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Et à présent écris-moi sur un autre ton, un ton alerte et énergique - malgré tout !
A Paul Levi
Berlin-Südende
Le 31 juillet 1914
Vendredi
Il est sept heures du soir, je viens tout juste de rentrer de Bruxelles, j'ai trouvé ta lettre et t'ai télégraphié. Pauvre chéri, ne sois pas donc pas aussi désespéré. Actuellement, nous avons besoin de garder la tête froide et de faire preuve de courage en agissant. Si je ne t'ai pas écrit, c'est que depuis deux semaines, je vis comme dans un moulin. A peine rentrée de Bruxelles, j'ai été assiégée par des Russes et des Polonais. Après quoi j'ai reçu un télégramme m'informant qu'une nouvelle réunion avait lieu à Bruxelles, mercredi matin. Il m'a fallu donc repartir mardi matin.
A Bruxelles, je n'ai naturellement pas eu une minute à moi et je ne rentre qu'aujourd'hui. Le Congrès de Paris n'aura sans doute pas lieu, car la guerre est imminente. Sur Bruxelles et le reste, il y aurait beaucoup à dire, mais les temps que nous vivons ne se prêtent guère à une relation écrite. L'essentiel est de réfléchir à ce que, de notre côté, nous allons pouvoir faire et comment. Si l'on pouvait en discuter, ce serait mieux.
Ah oui, à propos! En arrivant, j'ai trouvé ici - devine quoi? - la plainte au sujet de la grève de masse. Et ils sont très pressés. Manifestement, par sollicitude pour ma personne, on veut, par ces temps troublés, me mettre sous les verrous le plus tôt possible. Sont accusés avec moi Rosenfeld, Ledebourg et Düwell. Ca m'amuse. Rosenfeld est déjà ici, mais je ne lui ai pas encore parlé (au téléphone, je veux dire).
Au reste, dernière nouveauté je possède un téléphone tout à fait personnel : bureau Südring 1153. Tu vois! Tu pourrais peut-être tenter de me joindre. J'ai de nouveau oublié ton numéro. Et à présent écris-moi sur un autre ton, un ton alerte et énergique - malgré tout !
Publié le 23.11.2008
Traduction c.a.r.l.
(Rosa Luxemburg, épistolière - Gilbert Badia - Editions de l'Atelier - 1995)