Pour la grève de masse politique
intervention au Congrès de Brême, 20 septembre 1904
« Cette question est la plus actuelle de notre politique présente et future ... Ne l'écartez pas avec des sourires. Concevez-en toute l'importance, et notre parti sera armé. »
Au Congrès de Brème, la grève de masse fait son entrée aux Congrès. Une section (de Spandau) demande la reconnaissance de ce moyen de lutte. Karl Liebknecht monte au créneau. Il s’inscrit dans la discussion Il rejette la motion de Spandau en ce qu’elle représente pour lui une analyse anarchiste en l’opposant au parlementarisme. Mais il demande que ce moyen de lutte ne soit pas refusé par principe par le parti, que celui-ci accepte de l’examiner, plus il estime qu’un jour ce moyen sera peut être indispensable, quand l’épreuve de force deviendra inéluctable. Il rejette en cela la position des syndicats qui la rejette pour des raisons économiques, le prolétariat n’a pas les moyens d’une telle action, on trouve déjà dans ce texte, l’attitude sacrificielle de Liebknecht. Il compare alors cette grève aux grèves de la faim en Russie. Il s’appuie sur un texte de Rosa Luxemburg sur la tactique et sur le fait que d’autres personnalités la défendent. Pour lui, le parti social-démocrate doit intégrer ce moyen, ne pas se« rouiller », être prêt à défendre des acquis si l’on prétend déjà vouloir changer le monde.
Le blog publie au fur et à mesure de la semaine des textes de Karl Liebknecht sur la grève de masse, c'est sa contribution au mouvement contre la réforme des retraites, un apport historique et de réflexion sur ce moyen de lutte : la grève de masse, l'arme "la plus tranchante" que possède le prolétaire qui comme le dit Liebknecht : "a ses bras et le pouvoir de les utiliser ou de les croiser" Dominique Villaeys-Poirré, mars 2023
CITATIONS
"On nous dit : "si nous pouvons faire la grève générale, c'est que nous n'en avons plus besoin". C'est inexact: nous pouvons y être poussés par des questions politiques actuelles. "
"A quel moment nous devons décider de la grève générale et sous quelle forme, nous n'en parlons pas. Il est exact qu'on ne peut prévoir toutes les éventualités; nous devons faire confiance aux masses, à leur sens de la lutte de classe pour trouver, le cas échéant, la juste voie à suivre : qu'on se rappelle l'intéressant exposé de la camarade Luxemburg sur la tactique suivie dans le mouvement ouvrier russe. Mais nous devons cependant discuter des moyens que nous connaissons aujourd'hui comme valables."
"Il existe en fait un certain danger pour le parti : se rouiller en ce qui concerne les moyens de lutte. Nous sommes gâtés en Allemagne, malgré les lois d'exception contre les socialistes parce que là non plus on ne nous a pas enlevé le droit de vote. Le cas peut se produire, où il nous faudra manifester notre force, dont nous faisons maintenant un usage exclusivement formel. Et nous y parviendrons sous la forme la plus percutante au moyen d'une grève de masse."
"Nous ne désirons pour le moment qu'une discussion, et par là une certaine manifestation de sympathie en faveur de l'idée. Toujours en vedette (3), être toujours à son poste, quoi qu'il puisse arriver, c'est là le premier devoir et l'intérêt vital du parti. Il faut s'opposer à cette hostilité dangereuse à l'idée de la grève de masse. Cette question est la plus actuelle de notre politique présente et future. Ne l'écartez pas avec des sourires. Concevez-en toute l'importance, et notre parti sera armé!"
