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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
25 avril 2014 5 25 /04 /avril /2014 22:11

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com 

 

"La guerre est toujours le premier vœu d'un gouvernement puissant qui veut devenir plus puissant encore. Je ne vous dirai pas que c'est pendant la guerre que le ministère achève d'épuiser le peuple et de dissiper les finances, qu'il couvre d'un voile impénétrable ses déprédations et ses fautes, je vous parlerai de ce qui touche plus directement encore le plus cher de nos intérêts. C'est pendant la guerre que le pouvoir exécutif déploie la plus redoutable énergie et qu'il exerce une espèce de dictature qui ne peut qu'effrayer la liberté naissante; c'est pendant la guerre que le peuple oublie les délibérations qui intéressent essentiellement les droits civils et politiques pour ne s'occuper que des événements extérieurs, qui détournent son attention de ses législateurs et de ses magistrats pour attacher tout son intérêt et toutes ses espérances à ses généraux et à ses ministres, ou plutôt aux généraux et aux ministres du pouvoir exécutif."


Robespierre, le 18 décembre 1791


Extrait du discours "Sur le parti que l'Assemblée nationale (pouvoir législatif) doit prendre relativement à la proposition de guerre annoncée par le pouvoir exécutif."


Cette déclaration de Robespierre est à lire dans l'ouvrage de Florence Gauthier "Triomphe et mort de la révolution des droits de l'Homme et du citoyen" aux pages 160 et 161, paru récemment aux Editions Syllepse.


C'est un ouvrage original et fondamental en ce qu'il va à contre-courant de la pensée dominante sur la démocratie et sur l'utilisation que cette pensée fait des droits de l'Homme.


Elle y montre le processus politique d'abandon de la notion de "droits naturels" revendiqués par la Révolution, pour celle "des droits de l'homme en société" (qui aboutira à la Constitution de 1795) et qui signifie de fait l'abandon de la Ré-publique, de la démocratie.


Elle y montre aussi comment cette conception rigoureuse et lucide des droits permettra le refus de la guerre, dénoncée pour ce qu'elle est, une guerre de conquête, et donc comme "incompatible avec les droits naturels de l'Homme et les droits naturels du peuple."

 

C'est cette même conception qui sous-tendra le refus du colonialisme et de l'esclavage


Cet ouvrage peut enrichir de manière significative notre propre réflexion sur le blog sur Rosa Luxemburg et la guerre.

 

 


Extrait de la 4ème de couverture de la première édition

 

 

« ... l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme sont les seules causes des malheurs du monde... »


Par ces mots le Préambule de la Déclaration « montagnarde » des droits de l’homme et du citoyen réaffirmait en 1793 les principes qui avaient triomphé en 1789, subordonnant la politique à l’éthique universaliste. Moins de deux ans plus tard, la Constitution de l’an III (1795) rompait avec le droit naturel et sanctionnait la conception opposée des droits (et devoirs) de « l’homme en société », d’inspiration bourgeoise et positiviste.


Comment était-on passé de la ré-publique populaire à la ré-privée des riches ? Comment l’histoire de la Révolution en était-elle venue à contredire sa philosophie ?


À ces questions obstinément refoulées par l’historiographie, Florence Gauthier apporte un nouvel éclairage, menant l’enquête depuis les textes fondateurs de la philosophie de la liberté et de l’égalité (de Locke et Mably à Kant et Paine) jusqu’au fond des archives du Gouvernement révolutionnaire et de la Convention. Elle insiste sur l’importance de l’affrontement entre « côté gauche » et « côté droit » à propos du droit à l’existence et de la loi martiale, du cosmopolitisme, de la guerre de conquête et de la question coloniale...

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24 avril 2014 4 24 /04 /avril /2014 19:35

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L’étincelle s’allume dans l’action. La philosophie de la praxis dans la pensée de Rosa Luxemburg


http://cdn.lcr-lagauche.org/wp-content/uploads/2013/10/rosa.jpg


11 novembre 2012 par Michael Löwy Laisser un commentaire

 

A lire sur:http://www.lcr-lagauche.org/letincelle-sallume-dans-laction-la-philosophie-de-la-praxis-dans-la-pensee-de-rosa-luxemburg/

 

Nous profitons de la publication, par les éditions Agone, du deuxième tome des Oeuvres complètes de Rosa Luxemburg, pour mettre à la disposition de tou-te-s ce texte de Michael Löwy sur la pensée de Rosa Luxemburg, texte paru dans le numéro 8 de la revue Contretemps, qui contient d’ailleurs un dossier sur la révolutionnaire.


Dans sa présentation des Thèses sur Feuerbach (1845) de Marx, qu’il a publiés, à titre posthume, en 1888, Engels les qualifiait de « premier document dans lequel se trouve déposé le germe génial d’une nouvelle conception du monde ». En effet, dans ce petit texte Marx dépasse dialectiquement – la célèbre Aufhebung : négation/conservation/élévation – le matérialisme et l’idéalisme antérieurs, et formule une nouvelle théorie, qu’on pourrait désigner comme philosophie de la praxis.

Tandis que les matérialistes français du 18ème siècle insistaient sur la nécessité de changer les circonstances matérielles pour que les êtres humains se transforment, les idéalistes allemands assuraient que, grâce à la formation d’une nouvelle conscience chez les individus, la société serait changée. Contre ces deux perceptions unilatérales, qui conduisaient à une impasse – et à la recherche d’un « Grand Educateur » ou Sauveur Suprême – Marx affirme dans la Thèse III :

« La coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou auto-changement  ne peut être considérée et comprise rationnellement qu’en tant que pratique  (Praxis) révolutionnaire »1. 

En d’autres termes : dans la pratique révolutionnaire, dans l’action collective émancipatrice, le sujet historique – les classes opprimées –  transforme en même temps les circonstances matérielles et sa propre conscience. Marx revient à cette problématique dans L’Idéologie Allemande (1846), en écrivant ceci :

« Cette révolution n’est donc pas seulement rendue nécessaire parce qu’elle est le seul moyen de renverser la classe dominante, elle l’est également parce que seule une révolution permettra à la classe qui renverse l’autre de balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles »2. 

Cela veut dire que l’auto-émancipation révolutionnaire c’est la seule forme possible de libération : c’est seulement par leur propre praxis, par leur expérience dans l’action, que les classes opprimées peuvent changer leur conscience, en même temps qu’elles subvertissent le pouvoir du capital. Il est vrai que dans des textes postérieurs – par exemple,  la célèbre Préface de 1857 à la Critique de l’Economie Politique – nous trouvons une version beaucoup plus déterministe, qui considère la révolution comme le résultat inévitable de la contradiction entre forces et rapports de production ; cependant, comme l’attestent ses principaux écrits politiques, le principe de l’auto-émancipation des travailleurs continue à inspirer sa pensée et son action.

C’est Antonio Gramsci, dans ses Cahiers de Prison des années 1930, qui va utiliser, pour la première fois, l’expression « philosophie de la praxis » pour se référer au marxisme. Certains prétendent qu’il s’agissait simplement d’une ruse pour tromper ses geôliers fascistes,  qui pouvaient se méfier de toute référence à Marx ; mais cela n’explique pas pourquoi Gramsci a choisi cette formule, et pas une autre, comme « dialectique rationnelle » ou « la philosophie critique ».  En réalité, avec cette expression il définit, de façon précise et cohérente, ce qui distingue le marxisme comme vision du monde spécifique, et se dissocie,  de manière radicale, des lectures positivistes et évolutionnistes du matérialisme historique.

Peu de marxistes du 20ème siècle ont été plus proches de l’esprit de cette philosophie marxiste de la praxis comme Rosa Luxemburg. Certes,  elle n’écrivait pas de textes philosophiques, et n’élaborait pas des théories systématiques ; comme l’observe avec raison Isabel Loureiro, « ses idées, éparses en articles de journal, brochures, discours, lettres (…) sont beaucoup plus des réponses immédiates à la conjoncture qu’une théorique logique et internement cohérente »3. Il n’empêche : la philosophie de la praxis marxienne, qu’elle interprète de forme originale et créatrice, est le fil conducteur – au sens électrique du mot – de son œuvre et de son action comme révolutionnaire. Mais sa pensée est loin d’être statique : c’est une réflexion en mouvement, qui s’enrichit avec l’expérience historique. Nous essayerons ici de reconstituer l’évolution de sa pensée à travers quelques exemples.

Il est vrai que ses écrits sont traversés par une tension entre le déterminisme historique – l’inévitabilité de l’écroulement du capitalisme – et le volontarisme de l’action émancipatrice. Cela s’applique en particulier à ses premiers travaux (avant 1914). Réforme ou Révolution(1899), le livre grâce auquel elle est devenue connue dans le mouvement ouvrier allemand et international, est un exemple évident de cette ambivalence. Contre Bernstein, elle proclame que l’évolution du capitalisme conduit nécessairement vers l’écroulement (Zusammenbruch) du système, et que cet effondrement est la voie historique qui conduit à la réalisation du socialisme. Il s’agit, en dernière analyse, d’une variante socialiste de l’idéologie du progrès inévitable qui a dominé la pensée occidentale depuis la Philosophie des Lumières.  Ce qui sauve son argument d’un économisme fataliste c’est la pédagogie révolutionnaire de l’action : « ce n’est qu’au cours de longues luttes opiniâtres, que le prolétariat acquerra le degré de maturité politique lui permettant d’obtenir la victoire définitive de la révolution »4.

Cette conception dialectique de l’éducation par la lutte est aussi un des principaux axes de sa polémique avec Lénine  en 1904 : « ce n’est qu’au cours de la lutte que l’armée du prolétariat se recrute et qu’elle prend conscience des buts de cette lutte. L’organisation, les progrès de la conscience (Aufklärung) et le combat ne sont pas des phases particulières, séparées dans le temps et mécaniquement, (…) mais au contraire des aspects divers d’un seul et même processus »5.

Bien entendu,  reconnaît Rosa Luxemburg, la classe peut se tromper au cours de ce combat,  mais, en dernière analyse, « les erreurs commises par un mouvement ouvrier vraiment révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que l’infaillibilité du meilleur ‘Comité central’ ». L’auto-émancipation des opprimés implique l’auto-transformation de la classe révolutionnaire par son expérience pratique ; celle-ci, à son tour,  produit non seulement la conscience – thème classique du marxisme – mais aussi la volonté :

« Le mouvement  historique universel (Weltgeschichtlich) du prolétariat vers son émancipation intégrale est un processus dont la particularité réside en ce que,  pour la première fois depuis que  la société civilisée existe, les masses du peuple font valoir leur volonté  consciemment et à l’encontre de toutes les classes gouvernantes (…). Or, les masses ne peuvent acquérir et fortifier cette volonté que dans la lutte quotidienne avec l’ordre constitué,  c’est-à-dire dans les limites de cet ordre »6.

On pourrait comparer la vision de Lénine avec celle de Rosa Luxemburg avec l’image suivante : pour Vladimir Ilitch, rédacteur du journal Iskra, l’étincelle révolutionnaire est apportée par l’avant-garde politique organisée,  du dehors vers l’intérieur des luttes spontanées du prolétariat ; pour la révolutionnaire juive/polonaise, l’étincelle de la conscience et de la volonté révolutionnaire s’allume dans le combat,  dans l’action de masses. Il est vrai que sa conception du parti comme expression organique de la classe correspond plus à la situation en Allemagne qu’en Russie ou Pologne, où se posait déjà la question de la diversité des partis se référant au socialisme.

Les événements révolutionnaires de 1905 dans l’Empire russe tsariste vont largement confirmer Rosa Luxemburg dans sa conviction que le processus de prise de conscience des masses ouvrières résulte moins de l’activité éducatrice – Aufklärung – du parti que de l’expérience d’action directe et autonome des travailleurs :

« Le brusque soulèvement général du prolétariat en janvier, déclenché par les événements de Saint-Pétersbourg,  était, dans son action extérieure, un acte politique révolutionnaire, une déclaration de guerre à l’absolutisme. Mais cette première lutte générale et directe des classes eut un impact encore plus puissant à l’intérieur, en éveillant, pour la première fois, comme par une secousse électrique (einen elektrischen Schlag), le sentiment et la conscience de classe chez des millions et des millions d’individus (…). C’est par le prolétariat que l’absolutisme doit être renversé en Russie. Mais le prolétariat a besoin pour cela d’un haut degré d’éducation politique, de conscience de classe et d’organisation. Il ne peut apprendre tout cela dans les brochures ou dans les tracts, mais cette éducation il l’acquerra dans l’école politique vivante, dans la lutte et par la lutte, au cours de la révolution en marche »7.

Il est vrai que la formule polémique sur les « brochures et les tracts » semble sous-estimer l’importance de la théorie révolutionnaire dans le processus ; d’autre part, l’activité politique de Rosa Luxemburg, qui consistait, dans une large mesure, dans la rédaction d’articles de journaux et de brochures – sans parler de ses œuvres théoriques dans le champ de l’économie politique – démontre, sans aucun doute, la signification décisive qu’elle accordait au travail théorique et à la polémique politique dans le processus de préparation de la révolution.

Dans cette célèbre brochure de 1906 sur la grève de masses, la révolutionnaire polonaise utilise encore les arguments déterministes traditionnels : la révolution aura lieu « selon la nécessité d’une loi de la nature ». Mais sa vision concrète du processus révolutionnaire coïncide avec la théorie de la révolution de Marx, tel qu’il l’a présentée dans L’Idéologie Allemande (œuvre qu’elle ne connaissait pas, puisqu’elle ne fut publiée qu’après sa mort) : la conscience révolutionnaire ne peut se généraliser qu’au cours d’un mouvement « pratique », la transformation « massive » des opprimés ne peut se généraliser qu’au cours de la révolution elle-même. La catégorie de la praxis – qui est, pour elle comme pour Marx, l’unité dialectique entre l’objectif et le subjectif,  la médiation par laquelle la classeen soi devient pour soi – lui permet de dépasser le dilemme paralysant et métaphysique de la social-démocratie allemande, entre le moralisme abstrait de Bernstein et l’économicisme mécanique de Kautsky : tandis que, pour le premier, le changement « subjectif », moral et spirituel, des « êtres humains » est la condition de l’avènement de la justice sociale, pour le deuxième, c’est l’évolution économique objective qui conduit « fatalement » au socialisme. Cela permet de mieux comprendre pourquoi Rosa Luxemburg s’oppose non seulement aux révisionnistes néo-kantiens, mais aussi, à partir de 1905, à la stratégie d’ « attentisme » passif défendue par l’ainsi nommé « centre orthodoxe » du parti.

Cette même vision dialectique de la praxis lui permet aussi de dépasser le traditionnel dualisme incarné par le Programme d’Erfurt du SPD, entre les réformes,  ou le « programme minimum », et la révolution, ou « le but final ». Par la stratégie de grève de masses en Allemagne qu’elle propose en 1906 – contre la bureaucratie syndicale – et en 1910 – contre Karl Kautsky – Rosa Luxemburg esquisse un chemin capable de transformer les luttes économiques ou le combat pour le suffrage universel en un mouvement révolutionnaire général.

Contrairement à Lénine,  qui distingue  « la conscience trade-unioniste (syndicale) » de la « conscience social-démocrate (socialiste) », elle suggère une distinction entre la conscience théorique latente, caractéristique du mouvement ouvrier dans les périodes de domination du parlementarisme bourgeois, et la conscience pratique et active, qui surgit au cours du processus révolutionnaire, quand les masses elles-mêmes – et non seulement les députés et dirigeants du parti – apparaissent sur la scène politique ; c’est grâce à cette conscience pratique-active que les couches les moins organisées et les plus arriérées peuvent devenir, en période de lutte révolutionnaire, l’élément le plus radical. De cette prémisse découle sa critique de ceux qui fondent leur stratégie politique sur une estimation exagérée du rôle de l’organisation dans la lutte de classes – qui s’accompagne généralement d’une sous-estimation du prolétariat non-organisé – en oubliant le rôle pédagogique de la lutte révolutionnaire :

« Six mois de révolution feront davantage pour l’éducation de ces masses actuellement inorganisées que dix ans de réunions publiques et de distributions de tracts ».8.

Rosa Luxemburg était-elle donc spontanéiste ? Pas tout à fait… Dans la brochure Grève générale, parti et syndicats (1906), elle insiste, en se référant à l’Allemagne, sur le fait que le rôle de « l’avant-garde la plus éclairée » n’est pas d’attendre « avec fatalisme », que le mouvement populaire spontané « tombe du ciel ». Au contraire, la fonction de cette avant-garde c’est précisément de « devancer (vorauseilen) le cours des choses, de chercher à le précipiter ». Elle reconnait que le parti socialiste doit prendre la direction politique de la grève de masses, ce qui consiste à  « fournir au prolétariat allemand pour la période des luttes a venir, une tactique et des objectifs » ; elle va jusqu’à proclamer que l’organisation socialiste est « l’avant-garde de toute le masse des travailleurs » et que « le mouvement ouvrier tire sa force,  son unité, sa conscience politique de cette même organisation »9.

Il faut ajouter que l’organisation polonaise dirigée par Rosa Luxemburg,  le Parti Social-Démocrate du Royaume de Pologne et de Lithuanie (SDKPiL), clandestine et révolutionnaire, ressemblait beaucoup plus au parti bolchevik qu’à la social-démocratie allemande…Finalement, un aspect méconnu doit être pris en considération : il s’agit de l’attitude de Rosa Luxemburg envers l’Internationale (surtout après 1914), qu’elle concevait comme un parti mondial centralisé et discipliné. Ce n’est pas la moindre des ironies que Karl Liebknecht, dans une lettre à Rosa Luxemburg, critique sa conception de l’Internationale comme étant « trop centraliste-mécanique », avec « trop de ‘discipline’, trop peu de spontanéité », considérant les masses « trop comme instruments de l’action, non comme porteurs de la volonté ; en tant qu’instruments de l’action voulue et décidée par l’Internationale, non en tant que voulant et décidant elles-mêmes »10.

Parallèlement à ce volontarisme activiste,  l’optimisme déterministe (économique) de la théorie du  Zusammenbruch, l’écroulement du capitalisme victime de ses contradictions,  ne disparaît pas de ses écrits, au contraire : il se trouve au centre même de son grand ouvrage économique, L’Accumulation du Capital (1911). Ce n’est qu’après 1914, dans la brochure La crise de la social-démocratie, écrite en prison en 1915 – et publiée en Suisse en janvier 1916 avec le pseuydonyme « Junius » – que  cette vision traditionnelle du mouvement socialiste du début du siècle sera dépassée. Ce document,  grâce au mot d’ordre « socialisme ou barbarie » est un tournant dans l’histoire de la pensée marxiste. Curieusement, l’argument de Rosa Luxemburg commence par se référer aux « lois inaltérables de l’histoire » ; elle reconnaît que l’action du prolétariat « contribue à déterminer l’histoire », mais semble croire qu’il s’agit seulement d’accélérer ou de retarder le processus historique. Jusqu’ici, rien de nouveau !

Mais dans les lignes suivantes elle compare la victoire du prolétariat à « un bond qui fait passer l’humanité du règne animal au règne de la liberté », en ajoutant : ce saut ne sera pas possible « si, de l’ensemble des prémisses matérielles accumulées par l’évolution, ne jaillit pas l’étincelle incendiaire (zündende Funke) de la volonté consciente de la grande masse populaire ». On trouve ici la célèbre Iskra, l’ étincelle de la volonté révolutionnaire qui est capable de faire exploser la poudre sèche des conditions matérielles. Mais qu’est-ce que produit cette  zündende Funke ? C’est seulement grâce à une « longue série d’affrontements » que « le prolétariat international fait son apprentissage sous la direction de la social-démocratie et tente de prendre en main sa propre histoire (seine Geschichte)…»11. En d’autres termes : c’est dans l’expérience pratique que s’allume l’étincelle de la conscience révolutionnaire des opprimés et exploités.

En introduisant l’expression socialisme ou barbarie , « Junius » se réfère à l’autorité d’Engels, dans un écrit datant d’il y a « une quarantaine d’années » – sans doute une référence à  l’ Anti-Dühring (1878) :« Friedrich Engels a dit un jour : ‘La société bourgeoise est placée devant un dilemme :  ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie’ »12. En fait, ce qu’écrit Engels est bien différent :

« Les forces productives engendrées par le mode de production capitaliste moderne,  ainsi que le système de répartition des biens qu’il a créé, sont entrés en contradiction flagrante avec le mode de production lui-même, et cela à un degré tel que devient nécessaire un bouleversement du mode de production et répartition,  si l’on ne veut pas voir toute la société moderne périr »13.

