1915. Pour tenter d'empêcher l'action de Karl Liebknecht, le pouvoir impérial le mobilise. Les Lettres du Front et de la Geôle témoignent de ce qu'a vécu (l'un des seuls députés), comme simple soldat, Karl Liebknecht sur le front russe en particulier.
Trois des extraits montrent sa constance internationaliste, sa détermination et son courage : il déclare refuser de tirer, de tuer d'autres êtres humains, et se déplace sans arme.
21 septembre 1915 Mes chers petits
C'est aujourd'hui un jour féroce ici, une méchante soirée. Une sortie russe de Riga nous a surpris. Nous établissons maintenant de nouvelles positions dans les lignes les plus avancées. Il fait une fraîcheur aigre. Près de moi, fracas insensé. L'enfer est lâché sur nous.
Je ne tirerai pas.
Adieu très aimés; je vous embrasse aussi ardemment que je vous aimé. Au revoir dans neuf semaines. Les meilleurs vœux de
VOTRE PAPA
4 octobre 1915 à son fils Helmi
... J'aurais été ici une quinzaine de jours; encore 43 et 45 de plus, c'est-à-dire 6 à 7 semaines, et je me retrouverai parmi vous. D'ici là, sans doute, nous aurons de mauvais moments. Pourvu qu'on ne m'envoie pas en tranchée! Pour le reste, tous les dangers possibles m'importent peu; mais tuer des hommes, je ne peux pas. C'est la fin de tout.
8 octobre 1918 à Sonia
Soudain, la tranchée, nous sautons dedans. Le sous-officier est hors de lui. Je me dispute avec lui - pas méchamment car c'est un brave garçon, tout borné et tout désemparé qu'il est. Je lui explique que je ne tirerai pas, même si on on me le commande. On peut me fusiller si on veut. D'autres me soutiennent. Nous parlons haut. Aussitôt, ca commence à siffler autour de nos oreilles. Les Russes nous ont entendus. Ils entendent chaque tintement de pelle. Je m'étais, une fois de plus, déchargé préalablement de mon fusil. C'est ainsi que je vais me promener au travail, sans arme. Je me sens presque libre ainsi ...
Extraits de lettres
23 septembre 1915 à Sophie, dernières lignes de la lettre.
Aimée
... Il fait noir autour de moi. On chante au loin. Il ne faut pas que tu sois "ma morte" ...
je ne sais pas, mais j'ai une angoisse de te perdre, une peur insensée. Tout le passé est vivant et je vais me noyer en lui, si tu ne viens pas me sauver. Je t'aime et je tends les mains vers toi. Donne-moi ta main. Aime-moi. Aide-moi. Je ne peux rien sans toi.
Ton Karl.
Tout se brise en moi.
26 septembre 1915 A son fils ainé
Ce temps où la vie commence, vous devez en sentir aussi toute la puissance magique. Je le souhaite du fond de moi. Vous seriez beaucoup plus pauvres, dans les années qui viendraient, si, par impossible, l'on vous privait de celles-ci. Te voilà assez grand maintenant pour m'écrire, pour épancher ton cœur. Tu dois le faire, cela, entièrement, sans réserve, sans me cacher la moindre chose ...
Aie confiance en moi et en Sonia. Ne nous cache rien. Il n'est rien que tu puisses avoir peur de nous avouer. Nous comprenons tout. J'ai erré moi-même à travers tous les labyrinthe du cœur de l'homme. J'ai rampé. Je me suis cogné partout. Rien ne peut t'arriver que je ne comprenne. Il n'y a rien que que je ne puisse et ne veuille te pardonner, si je vois que ton effort tend à te frayer une route à force de travail vers les hauteurs, vers le soleil, dans la magnifique immensité du monde. Ta poitrine doit profondément se gonfler et je veux voir comment tu étends largement les bras vers ce monde qui t'appelle. Oui, c'est cela que je veux voir, c'est cela que j'attends. Ouvre grand ton cœur. Fais que tout y descende comme une bénédiction, et sois guidé par ta confiance en moi, par ton amour pour nous tous et pour tous les hommes. Ton travail deviendra alors facile. Il ne sera plus une peine, mais une joie, un enchantement. Ecris-moi, mon fils que j'aime - vite, longuement - tout ce qui est dans ton cœur
Je t'embrasse, toi et vous tous, mille et mille fois
TON PAPA
4 octobre 1915, à son fils Helmi
... J'aurais été ici une quinzaine de jours; encore 43 et 45 de plus, c'est-à-dire 6 à 7 semaines, et je me retrouverai parmi vous. D'ici là, sans doute, nous aurons de mauvais moments. Pourvu qu'on ne m'envoie pas en tranchée! Pour le reste, tous les dangers possibles m'importent peu; mais tuer des hommes, je ne peux pas. C'est la fin de tout.