LE TEXTE
On nous dit : "si nous pouvons faire la grève générale, c'est que nous n'en avons plus besoin". C'est inexact: nous pouvons y être poussés par des questions politiques actuelles. Certes, l'idée de réduire la société bourgeoise à la famine par la grève générale est ridicule. Pour moi, il s'agit de la grève politique de masse, qui, dans certaines circonstances seulement, peut prendre la forme de la grève générale proprement dite. Mais avec des calculs tels que celui qui consiste à dire que les ouvriers consommeraient plus vite leurs maigres réserves que les possédants les leurs, plus abondantes, et que pour cette raison, la grève de masse n'a aucune chance de réussir, on ne peut non plus résoudre le problème de la grève générale proprement dite. Trop d'autres facteurs parlent en faveur des grévistes. Je citerai les fameuses grèves de la faim en Russie, qui reposent sur l'idée d'exercer, en mettant sa propre vie en jeu, une pression sur le gouvernement. Ces grèves sont la preuve qu'on peut faire impression à l'aide d'impondérables, de la peur du scandale, etc.
On dit que nous ne devons pas discuter de la grève de masse pour ne pas dévoiler nos plans à nos adversaires. Nous n'en avons nullement l'intention. A quel moment nous devons décider de la grève générale et sous quelle forme, nous n'en parlons pas. Il est exact qu'on ne peut prévoir toutes les éventualités; nous devons faire confiance aux masses, à leur sens de la lutte de classe pour trouver, le cas échéant, la juste voie à suivre : qu'on se rappelle l'intéressant exposé de la camarade Luxemburg sur la tactique suivie dans le mouvement ouvrier russe.
Mais nous devons cependant discuter des moyens que nous connaissons aujourd'hui comme valables. La Saxe n'est-elle pas un épouvantail pour le parti?(1). On dit que nous avons conservé le droit de vote au Reichstag. Mais si on nous l'enlève aussi? Alors nous devons aller dans les communes. Mais si on nous en interdit l'accès? Alors restent les syndicats. Mais si on nous enlève le droit de coalition? Que ferons-nous alors? Il n'est pas vrai que nous puissions en toutes circonstances éviter une épreuve de force. Le cas peut se produire, où il nous faudra manifester notre force, dont nous faisons maintenant un usage exclusivement formel. Et nous y parviendrons sous la forme la plus percutante au moyen d'une grève de masse.
C'est l'idée dont le parti doit se pénétrer. Il existe en fait un certain danger pour le parti : se rouiller en ce qui concerne les moyens de lutte. Nous sommes gâtés en Allemagne, malgré les lois d'exception contre les socialistes parce que là non plus on ne nous a pas enlevé le droit de vote. Mais cela peut arriver, et nous devons y être préparés. Cela signifie - pensez au rapport de Pfannkuch - qu'il ne faut pas évoquer le diable (2) . Mais le diable cependant est là, bien vivant; ce serait de notre part une politique de l'autruche de vouloir le nier. Et, camarades, comment pourrons-nous conquérir le monde, si nous ne sommes même pas capables de défendre les quelques droits fondamentaux que nous possédons déjà, de tenir nos positions actuelles? C'est pourquoi il est nécessaire de discuter de la grève de masse. Nous ne prétendons pas vous recommander de l'accepter purement et simplement comme un nouveau moyen de lutte. Nous ne désirons pour le moment qu'une discussion, et par là une certaine manifestation de sympathie en faveur de l'idée. Toujours en vedette (3), être toujours à son poste, quoi qu'il puisse arriver, c'est là le premier devoir et l'intérêt vital du parti. Il faut s'opposer à cette hostilité dangereuse à l'idée de la grève de masse. Cette question est la plus actuelle de notre politique présente et future. Ne l'écartez pas avec des sourires. Concevez-en toute l'importance, et notre parti sera armé!
(1) Le vote à trois degrés avait été introduit en Saxe en 1896, ce qui excluait la social-démocratie du Landtag. (2) Citation du rappport du Comité directeur du S.P.D. présenté au congrès de Brême par Pfannkuch. (3) En français dans le texte
Transcrit de "militarisme, guerre, révolution", choix de textes de claudie weill, traduction de marcel ollivier, éditions maspero P. 203 - 204
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