L’argument d’Engels – essentiellement économique, et non politique, comme celui de « Junius » – est plutôt rhétorique, une sorte de démonstration par l’absurde de la nécessité du socialisme,  si l’on veut éviter le « périssement » de la société moderne – une formule vague dont on ne voit pas très bien la portée. En fait, c’est Rosa Luxemburg qui a inventé, au sens fort du mot, l’expression  « socialisme ou barbarie »,  qui aura tellement d’impact au cours du 20ème siècle. Si elle se réfère à Engels c’est peut-être pour tenter de donner plus de légitimité à une thèse assez hétérodoxe. Evidemment c’est la guerre mondiale, et l’écroulement du mouvement ouvrier international en août 1914, qui a fini par ébranler sa conviction de la victoire inévitable du socialisme.

Dans les paragraphes suivants « Junius » va développer son point de vue innovateur :

« Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquence, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien, victoire du socialisme, c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre. C’est là un dilemme de l’histoire du monde, un ou bien – ou bien encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient »14.

On peut discuter de la signification du concept de  « barbarie » : il s’agit sans doute d’une barbarie moderne, « civilisée » – donc la comparaison avec la Rome ancienne n’est pas très pertinente – et dans ce cas l’affirmation de la brochure Junius s’est révélée prophétique : le fascisme allemand, manifestation suprême de la barbarie moderne, a pu prendre le pouvoir grâce à la défaite du socialisme. Mais le plus important dans la formule « socialisme ou barbarie » c’est le terme ou : il s’agit de la reconnaissance de que l’histoire est un processus ouvert, que l’avenir n’est pas encore décidée – par les « lois de l’histoire » ou de l’économie – mais dépend, en dernière analyse, des facteurs « subjectifs » : la conscience, la décision, la volonté, l’initiative, l’action, la praxis révolutionnaire. Il est vrai, comme le souligne Isabel Loureiro dans, son beau livre, que même dans la brochure « Junius » – ainsi que dans des textes postérieurs de Rosa Luxemburg – on trouve encore des références à l’écroulement inévitable du capitalisme, à la « dialectique de l’histoire » et à la « nécessité historique du socialisme »15. Mais en dernière analyse, la formule « socialisme ou barbarie » jette les bases d’une autre conception de la « dialectique de l’histoire », distincte du déterminisme économique et de l’idéologie illuministe du progrès inévitable.

Nous retrouvons la philosophie de la praxis au cœur de la polémique de 1918 sur la Révolution russe – un autre texte capital rédigé derrières les barreaux. La trame essentielle de ce document est bien connue : d’une part, le soutien aux bolchéviks, et à leurs dirigeants, Lénine et Trotsky, qui ont sauvé l’honneur du socialisme international, en osant la Révolution d’Octobre ; d’autre part, un ensemble de critiques dont certaines – sur la question agraire et la question nationale – sont bien discutables,  tandis que d’autres – le chapitre sur la démocratie – apparaissent comme prophétiques.  Ce qui inquiète la révolutionnaire juive/polonaise/allemande, c’est avant tout la suppression, par les bolchéviks, des libertés démocratiques – liberté de presse, d’association, de réunion – qui sont précisément la garantie de l’activité politique des masses ouvrières ; sans elles « la domination des vastes couches populaires est parfaitement impensable ». Les tâches gigantesques de la transition au socialisme « auxquelles les bolchéviks s’étaient attelés avec courage et détermination » – ne peuvent être réalisées sans que « les masses reçoivent une éducation politique très intensive et accumulent des expériences », ce qui n’est pas possible sans libertés démocratiques. La construction d’une nouvelle société est un terrain vierge qui pose « mille problèmes » imprévus ; or, «seule l’expérience permet les corrections et l’ouverture de nouvelles voies ». Le socialisme est un produit historique « issu de l’école même de l’expérience » : l’ensemble des masses populaires (Volksmassen) doit participer de cette expérience, sinon « le socialisme est décrété, octroyé par une douzaine d’intellectuels réunis autour d’un tapis vert ». Pour les inévitables erreurs du processus de transition  le seul remède est la pratique révolutionnaire elle-même : « la révolution en soi et son principe rénovateur, la vie intellectuelle, l’activité et l’autoresponsabilité (Selbstverantwortung) des masses qu’elle suscite, en un mot, la révolution sous la forme de la liberté politique la plus large est le seul soleil qui sauve et purifie »16.

Cet argument est beaucoup plus important que le débat sur l’Assemblée Constituante, sur lequel se sont concentrées les objections « léninistes » au texte de 1918. Sans libertés démocratiques, la praxis révolutionnaire des masses, l’auto-éducation populaire par l’expérience, l’auto-émancipation des opprimés, et l’exercice du pouvoir lui-même par la classe des travailleurs sont impossibles.

György Lukacs, dans son important essai « Rosa Luxemburg marxiste » (janvier 1921), montrait avec une grande acuité comment, grâce à l’unité de la théorie et de la praxis – formulée par Marx dans ses Thèses sur Feuerbach – la grande révolutionnaire  avait réussi à dépasser le dilemme de l’impuissance des mouvements sociaux-démocrates, « le dilemme du fatalisme des lois pures et de l’éthique des intentions pures ». Que signifie cette unité dialectique ?

« De même que le prolétariat comme classe ne peut conquérir et garder sa conscience de classe, s’élever au niveau de sa tâche historique – objectivement donnée – que dans le combat et l’action, de même le parti et le militant individuel ne peuvent s’approprier réellement leur théorie que s’ils sont en état de faire passer cette unité dans leur praxis »17.

Il est donc surprenant que, à peine une année plus tard, Lukacs rédige l’essai – qui va lui aussi figurer dans Histoire et Conscience de Classe (1923) – intitulé  « Commentaires critiques sur la critique de la révolution russe en Rosa Luxemburg » (janvier 1922), qui rejette en bloc l’ensemble des commentaires dissidents de la fondatrice de la Ligue Spartacus, en prétendant qu’elle  « se représente la révolution prolétarienne sous les formes structurelles des révolutions bourgeoises »18 – une accusation peu crédible, comme le démontre  Isabel Loureiro19. Comment expliquer la différence, dans le ton et dans le contenu, entre l’essai de janvier 1921 et celui de janvier 1922 ? Une rapide conversion au léninisme orthodoxe ? Peut-être, mais plus probablement la position de Lukacs par rapport aux débats au sein du communisme allemand. Paul Levi, le principal dirigeant du KPD (Parti Communiste Allemand), s’était opposé à l’ « Action de Mars 1921 », une tentative échouée de soulèvement communiste en Allemagne, soutenue avec enthousiasme par Lukacs (mais critiquée par Lénine…) ; exclu du Parti, Paul Levi décide en 1922 de publier le manuscrit de Rosa Luxemburg sur la Révolution russe, que l’auteure lui avait confié en 1918. La polémique de Lukacs avec ce document est aussi, indirectement, un règlement de comptes avec Paul Levi.

En réalité, le chapitre sur la démocratie de ce document de Luxemburg est un des textes les plus importants du marxisme, du communisme, de la théorie critique et de la pensée révolutionnaire au 20ème siècle. Il est difficile d’imaginer une refondation du socialisme au 21ème siècle qui ne prenne pas en considération les arguments développés dans ces pages fébriles.  Les représentants les plus lucides du léninisme et du trotskysme, comme Ernest Mandel ou Daniel Bensaïd, reconnaissaient que cette critique de 1918 au bolchévisme, en ce qui concerne la question des libertés démocratiques, était en dernière analyse justifiée. Bien entendu, la démocratie à laquelle se réfère Rosa Luxemburg est celle exercée par les travailleurs dans un processus révolutionnaire, et non la « démocratie de basse intensité » du parlementarisme bourgeois, dans laquelle les décisions importantes sont prises par des banquiers, entrepreneurs, militaires et technocrates, hors de tout contrôle populaire.

La zündende Funke, l’étincelle incendiaire de  Rosa Luxemburg a brillé une dernière fois en décembre 1918, lors de sa conférence au Congrès de fondation du KPD (Ligue Spartacus). Certes,  on trouve encore dans ce texte des références à la « loi du développement objectif et nécessaire de la révolution socialiste », mais il s’agit en réalité de « l’expérience amère » que doivent faire les diverses forces du mouvement ouvrier avant de trouver le chemin révolutionnaire. Les dernières paroles de cette mémorable conférence sont directement inspirées par la perspective de la praxis auto-émancipatrice des opprimés : « C’est en exerçant le pouvoir que la masse apprend à exercer le pouvoir. Il n’y a pas d’autre moyen de lui apprendre. Nous avons fort heureusement dépassé le temps où il était question d’enseigner le socialisme au prolétariat. Ce temps n’est apparemment pas encore révolu pour les marxistes de l’école Kautsky. Eduquer les masses prolétariennes, cela voulait dire : leur faire des discours, diffuser des tracts et des brochures. Non, l’école socialiste des prolétaires n’a pas besoin de tout cela. Leur éducation se fait quand ils passent à l’action (zur Tat greifen) ». Ici  Rosa Luxemburg va se référer à une célèbre formule de Goethe : « Am Anfang war die Tat ! » (Au début de tout ne se trouve pas le Verbe mais l’Action !). Dans les mots de la révolutionnaire marxiste : “Au commencement était l’Action, telle est ici notre devise ; et l’action, c’est que les conseils d’ouvriers et de soldats se sentent appelés à devenir la seule puissance publique dans le pays et apprennent à l’être »20. Quelques jours plus tard, Rosa Luxemburg sera assassinée par lesFreikorps – « corps francs » paramilitaires  – mobilisés par le gouvernement social-démocrate,  sous la houlette du Ministre Gustav Noske,  contre le soulèvement des ouvriers de Berlin.

 

Rosa Luxembureg n’était pas infaillible, elle a commis des erreurs, comme tout être humain et n’importe quel militant, et ses idées ne constituent pas un système théorique fermé, une doctrine dogmatique qui pourrait être appliquée à tout lieu et à toute époque. Mais sans doute sa pensée est une boîte à outils précieuse pour tenter de démonter la machine capitaliste et pour réfléchir à des alternatives radicales. Ce n’est pas un hasard si elle est devenue, au cours des dernières années, une des références les plus importantes dans le débat, notamment en Amérique Latine, sur un socialisme du 21éme siècle, capable de dépasser les impasses des expériences se réclamant du socialisme dans le siècle dernier – aussi bien  la social-démocratie que le stalinisme. Sa conception d’un socialisme en même temps révolutionnaire et démocratique – en opposition irréconciliable au capitalisme et à l’impérialisme – fondé sur la praxis auto-émancipatrice des travailleurs, sur l’auto-éducation par l’expérience et par l’action des grandes masses populaires gagne ainsi une étonnante actualité. Le socialisme de l’avenir ne pourra pas se passer de la lumière de cette étincelle ardente.

 

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Source : http://www.contretemps.eu

Notes :

1.
K. Marx, « Thèses sur Feuerbach »,  1845 in L’Idéoologie Allemande, Paris,  Ed. Sociales, 1968, p. 32.

2.
K. Marx,  F. Engels, L’idéologie allemande, p. 68.

3.
Isabel Loureiro,  Rosa Luxemburg.  Os dilemas da açâo revolucionaria, S.Paulo,  Unesp,  1995,  p. 23.

4.
Rosa Luxemburg,  Reforme ou Révolution ? 1899 in Œuvres, I,  Paris, Maspero,  1969, p. 79.

5.
Rosa Luxemburg,  „Questions d’organisation de la social-démocratie russe“,  1904,  in Marxisme contre dictature, Paris,  Spartacus,  1946, p. 21.

6.
Ibid, pp. 32-33.  Cf. Rosa Luxemburg,  « Organisationsfragen der russischen Sozialdemokratie »  (1904),  in Die Russische Revolution, Frankfurt,  Europäische Verlaganstalt,  1963,  pp. 27-28,  42,  44.

7.
R. Luxemburg, Grève de masse, parti et syndicats“ 1906,  in Oeuvres,  I,  pp. 113-114, traduction revue d’après l’original : « Massenstreik,  Partei und Gewerkschaften » in Gewerkschaftskampf und Massenstreik,  Eingeleitet und Bearbeitet von Paul Frölich,  Berlin, Vereinigung Internationaler Verlagsanstalten, Berlin, 1928, pp. 426-427. Il s’agit d’un recueil d’essais de Rosa Luxemburg sur la grève de masses, organisé par son disciple et biographe Paul Frölich, exclu dans les années 1920 du Parti Communiste Allemand.  J’ai trouvé ce livre dans un bouquiniste à …Tel-Aviv ;  l’exemplaire portait un tampon : « Kibutz Ein Harod, Seminaire d’Idées,  Bibliothèque Centrale ». Le propriétaire du livre était sans doute un juif de gauche allemand qui a émigré en Palestine vers 1933 et l’a donné à la bibliothèque du kibbutz où il s’est établi.  Avec la mort des vieux militants du kibbutz, comme la nouvelle génération ne lit pas l’allemand,  le bibliothécaire a vendu au bouquiniste son stock de livres dans la langue de Marx…

8.
Ibid, p. 150.

9.
Ibid. pp. 147, 150.

10.
Voir K. Liebknecht, « A Rosa Luxemburg : Remarques à propos de son projet de thèses pour le groupe ‘Internationale’ », inPartisans, no 45, janvier 1969, p. 113.

11.
Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie, Bruxelles,  Editions La Taupe,  G1970,  p. 67,  corrigé d’après le texte allemand  Die Krise der Sozialdemokratie von Junius,  Bern,  Unionsdruckerei,  1916,  p.11. Cette copie de l’édition originale du livre a appartenu à mon  regretté professeur et directeur de thèse Lucien Goldmann, que sa veuve, Annie Goldmann, m’a généreusement cédé.

12.
Rosa Luxemburg,  La crise de la social-démocratie, p. 68.

13.F. Engels, Anti-Dühring, Paris, Ed. Sociales, 1950, p. 189, souligné par nous ML.

14.
Ibid. p. 68.

15.
Isabel Loureiro,  Rosa Luxemburg.  Os dilemas da açâo revolucionaria, S.Paulo,  Unesp,  1995,  p. 123.

16.
Rosa Luxmeburgo,  La Révolution russe (1918), Œuvres I, pp. 82-86. Cf.  Die Russische Revolution,  Frankfurt,  Europäische Verlagsanstalt,  1963,  pp. 73-76.

17.
G.Lukacs,  Histoire et Conscience de Classe (1923),  Paris,  Minuit,  1960,  p. 65.

18.
Ibid. p. 321.

19.
I.Loureiro,  Rosa Luxemburg, pp. 85-88.

20.
Rosa Luxemburg, “Notre programme et la situation politique. Discours au Congrès de fondation du PCA (Ligue Spartacus),  31.12.1918,  Oeuvres, II, p127.  Corrigé d’après l’original allemand,   “Rede zum Programm der KPD (Spartakusbund)”,  Ausgewählten Reden und Schriften, Berlin,  Dietz Verlag,  1953, Band II,  p. 687.  L’exemplaire de l’édition allemande que j’utilise ici a une histoire curieuse. Il s’agit d’un recueil de textes de Rosa Luxemburg,  édité par le  « Marx-Engels-Lenin-Stalin Institut beim ZK der SED », avec une préface de  Wilhelm Pieck, dirigeant stalinien de la  RDA, suivie d’introductions de Lénine et Staline, critiquant les « erreurs » de l’auteure. J’ai acheté ce livre chez un bouquiniste et j’ai découvert qu’il portait une dédicace à la main,  en anglais, datée de 1957,  demandant des excuses pour ne pas avoir trouvé une autre édition sans toutes ses « introductions » superflues. La dédicace est signée de « Tamara et Isaac »,  sans doute Tamara et Isaac Deutscher…


Intervention à la Conférence Rosa Luxemburg, Paris, octobre 2013

 

 


couverture

 

Co-édition avec le collectif Smolny… Postface par Michael Krätke - Traduit de l’allemand par Lucie Roignant

 

Ce recueil de textes de Rosa Luxemburg (1871–1919), tous inédits en français, regroupe ses discours et articles polémiques sur la formation théorique au sein du mouvement ouvrier, ses recensions des œuvres posthumes de Karl Marx éditées par Franz Mehring ou Karl Kautsky, ainsi que les manuscrits historico-économiques rédigés durant ses années d’enseignement à l’école centrale du parti social-démocrate à Berlin de 1907 à 1913 – documents qui complètent l’Introduction à l’économie politique.


Celle que l’on cantonne trop souvent à une apologie de la spontanéité interroge : que pourrait être une « éducation révolutionnaire », pourquoi lire Marx, quel rôle assigner à la critique de l’économie politique ?


Les œuvres complètes en langue allemande sont composée de six volumes de textes et six volumes de correspondance. À l’école du socialisme est le second volume de l’édition française des Œuvres complètes qui en comprendra quinze. Il prend la suite de l’Introduction à l’économie politique et sera suivi du volume thématique consacré à la France (2013).


 

Rosa Luxemburg, née en Pologne russe en 1871, est l’une des principales militantes et théoricienne du mouvement ouvrier international avant et pendant la première guerre mondiale. Elle enseigne l’économie politique de 1907 à 1913 à l’école du parti social-démocrate allemand de Berlin. Elle maintient lors du premier conflit mondial un internationalisme intransigeant qui lui vaut d’être emprisonnée de façon quasi-continue jusqu’à sa libération par la révolution de Novembre 1918. Avec le groupe Spartakus elle se lance dans une intense activité révolutionnaire jusqu’à son assassinat le 15 janvier 1919 par les corps-francs.

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23 avril 2014 3 23 /04 /avril /2014 22:53

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

 

Invitée par la Fondation Rosa Luxemburg en mai 2013, Aminata Traoré voulait transiter par la France: elle est personna non grata et ne peut fouler le sol français sur décision des autorités françaises.

 

Le fait lui-même mais aussi la qualité du texte qu'elle a rédigé à ce propos, nous amène à le publier sur comprendre-avec-rosa-luxemburg comme nous le faisons à de très rares occasions, quand nous ressentons dans un fait d'actualité une proximité si forte avec ce qui a amené à la création de ce blog.

 

Et afin que les visiteurs du blog puissent juger sur pièce.

 

lu sur http://blogs.mediapart.fr/blog/claire-malbos/090513/le-naufrage-et-loffense-la-reponse-daminata-traore 


LE NAUFRAGE ET L’OFFENSE

"LE MALI EST A RENDRE AUX MALIENS "

 

« Toute société impérialiste voit dans l’Autre la négation de l’idéal qu’elle s’efforce, elle-même, d’atteindre.

Elle cherche à le domestiquer en l’attirant dans le champ d’application de son idéal  et en l’y situant au degré le plus bas »

Wolfgang Sachs


1.       QUE SOMMES-NOUS DEVENUS AU MALI ?


« A qui allons-nous rendre les clés ? » est la question posée par Pierre Lellouche, député UMP et Président du groupe Sahel de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale française à propos du Mali. C’était le 22 avril 2013, lors du débat parlementaire qui a précédé le vote de la prolongation de l’opération Serval. Comme pour lui répondre, Hervé Morin, ancien ministre (UMP) de la Défense dit « Mais il n’y a personne à qui passer la main ». Comme une lettre à la poste, la prolongation demandée a été adoptée à l’unanimité. S’agissant de l’organisation de l’élection présidentielle en juillet 2013. La France officielle est non seulement unanime mais  intransigeante.


Je serai « intraitable » a prévenu le Président François Hollande. Ce mot est dans toutes les têtes ici et nous a blessés. Le ministre de la Défense Jean Yves Le Drian estime à ce sujet qu’ « il faut dire les choses fortement » (RFI). Les Maliens qui ont accueilli le Président François Hollande en libérateur s'imaginaient que l'Opération Serval débarrasserait rapidement leur pays de Al Quaeda au Maghreb Islamique (AQMI) et ses affiliés d'Anar Dine et du MUJAO, et que la vie reviendrait comme avant. L'intervention militaire a incontestablement réduit la capacité de nuisance des djihadistes en en tuant qielques centaines et en détruisant d'énormes stocks d'armes et de carburant. Mais les villes de Gao et Tombouctou sont libérées sans l'être totalement puisque des groupes que le discours officiel qualifie de "résiduels" opèrent dans ces localités et y commettent des attentats. Fait plus préoccupant, Kidal est entre les mains du Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA) qui interdit à l'armée malienne d'y accéder.


