerre avait éclaté avec une soudaineté redoutable. Ebert était en vacances à l'île de Rügen, en mer Baltique, Kautsky se préparait à partir pour l'Italie, Scheidemann se promenait quelque part dans les Alpes, Bernstein se reposait en Suisse. Ajoutons que les leaders socialistes étaient à peu près réduits, pour leur information, aux nouvelles contradictoires que donnait la presse ou à celles que leur gouvernement voulait bien leur communiquer. Le jeu diplomatique et politique des chancelleries était quasi indéchiffrable pour quiconque n'était pas dans le secret.

Tout cela permet de comprendre les réactions des chefs sociaux-démocrates devant le conflit mondial.

Au lieu d'analyser le caractère de la guerre, on s'en tenait à la distinction, apparemment simple, entre agresseurs et agressés. La Russie ayant mobilisé la première et ses armes menaçant la Prusse orientale, l'Allemagne menait une guerre défensive. (En France, un raisonnement du même type prévaudra: l'Allemagne attaque, la France doit se défendre). "La Russie a allumé le brandon qu'elle a jeté contre notre maison", s'écrie le 4 août, devant le Reichstag, le Chancelier Berthmann Hoolweg en annonçant que l'Allemagne est en guerre. Et le sténogramme note : ("tempête de cris: très juste! Très vrai!) Messieurs" poursuit le Chancelier, "nous sommes à présent en état de légitime défense (vive approbation) et nécessité fait loi! (Tempête d'applaudissements)".

Au cours d'un entretien qu'il a avec le ministrte Dellbrück, quelques semaines plus tard, le député social-démocrate David dira : Si le groupe parlementaire s'est résolu à approuver unanimement les crédits de guerre, cela tenait pour l'essentiel, à ce qu'il s'agissait d'une guerre qui nous a été imposée par la Russie. La haine de la Russie et le souci passionné de porter un coup au tsarisme ont été les raisons principales de l'attitude de la social-démocratie". Cet argument, sous sa forme "populaire" : "Défendons nos femmes et nos enfants contre les hordes cosaques" sera repris à satiété par la presse social-démocrate.

Et la France? L'Allemagne a, de ce côté, engagé la première les hostilités, en application du proverbe que le Chancelier vient de citer. Si les troupes allemandes ont pénétré en Belgique, ajoute Bethmann Hollweg au Reichstag, c'est que "nous savions que la France était prête à envahir ce territoire". La presse - et même la presse social-démocrate - est plus nette encore : "Notre frontière occidentale est menacée. Selon le communiqué officiel, la France a attaqué. Ses troupes tentent de percer vers l'Alsace-Lorraine, vers l'Allemagne méridionale, vers la Rhénanie". Or une fois les hostilités déclenchées, pensent de nombreux dirigeants sociaux-démocrates, il n'ya plus d'autre solution que de se battre. Dans un article diffusé le 31 juillet et intitulé : "Etre ou ne pas être", Friedrich Stampfer reprenait l'argumentation de Noske. Si la guerre éclate "les types sans patrie" [les socialistes] feront leur devoir et, sur ce point, ne se laisseront nullement dépasser par les patriotes, dans tous les cas." Même si, écrit Wolfgang Heine, membre de l'extrême-droite du parti, il est vrai, "le gouvernement allemand, avait tout seul, allumé cet incendie mondial, nous aurions été dans l'obligation de défendre notre pays et de sauver ce que l'on pouvait sauver".

D'ailleurs l'Allemagne est porteuse de progrès. Contre la réactionnaire Russie, toute victoire allemande sauvegarde les intérêts du socialisme international. Et de ressortir des textes de Marx (dans la gazette Rhénane, en 1848) ou un article d'Engels, publié en 1891, dans la Neue Zeit, sans préciser combien la situation avait changé puisque la Russie, depuis 1905, était devenue le pays des révolutions.

  ... Et celui de l'attitude des masses

En adoptant une position "patriotique", en mettant en avant, pour la première fois, l'argument "national", il semble que la social-démocratie exprime les sentiments qui animent les foules, à Berlin et dans plusieurs grandes villes du Reich.


Aux premiers jours d'août, la majorité du peuple allemand avait été emportée dans une sorte de tourbillon; à Berlin, comme à Paris d'ailleurs, une fièvre étrange embrumait les cerveaux. Rosa Luxemburg évoquera plus tard "l'ivresse, le tapage patriotique dans les rues, la chasse aux automobiles en or, les faux télégrammes successifs parlant de sources empoisonnées [...] d'étudiants russes lançant des bombes sur les ponts de chemin de fer de Berlin,de Français survolant Nuremberg; les excès d'une foule qui flairait partout l'espion, l'affluence dans les cafés où déferlaient une musique assourdissante et des chants patriotiques; la population de villes entières muée en populace prête à dénoncer n'importe qui, à maltraiter des femmes, à crier: hourrah! et à atteindre le paroxysme du délire en colportant elle-même des rumeurs folles; un climat de sacrifice rituel, une atmosphère de pogrome".

Un socialiste boër, Pontsma qui est resté à Berlin jusqu'au 28 août, parle lui aussi de la "frénésie patriotique"; l'Espagnol Alvarez del Vayo, rentré en Espagne le 17 septembre, publie dans El Liberal de Madrid ses impressions que l'Humanité reprend dans son numéro du 8 octobre: "Tout le monde est sûr [à Berlin] de deux choses : que les Allemands ont raison, qu'ils remportent partout des succès".

Un social-démocrate allemand, qui en août, passe brusquement de l'aile gauche à l'extrême-droite, Konrad Haenisch, a raconté comment, à la nouvelle de la déclaration de guerre, il était rentré à Berlin en toute hâte, persuadé que la révolution avait éclaté. A la gare, des camarades lui apprennenet que les Russes ont envahi l'Allemagne. Il court alors chez lui et rencontre son ami Hermann Duncker. Haenisch essaie de le convaincre, en invoquant l'invasion russe, de la nécessité de défendre la patrie menacée.

(L'utilisation du blanc et de l'italique sont le fait du blog. La suite de ce premier chapitre de l'ouvrage de Badia publié à l'Arche et consacré au vote des crédits de guerre en Allemagne le 4 août 1914, fera l'objet d'un  prochain article. Il permet de suivre avec précision le processus qui a conduit au ralliement de la social-démocratie allemande à l'Union sacrée et de réfléchir à ce type de processus réformiste, nationaliste qui amène aux conséquences les plus graves aujourd'hui encore)
Partager cet article
Repost0
5 août 2014 2 05 /08 /août /2014 11:34

"Le 3 août 1914, je marchai  dans la nuit avec Rosa Luxemburg du bâtiment du journal Vorwärts, Lindenstrasse,  vers Sudende. Nous nous sentions très mal. La guere était là et le prolétariat ne bougeait pas." Pour nos vsiiteurs qui lisent l'allemand, ce texte d'Eberlein, un proche de Rosa Luxemburg, témoigne de ses réactions en ces premiers jours de guerre et de trahison des partis de l'Internationale.

 

eberlein-hugo

 


Bericht von Eberlein über die Tage des Kriegsausbruchs 1914. raumgegenzement.blogsport.de

voir aussi  www.rosalux.de

 

Am 3. August 1914 ging ich nachts mit Rosa Luxemburg vom „Vorwärts“-Gebaude in der Lindenstrase nach Sudende. Unsere Stimmung war sehr gedruckt. Der Krieg war da, das Proletariat rührte sich nicht.


Wir kamen aus der Vorstandssitzung des sozialdemokratischen Wahlvereins für Teltow-Beeskow-Storkow-Charlottenburg. Auf der Tagesordnung der Sitzung stand: Instruktion für die Parteigenossen über das Verhalten der Partei zum Krieg. Vom Vorsitzenden horten wir nur leere Redensarten. Zubeil, der Reichstagsabgeordnete unseres Kreises, sollte uns Aufklarung geben über das Verhalten der Fraktion zur Bewilligung der Kriegskredite. Die Frage stand am anderen Tag auf der Tagesordnung des Reichstags. Zubeil versteckte sich hinter einem Schweigegebot der Fraktion. Er benahm sich aber so jämmerlich hilflos, das Rosa auf dem Heimweg erklärte: „Wir haben das Schlimmste zu befurchten.“ Und doch wollte an eine Bewilligung der Kriegskredite durch die sozialdemokratische Fraktion niemand von uns denken.


