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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
11 février 2022 5 11 /02 /février /2022 13:08
Karl Liebknecht, le procès pour haute trahison de 1907. Un  article du "Temps".

Lu sur le net, très intéressant article, disponible avec le lien : http://monde-nouveau.net/IMG/pdf/Le_proces_Liebknecht---.pdf

 

1907. – Le procès contre Karl Liebknecht à propos de son livre Militarisme et antimilitarisme 
 

En 1907 Karl Liebknecht passa en jugement à Leipzig pour un livre qu’il écrivit, Militarisme et antimilitarisme. L’époque est troublée par les tensions nationalistes exacerbées, par la répression contre les opposants à la guerre. Un journal français, Le Temps, publia un article sur ce procès. Cet article est intéressant pour la révélation qu’il donne du contexte de l’époque. Nous le proposons à l’attention du lecteur, précédé d’une courte biographie de K. Liebknecht et d’un commentaire de l’article.


1. – Courte biographie de Liebknecht


Né en 1871, Karl Liebknecht adhère au SPD en 1900. Il est élu au parlement de Berlin de 1901 à 1911. Au congrès de Brême du SPD, tenu en 1904, Liebknecht décrit le militarisme comme un des fondements du capitalisme et exige que l’antimilitarisme soit inscrit dans le programme du parti ; il propose en outre la fondation d’une organisation internationale de la jeunesse afin de mobiliser les jeunes prolétaires dans la lutte contre le militarisme.
 

Liebknecht participe en 1907 à la fondation de l’Internationale des jeunesses socialistes, dont il devient président jusqu’en 1910. A la première conférence internationale des organisations socialistes des jeunes, il fait une intervention sur l’antimilitarisme. La même année, il publie son pamphlet, Militarisme et antimilitarisme, dans lequel il analyse l’essence du militarisme à l’ère impérialiste et soutient la nécessité de la propagande antimilitariste comme forme de lutte des classes. Il est arrêté et incarcéré pour 18 mois dans la prison de Glatz, en Silésie prussienne. L’année suivante, bien que toujours en prison, il sera élu au parlement prussien.
 

Liebknecht avait accueilli avec enthousiasme la révolution russe de 1905 ; cette année-là, à Iéna, au congrès de SPD, il engage la bataille avec les révisionnistes et proclame la grève générale politique et de masse comme un moyen de lutte spécifiquement prolétarien 1. L’année suivante, au congrès de Mannheim, il dénonce le gouvernement allemand qui soutient le gouvernement tsariste dans la répression de la révolution et appelle le prolétariat allemand à suivre l’exemple des travailleurs russes.


En 1908, Karl Liebknecht est élu à la chambre prussienne des députés. En 1912, il est élu au Reichstag, où il dénonce violemment les industriels qui poussent à la guerre. Au congrès de Chemnitz la même année il en appelle au renforcement de la solidarité prolétarienne internationale pour combattre le militarisme.


Le 4 août 1914, il est opposé au vote des crédits de guerre, mais il les vote cependant par discipline de parti. Mais le 2 décembre, il est le seul membre du Reichstag à voter contre la guerre, s’opposant ainsi à 110 députés de son propre parti.

 

Rosa Luxembourg, Leo Jogisches, Paul Levi, Ernest Meyer, Franz Mehring, Clara Zetkin fondent à la fin de 1914 la Ligue Spartacus, rejoints ensuite par Liebknecht.


Le groupe fait paraître en avril 1915 une revue, Die Internationale, interdite immédiatement par la censure. Des publications politiques clandestines sont ensuite imprimées, tel le journal intitulé les Lettres de Spartacus (Spartakusbriefen). Le groupe fut rapidement déclaré illégal. Liebknecht est exclu du parti en janvier 1915.


Liebknecht fut arrêté et envoyé sur le front de l’Est où, refusant de se battre, il fut employé à enterrer les morts. A cause de sa mauvaise santé, il fut renvoyé en Allemagne en octobre 1915. En janvier 1916 il est exclu de la fraction social-démocrate du Reichstag.
 