De peur de s'enliser, la France revoit ses effectifs à la baisse sans pour autant se retirer. Sa coopération avec la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) dans la mobilisation des troupes africaines de la Mission Internationale de Soutien au Mali (MISMA) étant loin d'être satisfaisante. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies au Mali (MINUSMA) entrera en action en juillet.


La France ne s’enlisera pas. Mais dans quelle aventure a-t-elle embarqué notre pays alors qu’il ne s’y était pas préparé ? Et quel Mali laisserons-nous aux générations futures ? Celui où le départ du dernier soldat français a été l’un des temps forts de sa décolonisation et qui aujourd’hui perd ce qui lui restait de souveraineté ?


Confiant dans son rôle de libérateur, le Président Hollande nous a promis lors de son passage à Bamako une nouvelle indépendance, « non pas contre le colonialisme, mais contre le terrorisme ». Comme s’il appartenait à la France de nous sauver d’un péril auquel elle n’est pas étrangère si l’on remonte à son intervention en Libye.


L’Homme malien est-il suffisamment entré dans l’histoire ? Est-il sujet de son propre devenir de manière à jouir de son droit de dire « non » aux choix et aux décisions qui engagent son destin ? 


La militarisation comme réponse à l’échec du modèle néolibéral dans mon pays est le choix que je conteste. Interdite de séjour dans les pays de l’espace Schengen, je regarde avec admiration et respect, la mobilisation et la détermination des peuples d’Europe à lutter contre le même système qui en toute quiétude nous broie, ici en Afrique.

 

2.      L’EFFONDREMENT DU CAPITALISME MALIEN « GAGNANT »


Le Mali ne souffre pas d’une crise humanitaire et sécuritaire au nord du fait de la rébellion et de l’islam radical et d’une crise politique et institutionnelle au sud en raison du coup d’Etat du 22 mars 2012. Cette approche réductrice est la première et véritable entrave à la paix et la reconstruction nationale. Nous avons assisté surtout à l’effondrement d’un capitalisme malien prétendument gagnant au coût social et humain fort élevé.


Ajustement structurel, chômage endémique, pauvreté et extrême pauvreté, sont notre lot depuis les années 80. La France et les autres pays européens ont juste une trentaine d’années de retard sur le Mali, et ses frères d’infortune d’Afrique, soumis depuis plus de trois décennies à la médecine de cheval du Fond Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale.


Selon le CNUCED (rapport 2001), l’Afrique est le continent où la mise en œuvre des PAS a été la plus massive, la plus poussée et la plus destructrice le long des décennies 80 et 90 au cours desquelles les institutions internationales de financement ne se sont préoccupées que de la correction des déséquilibres macro-économiques et des distorsions du marché en exigeant des Etats des documents de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP).


Le credo de Margaret Thatcher « There Is No Alternative » (TINA) marche à merveille sous nos cieux. Il revient à dire au plan économique « libéralisez vos économies à tout prix », au plan politique « Démocratisez selon nos normes et nos critères » et dans le cas du Mali « votez en juillet ». A cet agenda, suffisamment périlleux, s’ajoute, à présent, le volet militaire « sécurisez vos pays selon nos méthodes et conformément à nos intérêts ».


Sacrifié sur l’autel du commerce dit libre et concurrentiel, mais parfaitement déloyal comme l’illustrent les filières cotonnière et aurifère, et sur celui de la démocratie formelle, le Mali est en train de l’être, également, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.


La rébellion du Mouvement Nationale de libération de l’Azawad (MNLA), le coup d’Etat, et le recrutement des jeunes chômeurs et affamés au nord comme au sud du pays par AQMI, Ansar Dine et MUJAO s’inscrivent dans un environnement national explosif. Il a été marqué en fin 2011 et début 2012 par des marches de protestations contre la vie chère, le chômage, la précarité, le référendum constitutionnel, la question foncière, la corruption et l’impunité.


Mis à part la petite minorité des nouveaux riches, c’est le peuple malien qui est le grand perdant de l’ouverture de l’économie nationale aux forceps. Il est diverti par le discours mensonger et soporifique sur l’exemplarité de notre démocratie et de nos performances économiques qui étaient semble-t-il les meilleures  de l’UEMOA. Les voix discordantes sont ostracisées.


3.      DENI DE DEMOCRATIE


Démocratique  à l’intérieur de ses frontières, lorsqu’on considère la teneur et la vivacité du débat dans l’hémicycle et dans la rue sur le mariage pour tous, par exemple, elle se montre intraitable dans ses relations avec le Mali. Ne pas voir le moindre mal dans son retour en force.  Ne rien savoir de ses desseins ou faire semblant de ne pas savoir. Chanter et danser à sa gloire si l’on veut être dans ses bonnes grâces, exister politiquement et circuler librement en Europe. S’y refuser, reviendrait à ne pas être avec elle, donc contre elle. On se croirait au lendemain des attentats du World Trade Center aux Etats-Unis d’Amérique en 2001, au moment où le Président américain Georges W Bush déclarait : « Ou bien on est avec nous, ou bien on est avec les terroristes ». Dans mon cas ce sont les idées de gauche sur les ravages de la mondialisation néolibérale en Afrique qui sont devenues subversives. Elles m’avaient pourtant valu d’être l’invitée du Parti Socialiste à son université de la Rochelle en 2010.


Pour brouiller le sens de mon discours et de mon combat j’ai été qualifiée d’abord de pro-putschiste et d’anti-CEDEAO, avant l’étape actuelle  de mon assignation à résidence. Je suis redevable à Karamoko Bamba du mouvement N’KO de cette pensée africaine selon laquelle « Celui qui a le fusil ne s’en sert pas pour prendre le pouvoir. Et celui qui détient le pouvoir l’exerce dans l’intérêt du peuple et sous son contrôle ».


Pourquoi devais-je faire porter l’entière responsabilité de l’effondrement de l’Etat aux laissés-pour-compte d’une armée gangrenée, comme les autres institutions de la République, par la corruption, le népotisme et l’impunité ?


Il ne peut être reproché aux militaires de ne pas savoir défendre un pays dont les élites politiques et économiques, non seulement acceptent de l’ouvrir au marché dans les pires conditions mais en profitent pour s’enrichir. Le naufrage est d’abord le leur pour avoir revendiqué un modèle économique qui rime avec le désengagement et le délitement de l’Etat, la ruine des paysans, la clochardisation des troupes et le chômage endémique. S’ils n’avaient pas les moyens d’appréhender les ravages du système dans les années 80, nos dirigeants politiques ne peuvent plus l’ignorer au regard de l’impasse dans laquelle ce système  a conduit la Grèce, l’Espagne, le Portugal, Chypre et… la France, leur mode de référence.


4.      DE L’OSTRACISATION A LA CRIMINALISATION


C’est le 12 avril au moment de me rendre à Berlin à l’invitation de la gauche allemande (Die Linke) et à Paris à celle du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) que j’ai appris que j’étais devenue persona non grata en Europe à la demande de la France. Il en est de même pour Oumar Mariko, le Secrétaire général du parti SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance). L’ambassade d’Allemagne m’a donné un visa qui m’a permis de me rendre à Berlin en passant par Istanbul (Turquie) au lieu d’Amsterdam (Pays-Bas) comme initialement prévu. Quant à l’étape de Paris, elle a tout simplement été annulée.


J’ai pris connaissance de mon statut de persona non grata par le message suivant qui m’a été adressé par la Fondation Rosa Luxembourg


« L'ambassade d'Allemagne à Bamako nous a informé ce matin que la condition indispensable pour votre visa pour l'Allemagne est que vous ne voyagiez pas via un pays de Schengen. C'est pourquoi nous avons acheté un nouveau ticket (des vols via Istanbul/Turquie) que vous trouvez ci-joint. Je suis désolé que de ce fait vous n'avez pas la chance de rester trois jours à Paris. Mais l'ambassade d'Allemagne nous a informé que la France a empêché qu'on vous donne un visa pour tous les pays Schengen.  On va venir vous chercher à l'aéroport à Berlin lundi. »


L’Association « Afrique Avenir » en co-organisatrice de l’une des conférences à Berlin a protesté et ses principaux partenaires ont réagi à leur tour. Je remercie tous ceux qui m’ont témoigné leur solidarité et rappelle ici le sens de mon combat, pour ceux qui considèrent que la France a le droit de porter atteinte à ma liberté de circulation en raison de mon désaccord avec Paris lorsqu’il ne  pratique que la politique de ses intérêts.


Qui peut me reprocher ce que les auteurs du rapport d’information du Sénat français disent si clairement en ces termes « La France ne peut se désintéresser de l’Afrique qui est, depuis des décennies, sa profondeur stratégique, qui sera demain, plus peuplée que l’Inde et la Chine (en 2050, l’Afrique aura 1,8 milliards d’habitants contre 250 millions en 1950), qui recèle la plupart des ressources naturelles, désormais raréfiées et qui connaît un décollage économique, certes, inégal, mais sans précédent, qui n’est plus, seulement, porté par l’envolée du cours des matières premières, mais aussi, par l’émergence d’une véritable classe moyenne ».


Si le constat sur les enjeux démographiques et économiques est fondé, le « décollage économique » auquel ce rapport fait allusion est incertain, source de conflits parce qu’inégalitaire, ne profitant d’abord qu’aux entreprises étrangères et à une partie de l’élite politique et économique.


Les enjeux de l’intervention militaire en cours sont : économiques (l’uranium, donc le nucléaire et l’indépendance énergétique), sécuritaire (les menaces d’attentats terroristes contre les intérêts des multinationales notamment AREVA, les prises d’otages, le grand banditisme, notamment le narcotrafic et les ventes d’armes), géopolitique (notamment la concurrence chinoise) et migratoires.


Quelle paix, quelle réconciliation et quelle reconstruction peut-on espérer lorsque ces enjeux sont soigneusement cachés au peuple ?


5.      L’INSTRUMENTALISATION DES FEMMES


L’interdiction de l’espace Schengen ne me vise pas en tant que femme mais elle démontre que celles qui refusent d’être instrumentalisées dans la défense des intérêts dominants peuvent être combattues. J’en fais la douloureuse expérience au niveau national depuis longtemps déjà, mais ne m’attendais à être ostracisée de la part du pays des droits de l’homme, précisément, au moment où mon pays est en guerre. Il viole ainsi la résolution 1325, relative à la participation des femmes à la prise de décision à tous les niveaux, à la prévention ou à la résolution des conflits ainsi qu’à la reconstruction.


Dois-je rappeler que le 8 mars 2013, Journée Internationale des Femmes, le Président François Hollande répondait à son prédécesseur, Nicolas Sarkozy qui s’interrogeait sur la présence de l’armée française au Mali, qu’elle y est allée « parce qu’il y avait des femmes victimes de l’oppression et de la barbarie ! Des femmes à qui l’on imposait de porter le voile ! Des femmes qui n’osaient plus sortir de chez elles. Des femmes qui étaient battues ! ».


A propos de voile, je suis l’une des rescapées maliennes et sahéliennes de l’analphabétisme qui tente de déchirer celui, pernicieux, de l’illettrisme économique qui maintient les Africains dans l’ignorance la plus totale des politiques néolibérales et fait d’eux du bétail électoral. Le Président Hollande se montrerait-il si intraitable quant à la date de l’élection présidentielle au Mali s’il avait devant lui un électorat malien qui place la souveraineté économique, monétaire, politique et militaire au cœur du débat politique ?


A propos des femmes qui "n’osaient plus sortir de chez elles’’, je sortais jusqu’ici librement de mon pays et parcourais tout aussi librement l’Europe et le monde. Quelle que soit l’issue de la situation que je traverse en ce moment, elle ne peut qu’être dissuasive pour les autres Maliennes et Africaines qui ont envie de comprendre le monde global et de lutter pour ne pas le subir mais en être des citoyennes averties et actives.


6.      AIDE AU DEVELOPPEMENT OU A LA MILITARISATION


Au djihadisme armé il faut, semble-t-il, une solution armée. La voie est ainsi ouverte dans un pays comme le nôtre aux achats d’armement au lieu d’analyser et de soigner le radicalisme religieux qui prospère là où l’Etat, ajusté et privatisé, est nécessairement carencé ou tout simplement  absent.


Faire l’âne pour avoir du foin, est le comportement qui prévaut dans ce contexte de pauvreté généralisée tant au niveau des Etats que de certaines organisations non étatiques. Et la guerre - comble de l’horreur - est aussi une occasion d’injecter de l’argent frais dans notre économie exsangue.


Déçue par les hésitations et les lenteurs de l’Europe dont la solidarité s’est traduite jusqu’ici par la formation de l’armée malienne et de certains soutiens bilatéraux, la France invite au partage de l’effort financier entre Européens dans la défense de leurs intérêts stratégiques en Afrique de l’Ouest. D’autres bailleurs de fonds y seront associés.


Le 15 mai 2013 à Bruxelles, les bailleurs de fonds examineront le plan d’actions prioritaires d’urgence (pour 2013 et 2014). Les ressources qui seront mobilisées (ou annoncées) profiteront-elles au peuple malien, qui ne sait plus où donner de la tête ou  irrigueront-elles les mêmes circuits économiques selon les mêmes pratiques qui ont aggravé la pauvreté et les inégalités.


Dans le cadre de la reprise de la Coopération, le ministre français délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du Développement annonce 240 millions d’euros destinés à financer l’agriculture, les services de bases dont l’eau et l’électricité dans les régions du nord, le retour des populations.


C’est le lieu de rappeler que Tripoli la capitale Libyenne a abrité, les 29 et 30 novembre 2010, le Troisième Sommet Afrique-UE où le Guide libyen, Mouammar Kadhafi, a accueilli, en grande pompe, les dirigeants de 80 pays africains et européens.


La création d’emplois, les investissements et la croissance économique, la paix, la stabilité, les migrations et le changement climatique étaient à l’ordre du jour de ce sommet. Les participants s’étaient mis d’accord sur un « plan d’action » pour un Partenariat Afrique-UE de 2011 à 2013.


L’UE a, à cette occasion, réaffirmé son engagement à consacrer 07% de son PNB à l’aide publique et au développement d’ici 2015 et d’affecter 50 milliards d’euros aux objectifs généraux du partenariat envisagé entre 2011 et 2013. Nous sommes en 2013 et fort loin des objectifs de développement du Millénaire et des voies et moyens de les atteindre en 2020. Car le ver dans le fruit.


La paix, la réconciliation et la reconstruction du Mali, n’ont aucune chance d’aboutir si elles doivent reposer sur des arrangements politiciens en vue d’engranger l’ « aide extérieure ».


L’Etat, ou ce qui en reste ainsi que les rebelles se battent et négocient dans le cadre du même paradigme qui a aggravé le chômage, la pauvreté et les tensions. Les différends se règlent en termes d’investissement, dans les infrastructures, le lieu par excellence de l’enrichissement rapide et de la corruption. La liste des travaux d’infrastructures mal exécutés ou non réalisés est longue. Elle explique en partie le mécontentement des populations du septentrion qui souffrent pendant que des maisons individuelles poussent au su et au vu de tout le monde grâce aux détournements de fonds et l’argent du narcotrafic.

 

7.      OSONS UNE AUTRE ECONOMIE


Rien ne sera plus comme avant. Ce qui était difficile risque de l’être davantage avec la militarisation qui absorbera des ressources dont nous avons cruellement besoin pour l’agriculture, l’eau, la santé, le logement, l’environnement et l’emploi.


Opération Serval, Mission Internationale de Soutien au Mali (MISMA), Mission Intégrée de Stabilisation Multidimensionnelle des Nations-Unies, la défense de notre pays et notre sécurité, avant d’être militaire, est d’abord un défi intellectuel, moral et politique.


Je me suis reconnue dans les propos du candidat François Hollande lorsqu’il déclara qu’ « il est temps de choisir une autre voie. Il est temps de choisir une autre politique ». Ce temps est, assurément, venu et pour la France et pour ses anciennes colonies d’Afrique. Il est celui des transitions économiques, sociales, politiques, écologiques et civilisationnelles qui n’ont rien à voir avec la feuille de route de la « communauté internationale ». Elles renvoient à un changement de paradigme.


Que les dirigeants africains qui ont intériorisé le discours mensonger sur l’inéluctabilité de cette guerre afin d’en finir le péril djihadiste ne s’y trompent pas : l’effet de contagion qu’ils redoutent, tient moins à la mobilité des djihadistes qu’à la similitude des réalités économiques, sociales et politiques induites par le modèle néolibéral.


Si les chefs djihadistes viennent d’ailleurs, la majorité des combattants sont des jeunes maliens sans emplois, sans interlocuteurs, sans perspectives d’avenir. Les narcotrafiquants puisent, eux-aussi, convoyeurs et revendeurs de drogue parmi la même jeunesse désemparée.


La misère morale et matérielle des jeunes diplômés, des paysans, des éleveurs et d’autres groupes vulnérables constitue le véritable ferment des révoltes et des rebellions qui, mal interprétées, alimentent, de l’intérieur bien des réseaux. La lutte contre le terrorisme et le crime organisé, sans effusion de sang, au Mali et en Afrique de l’Ouest passe par l’analyse honnête et rigoureuse du bilan des trois dernières décennies de libéralisme sauvage, de destruction du tissu économique et social ainsi que des écosystèmes. Rien n’empêche les centaines de milliers de jeunes Maliens, Nigériens, Tchadiens, Sénégalais, Mauritaniens et autres, qui viennent chaque année grossir le nombre des demandeurs d’emploi et de visas, de rejoindre le rang des djihadistes si les Etats et leurs partenaires techniques et financiers ne sont pas capables de remettre le modèle néolibéral en question.


8.      L’INDISPENSABLE CONVERGENCE DES LUTTES


Je plaide pour un élan de solidarité qui prenne le contre-pied de la militarisation, nous restitue notre dignité, préserve la vie et les écosystèmes.


Tout irait dans le bon sens si les 15.000 soldats étaient des enseignants, des médecins, des ingénieurs et si les milliards d’euros, qui vont être dépensés, étaient destinés à ceux et celles qui ont le plus besoin. Nos enfants n’auraient pas besoin d’aller se faire tuer en soldats mal payés, en narcotrafiquants ou en fous de Dieu.


Nous nous devons de nous atteler, nous-mêmes à la tâche primordiale de la transformation de notre moi profond, ébranlé et de notre pays meurtri. L’avantage considérable de l’approche systémique est la détribalisation des conflits au profit d’une conscience politique qui réconcilie et rassemble ceux que l’économie mondialisée broie. Touareg, Peulh, Arabes, Bamanan, Sonrhaï, Bellah, Sénoufos cesseraient de s’en prendre les uns aux autres et se battraient ensemble et autrement.


Cette approche altermondialiste nous rend notre « dignité » dans un contexte où nous avons tendance à culpabiliser et à nous en remettre, poings et pieds liés, à une « communauté internationale » juge et partie.

Elle plaide pour la convergence des luttes à l’intérieur des frontières entre les différentes composantes de la société éprouvées par la barbarie du système capitaliste qui ne veulent ni se résigner ni se soumettre. Elles doivent explorer ensemble des alternatives à la guerre.

Les Etats libéraux ayant privilégié la guerre et investi dans les armes de destruction des vies humaines, du lien social et des écosystèmes, innovons à travers la bataille des idées et convoquons une conférence citoyenne au sommet pour l’autre développement du Mali, en vue de desserrer l’étau de la mondialisation capitaliste. Il s’agit d’instaurer le débat sur la relation entre politiques néolibérales et chaque aspect de la crise : chômage endémique des jeunes, rébellions, mutineries, coups d’Etat, violences faites aux femmes, radicalisme religieux.


Un travail inédit et intense d’information et d’éducation citoyenne dans les langues nationales, permettra aux Maliens de parler enfin entre eux de leur pays et de leur avenir.