Zwölf Stunden später hatte die S.P.D. die Kriegskredite bewilligt! Ich eilte vom Betrieb zur Genossin Rosa. Sie lag auf dem Diwan und weinte. „Ich werde mir eine Kugel durch den Kopf schießen, das wird der beste Protest gegen den Verrat der Partei sein und wird die Arbeitermassen vielleicht doch noch zur Besinnung bringen.“


Ich riet ihr natürlich von diesem Schritt ab. Wir sprachen dann über unsere Stellung zur Frage, ob wir austreten sollten aus der Partei oder öffentlich gegen den Beschluss der Partei protestieren usw., kamen aber doch zu keinem Resultat. Immer kam sie auf ihre Selbstmordgedanken zurück.


Noch am Abend ging ich zu Franz Mehring, der vor Wut über den Verrat der Partei im Zimmer auf- und abrannte. Ich bat ihn, zu Rosa zu gehen und sie von ihrem Vorhaben abzubringen.


Andern Tags gingen über hundert Telegramme ins Land an alle, von denen wir glaubten, das sie den Verrat der S.P.D. nicht mitmachen wurden. Nur wenige Antworten gingen ein. Clara Zetkin war eine der ersten, die antwortete. Die wenigen anderen, die noch antworteten, telegrafierten die dümmsten Ausreden. Der eine war krank, dem anderen war die Frau erkrankt, der dritte hatte keine Zeit zum Reisen usw. Der Kriegskoller hatte sie alle gepackt.


So sammelten sich in den ersten Tagen sieben Mann, um zu beraten, was gegen den schmählichen Verrat der S.P.D. getan werden könne. Der erste Aufruf an das internationale Proletariat von Rosa Luxemburg, Franz Mehring und Clara Zetkin ging in die Welt.


Bericht von Eberlein über die illegale Arbeit des Spartakusbundes 1914-1918

 
Am 2. August wurde der Krieg proklamiert. Am 4. August stimmte im Reichstag die sozialdemokratische Fraktion für die Kriegskredite und besiegelte damit den Bankrott der Sozialdemokratie.


Anderen Tags saßen sieben Genossen, darunter Rosa Luxemburg und Franz Mehring, in der Wohnung Rosa Luxemburgs, da draußen in der kleinen idyllischen Villenkolonie Südende, und beratschlagten, was in dieser grausigen Situation zu tun sei. Nachdem das erste Entsetzen über den furchtbaren Verrat der sozialdemokratischen Reichstagsfraktion überwunden war, wurde beschlossen, trotz des Verrats der Sozialdemokratie den Kampf gegen den Krieg zu organisieren und die zu sammeln, die mit uns bereit waren, diesen Kampf zu fuhren. Hunderte von Telegrammen gingen ins Land an alle, von denen wir glaubten, das sie mit uns einig gingen, von denen wir annahmen, das sie bereit waren, mitten im Kriegschaos, mitten im patriotischen Taumel der Massen und trotz des Verrats der Sozialdemokratie mit uns die Fahne des revolutionären Sozialismus aufzupflanzen, den Kampf gegen den Krieg mit uns zu fuhren. Sie haben alle versagt. Clara Zetkin war die einzige, deren zustimmende Antwort schon anderen Tags eintraf.


Die erste Proklamation ging in die Welt, unterschrieben von den besten Namen der Internationale, Rosa Luxemburg, Franz Mehring und Clara Zetkin.


Zwei Tage später tauchten die ersten dunklen Gestalten in den stillen Straßen der kleinen Villenkolonie Südende auf, allmählich wurde die ganze Meute der Kriminalpolizei auf uns losgelassen.


Die Tage der illegalen Arbeit begannen, sie begannen für mich zum ersten Mal.

Partager cet article
Repost0
5 août 2014 2 05 /08 /août /2014 11:10

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

Lettre à Kostja Zetkin

Berlin Südende, 2 août 1914.

 

Niuniusch, j'ai reçu tes deux lettres. J'aimerais tant être auprès de toi, être avec vous, parler de tout avec toi et prendre conseil. Mais comment pourrais-je partir, alors qu'il y a tant à faire ici et que doit être tenté tout ce qui est humainement possible. Je dois rester ici jusqu'à ce que rester devienne impossible. Du reste, je viendrais volontiers chez vous quand il n'y aura plus rien à se mettre sous la dent ici et cela ne devrait pas tarder. Pour l'instant, j'essaie de faire, et avant tout de sauver ce qui est possible.

 

Ce soir, Hannes [Diefenbach] est venu prendre congé avec Maxim [Zetkin]. Cela m'a fait mal de voir H[annes]. C'était comme un homme qui marche vers la guillotine, il m'a dit au revoir pour toujours et il était terrible à voir. Il a négligé de s'inscrire comme médecin et il part donc comme adjudant en second. M[axim] n'a pas encore reçu son ordre de mobilisation. [Rosenfeld] part mercredi à 3 heures et demie du matin. Dans la rue, on ne voit plus que des réservistes qui se hâtent avec une petite valise à la main et une foule de femmes et d'enfants qui restent dehors jusque tard dans la nuit. Le monde est devenu fou. Tu es vraiment un grand enfant, tu m'as bien fait rire quand tu m'as parlé de "sortir" du parti, est-ce que par hasard, tu voudrais "sortir" de l'humanité. Face à des phénomènes historiques de cette ampleur, la colère disparaît, il ne reste de place que pour une réflexion froide et une action obstinée. Dans quelques mois, le vent tournera. Reste comme moi gai et plein d'entrain.

 

N.

 

Ecris pour moi à notre amie paysagiste. Au fait, elle a de nouveau peint un magnifique petit tableau.

 

Traduction c.a.r.l. le 2 août 2014

Lettre publiée dans les Gesammelte Werke, Dietz Verlag, éditions 1984, P 7 et 8

Partager cet article
Repost0
4 août 2014 1 04 /08 /août /2014 16:42

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

Télégramme adressé à Kostja Zetkin

 

Berlin - Südende

1er août 1914

 

Bien des choses. Suis profondément ébranlée. Viens de rentrer à la maison. Lettre suit.

 

Rosa

 

(Ce télégramme a été adressé à Kostja Zetkin par Rosa Luxemburg. Elle revenait de la réunion du Bureau de l'Internationale socialiste qui s'était tenu les 29 et 30 juillet 1914 à Bruxelles. Le 1er août, Guillaume II avait décrété la mobilisation de l'armée et de la flotte et déclaré la guerre à la Russie.)

Partager cet article
Repost0
2 août 2014 6 02 /08 /août /2014 09:49

  comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com


Et à présent écris-moi sur un autre ton, un ton alerte et énergique - malgré tout !

 

 

A Paul Levi

Berlin-Südende

Le 31 juillet 1914

Vendredi



Il est sept heures du soir, je viens tout juste de rentrer de Bruxelles, j'ai trouvé ta lettre et t'ai télégraphié. Pauvre chéri, ne sois pas donc pas aussi désespéré. Actuellement, nous avons besoin de garder la tête froide et de faire preuve de courage en agissant. Si je ne t'ai pas écrit, c'est que depuis deux semaines, je vis comme dans un moulin. A peine rentrée de Bruxelles, j'ai été assiégée par des Russes et des Polonais. Après quoi j'ai reçu un télégramme m'informant qu'une nouvelle réunion avait lieu à Bruxelles, mercredi matin. Il m'a fallu donc repartir mardi matin.


A Bruxelles, je n'ai naturellement pas eu une minute à moi et je ne rentre qu'aujourd'hui. Le Congrès de Paris n'aura sans doute pas lieu, car la guerre est imminente. Sur Bruxelles et le reste, il y aurait beaucoup à dire, mais les temps que nous vivons ne se prêtent guère à une relation écrite. L'essentiel est de réfléchir à ce que, de notre côté, nous allons pouvoir faire et comment. Si l'on pouvait en discuter, ce serait mieux.


Ah oui, à propos! En arrivant, j'ai trouvé ici - devine quoi? - la plainte au sujet de la grève de masse. Et ils sont très pressés. Manifestement, par sollicitude pour ma personne, on veut, par ces temps troublés, me mettre sous les verrous le plus tôt possible. Sont accusés avec moi Rosenfeld, Ledebourg et Düwell. Ca m'amuse. Rosenfeld est déjà ici, mais je ne lui ai pas encore parlé (au téléphone, je veux dire).


Au reste, dernière nouveauté je possède un téléphone tout à fait personnel : bureau Südring 1153. Tu vois! Tu pourrais peut-être tenter de me joindre. J'ai de nouveau oublié ton numéro. Et à présent écris-moi sur un autre ton, un ton alerte et énergique - malgré tout !