Mais le 1er mai 1916 il est arrêté de nouveau après une manifestation contre la guerre à Berlin, organisée par la Ligue Spartacus. Il est condamné à deux ans et demi de prison pour haute trahison, peine transformée ensuite en quatre ans de prison.


Liebknecht passa le reste de la guerre en prison : il ne sera relâché qu’en octobre 1918 après une loi d’amnistie des prisonniers politiques. Lors de l’éclatement de la révolution allemande, il reprit, avec Rosa Luxembourg, ses activités dans la Ligue Spartacus et au sein de son journal, Die Rote Fahne.


Le 9 novembre 1918, Karl Liebknecht proclama du balcon du château impérial la formation de la république socialiste libre, deux heures après que Philipp Scheidemann eût proclamé la République de Weimar d’un balcon du Reichstag.


Les 31 décembre 1918-1er janvier 1919, Liebknecht contribua à la fondation du KPD, le parti communiste d’Allemagne. Il fut l’un des meneurs de la révolution allemande ; bien que, avec Rosa Luxembourg, il fût opposé au déclenchement du soulèvement à Berlin (5-12 janvier), il y participa. Le gouvernement dirigé par Ebert, soutenu par les restes de l’armée impériale et les Freikorps (corps francs), écrasa le soulèvement.
 

Le 15 janvier 1919, Gustav Noske, le ministre de la Défense, fit arrêter Luxembourg et Liebknecht par les Freikorps, qui les emmenèrent à l’Eden Hotel de Berlin où ils furent interrogés et torturés pendant plusieurs heures. Rosa Luxembourg fut battue à mort avec des crosses du fusil et jetée dans une rivière ; Liebknecht fut exécuté d’une balle dans la tête et déposé comme un cadavre anonyme dans une morgue.


2. – Commentaires sur « Le procès Liebknecht »
 

Karl Liebkecht est connu dans le mouvement révolutionnaire comme un des fondateurs, avec Rosa Luxembourg, de la Ligue Spartakus qui joua un rôle dans la révolution allemande après la fin de la Première guerre mondiale. Il est connu aussi pour avoir été, toujours avec Rosa Luxembourg, ignoblement assassiné par les corps francs à la solde du gouvernement dirigé par les social-démocrates.

 

Au sein du parti social-démocrate allemand, il joue un rôle déterminant dans la création d’un mouvement international de jeunes. C’est à ce titre qu’il publie en 1907 un livre, Militarisme et antimilitarisme, qui lui vaudra d’être poursuivi par la justice allemande. Le procès ne passa pas inaperçu en France car dans les deux pays un vent de guerre soufflait et tous les observateurs étaient attentifs au moindre signe de refroidissement de la température entre Berlin et Paris.

 

Au sein de la IIe Internationale, dont les anarchistes avaient été définitivement exclus au congrès de Londres en 1896, la question de l’antimilitarisme, comme celle de la grève générale à déclencher en cas de guerre, étaient en débat. Mais le débat n’était pas équilibré.


Les socialistes allemands votaient dans les congrès de l’Internationale des résolutions fourre-tout mais refusaient catégoriquement tout réel débat sur ces deux questions, sur lesquelles les socialistes français étaient de toute évidence beaucoup plus mobilisés. Dans le mouvement syndical allemand, il était acquis qu’on n’abordait pas de questions politiques, celles-ci restant le monopole du parti. Mais la CGT en France était elle, très mobilisée et active.


Lorsque Liebknecht publia son livre, et surtout lorsqu’il fut inculpé pour cela, beaucoup d’observateurs se tournèrent vers Leipzig, où se déroulait le procès. Le compte rendu que fait de ce procès un journal français de l’époque, Le Temps, du 12 octobre 1907, est extrêmement instructif car il révèle le point de vue de la réaction française sur les antimilitarismes allemand et français 2. L’auteur de l’article lui-même estime que les débats de ce procès seront « curieux à suivre, notamment du point de vue français », car on peut voir en quoi « les antimilitaristes allemands diffèrent des antimilitaristes français ». Sans vouloir faire du Temps l’arbitre ou le juge de la nature et de la valeur des antimilitarismes des deux pays, l’optique que l’article nous livre n’est pas sans intérêt et présente pour le lecteur d’aujourd’hui l’avantage de nous plonger en plein dans le contexte de l’époque.