Parce que tous les Hommes naissent libres et égaux en droits, nous revendiquons juste notre droit à :

-          un autre économie, de manière à disposer des richesses de notre pays, et  à choisir librement des politiques qui nous mettent à l’abri du chômage, de la pauvreté, de l’errance et de la guerre ;

-          un système politique véritablement démocratique, parce que intelligible pour l’ensemble des Maliens, décliné  et débattu dans les langues nationales, fondé sur des valeurs de culture et de société largement partagées ;

-          la liberté d’expression et de circulation.


9.      RENDEZ-NOUS LES CLES DE NOTRE PAYS !


La France officielle qui déclare urbi et orbi que nous n’avons « pas d’Etat digne de ce nom », ni « d’armée digne de ce nom », considère certainement que nous n’avons pas non plus d’existence en tant que peuple pour aller jusqu’à se demander  « à qui remettre les clés » et à exiger l’organisation de nos élections en juillet 2013. Elle s’accommode par ailleurs de l’annulation de la concertation nationale - qui devait nous permettre de prendre ensemble entre Maliens le pouls de notre pays. Elle s’accommode tout autant de l’état d’urgence instauré, puis prolongé une première fois, et une seconde fois de manière à « sécuriser » la transition.


Je n’ai pas le sentiment que la « guerre contre le terrorisme » ait apporté la paix en Irak, en Afghanistan et en Libye, et que les casques bleus ont su garantir aux populations de la République Démocratique du Congo et en Haïti la sécurité que celles-ci étaient en droit d’attendre d’eux.


Mais je suis persuadée qu’il y a en chaque Malienne et chaque Malien un(e) soldat(e), un(e) patriote qui doit pouvoir participer à la défense de ses intérêts et du Mali à partir d’une bonne connaissance de son état réel dans l’économie mondialisée.


La réponse à l’insupportable question de Claude Lellouche est claire : le Mali est à rendre aux Maliens. Nous pouvons-en prendre le plus grand soin parce que, comme Bouna Boukary Dioura l’a rappelé, nous savons, nous les peuples du Sahel que les rochers finissent par fleurir à force d’amour et de persévérance.


Rendez les clés du Mali au peuple malien !

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21 avril 2014 1 21 /04 /avril /2014 19:41

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

Premières notations sur Rosa Luxemburg prisonnière ...

 

Parloirs sous surveillance, transferts, les courriers qui mettent si longtemps à arriver, la tristesse d'une après-visite, le silence de la nuit, les dimanches sinistres, le sentiment de flottement, d'attente, sa propre voix que l'on n'entend plus puisqu'on ne parle plus, l'extinction des feux, l'impuissance à accompagner ceux qui sont dehors, les cadeaux dérisoires.

 

Dans les lettres à Sonja Liebknecht, Rosa Luxemburg en décrivant au détour d'une ligne, d'un souvenir, d'une évocation le quotidien vécu, transmet avec toute sa sensibilité, son intelligence et son engagement, la réalité des prisons.

 

Une réalité qui change si peu qu'elle résonne intensément pour tous ceux qui de près ou de loin connaissent, combattent la prison ...

 

File:Bundesarchiv Bild 102-12436, Berlin, Frauengefängnis, Hof.jpg  http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/83/Wiezieniewewronkach2.jpg/220px-Wiezieniewewronkach2.jpg

Prisons de Berlin, Barnimstrasse et de Wroncke


La longueur des courriers

"Aujourd'hui 5 août, je viens de recevoir vos deux lettres à la fois, celles du 11 juillet (!) et celle du 23 juillet. Vous voyez que le courrier met plus de temps à me parvenir que pour aller à New York."

 Prison de Barnimstrasse - le 5 août 1916 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 14

 

L'impuissance à accompagner ses proches et amis

 

"Il m'a été très pénible de vous quitter dans la situation où vous êtes". 

Prison de Barnimstrasse - le 5 août 1916. Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 14

 

Cher Sonitschka, qu'il m'est pénible de ne pas être auprès de vous en ce moment. 

Prison de Wroncke - le 24 août 1916. Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 15

 

"Ma chère petite Sonitscka, j'ai appris par Mathilde que votre frère est mort à la guerre ... Et dire que je puis même pas être vous redonner du courage!..

Prison de Wroncke - le 21 novembre 1916 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 16

 

Offrir

 

"Je voulais tant vous envoyer quelque chose par l'intermédiaire de Mathilde, mais je n'ai rien d'autre ici que ce petit fichu bariolé; il vous fera peut-être sourire, mais il vous dira simplement que je vous aime beaucoup. 

Prison de wroncke - le 21 novembre 1916 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 16

 

La fin d'un parloir

 

Ah J'ai passé aujourd'hui un moment très pénible. A 3 h 19, le sifflet de la locomotive m'avertit du départ de Mathilde, et j'ai couru comme une bête en cage tout le long du mur, faisant et refaisant la "promenade" habituelle. J'avais le cœur crispé à l'idée que je ne pouvais partir moi aussi. Oh! Partir! Mais cela ne fait rien. Mon cœur a reçu une tape, ensuite, il s'est tenu tranquille; il est habitué à obéir comme un chien bien dressé. Ne parlons plus de moi.

Prison de wroncke - le 15 janvier 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 17

 

Les parloirs hygiaphone (ici un grillage)

 

Depuis longtemps rien ne m'avait autant bouleversée comme le bref compte-rendu que m'a fait Martha de votre visite à Karl et de l'impression que vous avez ressentie quand vous l'avez retrouvé derrière un grillage. ... Du reste, cela m'a tout à fait rappelé le jour où j'ai revu mes frères et sœurs à la citadelle de Varsovie, il y a dix ans. Là-bas, on vous conduit dans une sorte de double cage en treillis de fil de fer, c'est-à-dire dans une petite cage placée à l'intérieur d'une plus grande et on doit parler à travers les deux treillis qui scintillent. En outre, comme cela se passait aussitôt après une grève de la faim de six jours, j'étais si affaiblie que le capitaine (qui commandait la forteresse) a pratiquement été obligé de me porter jusqu'au parloir. Je me soutenais des deux mains au grillage, ce qui donnait encore plus l'impression d'un fauve au zoo. La cage se dressait dans un angle assez obscur de la salle et mon frère approchait son visage du treillis. "Où es-tu?" demandait-il sans cesse, et il essuyait sur son lorgnon, les larmes qui l'empêchaient de voir. Que je serais heureuse d'être en ce moment dans la cage de Luckau pour éviter à Karl cette épreuve!

Prison de wroncke - le 18 février 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 19

 

Dimanche

 

Aujourd'hui, c'est à nouveau dimanche, le jour le plus sinistre pour les prisonniers et pour tous ceux qui souffrent de la solitude. Je suis triste, mais je souhaite de tout cœur que ni Karl ni vous n'éprouviez le même sentiment ...

Prison de wroncke - le 18 février 1917Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 20

 

Réduite au silence

 

A vrai dire, j'éprouve rarement le désir de parler, je passe des semaines sans entendre le son de ma propre voix ..

Prison de wroncke - le 23 mai 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 32

 

Le sentiment d'attente

 

J'étais debout à la fenêtre, et j'attendais moi aussi - dieu sait quoi! . A six heures, on nous "boucle", et je n'ai plus rien à attendre entre ciel et terre ...

Prison de wroncke - le 23 mai 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 36

 

Transfert

 

Vous savez probablement qu'on me transfère à Breslau. Ce matin, j'ai dit adieu à mon petit jardin. Le ciel est gris et pluvieux, l'orage menace, dans le ciel courent des lambeaux de nuages, mais j'ai bien profité de ma promenade habituelle

 

Ma chère Sonitschka, votre lettre m'est parvenue le 28. C'était la première fois que je recevais ici des nouvelles de l'extérieur, et vous imaginez ma joie. Vous avez tant de sollicitude à mon égard que vous prenez mon transfert trop au tragique ... Vous savez que j'accueille toujours avec le plus grand calme les vicissitudes de la vie. Déjà, je me suis adaptée; mes caisses de livres sont arrivées aujourd'hui. Bientôt les deux cellules que j'occupe paraitront aussi intimes et confortables que mon logis de Wroncke grâce aux livres, aux reproductions et à la modeste décoration que j'emporte toujours avec moi et je redoublerai d'ardeur au travail. Ce qui me manque, c'est la relative liberté de mouvement que j'avais à Wroncke où la forteresse restait ouverte toute la journée, alors qu'ici je suis tout simplement enfermée. Je regrette aussi l'air pur et surtout les oiseaux! Vous ne pouvez imaginer combien je suis attachée à ces petits compagnons. Mais on peut se passer de tout cela et j'oublierais bientôt que j'ai connu un meilleur sort. Ici la situation est assez semblable à celle de la rue Barnim, mais il manque la jolie cour verte de l'infirmerie où je faisais chaque jour quelques petites découvertes de botanique ou de zoologie. Ici, il n'y a rien à découvrir dans la grande cour pavée de l'économat où se passent mes promenades.

Prison de Breslau - le 23 mai 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 41 - 42

 

Les co-détenus

 

Je tiens les yeux obstinément fixés sur les pavés gris pour ne pas voir les prisonniers qui travaillent dans la cour, vêtus de leur tenue infamante dont le spectacle m'est pénible. Parmi eux il y en a toujours qui, sous l'influence de la plus profonde dégradation humaine n'ont plus d'âge, de sexe, de personnalité, mais qui attirent mes regards car ils exercent sur moi une douloureuse fascination. ...

Prison de Breslau - le 23 mai 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 41 - 42

 

Communication clandestine

 

Ecrivez-moi tout de suite, si possible, par la même voie, ou à défaut par la voie officielle, sans mentionner cette lettre

 

Prison de Breslau - le 23 mai 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 48

 

l'affreux décor de ma vie

(voir sur le blog)

 

Prison de Breslau - le 24 novembre 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 49 - 50

 

C'est mon troisième Noël

 

Prison de Breslau - mi-décembre 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 51

 

Extinction des feux - silence de la nuit carcérale

 

Hier, je suis restée longtemps éveillée - je ne peux pas dormir avant une heure du matin, mais il faut que j'aille au lit à dix heures ...Me voici couchée dans une cellule obscure, sur un matelas dur comme la pierre, autour de moi, la prison est plongée dans un silence de mort, on se croirait au fond d'un sépulcre, le reflet de la lanterne qui brûle toute la nuit devant la prison entre par la fenêtre et danse au plafond. De temps à autre, on entend au loin, le roulement étouffé d'un train ou bien, tout près, sous la fenêtre, la toux et le pas lent de la sentinelle qui se dégourdit les jambes en traînant ses lourdes bottes. Le bruit du sable qui crisse désespérément sous ses pas semble évoquer, dans la nuit noire et humide, toute la désolation d'une vie sans issue. Je suis étendue là, seule, livrée à l'obscurité, à l'ennui, à l'hiver et, malgré tout, une joie étrange, inconcevable, fait battre mon coeur, comme si je marchais dans une prairie en fleurs,  sous un soleil éclatant. Je souris à la vie, comme si je connaissais la formule magique qui  change le mal et la tristesse en clarté et en bonheur ...

Prison de Breslau - mi-décembre 1917 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 -P 51 - 52

 

Rejet d'une demande de mise en liberté, d'une autorisation de sortie

 

A vrai dire les "événements" m'enlèvent toute envie d'écrire ... Quelle joie ce serait si nous pouvions nous retrouver, aller flâner ensemble dans la campagne, bavarder de choses et d'autres! Mais on a repoussé ma requête en faisant valoir, dans un rapport détaillé, que je suis mauvaise et incorrigible et l'on m'a de même refusé l'autorisation de sortir quelques jours. Je devrai donc attendre que nous ayons vaincu le monde entier.

 Prison de Breslau - 24 mars 1918 Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 59

 

L'intolérable des parloirs sous surveillance

 

Sonitschka, ma très chère amie, je vous ai écrit avant-hier. Je n'ai toujours pas de nouvelles du télégramme que j'ai adressé au chancelier de l'Empire. Cela peut encore demander quelques jours. En tout cas, une chose est certaine: je suis dans un tel état d'esprit que je puis recevoir mes amis en présence d'un gardien. Pendant des années j'ai tout supporté avec beaucoup de patience et j'aurais continué pendant des années encore si les circonstances n'avaient changé. Mais depuis le renversement de la situation, je suis en proie à de trop vives émotions. Les entretiens sous surveillance au cours duquel je ne puis parler de ce qui m'intéresse vraiment me sont devenus si pénibles que je préfère renoncer à toute visite jusqu'à ce que nous puissions nous revoir en toute liberté.

Prison de Breslau - 18 octobre  1918 - Lettres de prison - Editions Balibaste - 1969 - P 67

 


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18 avril 2014 5 18 /04 /avril /2014 21:24

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

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Avec cette mention édifiante concernant Rosa Luxemburg:
'La citoyenne Rosa Luxembourg, petite juive polonaise des provinces allemandes, aux traits anguleux, à la voix froide et monotone, à la démarche légèrement claudicante, qui possède en Allemagne la spécialité des discours intransigeans et jouit de plus de prestige dans les réunions publiques qu’elle n’exerce d’autorité dans le parti, était chargée d’exposer au Congrès les décisions de la Commission de la paix internationale. Cette question non plus n’a pas été discutée, bien qu’elle ait donné lieu à de vives polémiques chez les social-démocrates allemands. M. de Vollmar, qui répond d’ordinaire avec une ironie si moqueuse aux thèses excentriques de Mlle Rosa Luxembourg, ne s’est pas donné cette fois la peine de la contredire."


Le Congrès socialiste international. — Le Socialisme bourgeois 

J. Bourdeau - Revue des Deux Mondes - 4epériode, tome 162, 1900 (pp. 639-663).

 

Parmi les innombrables congrès qui se sont réunis à Paris, à l’occasion de l’Exposition, les congrès socialistes, international et national, ont surtout attiré l’attention. Ils ont été les plus bruyans, les plus tumultueux, les plus discordans. C’est peut-être dans le parti où l’on parle le plus de solidarité, — la grande devise de la fin du XIXe siècle, comme le fut la sensibilité, au siècle dernier, — c’est dans ce temple de la solidarité que l’on se prodigue, du moins en France, les plus basses injures et les plus infamantes, lorsque l’on n’en vient pas aux coups. Henri Heine constatait, dès l’origine, ce trait de caractère chez les propagandistes : « L’esprit soupçonneux, mesquin, envieux de ces gens a besoin d’être occupé par l’action, sans cela il se perd dans de subtiles discussions et d’aigres disputes de jalousie qui dégénèrent en inimitiés mortelles. Ils ont peu d’amour pour leurs amis. » Ils demeurent les mêmes, aujourd’hui qu’un champ presque illimité semble s’ouvrir à leurs entreprises. L’histoire du parti socialiste depuis vingt ans n’offre qu’une suite de discordes et de guerres intestines qui font mal augurer de la paix romaine qu’il nous promet pour le jour où il occupera le pouvoir.

I. — PHYSIONOMIE GÉNÉRALE DES CONGRÈS

Au mot de solidarité est toujours associé, dans le vocabulaire socialiste, le terme de prolétariat : solidarité et prolétariat, tout le socialisme contemporain semble contenu dans ces deux termes. L’essence de la doctrine, c’est que le nouveau régime industriel, contrairement à l’ancien, divise le monde en deux classes séparées, opposées d’intérêts et nécessairement antagonistes : une classe qui possède le capital et les instrumens de production, et devient de plus en plus riche et restreinte ; et une classe de prolétaires qui ne dispose que de sa force de travail, et qui s’accroît sans cesse. Le socialisme n’est autre chose que la claire connaissance de cette évolution fatale, et les partis socialistes n’ont d’autre objet que de régulariser et d’accélérer la prise de possession du pouvoir et de la richesse par les classes ouvrières organisées, et cela au profit de la communauté tout entière.

Le mouvement socialiste, à mesure qu’il grandit, tend à se séparer, dans tous les pays industriels, en deux courans très distincts : le mouvement ouvrier proprement dit, corporatif, constitué par les associations ouvrières, les Syndicats, les Bourses du Travail, voués à l’éducation, aux intérêts professionnels des travailleurs, poursuivant des revendications économiques, et se servant de la grève comme arme de combat. C’est dans ces milieux ouvriers que la solidarité et le prolétariat coexistent effectivement. Mais, parallèlement à cette marche de l’armée industrielle, il s’est formé des partis socialistes politiques qui, par le bulletin de vote, pénètrent dans les corps élus, et s’efforcent d’agir sur la législation de tous les pays, selon le sens des intérêts généraux du travail. Or, c’est un phénomène digne d’attention, que les partis socialistes politiques sont de plus en plus envahis et dirigés par des membres de la bourgeoisie. On vit de même la noblesse, au siècle dernier, fournir nombre de protagonistes à la Révolution.

Cet embourgeoisement croissant de la démocratie socialiste, se marque de plus en plus à tous les Congrès par le seul aspect de ces assemblées. Nous ne sommes que très imparfaitement renseignés sur la proportion des ouvriers délégués à ces congrès politiques [1]. Ils sont rejetés dans l’ombre ; au bureau, comme à la tribune, on ne voit, on n’entend la plupart du temps que des présidens, des assesseurs, des secrétaires, des orateurs bourgeois. Un ouvrier, au Congrès de Breslau, nous disait, en nous montrant avec orgueil ses mains calleuses : « Regardez bien ceci, c’est rare dans notre parti ! » Nous ne savons combien on aurait compté de callosités parmi les sept ou huit cents délégués qui représentaient une douzaine de nations, et qui sont venus siéger le 23 septembre dans cette salle Wagram, théâtre habituel des ébats auxquels se livrent les gens de maison, le dimanche soir, jouant aux comtes et aux marquises. Mais, à défaut de mains calleuses, nous y aperçûmes de belles mains blanches de jeunes femmes, agitant, lorsqu’il s’agissait de voter ou de manifester, leurs cartes rouges de déléguées. Nous avons rencontré là des dames que l’on salue dans le monde, que l’on croise en calèche aux Champs-Elysées ou qu’on lorgne dans les premières loges à l’Opéra. Nous avons entendu un délégué, mis avec un bon goût parfait, reprocher à un autre de passer sa vie dans les châteaux. Parmi ces social-démocrates, il y a des aristocrates de naissance, des rentiers, des patrons, des propriétaires ; le banquier, l’agent de change sont pareillement représentés dans le parti ; puis viennent les journalistes, les étudians, les agrégés : et nous jugions combien M. de Vollmar, le social-démocrate bavarois, avait raison de se moquer un jour de ceux qui considèrent les politiciens socialistes comme des « prolétaires révolutionnaires. » Mais nous nous rappelions en même temps les termes précis du Credo socialiste, condition essentielle pour être admis à ces congrès. Il s’agit de jurer, en effet, qu’on est internationaliste, qu’on vise à la socialisation des moyens de production, c’est-à-dire au collectivisme, à la suppression de la propriété privée, pour soi et pour les autres, et qu’il n’y a qu’un moyen d’atteindre ce but, la conquête des pouvoirs publics, par le prolétariat organisé en parti de classe. Nous lisons bien par le prolétariat, et non par la bourgeoisie possédante, au nom du prolétariat : la distinction est essentielle. Sans doute il ne faut pas entendre le mol prolétariat dans le sens restreint de travailleur manuel, d’ouvrier de fabrique, ni confondre les termes de prolétariat et de paupérisme. Est un prolétaire quiconque se trouve dans une situation dépendante, et vit uniquement de son travail manuel ou intellectuel plus ou moins fructueux, qu’il soit terrassier, mécanicien, ingénieur, avocat, médecin ou lettré, sans autre patrimoine ni héritage. Si c’était là une condition absolue d’admission à un congrès socialiste, comme la logique l’exigerait, le socialisme international serait décapité, privé de ses membres les plus éminens. Mais M. Jaurès a découvert jadis une formule ingénieuse qui concilie tout : est considéré comme prolétaire quiconque « a rompu avec la conception bourgeoise de la propriété. » Rompre avec une conception, bourgeoise ou autre, est toujours facile ; la difficulté, c’est de rompre avec la pratique de propriétaire et de renoncer à son bien. Le cas est rare, l’effort difficile. Aussi vaut-il mieux s’en tenir au socialisme aisé.