Publié le 23.11.2008

Traduction c.a.r.l.

(Rosa Luxemburg, épistolière - Gilbert Badia - Editions de l'Atelier - 1995)

Partager cet article
Repost0
2 août 2014 6 02 /08 /août /2014 09:07

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

tardi4

Tardi

 

A lire et à discuter : Causes de la Première Guerre Mondiale : capitalisme, nationalisme et responsabilité des Etats. samedi 2 août 2014. Source : Jacques Serieys Sélection 3

 

 

Plan :


1) Boucherie !

2) Dire la souffrance mais aussi comprendre l’histoire

3) Comment expliquer une telle inhumanité ?

4) Le choc des impérialismes

5) Antagonismes et buts de guerre des belligérants

6) Le choc des nations et des nationalismes

7) La responsabilité des différents Etats dans le déclenchement de la guerre : exemple de l’Autriche-Hongrie

Conclusion


28 juillet 1914 L’Autriche Hongrie déclare la guerre à la Serbie et commence à l’envahir. La Russie, alliée des Serbes, débute la mobilisation de ses forces. 1er août 1914 L’Allemagne, alliée de l’Autriche, déclare la guerre à la Russie. La France, alliée de la Russie, décrète la mobilisation générale. 3 août : L’Allemagne déclare la guerre à la France et l’attaque...

Il est indispensable d’analyser les causes de cette 1ère guerre mondiale tant elle va influer sur le cours de l’histoire mondiale.


1) Boucherie !


Le mot n’est pas trop fort. Des millions d’Européens peuvent encore témoigner des récits de leurs pères et grands pères, voisins, amis.


Sur le déroulement de la guerre vécue par les poilus, je ne dirai rien de plus que la lettre d’Henri Barbusse, en date du 15 octobre 1915 :


- " Le ravin et les talus qui s’étendent sur plusieurs kilomètres ne sont plus qu’une vaste nécropole. Partout, des cadavres momifiés, squelettiques, réduits à l’état de petits tas mêlés de boue rougeâtre... parfois un pied ou bien un morceau d’étoffe émergent çà et là et indiquent un cadavre. Il y en a des quantités formidables... On voit une face à la Ramsès qui émerge d’un sac haché, recroquevillé dessous, des tibias, des fémurs, des os des mains ou des pieds serrés comme des osselets... Ce ne sont plus des cadavres mais des amas d’ordures désséchés... affreusement mutilés, la figure gonflée, noire comme une tête de nègre, la chair tuméfiée pleine d’insectes et de vers ramassés en tas..." Les récits allemands, russes, anglais, autrichiens... sont identiques.


La guerre s’éternisant, des armes de plus en plus destructrices sont utilisées. Tel est le cas des nuages de gaz :


" Avec la vague, la mort nous a enveloppés, elle a imprégné nos vêtements et nos couvertures, elle a tué autour de nous tout ce qui vivait, tout ce qui respirait. Les petits oiseuax sont tombés dans les boyaux de tranchée, les chats et les chiens, nos compagnons d’infortune, se sont étendus à nos pieds et ne se sont plus réveillés. Nous avions tout vu : les mines, les obus, les lacrymogènes, le bouleversement des bois, les noirs déchirements des mines tombant par quatre, les blessures les plus affreuses et les avalanches de fer les plus meurtrières, mais tout cela n’est pas comparable à ce brouillard qui, pendant des heures longues comme des siècles, a voilé à nos yeux l’éclat du soleil, la lumière du jour, la blanche pureté de la neige" (Le Filon, 20 mars 1917).


2) Dire la souffrance mais aussi comprendre l’histoire


Durant une grande partie du 20ème siècle, la majorité des publications concernant la guerre de 14 étaient des "livres de guerre". Aussi, ils insistaient par exemple sur le Plan Schlieffen, la prise des forts de Liège, la bataille de l’Ourcq et les marais de Saint- Gond, la course à la mer, la Somme, Verdun, Craonne, Joffre et French, Foch et Pétain... Ils participaient d’ une vision militariste, nationaliste et impérialiste de l’histoire.


Depuis une vingtaine d’années, ce sont plutôt les témoignages qui sont mis en avant, témoignage de la souffrance, du froid, des mauvaises conditions sanitaires, de l’inhumanité de la guerre de tranchées... Cette approche rappelle la forme donnée au "devoir de mémoire" concernant le nazisme et la Seconde guerre mondiale. Cela participe d’une vision plus humaniste mais essentiellement moralisante de l’histoire, ne donnant pas une priorité à l’ analyse du contexte, des causes et des conséquences.


La prise en compte de la façon dont des humains eux-mêmes ont vécu l’histoire est évidemment un élément central dans le croisement des sources pour approcher au mieux la connaissance d’une époque. Mais cela ne doit pas aller jusqu’à déshistoriciser l’histoire.


La description des sacrifices par une exposition chaque automne dans chaque préfecture, par un grand film chaque année ( La chambre des officiers, Joyeux Noël...) ne remplace pas une question :


- Pourquoi ? Quelles sont les causes de telles boucheries ?


3) Comment expliquer une telle inhumanité ?


a) La nature humaine ?


" Le fait est que les hommes dans leur grande majorité sont prêts à considérer, du moins en certaines circonstances, que le recours aux armes est une démarche légitime. Ce peut être le désir d’enrichir sa communauté et d’exalter son amour-propre... Ces considérations nous rappellent que la guerre est dans la nature humaine" (Robin Prior et Trevor Wilson ; Atlas des guerres ; La Première Guerre mondiale). Je comprends qu’un professeur d’Académie militaire fasse de la guerre une essence de la nature humaine. Mais, est-ce qu’en 1914 "les hommes dans leur grande majorité" ont fait délibérément le choix de la guerre ? Ayant beaucoup vécu enfant dans le monde des anciens combattants de 14, je suis en accord avec le récit de mon père ( Le chant des rivières) : " Le 1er août 1914, jour d’une grande foire à Entraygues, le tocsin sonna à trois heures de l’après-midi. Dès les premiers sons de cloche tout le monde comprit. Madame Marc passait en ce moment sur le trottoir où ma mère tenait une mercerie. Cette pauvre femme tomba évanouie. Pressentiment...? Peut-être. Son mari ne revint jamais... Cinq minutes après, le champ de foire était vide. Le silence, plus un bruit dans les cabarets... A la campagne, surpris à l’époque des grands travaux, les gens restaient comme assommés. Ce n’est que dans les casernes..."


b) L’engrenage des alliances ?


Ce fait-là, souvent mise en avant dans les manuels scolaires, ne constitue pas vraiment une cause. Depuis 1880, chaque "Etat" :


- avait choisi une alliance en fonction de ses intérêts ;

- avait maintenu ou pas cette alliance fonction de ses intérêts ( la diplomatie anglaise est essentiellement dirigée contre la France dans les années 1890 avant de s’allier à elle)

- a fait jouer ou pas ses alliances en 1914, fonction de ses intérêts ( l’Italie, alliée de l’Allemagne et de l’Autriche Hongrie jusqu’en 1914 n’entre pas en guerre avec elles puis s’allie à la France et à la Grande Bretagne).


De plus, même si ces alliances ont joué un rôle, reste à expliquer le pourquoi de celles-ci. De plus, des personnalités, des gouvernements ont concrètement pesé en faveur de la guerre et de l’engrenage des alliances. Ainsi, le 20 mai 1914, le chef d’état-major général allemand Moltke demande à la Wilhemstrasse de faire des préparatifs politico-militaires en vue d’une guerre préventive contre la Russie et la France. Ainsi, l’état-major autrichien voulait la guerre. Ainsi, le président de la République française Raymond Poincaré a pesé en faveur de la guerre au moment décisif fin juillet.


c) Un hasard malencontreux ?


Quiconque parcourt les ouvrages spécialisés récents peut constater la vogue d’une méthode importée des Etats Unis pour qui l’histoire et même ses conflits majeurs naissent essentiellement de la conjonction accidentelle d’évènements fortuits. A.J.P. Taylor en est l’exemple type lorsqu’il explique la Guerre de 14-18 comme l’aboutissement d’une succession de facteurs secondaires : hasards, incidents, manoeuvres diplomatiques manquées, déclaration de guerre visant plus à à intimider qu’à provoquer le conflit, plans de mobilisation soumis aux horaires de chemin de fer" pris pour une attaque en règle... De telles "explications" nécessitent d’empiler des centaines de pages de faits décousus pour ne donner, en fin de compte, aucune cohérence causale.