L’auteur de l’article veut montrer que les antimilitaristes allemands sont plus raisonnables et mieux élevés que leurs camarades français, car chez eux la crainte est « le commencement de la sagesse ». D’abord, le titre du livre de Liebknecht a « quelque chose de doctrinal qui nous éloigne de la pittoresque grossièreté de M. Gustave Hervé » ; on ne parle pas de mettre « le Drapeau dans le fumier », ni de « mort aux apaches galonnés », apostrophes qui constituent le fonds de l’antimilitarisme français. Cependant, Liebknecht n’est pas qualifié de « penseur rigoureux », ni original :


« L’antimilitarisme de M. Liebknecht est moins pratique que celui de M. Hervé et de M. Jaurès. Il ne va pas jusqu’à la désertion, jusqu’à l’insurrection en cas de guerre. L’antimilitarisme allemand sait en effet ce qu’il en coûterait de conseiller de telles solutions. »


On sent que le journaliste envie un peu les Allemands pour leurs antimilitaristes. Liebknecht ne dit-il pas dans son livre : « La social-démocratie allemande, comme la grande majorité des partis étrangers, même le parti français, n’est pas anti-patriotique (comme Hervé) ou anti-national (Kropotkine), mais plutôt indifférent envers le patriotisme, en accord avec sa position de classe. » Liebknecht ajoute ailleurs : « La forme anti-patriotique de l’anti-militarisme n’a pas été et ne pourra pas prendre racine dans des conditions allemandes. »


Gustave Hervé (1871-1944) fut un leader socialiste et antimilitariste jusqu’en 1912, puis il bascula dans l’extrême droite et le fascisme. Il écrivit ses premiers articles antimilitaristes dans Le Travailleur Socialiste de l’Yonne, milita à la SFIO et à la CGT. Il défendait l’idée d’insurrection en cas de guerre, ce qui lui valut une audience nationale. Gustave Hervé rassemblait alors des milliers de travailleurs dans ses meetings contre la guerre.


Victor Méric raconte : « On le vit bien, l’inoubliable mercredi soir, lors de l’exécution de Ferrer 3. La Guerre Sociale avait convié ses troupes à l’ambassade espagnole. Ce fut une véritable émeute. On se battit toute la nuit. Un agent fut tué, d’autres blessés. Le préfet de police d’alors, Lépine, eut l’oreille effleurée par une balle. Et jusqu’à l’aube, les bagarres se poursuivirent furieusement. On le vit également au matin de la guillotinade de Liabeuf, un innocent condamné à mort. Et je pense que si, à l’heure de la déclaration de guerre, Hervé avait tenu ses promesses d’antan et donné le mot d’ordre à ses troupes, il eût pu se produire un sérieux grabuge totalement à l’action militante. En 1905 il est condamné à quatre ans de prison pour son activité dans l’Association internationale antimilitariste, qui avait publié une affiche appelant à la grève insurrectionnelle en cas de guerre. Ses articles enflammés contre l’armée et la police lui valent à plusieurs reprises des condamnations et de lourdes peines de prison, pour lesquelles il sera surnommé « L’Enfermé ». A partir de 1907, il dirige La Guerre sociale, un journal qu’il a fondé.5


Dans le procès contre Liebknecht, c’est l’attitude du social-démocrate allemand qui intéresse le journaliste du Temps : l’accusé tient « par-dessus tout à établir qu’il n’a rien de commun avec MM. Hervé et Jaurès ». Liebknecht « soutient que sa brochure ne constitue qu’un examen théorique du rôle de l’armée dans la guerre. Il rappelle qu’il a toujours voté dans les congrès contre ce que l’on pourrait appeler les formes françaises de l’antimilitarisme ». Il affirme à ses juges qu’il est « hostile notamment à la propagande dans les casernes ».
 

L’accusation de vouloir « renverser la Constitution par la violence » n’est pas fondée ; on a, pour justifier cette accusation, tronqué ses œuvres, cité des passages isolés. Liebknecht affirme encore à ses juges qu’il « repousse avec la dernière énergie toute propagande antimilitariste autre que “sur le terrain légal et dans le cadre de la propagande socialiste générale” ». Il se déclare même, affirme le journaliste du Temps, « plus a droite que Jaurès ».