Les précédens congrès internationaux, à Bruxelles, à Zurich, surtout à Londres, avaient été troublés par la présence de fâcheux compagnons, les anarchistes révolutionnaires. On confond quelquefois les anarchistes et les socialistes. Mais, en Allemagne notamment, les social-démocrates considèrent que l’anarchisme est un ennemi aussi dangereux que le capitalisme même, et qu’ils ont mission de détruire ces deux monstres.

En présence de l’Etat moderne, défendu par sa police et protégé par son armée, les révoltes individuelles ou populaires, les attentats et les émeutes ne peuvent avoir d’autre effet que de déchaîner la réaction. Ce sont les tentatives insensées de Hœdel et de Nobiling contre Guillaume Ier qui permirent à Bismarck d’obtenir sa loi contre les socialistes. Toute tentative prématurée ne fait donc que retarder la Révolution. Il n’y a qu’une arme légitime, le bulletin de vote, que les anarchistes réprouvent et dans lequel ils ne voient qu’une duperie. Aussi les socialistes ont-ils chassé les anarchistes de leurs rangs, et ils ont fini par les exclure des Congrès internationaux. Expulsés à Zurich en 1893, ils étaient revenus à Londres en 1896, pourvus de nombreux mandats dans la section française où, unis aux syndicaux purs, ils formaient la majorité. Ils firent perdre trois jours au Congrès sur la question de leur admission. De leur propre aveu, ils n’étaient là que pour obliger les social-démocrates à confesser solennellement ce qu’ils étaient en réalité, non pas des révolutionnaires, mais de purs politiciens. Grâce à l’influence de Liebknecht et des Allemands, le Congrès de Londres imposa, même aux organisations purement corporatives, la reconnaissance formelle et catégorique de l’action parlementaire, comme un des moyens nécessaires pour arriver au collectivisme : en conséquence, les anarchistes furent excommuniés, bannis à tout jamais. Aux yeux des social-démocrates, cette décision a l’importance du Concile de Constance, qui mit fin au grand schisme d’Occident et intronisa un seul pape au lieu de deux. L’Eglise de Marx est seule reconnue, celle de Bakounine et de ses successeurs est rejetée comme entachée d’hérésie. Pour le Congrès de Paris, des précautions minutieuses avaient été prises, afin de faire respecter la décrétale de Londres. Une conférence préliminaire s’était réunie à Bruxelles. On exige de tous les délégués, de tous les syndicats, qu’ils reconnaissent la nécessité de l’action législative et parlementaire, sans qu’ils soient obligés d’y prendre part.

Les anarchistes, de leur côté, avaient organisé un Congrès ouvrier révolutionnaire international [2] qui devait se tenir à Paris du 19 au 22 septembre à la veille du Congrès socialiste, mais ils comptaient sans le ministère. M, Waldeck-Rousseau a mis le pouvoir exécutif au service des social-démocrates, et interdit la réunion anarchiste, sans que la moindre protestation se soit élevée, du moins parmi les socialistes étrangers, contre cette mesure. Seul le Congrès national, sur la motion de M. Allemane, a réclamé la liberté pour tous. Ainsi, par ordonnance de police, le révolutionnarisme anarchiste est réduit au silence. Seuls les politiciens socialistes ont la parole.

II. — LES REVENDICATIONS OUVRIÈRES ET L’ÉMANCIPATION DES TRAVAILLEURS

Les partis socialistes se présentent aux classes ouvrières comme seuls capables de faire aboutir leurs revendications et de les conduire à l’émancipation finale. La première exigence universelle, conforme à ce que les économistes appellent la loi du moindre effort, c’est de travailler moins et de gagner plus, de voir diminuer les heures de travail et augmenter les salaires. Par l’organisation syndicale, par l’entente avec les patrons, par les grèves, les ouvriers industriels obtiennent des améliorations partielles et fragmentées. Les socialistes prétendent les généraliser par l’action politique, par une législation ouvrière uniforme dans tous les pays. Le premier Congrès international, qui se réunit à Paris en 1889, pendant qu’on célébrait le centenaire de la Révolution bourgeoise, inscrivit en tête de son programme la journée de huit heures par voie de réglementation internationale. Cette réforme, en donnant à l’ouvrier plus de repos et de loisir, lui permettra d’agir avec plus d’efficacité en vue de son émancipation finale. Assurément la journée de huit heures n’est pas un minimum. M. Laforgue estime que, dans la société future, grâce au perfectionnement du machinisme, on ne travaillera que deux ou trois heures. En 1848, on parlait du droit au travail, il s’agit de proclamer aujourd’hui le droit à la paresse. L’ouvrier vivra comme un bourgeois : il n’y aura plus que des bourgeois. Bien loin de détruire la vie bourgeoise, le collectivisme aboutira au pan-bourgeoisisme. En attendant que ce rêve devienne une réalité, les ouvriers se montreraient fort satisfaits d’obtenir la journée légale de huit heures, voire celle de dix heures, et tous les congrès, depuis 1889, ont voté des résolutions en ce sens : les ouvriers doivent tendre à tout abaissement du temps de travail qui en rapproche. Le rapport lu au Congrès sur cette question n’a même pas fait l’objet d’une discussion ; il était, d’ailleurs, totalement dénué d’esprit critique. Le rapporteur, M. Wurm, membre du Reichstag allemand, ne s’est même pas enquis des expériences de la journée de huit heures qui ont été tentées, de leurs succès ou de leurs échecs. Certains socialistes estiment qu’elle est inapplicable pour l’agriculture [3] : il n’y est fait par le rapporteur aucune allusion. Depuis le Congrès de Breslau, les Allemands ont, d’ailleurs, renoncé à traiter les questions agraires. Le Congrès de Londres en a reconnu la diversité, et l’impossibilité de les ramener à des formules uniformes. La grande majorité de la classe laborieuse, la population paysanne n’a pas un seul délégué à ce Congrès soi-disant ouvrier. — Enfin, il eût été très utile de savoir si les patrons socialistes qui se trouvaient au Congrès, mettent eux-mêmes en application la journée de huit heures. On nous dit que ce n’était pas le cas pour M. Singer, par exemple. On se souvient que M. Anseele, lui-même un ancien ouvrier, le directeur si capable et si compétent de la grande coopérative socialiste de Gand le Vooruit, fut poursuivi et condamné à une amende pour infraction aux lois protectrices du travail (octobre 1896). Au Congrès de Breslau, une plainte s’éleva sur le travail de nuit des typographes employés à la composition du journal officiel socialiste, le Vorwaerts. Liebknecht répondit que ce travail était imposé par la concurrence des journaux bourgeois : il faut bien que les socialistes subissent les nécessités de la mauvaise société où ils vivent, mais ils se flattent de la réformer, puis de la détruire, et de faire enfin de leurs promesses une réalité. Cela n’est peut-être pas aussi aisé qu’ils le pensent. La Commune, qui fut un essai de gouvernement, abolit, par un décret, le travail de nuit dans les boulangeries, mais elle fut obligée de le rétablir presque aussitôt, à la demande des intéressés eux-mêmes. Les concierges de Paris tenaient à leur pain mollet pour le déjeuner du matin, et l’on dut céder aux exigences de cette puissante et redoutable corporation.

Comme à tous les congrès précédens, il a été décidé que la démonstration du 1ermai, cette grande revue des forces ouvrières, groupées sous les plis du drapeau rouge, décrétée à Paris en 1889, aurait lieu comme par le passé. Mais elle laisse de plus en plus indifférent le monde des travailleurs.

La question d’un minimum de salaire, qui devait être discutée, ne l’a pas été non plus. Mais, contrairement à M. Wurm sur la journée de huit heures, le rapporteur M. Molkenbuhr considère qu’il est impossible d’obtenir une échelle de salaires uniformes pour tous les pays. M. Molkenbuhr a du moins le mérite de se rendre compte que la société est un organisme complexe. Un salaire élevé pour un pays sera bas pour un autre et réciproquement, car les salaires sont en raison du coût de la vie, du prix des subsistances. On engage donc les travailleurs à conquérir ce minimum de salaire, — puisqu’il ne peut être établi par voie législative uniforme, — au moyen de fortes organisations syndicales, de façon qu’il soit en rapport avec le plus large fondement de l’existence. En outre, par les moyens politiques et économiques, par la grève et le bulletin de vote, lorsqu’il s’agit de travaux publics, il faudra obtenir de l’administration qu’elle paie directement un minimum de salaire, ou y oblige les entrepreneurs dans le cahier des charges. M. Millerand, par le décret d’août 1899, a donné satisfaction à cette exigence.

Ce ne sont là que de pures réformes, et les démocrates socialistes visent bien au-delà. Ils ne sont pas de simples réformistes, ils aspirent au renversement complet de l’ordre actuel, à l’émancipation définitive du travail par la constitution et l’action du prolétariat organisé en parti de classe, — l’expropriation politique et économique de la bourgeoisie [4], — et enfin, à la socialisation des moyens de production, c’est-à-dire au collectivisme. Nous connaissons la formule. Mais d’autre part cette expropriation de la bourgeoisie est présentée désormais comme une œuvre infiniment longue et laborieuse (Lassalle disait une œuvre séculaire), et il n’est plus de mode de la prophétiser à brève échéance : on peut juger d’après cela que tous les propriétaires qu’attire la démocratie socialiste pourront, longtemps encore, se contenter de rompre avec la conception bourgeoise de la propriété, et en conserver, chaque jour de la vie, la pratique si profitable.

Enfin n’est-il pas plaisant de voir les socialistes bourgeois arborer sans cesse le drapeau du Collectivisme, et un ministre français, M. Millerand à Lens, le montrer du doigt aux classes ouvrières en leur disant : c’est par ce signe que vous vaincrez ! alors que les ouvriers les plus intelligens, les plus avancés dans la voie d’une solution de la question sociale, ne veulent plus en entendre parler. Au récent congrès des Trades Unions à Huddersfield où un million et quart d’ouvriers étaient représentés, la Socialisation des moyens de production et de distribution ne figurait même pas à l’ordre du jour. Un social-démocrate anglais, M. Hyndmann, un bourgeois, déverse à ce sujet, sa colère sur les Unions. M. Bernstein constate qu’en dépit de quelques votes socialistes occasionnels, aux précédens congrès, il faut croire avec Engels que les ouvriers anglais ne songent nullement à renverser l’ordre capitaliste, mais à en tirer le meilleur profit possible, au moyen de l’organisation et des grèves. Les politiciens socialistes ne sont, pour les Unions, que des démagogues ou des utopistes. Cependant l’évolution capitaliste, d’après la doctrine marxiste, mène nécessairement au collectivisme ; la concentration de plus en plus grande des industries y conduit d’une façon inéluctable. La production, disent les marxistes, a commencé dans le monde par la famille, puis elle s’est continuée par la corporation fermée. Les découvertes techniques et les nécessités d’une production démesurément accrue, démocratique, ont créé le régime de la grande industrie, de la concurrence libre : et voici que maintenant se produit un nouveau phénomène, la concentration croissante des industries, l’organisation des grands monopoles capitalistes, les trusts qui écartent la concurrence. On connaît le développement considérable des trusts aux Etats-Unis. Les syndicats capitalistes se forment de même dans tous les pays industriels. Ils suppriment (grâce au protectionnisme, il est vrai) les entreprises concurrentes, règlent la production, fixent les prix du marché, et prélèvent sur les consommateurs des bénéfices considérables. D’après la théorie socialiste, il arrivera un moment où le public réclamera la transformation des syndicats capitalistes en entreprises nationales. L’Etat deviendrait ainsi producteur, voire débitant au détail du charbon, du pétrole, du sucre, de l’alcool, comme il l’est déjà pour le tabac, et le profit colossal de quelques-uns irait à la communauté. Le Congrès socialiste international considère les trusts comme une phase d’évolution nécessaire, comme une étape indispensable, et il demande aux socialistes de ne pas chercher à les combattre par voie législative, contrairement à l’opinion publique si surexcitée aux États-Unis. Une législation contre les trusts serait une législation rétrograde. Il faut seulement que les classes ouvrières opposent à ces syndicats capitalistes, qu’on nomme trusts ou cartels, des organisations ouvrières d’égale puissance, qui soient capables de défendre contre eux les intérêts du travail [5].

Le collectivisme est ainsi le but final vers lequel nous voguons à pleines voiles et, afin de hâter l’entrée dans le port, il faut exciter le combat de classes. Ce n’est nullement par amour pour la paix, mais par un sentiment tout contraire, que les socialistes se proclament partisans de la suppression des armées permanentes, adversaires irréductibles du militarisme ; — la guerre, et les armées nationales font obstacle à la guerre des classes. — La citoyenne Rosa Luxembourg, petite juive polonaise des provinces allemandes, aux traits anguleux, à la voix froide et monotone, à la démarche légèrement claudicante, qui possède en Allemagne la spécialité des discours intransigeans et jouit de plus de prestige dans les réunions publiques qu’elle n’exerce d’autorité dans le parti, était chargée d’exposer au Congrès les décisions de la Commission de la paix internationale. Cette question non plus n’a pas été discutée, bien qu’elle ait donné lieu à de vives polémiques chez les social-démocrates allemands. M. de Vollmar, qui répond d’ordinaire avec une ironie si moqueuse aux thèses excentriques de Mlle Rosa Luxembourg, ne s’est pas donné cette fois la peine de la contredire. — Comme au temps de Lassalle, il existe parmi les socialistes allemands un courant patriotique. L’opposition antimilitariste vise surtout Guillaume II. La question des milices a été longtemps discutée dans les revues et les journaux du parti. Les social-démocrates allemands ont fait repousser au Congrès international de Bruxelles la grève militaire, proposée par M. Domela Nieuwenhuis et appuyée par les anarchistes. L’unanimité sur la suppression des armées permanentes n’est donc pas sincère. Le Congrès a décidé d’organiser une propagande antimilitariste uniforme parmi les jeunes gens appelés au service militaire. Les jeunes gardes en Belgique, où la conscription n’est pas encore abolie, ce qui explique le succès de cette organisation, pourraient servir de modèle. Demeurons persuadés, d’ailleurs, que, si les social-démocrates arrivaient au pouvoir en Allemagne, ils n’auraient rien de plus pressé que de maintenir une armée forte. Car il n’est pas probable que les cosaques passent aussi vite au collectivisme, et la frontière allemande est toute grande ouverte de leur côté. Cette propagande n’est dangereuse qu’en France, où elle pourrait avoir pour complice et pour instrument un ministre de la guerre [6].

Les social-démocrates professent l’horreur des entreprises coloniales qui ne sont à leurs yeux que des entreprises et des exploitations capitalistes. Un socialiste français donnait un jour une autre raison à cette hostilité : c’est que les colonies servent de soupape de sûreté ; les hommes hardis, aventureux, vont y chercher fortune, diminuent le nombre des mécontens et des militans. Pour un motif ou pour un autre, on a donc protesté au congrès de Paris contre la politique coloniale, et les orateurs véhémens ont été très applaudis. Un bourgeois hollandais, M. van Kol, qui a habité Java, trace un sombre tableau des méthodes d’enrichissement de ses compatriotes aux colonies. MM. Hyndmann, Burrow, Pelé Curran flétrissent en termes énergiques, au nom de milliers et de milliers de travailleurs anglais, le brigandage contre les Boers, la rapacité qui affame les Indes, en un mot, tous les crimes de l’Impérialisme. Un député français, M. Sembat, est venu se défendre du soupçon d’avoir voté des subsides pour la guerre de Chine. Il faut laisser en paix les frères chinois et combattre les bourgeois, les seuls ennemis. Le remède que l’on préconise contre l’exploitation coloniale c’est l’organisation des travailleurs coloniaux, de même que celle des marins, des ouvriers maritimes, sous la bannière du socialisme international. Mais sur cette question, non plus que sur les précédentes, les orateurs n’ont fait preuve du moindre esprit critique. Les Anglais ne semblaient pas se douter de ce que seraient les salaires en Grande-Bretagne s’il n’y avait pas de colonies anglaises. Aucun Français ne s’est levé pour dire que, depuis notre domination en Cochinchine, la population a augmenté et le bien-être s’est accru. L’œuvre du général Galliéni à Madagascar semble appelée à un avenir fructueux pour les indigènes. Non, tout n’est pas barbarie dans les triomphes parfois meurtriers de la civilisation.

Malgré l’approbation unanime donnée à ces thèses si superficielles, il existe bien des divergences de vues sur ces questions parmi les socialistes eux-mêmes [7]. Nous n’en voulons pour preuve que la récente étude, si sensée, de M. Bernstein sur la question coloniale [8]. Il n’a pas jugé à propos de défendre ses idées devant le Congrès, qui votait le dernier jour toutes ces résolutions au pas de course, par acclamation.

Nous ne citons que pour mémoire la revendication du suffrage universel partout où il n’existe pas ; la législation directe par le peuple, idée chère aux blanquistes ; les règles du socialisme municipal, que nous avons longuement exposées dans un précédent article [9].

Sur presque tous les points que nous venons d’énumérer, on n’exprimait donc au Congrès que des professions de principes et des opinions de façade ; de l’aveu d’un socialiste français, M. Rouanet, ce ne sont là que des rabâchages. Les questions d’ordre purement économique, celles qui touchent le plus les travailleurs, ne passionnent jamais ces assemblées ; elles ne se soucient guère de les étudier. Elles ne s’enflamment que lorsqu’il s’agit de politique et d’affaires personnelles.

Tout l’intérêt du Congrès se concentrait sur « la conquête des pouvoirs publics, les alliances avec les partis bourgeois, » en d’autres termes, sur la question de savoir si un socialiste peut entrer dans un ministère bourgeois, c’est-à-dire si M. Millerand a bien fait de céder aux sollicitations de M. Waldeck-Rousseau, et de collaborer avec lui au gouvernement de la République.

III. — LA QUESTION POLITIQUE ET MINISTÉRIELLE

Tant que les partis socialistes ont vécu en marge de la vie parlementaire, à l’état de sectes fermées, ils pouvaient conserver à peu près intacte la rigidité de leur doctrine ; mais le jour où, grâce au suffrage élargi ou universalisé, ils commencèrent à pénétrer dans les corps élus et cherchèrent à attirer à eux des couches toujours plus larges de la masse électorale, ils durent faire passer cette préoccupation au premier plan.

Selon la doctrine primitive, le mot d’ordre darwinien de lutte de classes, donné par Karl Marx au socialisme international, signifiait que la société actuelle, par suite des développemens de la grande industrie, est formée pour ainsi dire de deux blocs voués à un antagonisme irréductible : la bourgeoisie possédante et le prolétariat dépendant. Mais cette bourgeoisie même est divisée en différens partis qui luttent pour la domination, pour la satisfaction d’intérêts divergens. En se coalisant tantôt avec l’un des partis en conflit, tantôt avec l’autre, les socialistes peuvent y trouver un accroissement de force et d’influence. C’est ainsi qu’en Angleterre les socialistes font généralement cause commune, dans les élections locales ou générales, avec les libéraux : il en est de même en Allemagne. En Bavière, sous la direction de M. de Vollmar, les socialistes ont mené une campagne, aux élections du Landtag, avec les cléricaux ; les uns et les autres poursuivent le même but, l’établissement du suffrage universel. En France, radicaux et socialistes ont conclu des traités électoraux au second tour de scrutin, ou se sont entendus dans une administration commune des municipalités qu’ils avaient conquises. On vit même à Bordeaux la secte des guesdistes, qui passe pour la plus rigoureuse en matière de programme, former un pacte célèbre avec les royalistes afin de chasser les opportunistes de la municipalité bordelaise et administrer la ville en leurs lieu et place. L’entrée de M. Millerand dans le ministère de M. Waldeck-Rousseau, aux côtés de M. le général de Galliffet, marque la dernière étape de cette politique de compromis et d’expédiens, et a causé une émotion considérable dans le monde socialiste, tant en France qu’à l’étranger.