La méthode "américaine" non causaliste, pèse parmi les historiens français des 20 dernières années :


- "Plus un évènement est lourd de conséquences, moins il est possible de le penser du point de vue de ses causes" ( François Furet)

- " La question des causes de la guerre de 1914 est d’une extrême complexité et, dans une large mesure, il reste une part de mystère dans la manière dont les puissances européennes se sont laissées glisser vers la catastrophe" ( Stéphane Audouin et Annette Becker dans " La Grande guerre" chez Gallimard).



d) L’attentat de Sarajevo


Le type d’"explications" ci-dessus domine aujourd’hui dans les manuels scolaires ; aussi, l’assassinat de l’archiduc héritier d’Autriche a bon dos. Comme si un évènement mineur pouvait déclencher une guerre mondiale sans raisons plus profondes. D’ailleurs, plusieurs personnalités politiques autrichiennes avaient expliqué dès 1919 comment cet assassinat avait été un prétexte.


e) Le choix de la guerre par des régimes autocratiques confrontés aux mouvements sociaux et démocratiques

Ce choix d’une "bonne guerre" pour rassembler la "nation" autour de son "sauveur" ne fait pas de doute pour de nombreuses personnalités proches du pouvoir à Vienne et à Moscou en particulier. La Russie par exemple est secouée en juin et juillet 1914 par des grèves générales massives, y compris dans la capitale Saint Pétersbourg.


f) Comprendre le contexte socio-historique pour mieux cerner les causes de la guerre


Quelles sont les caractéristiques principales de la période 1900-1914 ?


- phase de développement économique très rapide alors que les institutions politiques, certaines encore empreintes de vestiges du mode de production féodal, ne s’adaptent pas aussi vite.


- phase de formation de nations. Les classes sociales favorisées détournent le mécontentement des couches populaires par l’exaspération du nationalisme. Dans ce processus apparaissent les courants militaristes préfascistes en Allemagne, Italie, France, Autriche... dont l’audience est réelle dans les milieux militaires par exemple.

- expansion impérialiste des nations capitalistes fondée sur la conquête coloniale de territoires, sur un rapport de force militaire, commercial et financier permanent pour gagner marchés et matières premières. " De nouvelles causes de conflit surgissent à chaque instant. Il s’élève des problèmes insolubles autant qu’il passe de jours ; une solution ici fait une crise ailleurs ; on ne dénoue qu’en nouant, comme dans la ficelle embrouillée" (Alain en 1913).


Ces grandes caractéristiques donnent-elles une grille de compréhension des causes profondes de la guerre ? A mon avis, oui.


4) Le choc des impérialismes


Les dirigeants socialistes ont tous insisté sur la responsabilité des antagonismes impérialistes dans l’engrenage qui va mener au déclenchement de la guerre " Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée l’orage" (Jean Jaurès).


En 1968, mon manuel d’histoire des classes terminales (dont l’auteur Carbonell se positionnait politiquement à droite) commençait par les raisons économiques le chapitre sur "les causes et responsabilités" : "Dans un monde où les jeunes nations industrielles, Etats Unis, Allemagne, Japon, se multiplient et où il ne reste guère de possibilités pour l’expansion coloniale, de sourdes luttes économiques opposent les grandes puissances au début du 20ème siècle. La lutte pour la conquête des marchés se transpose sur le plan politique. Ainsi, l’Allemagne chasse l’Angleterre du marché balkanique et de celui du Moyen Orient où l’or noir commence à couler..."


La "Belle époque" est marquée par un développement extrêmement rapide de l’économie capitaliste qui envahit peu à peu toutes les terres de la planète par la colonisation.


Le Royaume-Uni possède d’immenses colonies (Inde, Afrique de l’Est...), de puissants dominions ( Canada, Nouvelle Zélande, Australie, Afrique du Sud) et de nombreux points commerciaux ( Singapour, Gibraltar, Canal de Suez, Hong Kong...). L’Empire colonial français s’étend principalement sur une grande partie de l’Afrique.

L’Allemagne s’est constituée en nation de façon récente ; aussi, ses colonies sont moindres ( Cameroun, Namibie, Tanzanie, Togo, îles du Pacifique). Cependant, le développement de sa puissance industrielle, financière, commerciale, militaire devient de plus en plus contradictoire avec les intérêts de la France, de la Grande Bretagne et de la Russie (Balkans). Même les Etats Unis sont en opposition avec l’Allemagne dans leur "pré carré" d’Amérique du Sud.


Le romancier Stefan Zweig, né en 1881, a bien décrit le contexte économique et social de l’époque :


"L’essor avait peut-être été trop rapide. Les Etats, les villes avaient acquis trop vite leur puissance et le sentiment de leur force incite toujours les hommes comme les Etats à en user ou en abuser. La France regorgeait de richesses. Mais elle voulait davantage encore, elle voulait encore une colonie bien qu’elle n’eût pas assez d’hommes, et de loin pour peupler les anciennes. Pour le Maroc, on faillit en venir à la guerre. L’Italie voulait la Cyrénaïque, l’Autriche annexait la Bosnie. La Serbie et la Bulgarie se lançaient contre la Turquie...


La volonté de consolidation intérieure commençait partout, en même temps, comme s’il s’agissait d’une infection bacillaire à se transformer en désir d’expansion. Les industriels français, qui gagnaient gros, menaient une campagne de haine contre les Allemands qui s’engraissaient de leur côté parce que les uns et les autres voulaient livrer plus de canons... Les compagnies de navigation hambourgeoises, avec leurs dividendes formidables, travaillaient contre celles de Southampton, les paysans hongrois contre les Serbes, les grands trusts les uns contre les autres ; la conjoncture les avait tous rendu enragés de gagner toujours plus dans leur concurrence sauvage".


5) Antagonismes et buts de guerre des belligérants


Le rôle des antagonismes entre nations européennes dans le déclenchement de la guerre est évident, antagonismes économico-financiers mais aussi géo-politiques. " Si l’orage surgit tout à coup, en juillet 1914, c’est que... les crises s’y succèdent depuis le début du siècle, de plus en plus violentes et rapprochées : dans les Balkans, les Russes ne veulent pas laisser les Autrichiens accéder à la Méditerranée en débouchant sur Salonique. Allemands et Autrichiens ne veulent pas davantage que les Russes pèsent sur les Détroits en dépeçant l’Empire turc malade. Les Anglais voient d’un mauvais oeil les Allemands prendre pied en Turquie..."

C’est sans doute en pointant les buts de guerre des belligérants que l’on comprend le mieux les antagonismes entre les impérialismes européens en 1914. Rappelons que plusieurs tentatives de médiation ont été faites, en particulier en 1916, et qu’elles ont achoppé sur ces antagonismes.


La France a communiqué ses objectifs à son allié russe : récupération de l’Alsace-Lorraine, annexion de la Sarre allemande ( mines de charbon, sidérurgie) convoitée par les maîtres des forges, création d’un Etat tampon sur la rive gauche du Rhin pour soustraire la Ruhr industrielle au capitalisme allemand. De plus, la France convoite des colonies allemandes et attise depuis longtemps les revendications identitaires des "nationalités" de l’Empire austro-hongrois ; ce dernier choix implique un soutien indéfectible de la France au nationalisme serbe.


L’Allemagne a annexé l’Alsace et la Lorraine en 1871, source d’une guerre à venir contre la France, a bien analysé Marx immédiatement. Elle veut vassaliser la Belgique ; la France et la Grande Bretagne ne peuvent l’accepter. Dans les Balkans, Serbie et Bulgarie sont en guerre en 1913, la première soutenue par la France, la Russie et la Grande Bretagne, la seconde par l’Autriche et l’Allemagne.


La Grande Bretagne pousse à l’éclatement de l’Empire ottoman en soutenant le nationalisme arabe et le sionisme. Pour se protéger, les Turcs s’allient à l’Autriche et à l’Allemagne.


Même sur les océans, l’antagonisme est réel. La Grande Bretagne vit dans le mythe exalté de l’île indomptable protégée par une marine maîtresse du monde. Le développement rapide de la flotte et du commerce allemands l’inquiètent. Aussi, lorsque le président américain Wilson demande à Londres ses buts de guerre, le désarmement de la marine de guerre allemande constitue un objectif primordial.


On pourrait faire le même type de remarque sur l’antagonisme des belligérants en ce qui concerne le Détroit des Dardanelles, le Caucase ou l’or d’Afrique du Sud.


