Gilbert Badia a été l'infatigable passeur de la recherche, de l'information sur Rosa Luxemburg. Il a disparu en 2004 et le blog veut lui rendre hommage dès sa création, par ce texte d'un de ses collègues.
Gilbert Badia est décédé le 4 novembre 2004 dans sa 88ème année. Il était né en 1916 dans une famille d’immigrés espagnols. Son parcours a été celui d’un résistant et d’un militant, d’un journaliste et d’un universitaire, d’un passeur aussi, fin traducteur qu’il n’a jamais cessé d’être, qu’il s’agît de traduire la correspondance de Marx et Engels, des poèmes de Brecht ou des pièces de théâtre de Martin Walser. Il séjourne comme étudiant dans l’Allemagne nazie qui provoque son rejet ; passée l’agrégation d’allemand en 1939, il entre dans la résistance ; après la guerre, il est journaliste au journal " Ce soir " que dirige Louis Aragon. Tout d’abord professeur au Lycée Charlemagne, sa carrière universitaire commence à Alger où il fonde en 1965 le Département d’allemand de l’Université ; en 1967, il est à Paris X-Nanterre et bientôt, en 1969, à l’Université de Vincennes qui, avec le temps, devient l’Université de Paris 8 après avoir été " Vincennes à Saint-Denis ". Ses recherches ont porté sur le mouvement spartakiste et plus particulièrement sur Clara Zetkin et Rosa Luxembourg à laquelle il a consacré une des biographies les plus complètes qu’on connaisse. Mais G. Badia est sans doute plus connu encore pour " l’Histoire de l’Allemagne contemporaine " qu’il publie dans une première version en 1962 aux Editions sociales. Pour l’édition de 1987, il s’entoure d’une équipe de germanistes historiens qui partagent avec lui des convictions de gauche, mais font preuve aussi d’un esprit critique à l’égard de la première édition. Jean-Marie Argelès rédige avec lui le volume consacré à la République de Weimar et au IIIème Reich ; Françoise Joly et Jérôme Vaillant, pour la RFA, Jean-Philippe Mathieu et Jean Mortier, pour la RDA, rédigent, sous sa bienveillante direction, le volume consacré aux deux Etats allemands.
Pour faire mieux connaître la RDA et promouvoir des recherches sur ce deuxième Etat allemand souvent ignoré en France et dans lequel il voit une expérience historique intéressante de socialisme en Allemagne, il a créé, dans les années 70, à l’Université de Paris 8 un Centre d’études sur la RDA et fondé une revue " Connaissance de la RDA ". Malgré les faiblesses de l’expérience, G. Badia restera attaché à la RDA dont il acceptera pourtant la disparition, devenue inévitable, en 1990. Il met alors un terme à la revue " Connaissance de la RDA. ". Ses recherches et ses publications sur la RDA traduisent la tension entre le chercheur et le militant. Son engagement antifasciste l’a également amené à être l’un des premiers germanistes à s’intéresser aux camps dans lesquels la France de la République puis de Vichy interna de nombreux émigrés allemands qui avaient cherché refuge en France, il a dirigé deux publications aux titres programmatiques : " Les barbelés de l’exil ", en 1979, et " Les Bannis de Hitler ", en 1984.
Evoquant la mémoire de G. Badia, Jacques Poumet rappelait, à la Maison Heinrich Heine, le jour de son décès, l’atmosphère amicale qui caractérisait les séminaires de recherche qu’il organisait à Paris 8, il y régnait une absence de hiérarchie qui n’était pas sans étonner les hôtes allemands qui pouvaient les fréquenter, tant ces séminaires étaient libres de tout esprit " mandarinal. " A l’ami aux qualités si humaines, la rédaction d’Allemagne d’aujourd’hui fait ses adieux, elle adresse à sa famille et ses proches ses plus sincères condoléances.
- Jérôme VAILLANT