En Allemagne, les alliances électorales soulevèrent d’abord de nombreuses protestations de la part des orthodoxes, des socialistes de stricte observance. Le suffrage universel n’existe que pour les élections au Reichstag. Les différens Landtags sont nommés au suffrage restreint : en Prusse, particulièrement, le système censitaire des trois classes ne laisse pour ainsi dire aucune chance aux socialistes de pénétrer dans l’assemblée législative. Les socialistes se trouvaient placés dans cette alternative : ou de s’abstenir, ou de donner leurs voix à des libéraux, à des bourgeois capitalistes. Mais l’abstention pouvait présenter de graves dangers. Une majorité de hobereaux se montre toujours empressée à voter des lois draconiennes. Il importait donc aux socialistes de les tenir en échec et de faire entrer au Landtag le plus grand nombre possible d’opposans. Cette tactique s’imposait et fut bien vite adoptée, malgré le blâme des intransigeans dans les congrès annuels. Sur ce point, les social-démocrates allemands ont fini par mettre d’accord, comme le leur demandait Bernstein, leurs paroles et leurs actes ; ils ont théorétisé, maxime leurs pratiques. D’abord défendue, puis tolérée, puis permise, la participation des socialistes aux élections du Landtag a été déclarée obligatoire, sous le contrôle du Comité directeur, véritable gouvernement du parti, — cela même au congrès qui s’est tenu à Mayence, la veille du Congrès international de Paris.

Les Allemands n’avaient nullement songé à établir une consultation internationale sur cette question : ils ont réglé leurs affaires eux-mêmes ; ils n’ont porté devant le Congrès aucune des questions qui les divisent. Il n’en a pas été de même des socialistes français. Récemment unifiés, mais travaillés par des rivalités profondes, ils ont pris en quelque sorte pour arbitre de leur querelle le Congrès international : chacun songeait ensuite à se prévaloir de la décision rendue dans le congrès national qui allait suivre. Ils soumettaient au concile socialiste le cas de M. Millerand, qui a déjà fait l’objet d’une lettre circulaire suivie d’une réponse des socialistes marquans de tous les pays. Et cela fait songer à l’immortelle consultation de Panurge sur le mariage, à son appel aux oracles, à la sibylle, au poète mourant, à l’astrologue, au médecin, pour savoir s’il devait se marier, s’il serait ou non trompé, — avec cette différence que le mariage de M. Millerand et de la bourgeoisie dirigeante, qui inquiète ses anciens amis, est maintenant consommé ; que la lune de miel dure toujours ; que les conjoints ne songent nullement au divorce. La question paraît donc oiseuse, du moins pour le présent. Mais les socialistes n’en considéraient pas moins la solution qu’ils demandaient au Congrès comme très importante. De la réponse du Congrès dépendrait, en une certaine mesure, le sort des élections futures. Si le Congrès justifiait M. Millerand et ses amis, ceux-ci s’en autoriseraient dans leur propagande pour ruiner l’autorité de M. Guesde et de M. Vaillant ; s’il désapprouvait M. Millerand, ce blâme implicite servirait pour ainsi dire de plate-forme électorale aux socialistes antiministériels et permettrait de désigner les amis de M. Millerand, M. Jaurès, M. Viviani et M. Millerand lui-même, comme de mauvais socialistes, des radicaux larvés.

D’autre part les socialistes étrangers, mis ainsi en demeure de se prononcer entre les frères ennemis, se trouvaient dans un grand embarras, non pas seulement, comme on l’a dit, parce qu’ils ne se souciaient guère de donner raison à l’un plutôt qu’à l’autre, et d’aggraver ainsi la discorde, lorsqu’ils auraient voulu, au contraire, favoriser l’unité ; mais parce que la présence d’un socialiste au ministère français les gène parfois eux-mêmes dans leur opposition à leurs gouvernemens respectifs. C’est ainsi qu’au Reichstag un conservateur raillait l’intransigeance des social-démocrates et leur citait l’exemple de « Son Excellence le camarade Millerand » qui vote sans se faire prier le budget de l’armée.

Les socialistes les plus marquans de tous les pays s’étaient prononcés individuellement dans un sens défavorable. M. Millerand n’avait eu pour lui que trois réponses approbatives, émanant il est vrai d’anciens ouvriers, ce qui leur donne quelque poids : Louis Bertrand et Anseele en Belgique, Keir Hardie en Angleterre. Le Congrès s’est tiré de ce pas difficile par une sentence sibylline qui rappelle encore les oracles que Panurge avait tant de mal à interpréter :

Jeûnez, prenez double repas,

Défaites ce qu’était refait,

Refaites ce qu’était défait.

Souhaitez-lui vie et trépas,

Prenez-la, ne la prenez pas.

C’est M. Kautsky, le grand théologien marxiste, qui avait été chargé de rédiger la décision fatidique. Il disait à peu près ceci :

Dans un état démocratique moderne, la conquête du pouvoir politique ne peut être le résultat d’un coup de main, mais bien d’un long et pénible travail d’organisation prolétarienne, sur le terrain économique, de la régénération physique et morale de la classe ouvrière, et de la conquête graduelle des municipalités et des assemblées législatives.

C’est l’abandon de la thèse dite catastrophique, chère encore aux blanquistes, de la révolution à brève échéance si souvent prédite. M. Kautsky, pour conserver son prestige, capitule ici devant M. Bernstein, comme le lui a reproché M. Vaillant.

L’entrée d’un socialiste isolé dans un gouvernement bourgeois, — continue M. Kautsky, le doctor angelicus de l’école, — ne peut pas être considérée comme le commencement normal de la conquête, mais comme un expédient forcé, transitoire, exceptionnel.

Si, dans un cas particulier, la situation politique nécessite cette expérience dangereuse, c’est là une question de tactique, non de principe ; le Congrès n’a pas à se prononcer sur ce point.

Mais en ce cas le ministre doit être approuvé de son parti, en rester le mandataire, sinon il ne peut causer que la désorganisation et la confusion dans le prolétariat militant…

Cette sentence enveloppée, approuvée par la majorité du Congrès, fut saluée par M. Jaurès et les ministériels comme un triomphe, bien que M. Vandervelde en ait aggravé par son commentaire le sens hostile à M. Millerand. Ainsi, disait M. Jaurès, les Assises internationales du prolétariat décident que le cas Millerand est affaire de tactique, non de principe. Tout au contraire, s’écriaient M. Guesde, M. Lafargue, M. Vaillant et leurs amis, le Congrès vous condamne, et le sens de l’oracle, c’est que l’entrée d’un socialiste dans un ministère est une faute de tactique, duperie ou trahison.

Enfin M. Kautsky lui-même a protesté depuis, dans la Neue Zeit, contre l’interprétation erronée de M. Jaurès. Il se défend d’approuver l’entrée de M. Millerand au ministère. « Ces gens-là, dit-il des socialistes ministériels, s’ils avaient vécu au temps de la Réforme, auraient attendu la victoire du protestantisme de l’entrée d’un protestant dans le collège des Cardinaux. »

IV. — RENAISSANCE DE L’INTERNATIONALE

Ces congrès internationaux, simples démonstrations de solidarité, n’ont guère d’importance pratique. D’ailleurs, sauf en ce qui concerne les anarchistes et la journée du 1ermai, leurs décisions restent lettre morte. Frappés de ces inconvéniens, las des vains discours, des querelles entre les Français barbares qui éclatent à tous les congrès internationaux et leur donnent plutôt l’aspect d’un sabbat de sorcières, Hexensabbat, les Allemands ont proposé d’espacer ces congrès, et de tenter de rendre permanens les rapports entre les partis socialistes, au moyen d’un secrétariat international et d’un comité interparlementaire, avec un budget de 10 000 francs. Ce secrétariat aura son siège à Bruxelles, à la Maison du Peuple. Sa mission consistera à rendre exécutoires, s’il se peut, les décisions des précédens congrès, à centraliser des rapports sur le mouvement politique et économique de tous les pays, à lancer des manifestes sur les grandes questions du jour, à unifier l’action législative des socialistes dans les parlemens, à réunir les archives du socialisme, à préparer les Congrès futurs, enfin, à s’occuper d’autre chose que des conflits entre les socialistes français.

Le journal officiel des socialistes allemands, le Vorwaerts, salue cette création du Congrès de Paris comme une renaissance, une reconstitution de l’ancienne Internationale de Marx, vaste cadre sans troupes, tandis qu’aujourd’hui les troupes, partout organisées et disciplinées, attendent l’unité de direction nécessaire à une armée en campagne.

Malgré les moyens toujours plus fréquens de communication, ces tentatives d’action internationale régulière ont échoué jusqu’à présent. Le secrétariat du travail, décrété par le Congrès de Bruxelles en vue de l’action économique, n’a jamais fonctionné. Les ouvriers du cuir et des textiles ont cherché à établir entre eux des rapports internationaux qui n’ont abouti à rien. De telles entreprises semblent méconnaître la variété des circonstances locales sous l’uniformité apparente. Enfin, toute organisation, même la plus parfaite sur le papier, dépend de la valeur des hommes chargés de la mettre en mouvement.

Une conférence internationale de journalistes et d’écrivains socialistes a été convoquée après le Congrès. Nous avons assisté récemment à une campagne de presse internationale, menée contre la France avec des ressources considérables, un ensemble parfait et une dextérité merveilleuse. Et, quand on se rend compte que les mêmes élémens ethniques dominent de beaucoup dans le socialisme cosmopolite, on juge que ce n’est pas là une force méprisable.

 V. — LA QUERELLE DES SOCIALISTES FRANÇAIS

Les socialistes français, après avoir troublé les débuts du Congrès international par des incidens violens, avaient décidé de conclure une Trêve de Dieu, d’ajourner leurs petites querelles, comme le disait M. Delory, le maire de Lille, à l’assemblée nationale qui devait s’ouvrir aussitôt que les étrangers seraient partis.

Le sujet de cette petite querelle est très simple et très limpide, mais il faut remonter à quelques années pour en saisir l’origine. Il y a trois générations ou plutôt trois écoles distinctes dans le socialisme français. La plus ancienne remonte à la Commune et au blanquisme, dont M. Vaillant a conservé la tradition. La seconde, avec MM. Guesde et Lafargue, date de 1879, de l’introduction du marxisme allemand dans le socialisme français. La troisième ne va pas au-delà de 1893, du moment où le parti socialiste, qui avait vécu jusqu’alors en marge de la vie parlementaire, réussit à former avec M. Millerand, M. Jaurès et leurs amis un parti politique au sein du Parlement. Ces derniers, dits indépendans, n’appartenaient à aucune organisation, ne relevaient que de leurs électeurs : affranchis des sectes gênantes et des programmes compliqués, ils se rangeaient sous la vague enseigne du formulaire de Saint-Mandé, aspiraient à unifier le parti socialiste, à substituer aux diverses organisations sectaires une vaste agence électorale, ayant pour base les comités électoraux fédérés dans tout le pays, recrutant le plus grand nombre d’électeurs, grâce à une extrême souplesse de propagande et de programmes adaptés à chaque région. Dans une réunion du Tivoli Vaux-Hall tenue en juin 1898, au lendemain des élections législatives, M. Jaurès faisait acclamer par anticipation l’union et l’unité du parti socialiste, en passant par-dessus la tête de M. Vaillant et de M. Guesde, dont il se proposait de licencier les troupes, et de rendre le commandement dictatorial désormais sans objet. Ceux-ci ne lui ont pas pardonné.

L’entrée de M. Millerand dans le ministère Waldeck-Rousseau, conséquence de l’affaire Dreyfus, fut l’occasion et le prétexte de la déclaration d’hostilités aux Indépendans. La campagne dreyfusienne de M. Jaurès était sévèrement blâmée par M. Guesde et M. Vaillant. Le Congrès de Paris, en 1899, unifia de nouveau le socialisme français, divisé depuis 1882 en sectes rivales : MM. Vaillant et Guesde d’une part, M. Jaurès et ses amis de l’autre, se disputèrent la majorité. Le Congrès, après un long tumulte, aboutit à la constitution d’une sorte de gouvernement du parti, sous le nom de Comité général, chargé de contrôler la presse et les députés socialistes au Palais-Bourbon. Dans ce comité, ministériels et intransigeans se contre-balançaient au début. Mais les intransigeans, M. Guesde, M. Lafargue, M. Vaillant, ne tardèrent pas à l’emporter, si bien que MM. Jaurès et Viviani se trouvèrent bientôt en infime minorité, et pour ainsi dire mis à l’index, lors de l’interpellation à la Chambre sur les troubles de Chalon. Pour sauver le ministère, la demande d’enquête sur ce nouveau Fourmies avait été repoussée par la majorité du groupe socialiste à la Chambre ; il se trouva même quinze députés collectivistes qui se résignèrent à voter l’ordre du jour malicieux de M. Massabuau, répudiant « les doctrines collectivistes par lesquelles on abuse les travailleurs. » Le Comité général et le groupe des députés socialistes à la Chambre, des ministériels, se trouvaient donc en conflit aigu, et chacun cherchait à s’assurer la majorité au Congrès français pour écraser l’adversaire, l’évincer du parti, et le supplanter aux élections prochaines.

Afin d’obtenir cette majorité, il existe un procédé traditionnel qui consiste à opérer le miracle de la multiplication des mandats. Toutes les organisations socialistes sont familières avec une pratique très élémentaire : il s’agit, comme l’expliquait un jour M. Guesde, de se procurer un timbre humide de 1 fr. 25 et de réunir trois pelés et un tondu : avec cela on forme un groupe, et on donne mandat à un délégué de le représenter. Lors du Congrès de 1899, où la discussion des mandats fut si violente, on racontait qu’un aide de camp de M. Guesde avait parcouru la France entière, fondant dans chaque ville une infinité de groupemens. Un ami de M. Jaurès avait joué cette fois le même tour à M. Guesde, et c’étaient les jaurésistes qui arrivaient avec des centaines de mandais, dont un grand nombre étaient contestés. M. Jaurès disposait ainsi d’une forte majorité. M. Lafargue le traita d’escroc, M. Rouanet accusait M. Guesde et M. Vaillant des mêmes « escroqueries. » La minorité reconnut à grand’peine la validité de l’assemblée, et l’on ne cessait de s’invectiver de part et d’autre durant les longues séances chargées d’orage qui évoquaient les scènes de la première Révolution. Les rapporteurs du Comité général vinrent d’abord à la tribune énumérer la longue suite de leurs griefs contre l’insubordination des députés socialistes, leur peu de zèle pour la propagande, leurs votes hostiles à la classe ouvrière, tandis que les députés indépendans dénonçaient la tyrannie du Comité, sa suspicion, l’esclavage où l’on prétendait les réduire.

Au début de l’agitation socialiste, et par défiance extrême des politiciens, on votait au Congrès de Marseille, en 1879, que tout élu socialiste devait signer sa démission en blanc et la remettre au comité du parti, qu’il devait de même verser son traitement entre les mains du comité, chargé de lui allouer une simple indemnité pour subvenir à ses besoins. Mais aujourd’hui un socialiste indépendant ne diffère guère que par les opinions des autres députés. Le socialisme athénien a succédé au socialisme spartiate.

Le discours le plus marquant du Congrès a été celui de M. Viviani. M. Jaurès, en dépit de sa majorité, n’a pas pris la parole dans la discussion, et il n’est pas certain qu’on l’eût laissé parler, tant il rencontrait d’animosité du côté gauche de l’assemblée. M. Viviani a exposé la théorie du socialisme opportuniste dans toute sa pureté. Il a parlé des nécessités de la politique quotidienne à la Chambre, des pièges que des socialistes tendaient à leurs camarades pour les faire trébucher. Il a annoncé triomphalement que les gendarmes qui, à Chalon, avaient fait usage de leurs armes contre les grévistes, allaient être déférés à la justice militaire. Triste argument, que cette responsabilité dont M. Viviani déchargeait M. Waldeck-Rousseau qui l’a revendiquée, pour la faire retomber sur ces malheureux gendarmes, vrais prolétaires de l’ait, tandis que tant de socialistes ne le sont qu’en théorie.

La partie saillante du discours de M. Viviani a été celle où il a proclamé le lien indissoluble qui unit le socialisme et la République. Gambetta, vers la fin de l’Empire, prononçait un discours retentissant où il exposait comment la République était la forme adéquate du suffrage universel. M. Viviani, si nous l’avons bien compris, considère le socialisme comme la forme adéquate de la République. M. Thiers disait : « la République sera conservatrice ou elle ne sera pas, » formule que J.-J. Weiss qualifiait irrévérencieusement de bêtise. M. Viviani rétablirait la formule au profit du socialisme : la République sera socialiste ou elle ne sera pas. Et inversement : sans République, point de socialisme. Le socialisme, selon lui, est intimement lié à cette forme de gouvernement, opinion singulière qui trahit au plus haut degré l’esprit étroitement politicien de M. Viviani. Si l’on entend, en effet, par socialisme, l’organisation, l’élévation, la puissance chaque jour croissante des classes ouvrières, où y a-t-il plus de socialisme qu’en Angleterre, et moins de politiciens socialistes ? Les ouvriers anglais se passent fort bien de députés socialistes, grâce à leur esprit pratique et à l’intelligence des classes dirigeantes, qui suivent à l’envi une politique sociale. On a opposé de même à M. Viviani l’exemple de la Belgique monarchique où l’action des députés au parlement n’est que secondaire, où tout l’effort du parti s’est porté vers l’organisation coopérative. En France, nous disait un socialiste belge, c’est le suffrage universel prématuré qui a jeté les socialistes dans la politique exclusive, cause parmi eux d’éternelles dissensions qui n’ont d’autre motif que la concurrence électorale. Les politiciens abondent plus qu’ailleurs, mais c’est en France qu’il y a le moins d’organisation ouvrière, que le mouvement coopératif est le plus lent. M. Viviani semble dire aux ouvriers : « Nommez des républicains socialistes, et par le simple bulletin de vote, par ce simple fait qu’il y aura des députés socialistes et surtout des ministres socialistes, votre émancipation s’accomplira. »

Sa thèse, celle de M. Jaurès, de M. Millerand, dont la présence au ministère survit au soi-disant péril de la République, c’est que la République et le socialisme étant désormais indissolubles, la concentration socialiste s’impose, et pas un ministère républicain ne peut se passer désormais de ministres socialistes. La participation d’un socialiste bourgeois, présentée au Congrès international par M. Jaurès et ses amis comme un expédient transitoire, nécessité par un cas de force majeure, est au contraire, dans leur esprit, une règle permanente, qui désormais ne doit plus souffrir d’exception. Pas de République sans socialistes, destinés à éliminer pou à peu les radicaux désormais usés, pas de cabinet républicain sans membres du parti socialiste, par suite pas d’administration républicaine sans fonctionnaires socialistes.

C’est là ce qui explique, disent les antiministériels, cet extraordinaire concours d’étudians, d’agrégés, d’avocats, de jeunes bourgeois autour de M. Jaurès, qui reste le trait distinctif du Congrès de 1900. Ce sont les futurs députés, les futurs chefs de cabinet, chefs de bureau, préfets, sous-préfets de la concentration républicaine socialiste. Ils jouent, vis-à-vis des anciens adeptes de la Commune [10] représentés par le clan de M. Vaillant dont ils parlent entre eux avec tant d’irrévérence, et des prétendus doctrinaires marxistes de l’école de M. Guesde et de M. Lafargue, le même rôle que les jeunes opportunistes conquérans de l’entourage de M. Gambetta, à l’égard des vieilles barbes à principes et à phrases de 1848, vrais fossiles de la Révolution.

Toute la politique de M. Jaurès, de M. Viviani tend à ce résultat : couvrir la France de comités électoraux socialistes, sous le titre de fédérations autonomes, en vue des élections de 1902, afin d’entrer à la nouvelle Chambre en triomphateurs suivis d’un parti assez fort pour leur assurer une part de pouvoir de plus en plus grande. Et c’est pour cela qu’ils veulent secouer une fois pour toutes le joug des sectes surannées.

Il s’agit donc de reconstituer le parti, de l’unir et de l’unifier, en dépit des doctrinaires guesdistes qui se sont exclus provisoirement eux-mêmes, en quittant le Congrès, sous le prétexte qu’un des leurs avait été frappé. Les groupes socialistes vont être consultés par voie de referendum sur le projet de M. Jaurès, et un nouveau congrès se réunira dans six mois, pour refaire cette unité, déjà défaite au bout d’un an. M. Jaurès et M. Viviani n’ont plus en face d’eux, dans le parti même, qu’une opposition réduite. Leurs partisans dominent au Palais-Bourbon : sur 36 députés socialistes il n’y a plus que 5 guesdistes et 8 blanquistes. Toutefois l’action d’une minorité n’a pas pour mesure sa faiblesse numérique. L’union vient de se former de nouveau à la Chambre entre les députés socialistes, mais ce sont les ministériels qui ont suivi les intransigeans, dans Un vote récent destiné à empêcher la répudiation des doctrines collectivistes, cause d’un si grand scandale, le 15 juin dernier.