On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels (Anatole France)


Dans sa thèse de doctorat, Félix Kreissler résume bien la question « S’il est vrai que l’empereur allemand, sous l’influence des généraux, des banquiers et des industriels qui voulaient conquérir de nouveaux marchés portent une responsabilité particulièrement grave, s’il est vrai que l’attitude arrogante de l’Autriche-Hongrie dans l’affaire de l’ultimatum à la Serbie a accéléré la déflagration, on ne peut en aucun cas dire que ces puissances centrales supportèrent à elles seules la responsabilité de la guerre... »


6) Le choc des nations et des nationalismes


La création des nations est un phénomène récent en 1914. Il est évidemment le produit du développement des économies nationales abordées ci-dessus et de l’aspiration des peuples à la constitution d’identités politiques dans lesquelles ils puissent améliorer leur sort.


La Russie, l’Autriche Hongrie et l’Etat ottoman sont des empires multiethniques sinon multinationaux avec une classe politique dirigeante présentant encore des aspects féodaux en 1914.


L’Allemagne a mené trois guerres successives avant de créer son empire en 1871. Comme dans les trois pays ci-dessus, le poids politique de l’armée et de l’orgueilleuse noblesse est très important. L’influence de courants nationalistes préfascistes ne doit pas être négligé. Voici par exemple une citation d’Ernst Hasse, président de la Ligue pangermaniste en 1905 : " L’égoisme sain de la race nous commande de planter nos poteaux frontières dans le territoire étranger, comme nous l’avons fait à Metz, plutôt... Ces terres coloniales de l’avenir se composent ... des vastes territoires occupés par les Polonais, les Tchèques, les Magyars, les Slovaques, les Slovènes, les Ladins, les Rhétiens, les Wallons, les Lituaniens, les Estoniens et les Finlandais. Tant que les territoires de ces petits peuples, mal faits pour créer des Etats nationaux, n’auront pas été répartis entre les grands Etats de l’Europe centrale, l’Europe ne pourra jamais avoir, n’aura jamais la paix. Cette répartition coûtera naturellement de dures guerres".


La Serbie, indépendante depuis 1878, a mené ensuite guerre sur guerre pour s’agrandir ; elle va jouer un rôle clef en 1914. L’étude de ce pays est intéressante car on suit très bien les objectifs de la bourgeoisie serbe, dans la constitution d’un marché spécifique, d’un Etat indépendant, d’une vision mythique et mystificatrice de "la" nation historique serbe.


Le royaume d’Italie se fonde en 1861. Une vision mythique et mystificatrice de la nation italienne a-t-elle été développée comme en Serbie ? Bien sûr. Voici par exemple un texte de Mazzini, extrait de République et royauté en Italie :


" L’indépendance, c’est à dire la destruction des obstacles intérieurs et extérieurs qui s’opposent à la constitution de la vie nationale, doit donc s’obtenir non seulement pour le peuple, mais par le peuple. La guerre par tous, la victoire pour tous...

" Créer : créer un peuple ! Il est temps, ô jeunes gens, de comprendre combien est grande, religieuse et sainte l’oeuvre que Dieu vous confie. Elle ne saurait s’accomplir... que par l’exemple vivant donné aux multitudes d’une vertu austère, par les sueurs de l’âme et les sacrifices du sang... par l’audace de la foi, par cet enthousiasme solennel, indomptable, inaltérable qui remplit le coeur de l’homme lorsqu’il ne reconnaît pour maître que Dieu..., pour unique but l’avenir de l’Italie".


La France développe aussi le sentiment national de 1870 à 1914 sur des mythes historiques ( Vercingétorix, Clovis, Jeanne d’Arc...) et des références souvent "spirituelles", xénophobes (pour la droite). Tel est le cas par exemple lors de la célèbre conférence d’Ernest Renan le 11 mars 1882 : "La nation comme l’individu, est l’aboutissement d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont fait ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j’entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale..." Entre cette conception de la nation et la conception allemande fondée sur le sang, il n’y a pas grande différence.


Pour terminer ce rapide tour d’horizon des nations et des nationalismes avant 1914, voici ce qu’écrivait l’historien suédois Harold Hjarne dans le journal Svenska Dagblade le 31 décembre 1899 : " En ces dernières heures du siècle, je voudrais méditer sur l’une des forces qui ont été à la fois les plus créatrices et les plus dissolvantes ... le nationalisme... Certes, les tendances nationales ont aussi servi la culture... Mais ces avantages pèsent moins lourds que les inconvénients qui en ont résulté et qui ont fait du nationalisme le facteur politique dominant. La haine de tout ce qui est étranger... transforme rapidement le sentiment national en un instinct qui échappe au contrôle de la raison... Le nationalisme, en se combinant avec d’autres forces, nous conduit irrésistiblement vers de nouvelles catastrophes.


7) La responsabilité des différents Etats dans le déclenchement de la guerre : exemple de l’Autriche-Hongrie


Dans tout travail historique, il faut éviter une démarche déterministe du type "ça ne pouvait se passer que comme ça". Ainsi, l’étude des responsabilités immédiates dans le déclenchement de la guerre montre le rôle plus important des "Empires" que des puissances capitalistes. Ecrire cela n’invalide pas les analyses précédentes mais les affine ; des pouvoirs politiques "impériaux" comme l’Autriche-Hongrie, la Russie et la Turquie étaient dépassés et menacés par les conséquences du développement capitaliste et par les revendications démocratiques ainsi générées.


Les Etats-Unis, déjà principale puissance capitaliste mondiale, ont essayé en 1914 d’éviter la guerre puis en 1916 de l’arrêter. Des historiens se sont penchés dans le détail sur le courrier et les démarches diplomatiques des heures ayant précédé la guerre ; ils en ont conclu que la Grande Bretagne avait essayé d’éviter l’engrenage guerrier. La preuve la plus évidente en est l’état d’impréparation militaire de ce pays : au début de la guerre, elle n’a de réserves ni en soldats, ni en uniformes, munitions, fusils, artillerie... Ces deux pays ne s’étaient pas préparés à une telle guerre ; c’est là une évidence.


Parmi les grandes puissances, l’Autriche Hongrie, moins impérialiste et plus marquée par l’héritage féodal, porte une lourde responsabilité. Pour des historiens comme Keith Wilson et Samuel Williamson, le gouvernement et l’état-major austro-hongrois "ont voulu la guerre, ont cherché le soutien allemand et ont su l’exploiter... Le comte Berchtold, ministre des affaires étrangères, a été le principal acteur de la crise de juillet 1914, en a fixé le rythme et a empêché toute solution diplomatique". En Autriche Hongrie comme dans tous les pays, la caste noble pèse lourd dans la folie guerrière ; le chef d’état-major Conrad Von Hoetzendorf s’en tient durant cette période critique à un mot d’ordre sans nuance : "la guerre, la guerre, la guerre".


Le 30 juin 1914, le comte Berchtold rencontre l’empereur et Conrad Von Hoetzendorf ; tous trois s’entendent pour utiliser l’assassinat de l’archiduc comme prétexte afin d’"éliminer la Serbie comme puissance politique" et rétablir ainsi la puissance austro-hongroise sur la scène européenne.


La Commission d’enquête autrichienne sur l’attentat de Sarajevo conclut le 13 juillet ne pas pouvoir prouver l’implication du gouvernement serbe. Pourtant le 19, le Conseil impérial envoie un ultimatum inacceptable à la Serbie. La Serbie faisant preuve de bonne volonté, de nouveaux prétextes sont inventés. Le 28 juillet, l’empereur François Joseph déclare la guerre à la Serbie, adressant à Berchtold cette déclaration cornélienne " Si la monarchie doit périr, elle doit au moins périr dignement".


En 1919, le comte Von Werburg, diplomate proche de Berchtold en 1914, livrait cette analyse :" C’est nous qui avons commencé la guerre, pas les Allemands et encore moins l’Entente ( France, Russie, Grande Bretagne) ; cela, je le sais".


Un excellent livre de Léon Schirmann paru en 2003 aux Editions italiques montre que le gouvernement russe a eu globalement la même attitude "va-t-en guerre". Les castes nobles et féodalo-bourgeoises d’Autriche Hongrie, Russie, Turquie... Prusse, France... constatent chaque jour un peu plus que leur monde s’effondre ébranlé par le nouveau pouvoir de l’argent, par les revendications démocratiques, par les luttes sociales, par les minorités culturelles et nationales... La guerre leur paraît l’ultime solution pour éviter l’inéluctable disparition de leur pouvoir. C’est sans doute le vieux Von Moltke qui a le mieux résumé cette exaspération " La guerre et qu’on en finisse".