8 octobre 1918 à Sonia
Voici maintenant le temps des épreuves. Hier, à midi, un obus à travers la fenêtre de la maison à côté. Un mort, un grand blessé. Aujourd'hui de bonne heure - 8 heures et demie - un camarade de l'escouade en travaillant, a été gravement blessé au ventre. Il vit encore. Hier à midi, un shrapnell a éclaté juste au-dessus de moi, pendant que je causais avec le lieutenant dans la cour du cantonnement. Une balle est venue sauter entre nous. Je l'ai ramassée. Nous sommes stationnés, dans une ferme près de la forêt de la Düna. La position de l'artillerie allemande - il y en avait tout autour de nous jusqu'à la date d'hier - a été changée à cause du bombardement.
Nous travaillons de "nuit" C'est-à-dire que nous partons à quatre heures et demie de l'après-midi pour atteindre vers cinq heures, l'entrée des boyaux allemands, dans les zigzags desquels pendant trois quart d'heure nous courons, trébuchons, rampons dans l'obscurité. Une fois arrivé, travail jusqu'à une heure. A 2 heures relève - de la position au cantonnement. Arrivés vers les trois heures. café et puis on se met "au lit" - c'est-à-dire dans la partie d'une étable glaciale, avec un manteau et une couverture. Aujourd'hui, nous avons eu jusqu'à deux degré au-dessous.
Une enivrante nuit d'hiver, solennelle et flamboyante d'étoiles. Devant moi, Orion qui monte et mon Sirius, notre Sirius, au-dessus de moi, à travers les rameaux d'automne, les buissons et les arbres. Une fête dans le ciel. Dans la terre bouleversée, un cimetière. Des coups de feu claquent - parfois un seul - parfois plusieurs. Les Russes sont de 80 à 150 mètres devant nous et derrière aussi, de l'autre côté de la Düna. Nous sommes au milieu, placés en coin. Au loin, devant nous à droite, une clarté subite d'éclair. C'est pour nous. Après dix à douze secondes, nous entendons le ronflement de l'obus, le souffle sauvage du monstre déchaîné sur nous. "A l'abri!" - c'est-à-dire qu'on se couche par terre, on s'aplatit. Plus près, plus près. A côté? Fracas épouvantable. Tout près de nous. Je me soulève. Avis : - Attention aux éclats. Debout. Tout près de moi, il en tombe un sur le parapet. Ça continue. Deux fois, des éclats tombent dru près de moi. C'est dans la marche vers le chantier, vers neuf heures et demie, sous la conduite d'un feldwebel, après avoir aidé le lieutenant qui commandait le secteur à faire un croquis. L'entrée de la position est bombardée - bien repérée. Il faut dire que les Russes tirent juste. A l'endroit où nous travaillons il y a moins de danger. Les monstres d'acier passent au-dessus de nous, aussi sommes-nous assurés contre les éclats. Nous travaillons ou non selon les cas. Autour de nous les tombes et les croix, au-dessus le bruissement des rameaux parmi le scintillement du ciel. Près de moi, un camarade s'effondre. Un couvercle du cercueil s'est enfoncé sous son poids. Il piétine le cadavre. De la boue dessus. On bouche le trou. Et l'on continue à manier la pelle, parmi fosses, croix et cadavres, dans le bourdonnement, le claquement et le sifflement des balles. Visions monstrueuses! "Equipez-vous!" Une attaque russe est imminente. Des fusées allemandes volent. Nous nous plions en deux, grimpons hors de notre bout de boyau, séparé de 30 à 40 mètres de la longue tranchée finie. Nous trébuchons contre les tombes à travers les buissons. Personne ne sait le chemin ni la direction de la tranchée principale ... Cogné par une branche, mon pince-nez tombe dans l'herbe. Par hasard, je le retrouve en tâtonnant. Soudain, la tranchée, nous sautons dedans. Le sous-officier est hors de lui. Je me dispute avec lui - pas méchamment car c'est un brave garçon, tout borné et tout désemparé qu'il est. Je lui explique que je ne tirerai pas, même si on on me le commande. On peut me fusiller si on veut. D'autres me soutiennent. Nous parlons haut. Aussitôt, ça commence à siffler autour de nos oreilles. Les Russes nous ont entendus. Ils entendent chaque tintement de pelle. Je m'étais, une fois de plus, déchargé préalablement de mon fusil. C'est ainsi que je vais me promener au travail, sans arme. Je me sens presque libre ainsi ...
EN HOMMAGE A KARL LlEBKNECHT, L'UNE DES PLUS BELLES CHANSONS QUI EXISTE