Nul ne saurait douter de la bonne foi de M. Karl Liebknecht, commente le journaliste, qui ajoute, un peu malicieusement : « On mesure à cette attitude l’abîme qui sépare le plus “avancé” des antimilitaristes d’outre-Rhin de ceux qui, sur le territoire français, poursuivent en liberté leur détestable propagande. »

 

Si l’auteur de l’article du Temps a apprécié le comportement de Liebknecht devant ses juges, il a apprécié encore plus le comportement du juge face à l’accusé. En effet, alors que Liebknecht est poursuivi pour la publication d’une brochure, le juge conduit l’interrogatoire d’une manière certes critiquable « au point de vue de la correction judiciaire », mais qui manifestement impressionne favorablement l’auteur de l’article du Temps : « Accusé, que pensez- vous du livre d’Hervé ? ou encore : Savez-vous si M. Jaurès s’est converti récemment à l’Hervéisme ? » Manifestement, l’ampleur prise en France par l’antimilitarisme, dont Gustace Hervé est la figure la plus marquante pour sa virulence, inquiète le juge, et sans doute les autorités allemandes d’une façon générale. Les deux questions posées par le juge n’avaient aucun rapport avec le procès intenté à Liebknecht, mais on souhaite manifestement avoir son point de vue : « Ce sont là des questions étrangères à la cause. Le président les pose cependant. Et nul ne paraît s’en étonner. Pourquoi ?

 

Parce que l’essentiel, pour lui et pour tous les Allemands, c’est de s’assurer si M. Hervé et M. Jaurès trouveront en Allemagne des disciples ; c’est de savoir si l’antimilitarisme édulcoré de M. Liebknecht pourrait aboutir, par évolution, à l’antimilitarisme caractérisé de M. Hervé et de M. Jaurès. »


L’antimilitarisme de Liebknecht apparaît donc, aux yeux d’un observateur habitué aux prises de position beaucoup plus vigoureuses de Gustave Hervé, édulcoré. On craint cependant la contagion. Le dirigeant social-démocrate allemand va se défendre vigoureusement d’avoir quoi que ce soit à voir avec Gustave Hervé, au point qu’il va même pratiquement se défendre d’être antimilitariste, ou en tout cas d’être antimilitariste en dehors du cadre de la loi.


Le rédacteur de l’article admire manifestement le fait que les autorités allemandes ne prennent pas à la légère le phénomène antimilitariste et qu’elles soient capables de frapper fort et rapidement. La lutte contre l’antimilitarisme est hissée par les protagonistes de la guerre qui va bientôt suivre au rang d’objectif commun.
 

En Allemagne, dit l’article du Temps, on a « le sens des nécessités nationales et des dangers nationaux ». Les autorités françaises sont, quant à elles, beaucoup trop laxistes avec leurs propres antimilitaristes. Les autorités allemandes ne sont pas comme cet ancien ministre français de la guerre qui pensait que l’Hervéisme était un « monstre imaginaire ». En Allemagne, on y voit « un monstre réel que l’on veut écraser dans l’œuf, et pour lequel on ne ressent rien des indulgences démagogiques de certains radicaux français, heureusement assez peu nombreux ».


Ce qui intéresse Le Temps, ce ne sont pas les controverses de la défense et de l’accusation, ni le contenu du « pesant opuscule » qui a motivé les poursuites ; c’est le fait qu’en Allemagne on prend l’antimilitarisme très au sérieux, c’est « le spectacle que nous offre l’Allemagne organisant sans hésiter la défense nationale contre l’antimilitarisme, même atténué » – l’antimilitarisme « atténué » étant bien entendu celui de Liebknecht.