 

Pour conclure


L’analyse des causes de la guerre touche à trois sujets que j’ai préféré ne pas aborder ici :


- La faiblesse du mouvement ouvrier et socialiste pour conjurer la catastrophe

- le poids des courants nationalistes préfascistes et traditionnalistes dans la presse, l’armée, les corps de l’Etat.

- le rôle social et les ressorts psychologiques du militarisme.


Jacques Serieys

Partager cet article
Repost0
1 août 2014 5 01 /08 /août /2014 19:52

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

A lire et à discuter

1914, le naufrage de l’internationalisme

paru dans CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014), rubrique , par Mathieu Léonard. mis en ligne le 31/07/2014 

 

On commémore le centenaire de la mort de Jaurès. Une occasion pour les politiciens de tout bord de cannibaliser la mémoire du tribun du Tarn. Comparés à cet « athlète de l’idée », on se dit alors que Valls – qui s’inspire plus volontiers du briseur de grève Clemenceau –, ou Sarkozy qui se sentait l’« héritier de Jaurès » en 2007, ou encore Marine Le Pen, qui ose affirmer que « Jaurès aurait voté Front national », font figures de cloportes de la gamelle. Pourtant, la récupération de Jaurès n’est pas chose nouvelle : dès le 1er août 1914, au lendemain de son assassinat par un puceau nationaliste dénommé Villain, Jaurès faisait l’unanimité autour de son cadavre. Tandis que L’Humanité célébrait le « martyr sublime de la paix », Le Temps ne faisait aucun doute sur le fait que « son éloquence allait devenir instrument de défense nationale » et qu’il allait incarner « le clairon de la patrie ». Le communiqué de la présidence du conseil saluait même « celui qui a soutenu de son autorité l’action patriotique du gouvernement ».


Jaurès a eu le mérite et l’ultime avantage de mourir pacifiste, à la veille de la mobilisation générale et cinq jours avant le vote par les députés socialistes des crédits de guerre.


Qu’aurait fait Jaurès lui-même ? Sans se livrer à un exercice périlleux d’histoire fiction, rappelons que les dix jours d’escalade vers la guerre – du 26 juillet, date de l’ultimatum autrichien, à ce fameux 4 août 1914 –, ont été ceux de tous les revirements.

Plusieurs livres nous éclairent sur ce moment qui solde l’échec du refus de la guerre et le naufrage de l’internationalisme. Jean-Claude Lamoureux nous livre une chronique de ces 10 derniers jours avec un livre au titre éponyme, sous-titré Du refus de la guerre à l’exaltation patriotique [1],où l’on suit de manière très vivante le girouettisme des meneurs syndicaux et socialistes à Paris comme à Berlin. On peut aussi se reporter au classique sur le sujet de l’internationaliste Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la guerre, dont le premier tome, De l’Union sacrée à Zimmerwald [2], paraissait en 1936. Acteur, témoin et historien de la période, Rosmer détaillait de l’intérieur les résistances au raz-de-marée guerrier. Enfin dans un ouvrage à paraître en novembre, coédité par nos amis de Libertalia et de l’Insomniaque, intitulé Trop jeunes pour mourir – Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914) [3], Guillaume Davranche revient sur cette période où l’opposition ouvrière à la guerre est rognée par des renoncements successifs et la montée en puissance du nationalisme.


L’exemple de La Guerre sociale est à ce titre édifiant. Partisan tapageur de l’insurrection et du « drapeau dans le fumier » jusqu’en 1912, Gustave Hervé, le rédacteur du journal, change son fusil d’épaule et devient le « réformiste des réformistes » (Rosmer) puis un ultra-patriote. Son lieutenant, Miguel Almereyda, et père du cinéaste Jean Vigo, jouera un rôle assez trouble à la veille du conflit en négociant avec le président du Conseil, René Viviani, la non-application du carnet B [4] « en échange » du calme des anarchistes individualistes.


Chez les vieux internationalistes, la rancune est tenace. James Guillaume, le vétéran de la Première Internationale, exclu avec Bakounine au congrès de La Haye en 1872, trouve dans la course à la guerre une occasion de vilipender le « socialisme allemand », en rappelant que durant la guerre de 1870, Marx avait soutenu l’Allemagne – en réalité et pour faire court, seulement jusqu’à la chute de Napoléon III – et Bakounine la France, « patrie de la liberté universelle ». Mais la lame de fond cocardière n’épargne pas non plus les vieux socialistes de parti, tel l’ancien blanquiste Édouard Vaillant ou le marxiste Jules Guesde.

 

Chez les syndicalistes révolutionnaires français, les appels à la grève générale révolutionnaire et à la désertion laissent place à l’attentisme puis au renoncement, non sans conflit avec la base. Dans le même temps, leurs homologues allemands du journal Der Pioner, plus conséquents, s’opposent encore à la guerre et dénoncent la trahison de la social-démocratie, ce qui leur vaut d’être pourchassés et interdits.


Pour revenir au cas de l’irréprochable Jaurès, ce dernier annonce la catastrophe le 26 juillet, dans L’Humanité, Jaurès annonce qui verra le continent jeté dans « le plus terrible conflit qu’aient jamais vu les hommes ». Le jeudi 30 juillet, sortant d’une entrevue avec Viviani, il se laisse convaincre que la crise européenne finirait dans les dix jours et persuade à son tour les cégétistes de reporter leur grande mobilisation populaire… On a aussi beaucoup fait de suppositions sur l’article décisif, dénonçant le bellicisme des dirigeants européens, que comptait écrire Jaurès au soir de sa mort… Là encore, les socialistes vraiment exemplaires, comme Rosa Luxemburg ou Karl Liebknecht en Allemagne, furent l’exception. Sans doute, personne ne pouvait prévoir ni la durée ni l’effroyable coût humain de ce conflit entre cousins des grands empires et classes dominantes démocratiques, sauf peut-être à anticiper l’entrée en scène des industriels de la mort dont parlait Anatole France [5]. 1914 restera toutefois un moment emblématique dans la longue tradition de la social-trahison.

ERRATUM

Dans la version papier du CQFD n° 124, j’avais écrit que Jaurès « s’était d’abord opposé au principe de grève générale contre la guerre au sein de l’Internationale ouvrière ». Grossière erreur et impardonnable confusion due à une écriture trop pressée et à la forme trop concise du Vieux dossier. C’est bien Jules Guesde qui s’oppose à la grève générale lors du congrès du Parti socialiste unifié du 14-16 juillet à destination du prochain congrès international (qui n’aura pas le temps de se tenir), tandis que Jaurès, au contraire, pousse à la grève générale contre la guerre et à l’agitation populaire.


Pour autant, il n’est pas faux que les socialistes de parti ont toujours eu les plus grandes réserves vis-à-vis de la grève générale. D’ailleurs, Jaurès lui-même, en 1901, mettait en garde la classe ouvrière contre cette « illusion funeste » et cette « obsession maladive » qui lui ferait prendre « ce qui ne peut être qu’une tactique de désespoir pour une méthode de révolution »(cf. Miguel Chueca, « Introduction à la "Réponse à Jaurès" », revue Agone, 33, 2005). Mais, dès 1907, il est déjà convaincu que les ouvriers seront amenés à « retenir le fusil dont les gouvernements d’aventure auront armé le peuple et de s’en servir, non pas pour aller fusiller de l’autre côté de la frontière des ouvriers, mais pour abattre révolutionnairement le gouvernement de crime ».

Notes

[1Jean-Claude Lamoureux, Les 10 derniers jours, Les nuits rouges, 2013, 152 pages.

[2Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la guerre, De l’Union sacré à Zimmerwald, Librairie du travail,1936.

[3Livre en souscription.

[4Créé par le général Boulanger en 1886, il s’agissait d’un outil de fichage et de surveillance des « suspects au point de vue national » (anarchistes, antimilitaristes, espions étrangers), qui prévoyait leur arrestation immédiate en cas de conflit.

[5« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels ! »

Partager cet article
Repost0
1 août 2014 5 01 /08 /août /2014 16:20

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 


2. Rosa Luxemburg, contre le militarisme, le colonialisme et la guerre 


 

En cette année de commémoration de la boucherie de 1914,

à nous de transmettre la pensée et  l'action de Rosa Luxemburg

 

En Allemagne

En France

 Im Zuge der Mobilisierung wurden 1914 österreich-ungarische Wehrpflichtige an die Front transportiert.