VI. — LES SOCIALISTES BOURGEOIS ET LES OUVRIERS

Mais quels sont les sentimens des classes ouvrières organisées devant cette irruption de socialistes bourgeois ?

A leurs débuts dans le parti socialiste, M. Jaurès, M. Millerand ignoraient profondément l’esprit ouvrier. Sous les auspices de M. Guesde, dont ils étaient alors les amis, ils commirent au Congrès international de Londres, en 1896, la faute énorme de s’aliéner les syndicats. Pour eux, le titre de député socialiste primait tout. Il suffisait de cette simple qualité pour ouvrir, à quiconque en était nanti, les portes d’un congrès. M. Jaurès, M. Millerand et leurs alliés d’alors, prétendaient exclure du congrès les syndicaux, sous prétexte que des anarchistes s’étaient glissés parmi eux. Nous assistâmes à une scène inoubliable : l’un des hommes qui ont le plus fait en France pour la classe ouvrière, et dont la vie a été un dévouement de tous les jours à sa corporation, M. Keüfer, l’organisateur de la Fédération du Livre, aujourd’hui vice-président du Conseil supérieur du travail, était publiquement répudié et menacé par des politiciens socialistes, élevés dans les berceaux douillets de la bourgeoisie, et dont le dévouement récent aux travailleurs ne s’était traduit que par des discours.

Depuis, M. Jaurès, M. Millerand ont reconnu leur erreur. M. Jaurès s’est tourné vers les syndicats, vers les coopératives, il n’a cessé de leur prodiguer les louanges, les encouragemens, de leur consacrer son temps et sa peine ; son effort est de les attirer dans le parti socialiste. Soucieux d’écarter de lui-même tout soupçon de modérantisme, il a décoré son socialisme ministériel d’une phraséologie incendiait. Il se défend énergiquement d’être un pur politicien, de méconnaître le rôle historique de la Force, accoucheuse des sociétés. Pour paraître encore meilleur révolutionnaire que M. Guesde, tout en demeurant le ministériel le plus fervent, il arbore le drapeau de la grève générale, signe de ralliement des syndicats, voire des anarchistes si actifs dans les milieux syndicaux, alors que le Congrès international de 1900, dont M. Jaurès invoquait les décisions avec tant d’ardeur, a repoussé la grève générale comme une périlleuse utopie, dans l’état d’organisation encore si imparfaite des classes ouvrières.

Toutes ces avances sont restées sans écho. Les syndicats ouvriers et leurs représentais les plus consciens et les plus militans tendent à s’affranchir de plus en plus de la tutelle des politiciens socialistes, des socialistes bourgeois. Sans doute ils applaudiront M. Jaurès dans les réunions publiques, ils feront un bon accueil à M. Millerand et à ses décrets, mais, s’ils acceptent leurs services, ils écartent absolument leur direction. Ils ne veulent pas recevoir leurs conseils, parce qu’ils entendent leur donner des ordres [11]. De même que les syndicats anglais, que les syndicats allemands, auxquels Bebel lui-même prêche la neutralité politique et religieuse, les syndicats français sentent que pour la lutte économique ils ont besoin de fortes organisations, et ils ne les obtiendront qu’à condition d’écarter la politique, ferment de discorde, de leurs organisations. Cet esprit d’indépendance et d’autonomie s’est manifesté avec éclat au dernier Congrès de la Fédération des Bourses, qui s’est tenu à Paris, du 5 au 8 septembre. M. Jaurès adressait un pressant appel à la Fédération des Bourses, il l’invitait solennellement au congrès politique ; il s’agissait non de subordonner, mais de coordonner l’action économique à l’action politique. Le Congrès des Bourses a rejeté dédaigneusement cette coordination sollicitée. Non seulement les Bourses ont refusé de participer aux congrès national et international, mais à l’unanimité la Fédération a refusé d’adhérer à une école politique quelconque.

Des syndicats isolés, il est vrai, et des coopératives avaient envoyé un plus grand nombre de mandats au congrès politique de 1900 qu’à celui de 1899, où l’abstention avait été presque complète ; mais il ne faudrait pas se laisser éblouir par les chiffres, destinés à jeter quelque poudre aux yeux. Sur les deux cents syndicats qui s’étaient fait représenter au Congrès, le Syndicat des Omnibus comptait, nous dit-on, à lui seul, pour quarante six organisations, et formait autant de groupes mandatés que de

dépôts. Ce syndicat s’était multiplié par un phénomène de scissiparité.

Même parmi ces élémens ouvriers attirés au Congrès politique, nous avons vu surgir une opposition parfois très vive et très hostile contre M. Jaurès, contre M. Millerand, contre M. Viviani. Toute cette jeunesse dorée qui entourait M. Jaurès faisait très mauvais effet. De même les républicains bourgeois sous Louis-Philippe se proclamaient socialistes. Les classes ouvrières, si souvent leurrées, se défient.

Ce sont surtout les délégués des régions travaillées par les grèves, et où le gouvernement est intervenu pour maintenir l’ordre, qui ont témoigné d’une extrême animosité poussée jusqu’à la fureur, à l’égard de ministériels. En vain M. Jaurès, lors du vote de la sentence de M. Kautsky, s’était rallié à un amendement déclarant que tout ministre socialiste devait s’engager à faire observer la neutralité, en cas de grève, c’est-à-dire à écarter les troupes. En vain M. Viviani jetait les gendarmes devant ces conseils de guerre dont ses amis se sont efforcés de ruiner l’autorité : stériles efforts ! Au nom des grévistes de l’Est on a crié à M. Jaurès : « Vos amis ne sont pas les nôtres. » On a demandé au Congrès un vote de flétrissure contre les auteurs des « massacres de Chalon » et leurs complices, en accusant M. Millerand de cette complicité. — Un orateur est venu raconter ironiquement à la tribune les bonnes paroles dont M. Millerand fut prodigue, ses conseils de prudence et de mystère. Ces adversaires ouvriers n’étaient sans doute au Congrès qu’une minorité, mais ils laissaient pressentir la pierre d’achoppement du socialisme ministériel. S’il contient les grèves, il soulève contre lui la population ouvrière ; s’il leur laisse libre cours, le mouvement pourrait prendre, comme dans le Doubs, une allure révolutionnaire et les déborder. C’est une question de savoir si le socialisme politique, qui s’embourgeoise de plus en plus, et le socialisme ouvrier, de plus en plus affranchi, de plus en plus pénétré de l’esprit de classe, pourront marcher longtemps d’accord.


J. BOURDEAU.


  1. Au Congrès de Paris, en 1899, les ouvriers ne comptaient que pour moitié. Sur trente-six membres du groupe socialiste à la Chambre, il y a quatorze ouvriers ou anciens ouvriers.
  2. Un journal anarchiste, les Temps nouveaux, a publié les rapports qui devaient être lus au Congrès. Ils permettent de se rendre compte de l’état actuel de l’esprit anarchiste. N° 23, 24, 25, 26, 27 et 28 des Temps nouveaux, 140, rue Mouffetard.
    Les anarchistes diffèrent des socialistes tout d’abord par leur conception de l’évolution économique. Le prince Kropotkine prétend établir, à l’encontre de Marx, que la petite industrie suit pas à pas le développement de la grande industrie, au lieu d’être absorbée par elle.
    A la centralisation économique, au capitalisme d’État, ils opposent le fédéralisme, l’autonomie syndicale et communale, comme forme de la société de l’avenir.
    En matière d’éducation et d’organisation, ils préconisent la culture, la réflexion individuelles, l’association libre, — contre l’enrégimentement sous une formule.
    Leur tactique, c’est la révolution par les grèves. Les partisans des attentats individuels sont le petit nombre. L’action légale est un leurre, une manœuvre des politiciens socialistes pour endormir le peuple, et s’emparer du pouvoir.
    En France, anarchistes et socialistes ne sont pas aussi différenciés qu’en Allemagne. Il y a des élémens semi-anarchistes dans le parti socialiste.
    Les socialistes autoritaires se proclament d’ailleurs aussi partisans île la liberté que les anarchistes. L’autorité nécessaire, mais transitoire, ne servira d’après eux qu’à discipliner l’homme à la solidarité. Une fois cette solidarité passée dans les mœurs, toute contrainte deviendra superflue, et nous entrerons dans l’âge d’or.
  3. Le Socialiste du 24 novembre 1894. — M. Kautsky pense que, dans la société bourgeoise, la journée de dix heures est soûle applicable à l’ensemble du monde ouvrier : Neue Zeit, XIXe année, n° 1.
  4. Les Congrès n’abordent jamais la question de savoir si l’expropriation économique doit avoir lieu avec ou sans indemnité. M. Millerand déclarait jadis, dans une réunion publique, qu’on n’indemniserait que les pauvres. M. Jaurès, pour rassurer sans doute tant d’amis propriétaires, voudrait qu’on discutât cette opinion ou plutôt cette boutade de Marx : qu’il serait plus simple « d’indemniser toute la bande. »
  5. Les anarchistes révolutionnaires critiquent dans leurs Revues cette théorie des social-démocrates sur les trusts. C’est là pour eux, non pas même du socialisme, mais du Capitalisme d’État, ainsi que le Ministre des Finances, M. de Witte, le pratique en Russie, par exemple. Les marxistes, disent-ils, considèrent comme la source principale de tous les maux de la société présente ce fait que les capitaux se concentrent entre quelques mains, et que, par suite, les masses sont prolétarisées. Et ils n’y voient qu’un remède, non la dispersion de la richesse, mais sa concentration entre des mains uniques, celles de l’État, et des élus chargés de l’administrer. Songez alors à ce que serait la concurrence électorale, et combien plus âpre encore que la concurrence économique actuelle, devant un pareil budget ! Au sein de la société présente, les capitalistes jouent le rôle des brochets dans un étang, ils avalent tout le menu fretin ; mais, dans la société collectiviste, l’État jouerait le rôle de la baleine, et l’humanité vivrait dans son ventre, comme Jonas.
  6. Citons à titre de curiosité ce passage de M. Paul Lafargue : » La paix conclue, les internationaux français, quoique demandant l’abolition des années permanentes et leur remplacement par des milices nationales, ont accepté les charges écrasantes qui s’imposent à la France pour réparer ses forces et reconquérir le rang de première puissance militaire, car les socialistes internationaux de tous les pays veulent la France non seulement une et indivisible, mais forte cl puissante, et cela dans l’intérêt de la Révolution sociale. » Socialiste du 10 juin 1893.
  7. En Angleterre, les fabiens sont impérialistes ; de même le groupe du Clarion.
  8. Dans les Sozialistische Monats-Hefte de septembre 1900.
  9. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1erjuillet 1900.
  10. Un ancien membre de la Commune, des plus obscurs il est vrai, durement traité par un président étranger à une séance du Congrès international, disait mélancoliquement : « Avoir fait partie de la Commune, cela ne compte plus ! »
  11. Voyez, dans la Science sociale d’octobre et novembre 1900, l’étude de M. G. Sorel sur les Grèves, p. 425
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15 avril 2014 2 15 /04 /avril /2014 22:00

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Qu'en penser?

 

 


 Que nous dit la juive Polonaise
La première à avoir vu la vie en rose
Et pour cause
Elle s’appelle… Rose, Rosa, Rosam
Non ce n’est pas une vanne
On ne l’a jamais vu sur les marches du festival de Cannes
Oui j’en suis une fan
De Rose, Rosa, Rosam… Son nom : Rosa Luxemburg
Celle qui nous a prié de croire que l’ascenseur social sera toujours en panne
Tant que l’homme se préoccupera davantage de son cul que de son crâne
En prenant sa vessie pour une lanterne et sa guenon pour Mariane
Non… je plane!
Plus sérieusement, que nous dit Rosa, Rosam
Que le capitalisme n’est pas l’œuvre de la pulsion de vie…
Mais le chef d’œuvre de la pulsion de mort…
À l’image du scorpion le capitalisme vit aux dépens de ceux qu’il asservit
Il se nourrit en pourrissant ceux qu’il prétend nourrir
C’est sur la tête des autres qu’il opère et prospère
Espèce de gangrène… il aliène toutes les natures saines
Il a besoin de sang neuf, pour s’étendre
De se répandre pour se vendre
Et dès qu’il a vidé une substance
Il en cherche une autre, puis une autre
Jusqu’à les vider de leur sang, de leur sens
Le capitalisme est un monstre vivant
Une sorte de Leviathan
Qui ruine à terme, tous les existants
De l’Amérique il n’en a fait qu’une bouchée
De l’Europe un marché… de dupes
Et de la Chine , un panaché
Un échec déguisé
Le capitalisme tue pour ne pas mourir
Donne la mort pour rester en vie
Il nous a persuadé tous
Et une fois pour toutes
Que c’est toujours le soi qui passe avant les autres
C’est son réalisme
Et qu’il faut être niais pour chercher à ce que les autres passent devant soi
Parce que ça ne s’invente pas : l’amour de soi.
Parce qu’il y a une nature humaine qui fait de l’égoïsme le premier et l’unique mobile
Avec le capitalisme
Il ne faut pas rêver
C’est toujours un constat d’huissier
Que dit Rose… Rosa… Rosam
Que le mondialisme permet au capitalisme , de relever encore la tête… et de se maintenir malgré ses vices et ses sévices.
Et tant qu’il n’a pas annexé toutes les régions du monde
Il continuera de sévir et de nuire
Une seule note d’espoir : le capitalisme périra dès qu’il aura achevé ses conquêtes, c’est à dire contaminé toute la planète…
Ce jour-là, on sera tous morts de réalisme

Je t’aime Rosa…

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13 avril 2014 7 13 /04 /avril /2014 20:00

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  "Quand 'Etat t'enseigne à tuer, il se fait appeler patrie." Friedrich Dürrenmatt

musique: Harold Berg
texte: Boris Vian

images: "Los desastres de la guerra" de Goya

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C'est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m'en vais déserter

Depuis que je suis né
J'ai vu mourir mon père
J'ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j'étais prisonnier
On m'a volé ma femme
On m'a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai la porte
Au nez des années mortes
J'irai sur les chemins

Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens:
Refusez d'obéir
Refusez de la faire
N'allez pas à la guerre
Refusez de partir
S'il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
que je porte des armes
et que je sais tirer.

Et puis ne pas hésiter pour le plaisir à écouter la version de Renaud en 1983 : http://www.youtube.com/watch?v=ZzYvtL1tUI0

La chanson a été écrite en 1954, donc au moment de la guerre d'Indochine. Bien qu'atténuée dans la version chantée par Mouloudji (un des seuls chanteurs malgré tout à avoir osé le faire à l'époque), a été interdite. Boris Vian a écrit cette lettre au parlementaire qui demandait cette interdiction:

Monsieur,

Vous avez bien voulu attirer les rayons du flambeau de l'actualité sur une chanson fort simple et sans prétention. Le Déserteur, que vous avez entendue à la radio et dont je suis l'auteur. Vous avez cru devoir prétendre qu'il s'agissait là d'une insulte aux anciens combattants de toutes les guerres passées, présentes et à venir.

Vous avez demandé au préfet de la Seine que cette chanson ne passe plus sur les ondes. Ceci confirme à qui veut l'entendre l'existence d'une censure à la radio et c'est un détail utile à connaître.

Je regrette d'avoir à vous le dire, mais cette chanson a été applaudie par des milliers de spectateurs et notamment à l'Olympia (3 semaines) et à Bobino (15 jours) depuis que Mouloudji la chante ; certains, je le sais. l'ont trouvée choquante : ils étaient très peu nombreux et je crains qu'ils ne l'aient pas comprise. Voici quelques explications à leur usage.

De deux choses l'une : ancien combattant, vous battez-vous pour la paix ou pour le plaisir ? Si vous vous battiez pour la paix, ce que j'ose espérer, ne tombez pas sur quelqu'un qui est du même bord que vous et répondez à la question suivante : si l'on n'attaque pas la guerre pendant la paix. quand aura-t-on le droit de l'attaquer ? Ou alors vous aimiez la guerre - et vous vous battiez pour le plaisir ? C'est une supposition que je ne me permettrais pas même de faire, car pour ma part, je ne suis pas du type agressif. Ainsi cette chanson qui combat ce contre quoi vous avez combattu, ne tentez pas, en jouant sur les mots. de la faire passer pour ce qu'elle n'est pas : ce n'est pas de bonne guerre.

Car il y a de bonnes guerres et de mauvaises guerres - encore que le rapprochement de " bonne " et de "guerre " soit de nature à me choquer, moi et bien d'autres, de prime abord - comme la chanson a pu vous choquer de prime abord. Appellerez-vous une bonne guerre celle que l'on a tenté de faire mener aux soldats français en 1940 ? Mal armés, mal guidés, mal informés, n'ayant souvent pour toute défense qu'un fusil dans lequel n'entraient même pas les cartouches qu'on leur donnait (Entre autres, c'est arrivé à mon frère aîné en mai 1940.), les soldats de 1940 ont donné au monde une leçon d'intelligence en refusant le combat: ceux qui étaient en mesure de le faire se sont battus - et fort bien battus : mais le beau geste qui consiste à se faire tuer pour rien n'est plus de mise aujourd'hui que l'on tue mécaniquement ; il n'a même plus valeur de symbole, si l'on peut considérer qu'il l'ait eu en imposant au moins au vainqueur le respect du vaincu.

D'ailleurs mourir pour la patrie, c'est fort bien : encore faut-il ne pas mourir tous - car où sera la patrie? Ce n'est pas la terre - ce sont les gens. la patrie (le général de Gaulle ne me contredira pas sur ce point, je pense.). Ce ne sont pas les soldats : ce sont les civils que l'on est censé défendre - et les soldats n'ont rien de plus pressé que de redevenir civils, car cela signifie que la guerre est terminée.

Au reste si cette chanson peut paraître indirectement viser une certaine catégorie de gens. ce ne sont à coup sûr pas les civils : les anciens combattants seraient-ils des militaires ? Et voudriez-vous m'expliquer ce que vous entendez, vous, par ancien combattant ? " Homme qui regrette d'avoir été obligé d'en venir aux armes pour se défendre " ou " homme qui regrette le temps ou Ion combat- tait" - Si c'est " homme qui a fait ses preuves de combattant ", cela prend une nuance agressive. Si c'est " homme qui a gagne une guerre ", c'est un peu vaniteux.

Croyez-moi... " ancien combattant ", c'est un mot dangereux; on ne devrait pas se vanter d'avoir fait la guerre, on devrait le regretter - un ancien combattant est mieux placé que quiconque pour haïr la guerre. Presque tous les vrais déserteurs sont des " anciens combattants " qui n'ont pas eu la force d'aller jusqu'à la fin du combat. Et qui leur jettera la pierre ? Non... si ma chanson peut déplaire, ce n'est pas à un ancien combattant, cher monsieur Faber. Cela ne peut être qu'à une certaine catégorie de militaires de carrière ; jusqu'à nouvel ordre, je considère l'ancien combattant comme un civil heureux de l'être. Il est des militaires de carrière qui considèrent la guerre comme un fléau inévitable et s'efforcent de l'abréger. Ils ont tort d'être militaires, car c'est se déclarer découragé d'avance et admettre que l'on ne peut prévenir ce fléau - mais ces militaires-là sont des hommes honnêtes. Bêtes mais honnêtes. Et ceux-là non plus n'ont pas pu se sentir visés .' sachez-le, certains m'ont félicité de cette chanson. Malheureusement, il en est d'autres. Et ceux-là, si je les ai choqués, j'en suis ravi. C'est bien leur tour. Oui, cher monsieur Faber, figurez-vous, certains militaires de carrière considèrent que la guerre n'a d'autre but que de tuer les gens. Le général Bradiey par exemple, dont j'ai traduit les mémoires de guerre, le dit en toutes lettres. Entre nous, les neuf dixièmes des gens ont des idées fausses sur ce type de militaire de carrière. L'histoire telle qu'on l'enseigne est remplie du récit de leurs inutiles exploits et de leurs démolitions barbares ; j'aimerais mieux - et nous sommes quelques-uns dans ce cas - que l'on enseignât dans les écoles la vie d'Eupalinos ou le récit de la construction de Notre-Dame plutôt que la vie de César ou que le récit des exploits astucieux de Gengis Khan. Le bravache a toujours su forcer le civilisé à s'intéresser à son inintéressante personne ; où l'attention ne naît pas d'elle-même, il faut bien qu'on l'exige, et quoi de plus facile lorsque l'on dispose des armes. On ne règle pas ces problèmes en dix lignes : mais l'un des pays les plus civilisés du monde, la Suisse, les a résolus, je vous le ferai remarquer, en créant une armée de civils ; pour chacun d'eux, la guerre n'a qu'une signification : celle de se défendre. Cette guerre-là, c'est la bonne guerre. Tout au moins la seule inévitable. Celle qui nous est imposée par les faits.