C’est avec une évidente pointe d’envie que le rédacteur de l’article du Temps nous confie : « En France, M. Hervé a été amnistié quelques mois après sa condamnation. En Allemagne, la brochure de M. Liebknecht, qui chez nous eût librement circulé, est saisie et mène son auteur devant la Haute Cour. »


Les autorités françaises adoptent par rapport à l’antimilitarisme une « politique d’insouciance et de dédain, qui souvent masque la complaisance et la compromission » ; c’est, nous dit-on, une « politique coupable ». Le gouvernement allemand aurait pu se montrer indulgent devant l’antimilitarisme « atténué » de Liebknecht, d’autant que ce dernier est « isolé », d’autant que « M. Bebel n’est pas à ses ordres comme M. Jaurès est à ceux de M. Hervé », d’autant que « le socialisme allemand se déclare patriote » et que Liebknecht lui-même « se défend de toute propagande antilégale ». Les social-démocrates allemands sont même des gens raisonnables, puisqu’ils ont exclu « l’anarchiste Hervéiste Friedeberg » 6. Et pourtant, s’émerveille l’auteur de l’article du Temps, « le gouvernement allemand a dès le premier moment réagi avec vigueur contre une manifestation même timide d’antimilitarisme » ! Le gouvernement allemand, lui, a compris qu’il faut réprimer.
 

3. – A propos du quotidien Le Temps
 

Le Temps fut fondé en 1861 par Auguste Nefftzer (1820-1876), un protestant alsacien, qui le dirigea pendant dix ans. Nefftzer était un journaliste de tendance libérale. Il avait avant cela publié dans La Presse des articles sur des questions de philosophie et de politique
 

étrangère. En 1857 il soutint avec talent les candidats de l’opposition à l’Empire. En 1858 il fonda la Revue germanique (1858-1865) qui devait rapprocher l’Allemagne et la France. Il y publie des articles de critique religieuse, de philosophie et d’histoire. Il revient à La Presse en 1859 puis quitte encore ce journal pour fonder Le Temps, un journal politique dont il est directeur politique et rédacteur en chef. Son opposition à l’Empire, toute modérée qu’elle fût, lui valut l’estime de la bourgeoisie libérale et lettrée : Le Temps devint un des organes les plus respectés de la presse française. En 1871, Nefftzer abandonna la direction politique du Temps à Adrien Hébrard (1833-1914), tout en continuant de collaborer à ce journal. Adrien Hébrad apporta de nombreuses améliorations dans le journal, notamment l’accroissement des informations politiques et des correspondances de l’étranger – dont l’article sur le procès de Karl Liebknecht est une illustration. Le journal augmenta considérablement son tirage et devint l’organe de l’opposition modérée à l’Empire. Devenu sénateur, Adrien Hébrard intervint en faveur de l’amnistie des Communards. Les fils d’Adrien Hébrard se succèdèrent à la direction du journal, qui est cédé entre 1929 et 1931 à un certain Louis Mill, lequel n’est qu’un prête-nom pour des intérêts financiers proches du Comité des Forges et du Comité des Houillères : François de Wendel et Henry de Peyerhimoff.


Ces deux comparses n’entendaient pas développer des idées libérales mais empêcher un milliardaire, François Coty, propriétaire du Figaro et partisan de Mussolini, de mettre la main sur le journal – ce qui n’empêcha pas les deux directeurs du Temps d’être des pétainistes convaincus. Le Temps se saborda en novembre 1942 mais fut interdit de reparaître à la Libération. En 1944, De Gaulle chercha un homme pour diriger un nouveau quotidien du soir qui prendrait la succession du Temps, qui occuperait son immeuble et reprendrait ses salariés. C’est ainsi qu’Hubert Beuve-Méry devint patron du journal Le Monde...


4. – Le procès Liebknecht (Le Temps, 12 octobre 1907)

Karl Liebknecht, le procès pour haute trahison de 1907. Un  article du "Temps".
L'article du Temps, Le procès Liebknecht,  12 octobre 1907

 

C’est demain samedi que se termineront les débats du procès intenté à M. Karl Liebknecht devant la Haute Cour de Leipzig. Les débats en sont curieux à suivre, notamment-du point de vue français. Ils montrent avec une singulière netteté combien les antimilitaristes allemands diffèrent des antimilitaristes français; ils montrent aussi pourquoi ils en diffèrent, et que chez eux c’est la crainte qui est le commencement de la sagesse.
 