  En Autriche-Hongrie

 

Ordre-de-mobilisation-generale-le-2-aout-1914.JPG

http://lh3.ggpht.com/f68aXx7tBhlRe7GxQO11fHwTML-4sQjRGH00rlFncW_04HGHmC0IUW2WYiKoIA=s526

 

http://belverne.over-blog.com/article-1914-2014-ordre-de-mobilisation-generale-le-2-aout-1914-124224721.html

Partager cet article
Repost0
31 juillet 2014 4 31 /07 /juillet /2014 21:50

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 


Cependant il apparaît aujourd'hui clairement que seule, de fait, une démarche refusant fermement le conflit, appelant au refus de la mobilisation, appelant à la grève aurait pu empêcher le massacre. Jaurès était-il de ceux qui pouvaient lancer un tel appel?

  c.a.r.l. 31.07.2014


 

 

TARDI15

  Tardi


"... et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre".  Dernier article de Jaurès dans la Dépêche…


Jaurès ou ne pas refuser de se poser les bonnes questions ...

 

Les commémorations se multiplient à l'anniversaire de la mort de Jean Jaurès. Elles occultent souvent de fait la résistance à la guerre et se refusent souvent aussi à poser les bonnes questions, celles qui permettraient de donner de "meilleures" réponses aux conflits d'aujourd'hui.

 

Or s'interroger sur Jaurès, c'est se poser la question du mouvement ouvrier et de la guerre et de manière générale du réformisme et de la guerre. Ce n'est pas une question d'hier, c'est toujours la même question qui toujours se repose: comment une grande partie du mouvement ouvrier, en paraissant lutter contre la guerre, finit toujours par la cautionner, se rallier, voire en être l'instrument majeur.


Se poser la question de savoir ce qu'aurait fait Jaurès, c'est au-delà des lieux communs s'interroger sur sa position de fond, son évolution et ses contradictions pour apprendre et comprendre.


Se poser la question de Jaurès et la  guerre, c'est surtout s'élever contre toutes les formes de commémoration qui occultent la condamnation de la guerre, de l'attitude du mouvement ouvrier, qui tait soigneusement l'impasse sur l'action de ceux qui comme Rosa Luxemburg ont refusé la guerre. C'est prendre conscience que Jaurès devient alors une caution pour ceux qui réduisent au silence ceux qui tentent d'informer et de faire prendre conscience.


C'est pour aujourd'hui faire l'impasse sur une réflexion sur ce qui réellement aurait pu empêcher le conflit mondial, l'appel à la grève de masse par exemple, ou qui aujourd'hui pourrait arrêter le massacre continu de la Palestine depuis cinquante ans.


C'est se rendre compte que seule est finalement efficace, une action, une réflexion refusant le nationalisme, comprenant que derrière les conflits, il y a des intérêts de classe et de puissances dominantes, et qui se donne les moyens de décrypter et de combattre ce qui permet l'affrontement des peuples au profit des puissants. Ainsi, on peut faire les constatations suivantes concernant le premier conflit mondial:


L'action de courants comme celui de Rosa Luxemburg a témoigné de sa cohérence tout au long du développement de l'impérialisme. Au contraire: 


Des courants ont été "forts en gueule" mais tout aussi forts en ralliement, les Guesde et Hervé. D'autres constituent un enseignement pour la contradiction fondamentale qu'ils ont révélé entre une action déterminée pendant des décennies et un ralliement brutal. C'est le cas de Vaillant.


Jaurès se trouve dans une autre logique, plus ambigüe, moins de classe que de diplomatie, et cependant plus convaincue des possibilités du prolétariat. Jaurès aura été peut-être celui qui sur la fin de sa vie et de son évolution aura été étrangement le plus proche de Rosa Luxemburg et des courants refusant la guerre mais il aurait peut-être été aussi celui qui s'appuyant sur l'idée de guerre défensive aurait comme Vaillant ou Guesde rejoint l'union sacrée. Ou celui qui aurait du fait de son approche plus diplomatique que de classe, pensé qu'il aurait pu en rentrant dans un ministère peser sur le conflit.

 

Tant de questions et d'importance, auxquelles seule une étude précise orientée vers l'action pratique de Jaurès peut apporter des réponses.


Cependant il apparaît aujourd'hui clairement que seule, de fait, une démarche refusant fermement le conflit, appelant au refus de la mobilisation, appelant à la grève politique de masse aurait pu empêcher le massacre. Jaurès était-il de ceux qui pouvaient lancer un tel appel?


Brel sur la guerre de 14-18 - pourquoi ont-ils tué jaurès

 

Analyse de classe, refus du nationalisme, approche révolutionnaire, trois principes qui fondent la pensée de Rosa Luxemburg contre la guerre…

 

Jolyon Howorth, Edouard Vaillant. "une" analyse de son action contre la guerre. En contre-point à…

 

Eléments d'information et de réflexion au fil du blog


Discours de Bruxelles, 29 juillet 1914, par jean jaurès.

article - 02/06/14 - Discours de Bruxelles, 29 juillet 1914, par Jean Jaurès. - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com Document à lire http://dormirajamais.Org/jaures-1/ …


Jaurès, le 1er mai. "voulant avertir le quatrième etat de leur force, ils l’avertissent surtout de…

article - 25/05/12 - Jaurès, le 1er mai. "Voulant avertir le quatrième Etat de leur force, ils l’avertissent surtout de la sienne …" En contre-point à Rosa Luxemburg - …


“L’armée nouvelle” de Jaurès lu par Rosa Luxemburg

article - 17/06/08 - “L’Armée nouvelle” de Jaurès lu par Rosa Luxemburg - Pour consulter le blog : comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com La réflexion sur le militarisme est intense à…


La loi des trois ans.

article - 29/12/13 - Jean Jaurès à la tribune des orateurs en juin 1913 contre la loi des Trois ans …


1914-1918 - sur le site de l'assemblée nationale.

article - 08/09/13 - grandes séances historiques : - 4 août 1914 (éloge funèbre de Jaurès, message de R. Poincaré, déclaration de R. Viviani) - 23 décembre…


Rosa Luxemburg dans l'ouvrage "le congrès manqué" de Georges Haupt

article - 22/04/11 - prépondérance allemande. Dans son violent réquisitoire au Congrès International d'Amsterdam, Jaurès développa clairement ses griefs devant un auditoire à la fois consterné et ravi: …

  

Jaurès - "en Angleterre" article de la Dépêche - 15 mars 1899. En contre-point à R. Luxemburg

article - 06/05/11 - Jaurès - "En Angleterre" article de la Dépêche - 15 mars 1899. En contre-point à r. Luxemburg - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com Les éditions Privat ont…


Rosa Luxemburg, Jaurès et la chute du cabinet Brisson

article - 24/07/10 - Rosa Luxemburg, Jaurès et La chute du cabinet Brisson - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com Rosa Luxemburg a, à plusieurs reprises, analysé la situation…


Jaurès - "pour la paix". Article du 12 août 1900 sur les événements de chine

 

article - 28/04/14 - Jaurès - "Pour la paix". Article du 12 août 1900 sur les événements de Chine - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com Pour la paix La Dépêche -…


Jaurès - "pour la paix". Article du 12 août 1900 sur les événements de Chine. Eléments pour une…

article - 28/04/14 - Jaurès - "Pour la paix". Article du 12 août 1900 sur les événements de Chine. Eléments pour une approche comparée des analyses de Rosa Luxemburg et Jaurès (1)


Jaurès et la colonisation de la Tripolitaine (Libye) - en contre-point à rosa luxemburg

article - 24/05/13 - Jaurès et la colonisation de la Tripolitaine (Lybie) - En contre-point à Rosa Luxemburg - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com "L'Italie, encouragée par des…


Brochure de 1936. Jean Jaurès et le Maroc. A lire sur le site gallica. 

article - 23/06/13 - Brochure de 1936. Jean Jaurès et le Maroc. A lire sur le site Gallica. En contre-point à Rosa Luxemburg - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com Classiques…


Citations de Jaurès sur le colonialisme

article - 23/03/09 - Citations de Jaurès sur le colonialisme - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com La réflexion sur l'impérialisme intègre étroitement celle sur le colonialisme. Et l'on…


Un article pour comprendre l'attitude de Jaurès face au colonialisme, de l'approbation à la critique

article - 22/08/09 - Un article pour comprendre l'attitude de Jaurès face au colonialisme, de l'approbation à la critique - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com Jean Jaurès Les chemins…