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13 avril 2014 7 13 /04 /avril /2014 19:38

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Contre les célébrations d'une guerre

"qui ne fut grande que par le nombre de morts qu'elle fit."

 

"Il y a 90 ans, une guerre cruelle «qui ne fut grande que par le nombre de morts qu'elle fit» s'achevait. L'Armistice fut signé et sera commémoré, mais l'obscénité et la brutalité du monde qu'on nous impose, les droits de l'homme bafoués par la guerre, la torture et la violence, sont toujours d'actualité.

Dominique Grange évoque ici cette effroyable «guerre des mines », guerre souterraine que se livrèrent Allemands et Français pendant quatre ans, sous les ruines du petit village martyr de Vauquois.

Cette chanson figure sur DES LENDEMAINS QUI SAIGNENT (Label Juste une Trace).
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12 avril 2014 6 12 /04 /avril /2014 08:49

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Le 10 décembre 1898, les Etats-Unis et l'Espagne ont signé le traité de Paris qui scelle la "victoire" des Etats-Unis et entraîne l'annexion de Cuba, Porto Rico et des Philippines

 

Lire : Le texte du Traité de Paris mettant fin à la guerre hispano-américaine. En contre-point à l'article de Rosa Luxemburg: Le prix d'une victoire. .

 

Rosa Luxemburg est arrivée en Allemagne en mai avec la volonté de s'inscrire dans la politique du parti social-démocrate allemand, une stratégie bien définie dans une lettre qu'elle écrit à Leo Jogiches. Si la question de la Pologne était alors centrale, en six mois, c'est en fait sur le terrain politique général qu'elle agit et prend rapidement une existence forte.

 

Directrice de la Sächsiche Arbeiterzeitung pendant quelques mois, (Parvus, rédacteur en chef du journal avait dû abandonner ses fonctions, expulsé par les autorités allemandes. Contactée, elle avait accepté de lui succéder), elle écrit parallèlement une série d'articles "Panorama économique et social", signé du pseudonyme ego où elle aborde les bouleversements économiques et sociaux qui se produisent sur le marché mondial.

 

Les conditions d'écriture de ces articles sont décrites dans sa correspondance. A la bibliothèque, elle lit les journaux et armée des moyens d'une analyse de classe, elle choisit ses thèmes et les soumet à une grille d'analyse rigoureuse, qui fait de ces articles de circonstances, écrit en toute rapidité, les premiers articles anti-impérialistes d'une longue série d'articles et de textes. Le terme employé est alors encore Weltpolitik, politique mondiale. Mais c'est en fait une première approche de ce processus d'accumulation du capital qu'elle s'attachera à étudier toute sa vie et qui d'une politique nationale, est en train de passer à une phase internationale pour s'acheminer vers ce que l'on appelle maintenant la mondialisation.

 

C'est dans ce cadre qu'il faut lire l'article qu'elle consacre à la guerre hispano-américaine écrit  pour un autre grand journal la " Leipziger Volkszeitung".

 

A consulter sur le blog :  

 

Les catégories : 1898- 1900 / correspondance/une chronique nommée ego/ textes de Rosa Luxemburg.

Et l'article: Une chronique nommée ego - Premiers pas vers une pensée de l'impérialisme

 


 

LE PRIX D’UNE VICTOIRE – Leipziger Volkszeitung – 19 décembre 1898, quelques points d'analyse

 

Pour lire l'article : Le prix d'une victoire! Texte inédit en français de Rosa Luxemburg sur la guerre hispano-américaine, analyse remarquable de l'entrée des Etats-Unis sur la scène impérialiste


 

LE COÛT FINANCIER

 

L'écriture de Rosa Luxemburg montre dès cette époque ce caractère incisif qui interpelle le lecteur, qui ressent derrière l'humour grinçant, jamais gratuit, derrière la formule frappante, la réalité d'une analyse couplée à une sensibilité jamais démentie. La formule qui ouvre cet article en est le témoignage.

 

« Il est intéressant de se poser la question de savoir combien cette victoire a bien pu coûter aux Etats-Unis. Nous ne comptons pas les pertes en vies humaines car la victoire doit tout d’abord être mesurée à l’aune de ce qui a aujourd’hui la valeur la plus haute : l'argent »

 

Le premier point qu'elle aborde est le coût financier de cette guerre. Elle utilise les chiffres pour montrer ce que l'on tait souvent en s'abritant derrière de grandes phrases idéologiques, l'argent mis en jeu et l'origine des fonds: vote de crédits militaires, coût des armes, rôle des trusts de l'industrie sucrière, augmentation des impôts indirects, emprunt et ... particulièrement frappant l'appel aux fonds des gens modestes, "le petit gibier", que l'on attrappe avec une campagne publicitaire sans précédent. On s'approche à grands pas du XXème siècle, siècle de la communication toute puissante.  

 

"Le prélèvement des fonds patriotiques pour les besoins de la guerre fut organisé de deux façons. D’abord grâce à ce moyen efficace que constituent pour tout gouvernement capitaliste, les impôts indirects. Dès la déclaration de guerre, l’impôt sur la bière fut doublé, ce qui permit de récolter une somme totale de 3O millions de dollars. Les taxes supplémentaires sur le tabac rapportèrent 6 millions de dollars, le nouvel impôt sur le thé 10 millions et l’augmentation de la taxe d’affranchissement 92. En tout, les ressources provenant des impôts indirects s’élevèrent à 15O millions de dollars supplémentaires. Cependant il fallait trouver encore 200 millions et le gouvernement des Etats-Unis eut recours à l’émission d’un emprunt national à 5% sur 2O ans. Mais cet emprunt devait aussi permettre de prendre l’argent des gens modestes, c’est pourquoi l’on organisa cette opération avec un luxe inhabituel à grands renforts de coups de cymbales et de roulements de tambours.

 

La circulaire annonçant cet emprunt patriotique fut adressée à toutes les banques, à tous les bureaux de poste et aux 24 OOO journaux. Et « le petit gibier » s’y laissa prendre. Plus de la moitié de l’emprunt, soit 1O millions de dollars fut couvert par la souscription de coupures inférieures à 500 dollars et le nombre total de souscripteurs atteignit le chiffre record de 32O OOO , tandis que par exemple le précédent emprunt émis sous Cleveland n’en avait rassemblé que 5O 7OO. Cette fois-ci, les économies des petits épargnants affluèrent, attirées par tout ce vacarme patriotique, elles sortirent de tous les recoins et des bas de laine les plus cachés pour aller remplir les caisses du ministère de la Marine et de la Guerre."


Le coût d'une guerre, c'est d'abord la population qui la paye en argent, avant de la payer massivement de sa vie : "Ce sont directement les classes laborieuses et la petite-bourgoisie qui payèrent l’addition de leur propre poche."

 

L'ENTREE DES ETATS-UNIS DANS LE CIRQUE IMPERIALISTE

 

Aujourd'hui, toutes les analyses considèrent la guerre hispano-américaine comme l'entrée des Etats-Unis dans le cercle des Etats impérialistes. Rosa Luxemburg dans cet article écrit à chaud et sans le recul de l'histoire ne dit pas autre chose. 

 

Une petite métaphore pour lancer l'analyse et nous mettre l'eau à la bouche :

 

"Mais ne considérer le prix d’une guerre qu’à partir des fonds dépensés pour sa conduite reviendrait à voir les événements historiques à travers le petit bout de la lorgnette d’un petit boutiquier. La véritable addition à payer pour la victoire sur l’Espagne, l’Union va devoir la régler maintenant et elle dépassera la première."

 

Et elle en vient tout de suite au point essentiel:  "Avec l’annexion des Philippines, les Etats-Unis ont cessé d’être une puissance uniquement européenne pour devenir une puissance mondiale"

 

Ce qui signifie pour elle :

 

L'abandon de la doctrine Monroe, l'entrée dans une logique d'annexion, la nécessité pour les Etats-Unis de défendre leurs intérêts sur tous les continents,

 

De jouer leur avenir aussi bien sur mer que sur terre: « L’avenir des Etats-Unis va donc aussi se jouer « sur mer » et les eaux profondes des océans lointains paraissent bien troubles. »,

 

Leur implication dans tous les problèmes mondiaux avec les risques de guerre que cela entraîne : " Mais cela signifie un bouleversement fondamental de l’ensemble de la politique étrangère de l’Union. Alors qu’elle avait jusqu’à présent à défendre simplement ses intérêts américains, elle a maintenant des intérêts en Asie, en Chine, en Australie et elle est entraînée dans des conflits politiques avec l’Angleterre, la Russie, l’Allemagne..."

 

L'entrée sur la scène politique intérieure des "deux jumeaux inséparables: le militarisme et les intérêts maritimes".

 

Et une transformation radicale de leur armée pour se rapprocher du système européen de l'armée de métier et de la conscription : "ainsi l’Union pourra-t-elle fêter solennellement son entrée dans le véritable système militariste." 

 

LES CONSEQUENCES SUR LA POLITIQUE INTERIEURE ET LA DEMOCRATIE

 

La suite de l'article est à la fois d'un grand enseignement sur les conséquences du colonialisme et et d'une grande prescience sur ce que vivra ensuite le peuple philippin. Rosa Luxemburg s'interroge sur le statut des territoires annexés et en montre les conséquences :

 

Que ce soit le protectorat (forme pour laquelle elle établit une comparaison avec les années qui ont suivi la fin de la guerre de Sécession): "Il n'est pas nécessaire de montrer plus avant les effets que peut avoir la domination sur des territoires étrangers, même exercée de manière plus humaine, même dans un pays démocratique, ni comment cela entraîne une remise en question progressive des fondements de la démocratie  laissant la place à la corruption politique. ».

 

Que ce soit l'intégration ou une voie médiane dont elle souligne le caractère nécessairement transitoire.

 

LE CANAL DU NICARAGUA

 

Cette victoire annonce la  politique des Etats-Unis par rapport à l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud:

 

Le percement du canal :"Du fait de leur entrée dans cette ère nouvelle de la grande politique navale, les Etats-Unis ressentent le besoin d’une liaison rapide entre les deux océans où ils ont des intérêts."

 

Et toutes les tentatives ultérieures de domination du continent.

 

LE SIGNE D'UNE EVOLUTION ECONOMIQUE MONDIALE

 

Rosa Luxemburg termine son analyse en montrant le lien entre l'évolution économique mondiale, et des Etats-Unis dans ce contexte, et la guerre :


«Ces bouleversements actuels des conditions d’existence des Etats-Unis ne tombent pas du ciel. Le saut politique vers la guerre a été précédé par de lents et imperceptibles changements économiques.»

 

C'est parce que les Etats-Unis sont devenus pour la première fois en cette fin de siècle un pays exportateur, c'est-à-dire qu'ils s'inscrivent dans la concurrence mondiale acharnée que se livrent les principaux pays sur le marché mondial :

 

Qu'ils ont besoin de s'étendre,

 

Que "la bourgeoisie américaine comprend très bien elle aussi la dialectique de son histoire" , et de ses intérêts,

 

Qu'ils ressentent le besoin d'une politique étrangère forte. Elle reprend pour montrer cela une citation : « La volonté de nous imposer sur le marché mondial », écrit le journal new-yorkais « Banker’s Magazine » a développé depuis longtemps le désir d’une « strong foreign policy » (d’une politique extérieure forte). L’Union devait devenir « a world power » (une puissance mondiale).

 

La guerre hispano-américaine s'inscrit bien pour elle dans la logique de cette politique mondiale qu'elle voit se développer devant ses yeux.

 

CONSEQUENCES POUR LE MOUVEMENT OUVRIER

 

Elle termine, comme pour la plupart de ces articles, par ce que cela peut signifier pour le prolétariat.

 

Tout d'abord, en s'enthousiasmant sur le dynamisme de l'histoire et en incitant le mouvement ouvrier à en tirer parti: « L’histoire a donné un fort coup d’éperon à son poulain et celui-ci a fait un prodigieux bond en avant. Mais pour ce qui nous concerne, nous préférons toujours un galop vif et joyeux à un trot endormi. Nous n’en arriverons que plus rapidement au but ». Cet optimisme qu'elle montrera toujours est-il forcé ou convaincu?

 

Et en remettant en cause les analyses étroites du courant réformiste au sein du parti :« ... cette grenouille qui considérant le calme régnant dans étang boueux, explique que la terre s’est arrêtée de tourner parce qu’elle ne voit aucun souffle de vent agiter la surface verte de cet étang. Mais les événements historiques concernent un bien plus vaste morceau de terre que ce que l’on peut voir en se plaçant dans la perspective (digne de cette grenouille) de la politique « réaliste ».

 

  Cet article présente donc une analyse très complète d'un événement majeur de la fin du XIXème siècle et qui constitue l'un des premiers pas dans la marche vers la guerre qui aboutira au conflit mondial en 1914. N'est-il pas juste, à sa lecture, de le considérer comme essentiel dans une approche de la pensée de Rosa Luxemburg contre la guerre?

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12 avril 2014 6 12 /04 /avril /2014 08:40

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Ceci est l'ébauche d'un travail qui avait été entamé avec Georges Badia.


Une chronique nommée EGO

Tour d'horizon économique et social

 

Ego est une chronique signée par Rosa Luxemburg  de décembre 1898 à mars 1899.

 

- Son historique

 

Rosa Luxemburg a 27 ans. Elle était en exil en Suisse depuis des années. Elle y a contribué à créer le parti social-démocrate polonais sur des bases de classe, le journal du parti et vient d'arriver en Allemagne en mai.

 

Elle a terminé cette tournée électorale en Haute-Silésie, faite à la demande du parti social-démocrate après sa rencontre avec Auer. On se souvient de ses hésitations à partir, elle qui aurait préféré "agir sur le terrain général". Mais elle n'est pas encore perçue dans le parti social-démocrate allemand pour ce qu'elle souhaite être, une militante agissant au sein de la social-démocratie allemande et internationale, mais comme une militante polonaise.

 

Cependant, Rosa Luxemburg, de son côté, n'a pas oublié le but qu'elle s'est donné avec Leo Jogiches et ce sera la seule et dernière fois qu'elle agira en Allemagne dans un contexte uniquement polonais.

 

Dès son retour, elle reprend et développe ses contacts avec les militants allemands et internationaux. Elle avait rencontré Schönlank dans un train, elle commence sa collaboration avec la Leipziger Volkszeitung.

 

Elle avait prévu de rencontrer Parvus. C'est lui qui finalement devra faire appel à elle. En effet, l'Etat allemand étant intervenu, il oblige Parvus, rédacteur en chef de la Sächsische Arbeiterzeitung, à quitter la Saxe et donc son poste.

 

Il propose alors la rédaction en chef à Rosa Luxemburg, qui hésite, puis accepte. Cette tâche s'avère difficile. Tout d'abord, elle est prise par la préparation du Congrès, puis elle se voit entraîner dans un de ses premiers conflits avec le courant réformiste, en l'occurence avec le dirigeant social-démocrate Gradnauer.

 

Elle démissionne le 2 novembre et est remplacé par une personnalité plus médiane, Ledebour.

 

De cette brève aventure reste cependant le Tour d'horizon économique et social qu'elle ne veut pas signer de son nom et qu'elle signera du pseudonyme ego. L'origine de ce nom n'est pas attestée

 

- Ses contenus

 

Les articles de cette chronique sont toujours conjoncturels. Et l'information de seconde main. Il ne s'agit pas d'articles rédigés d'après des recherches propres, mais d'avis donnés à partir de la lecture de la presse sur des événements ayant une dimension économique plus générale.

 

Les thèmes en sont : la politique coloniale, la Weltpolitik, le développement économique des principales puissances de l'époque, le marché mondial, les grands travaux.

 

- La méthode

 

Rosa Luxemburg fréquente la bibliothèque, s'appuie sur la lecture des journaux, écrit dans l'urgence, mais les thèmes sont toujours soigneusement choisis et l'argumentaire très précisément défini.

 

- Les articles

 

EGO 1

 

. 4 décembre 1898 - Constructions de canaux en Amérique du Nord

. 11décembre1898 - A quoi sert la politique coloniale?

. 11 décembre 1898 - Le développement économique des Etats-Unis

. 11 décembre 1898 - Grands travaux du capitalisme

. 18 décembre 1898 - Bouleversements sur le marché mondial

 

EGO 2

. 8 janvier 1899 - Transformations sur le marché mondial

. 8 janvier 1899 - Les travailleurs des Etats-Unis et la politique annexionniste

. 24 janvier 1899 - Brillante politique coloniale

 

EGO 3

. 24 janvier 1899 - Le désarmement russe

 

Ces articles ont, on le voit, une unité. Ils sont complémentaires de ceux écrits dans le même temps pour la Leipziger Volkszeitung.

 

. 19 décembre 1899 - Le prix d'une victoire

. 16 février 1899 - Bouleversements dans la construction navale

 

Ils sont les premiers jalons d'une pensée de l'impérialisme et, de ce qui est indissociable pour Rosa Luxemburg, d'une action politique:

 

. Octobre 1899 - Interventions au Congrès de Hanovre contre le militarisme (polémique avec Max Schippel)

. 21 septembre 1899 - Intervention au Congrès de Mayence sur la guerre de Chine

. 22 septembre 1899 - Discours sur la nécessité d'un mouvement de protestation accru contre la guerre de Chine

 

Et ce qui représente l'apogée de son action: son discours prononcé en tant que rapporteur des commissions sur le  militarisme et la politique coloniale  au congrès  le 26 septembre 1900 .

 

En suivant donc cette progression et cette unité dans la pensée et dans l'action, on peut redonner aux articles de cette chronique toute la place qui leur est due.

 


 

Vous trouverez sur le blog des articles sur cette première période de l'action de Rosa Luxemburg - en particulier sur la page 1898 - 1900 - des extraits de la correspondance qui éclaire cette période et des textes de la chronique ego (que nous continuerons à publier au fil dela tenue de ce blog):

 

Rosa Luxemburg. Chronique ego - Grands travaux du capitalisme (1898) - Inédit en français.

Rosa Luxemburg. A quoi sert la politique coloniale? Article paru dans la chronique ego. (inédit en français sur le net)

Rosa Luxemburg. Chronique ego -L'essor économique des Etats-Unis (1898) - Inédit en français.

Texte inédit de Rosa Luxemburg : La construction de canaux en Amérique du Nord (1)

Rosa Luxemburg. De 1893 à 1898. Premiers pas d'une lutte contre le nationalisme, le réformisme, l'impérialisme.

Rosa Luxemburg en 1898 - Extrait de la présentation rédigée par G. Haupt de "Vive la lutte" Discours sur la tactique, 1898.

Congrès de Stuttgart. Quand Rosa Luxemburg s'interroge sur la relation entre luttes quotidiennes et but final du combat politique

"La politique douanière et le militarisme". Chapitre du classique "Réforme sociale ou révolution ?" de Rosa Luxemburg

 

Rosa Luxemburg - correspondance, 23 juin 1898 - Je crois que chaque fois, chaque jour, pour chaque article ...

Rosa Luxemburg, correspondance, Berlin 1898 - Premiers pas.

Correspondance - Rosa Luxemburg, arrivée à Berlin et le quotidien de la recherche d'une chambre ...

Rosa Luxemburg - deuxième jour à Berlin - Les bleus à l'âme ...

Rosa Luxemburg, deuxième jour à Berlin. Connexions, connexions ... Et note sur Parvus

Décembre 1900 dans la correspondance de Rosa Luxemburg Meetings en Haute-Silésie - 1899

 

Ce qui inspire ce blog : un travail, une méthode

 

1ère publication le 10 octobre 2013

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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009