 

Jaurès et la révolution française

article - 29/03/09 - Jaurès et la révolution française - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com Ce texte est repris d'un site : celui de la revue "Annales historiques de la Révolution…


Le socialisme en France - le regard critique de Rosa Luxemburg

article - 13/10/13 - Rosa Luxemburg analyse la guerre de position des ténors du socialisme français, de Jaurès à Guesde et Millerand, autour de la grande affaire qui agite la gauche européenne au…


Jaurès contre Guesde …

article - 21/05/08 - Jaurès contre Guesde … - Pour consulter le blog : comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com Jaurès : la source de mes désaccords avec Jules Guesde (Texte 2) …  


Jaurès - Guesdes . La controverse de lille

article - 05/10/08 - Jaurès - Guesdes . La controverse de Lille - Pour conslter le blog: comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog Sur le site: www.Histoirederoubaix.Com En échos à l'article de Rosa…


Guesde-Jaurès, question de méthode.

article - 06/01/09 - Guesde-Jaurès, question de méthode. - Pour consulter le blog: comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com Sur le blog, nous avons repris les articles que Rosa Luxemburg…


Rosa Luxemburg et la France -

article - 08/03/10 - dans un gouvernement bourgeois. Elle sera la traductrice lors d'une intervention de Jaurès lors d'un des congrès de l'Internationale.Elle discute avec Jaurès, se sent proche de…

 

Jaurès, contre la guerre sur le site de la libre pensée 04. En contre-point à rosa luxemburg

article - 08/09/13 - Jaurès, contre la guerre sur le site de la libre pensée 04. En contre-point à Rosa Luxemburg - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com jaures, contre la…


La revue la Commune consacre son dernier numéro à Jaurès

article - 22/09/09 - La revue la Commune consacre son dernier numéro à Jaurès - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com Le dernier numéro de la revue la Commune porte le titre "Toutes les…


André Tosel réfléchit à la phraseJ de aurès "l'inhumaine humanité de la guerre"

article - 11/04/10 - André Tosel réfléchit à la phrase de Jaurès "L'inhumaine humanité de la guerre" - comprendre-avec-rosa-luxemburg.Over-blog.Com André Tosel : "L'inhumaine humanité…

Partager cet article
Repost0
31 juillet 2014 4 31 /07 /juillet /2014 21:46

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

tardi4

  Tardi

 

"Et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre". Dernier article de Jaurès dans la Dépêche, à la veille de son assassinat 

 

Le dernier article de Jaurès, on le lit, se perd dans cet entremêlat de politique impérialiste, qui caractérise les derniers jours de "paix"; mais on y trouve à la veille de sa mort et à l'orée du conflit mondial, ce cri angoissé "Et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre" et cet espoir d'une "Europe moins sauvage" qui ne peuvent que toucher tous ceux qui ne peuvent que s'interroger sur ce qu'aurait été un monde après ce premier août 14 avec Jaurès ...

 

c.a.r.l.

 


L'oscillation au bord de l'abîme

 

Jaurès - La Dépêche - 30 juillet 1914

L'Intégrale des articles publiés dans la Dépêche - Editions Privat - P 882

 

Aurons-nous la guerre universelle? Aurons-nous la paix? Les nouvelles obscures succèdent aux nouvelles obscures comme de sombres nuées dans un ciel chargé d'orage; des éclaircies d'une heure se produisent, et la confiance un moment ranimée défaille de nouveau sous quelque télégramme menaçant ou ambigu. Aussi, je me garderai bien de risquer aujourd'hui un pronostic, rassuré ou inquiet, qui pourrait être démenti tout à l'heure. Précisément, le groupe socialiste vient d'envoyer une délégation au ministère des affaires étrangères. Quand nous avons traversé, pour nous y rendre, les couloirs de la Chambre et la salle des Pas-Perdus des journalistes, nous étions enveloppés des plus effrayantes rumeurs. On disait que, le matin même, l'ambassadeur d'Allemagne avait fait une démarche comminatoire. Le fait était faux, mais peu à peu les nerfs se tendent.

 

Quelle misère pour la race humaine! Quelle honte pour la civilisation! Devant la formidable menace qui plane sur l'Europe, j'éprouve deux impressions contraires. C'est d'abord une certaine stupeur et une révolte voisine du désespoir. Quoi! C'est à cela  qu'aboutit le mouvement humain! c'est à cette barbarie que se retournent dix-huit siècles de christianisme, le magnifique idéalisme du droit révolutionnaire, cent années de démocratie! Les peuples se sentent soudain dans une atmosphère de foudre, et il semble qu'il suffit de la maladresse d'un diplomate, du caprice d'un souverain, de la folie d'orgueil d'une caste militaire et cléricale au bord du Danube pour que des millions et des millions d'hommes soient appelés à se détruire. Et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre, et si l'homme n'est pas un être prédestiné à la souffrance, étant aussi incapable de se résigner à sa nature animale que de s'en affranchir.

 

Et puis, je constate malgré tout les forces bonnes, les forces d'avenir qui s'opposent au déchaînement de la barbarie. Quoi qu'il advienne, ces forces de paix et de civilisation grandiront dans l'épreuve. Si elles réussissent à prévenir la crise suprême, les nations leur sauront gré de les avoir sauvées du péril le plus pressant. Si, malgré tout, l'orage éclate, il sera si effroyable qu'après un accès de fureur, de douleur, les hommes auront le sentiment qu'ils ne peuvent échapper à la destruction totale qu'en assurant la vie des peuples sur des bases nouvelles, sur la démocratie, la justice, la concorde et l'arbitrage.

 

Nous assistons au choc du monde germanique et du monde slave. C'est le duel le plus vain: Car aucune de ces deux grandes forces ne pourra supprimer ou même refouler l'autre. Il faudra bien, après des saturnales de violences, qu'elles s'accomodent l'une à l'autre et qu'elles trouvent leur équilibre. Pourquoi ne pas le chercher dès maintenant? La démarche de l'Autriche-Hongrie a été si brutale, si odieuse, qu'elle a fait oublier tout le reste et que la responsabilité des Habsbourgs a apparu seule en pleine lumière. L'Europe a oublié les dix ans de compétition, d'intrigues, d'abus de la force, de mauvaise foi internationale qui ont grossi l'abcès. Elle a oublié le Maroc, la Tripolitaine, les horreurs balkaniques, les imprudences de la Serbie. Elle a oublié même que l'annexion de la Bosnie-Herzégovine, qui est à l'origine du conflit actuel, a été préparée par l'accord de l'Autriche-Hongrie et de la Sainte-Russie slave par l'entrevue à Buchlau de M. d'Aerenthal et de M. Isvolsky, lequel pour avoir été plus tard une dupe, ne fut pas moins à ce moment un complice. 

 

Oui, l'Europe a oublié un instant  tout cela, et il était juste qu'elle l'oubliât tant il y avait dans la note comminatoire de l'Autriche de brutalité, d'indécence, d'inhumanité. La lourdeur germanique s'y est aggravée de jésuitisme, d'indécence et d'inhumanité, de l'esprit implacable et rancuneux des cléricaux de Vienne. Peut-être l'Autriche-Hongrie s'apercevra-t-elle qu'elle joue un jeu redoutable. Faire violence à la Serbie, c'est se préparer de graves difficultés, c'est exaspérer les populations slaves de l'Empire; c'est aggraver le travail de dislocation qui se propage dans la monarchie austro-hongroise. Si l'Allemagne a la prétention d'exiger de la France qu'elle agisse sur la Russie pour que celle-ci s'abstienne de toute action, elle commet une très grave erreur; car la France n'acceptera pas une pression indiscrète et elle pourra toujours répondre à l'Allemagne: Oui si de votre côté vous vous vous engagez à agir sur l'Autriche. Mais il est vrai qu'il est de l'intérêt de la Russie de ne pas précipiter son action. Elle permettra ainsi à la médiation anglaise de s'exercer, à la conscience des peuples de s'affirmer. Elle obligera le germanisme impérialiste à assumer seul la responsabilité du trouble jeté sur l'Europe. Si la France, librement, donne ce conseil à la Russie, elle aura servi à la fois la Russie et la paix.

 

Partout le socialisme élève la voix, pour affirmer la commune volonté de paix du prolétariat européen. Même s'il ne réussit pas d'emblée à briser le concert belliqueux, il l'affaiblira et réparera les éléments d'une Europe nouvelle, un peu moins sauvage.

Partager cet article
Repost0

Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009