La brochure qui a valu à M. Karl Liebknecht les poursuites actuelles est d’une lecture aride. Le titre d’abord a quelque chose de doctrinal qui nous éloigne de la pittoresque grossièreté de M. Gustave Hervé Militarisme et antimilitarisme au point de vue spécial du mouvement lnternational parmi la jeunesse. Ce n’est pas le Drapeau
dans le fumier » ni « Mort aux apaches galonnés », par où s’ouvrent les apostrophes de l’antimilitariste français.

 

M. Liebknecht n’est pas un penseur vigoureux, et on ne saurait lui reconnaître nulle originalité ni de (fond ni de forme. Sa brochure comprend deux parties l’une consacrée à l’exposition du système, l’autre à la propagande. La première est, comme bien on pense, plus nette que la seconde. L’antimilitarisme de M. Liebknecht est moins pratique que celui de M. Hervé et de M. Jaurès. Il ne va pas jusqu’à la désertion, jusqu’à l’insurrection en cas de guerre. L’antimilitarisme .allemand sait en effet ce qu’il en coûterait de conseiller de telles solutions.


Dans le procès lui-même, deux traits sont à retenir. Le premier, c’est l’attitude de l’accusé. M. Liebknecht tient par-dessus tout à établir qu’il n’a rien de commun avec. MM. Hervé et Jaurès. Il soutient que sa brochure ne constitue qu’un examen théorique du rôle de l’armée dans la guerre. Il rappelle qu’il a toujours voté dans les
congrès contre ce que l’on pourrait appeler les formes françaises de l’antimilitarisme. Il est hostile notamment à la propagande dans les casernes. Il affirme que pour l’accuser de « tentative de renverser la Constitution par la violence », il a fallu tronquer ses œuvres, en citer des passages isolés. Il nie avoir jamais présenté comme désirable pour le prolétariat un conflit armé avec la France. Il déclare qu’il repousse avec la dernière énergie toute propagande antimilitariste autre que « sur le terrain légal et dans le cadre de la propagande
socialiste générale ». Il est, dit-il, « plus à droite que Jaurès ». En un mot, M. Karl Liebknecht plaide non coupable. Et comme nul ne doute de sa bonne foi et de son dévouement à ses idées, on mesure à cette attitude l’abîme qui sépare le plus « avancé » des antimilitaristes d’outre-Rhin de ceux qui, sur le territoire français, pour suivent en liberté leur détestable propagande.


Le second point à retenir, c’est la façon dont le président a conduit l’interrogatoire. Au point de vue de la correction judiciaire, on peut critiquer cette méthode. M. Liebknecht était poursuivi pour une brochure. Or, que lui dit le président ? Accusé, que pensez-vous du livre d’Hervé ? ou encore : Savez-vous si M. Jaurès s’est converti récemment à l’Hervéisme ? Ce sont là des questions étrangères à la cause. Le président les pose cependant. Et nul ne paraît s’en étonner. Pourquoi ? Parce que l’essentiel, pour lui et pour tous les Allemands, c’est de s’assurer si M. Hervé et M. Jaurès trouveront en Allemagne des disciples ; c’est de savoir si l’antimilitarisme édulcoré de M. Liebknecht pourrait aboutir, par évolution, à l’antimilitarisme caractérisé de M. Hervé et de M. Jaurès. On a, en Allemagne, le sens des nécessités nationales et des dangers nationaux. On ne pense pas, suivant l’étrange expression dont se servait hier dans une interview un ancien ministre de la guerre, M. Berteaux, que l’Hervéisme soit un « monstre imaginaire ». Il y voit un monstre réel que l’on veut écraser dans l’œuf, et pour lequel on ne ressent rien des indulgences démagogiques de certains radicaux français, heureusement assez peu nombreux.


La morale du procès Liebknecht, ce n’est pas dans les controverses pleines d’argutie de l’accusation et de la défense qu’il la faut chercher; ce n’est pas non plus dans le pesant opuscule qui a motivé les poursuites. Cette morale, elle est, pour nous, Français, et l’étude des questions extérieures n’a de valeur que si l’on en tire des conclusions françaises, elle est dans le spectacle que nous offre l’Allemagne organisant sans hésiter la défense nationale contre l’antimilitarisme, même atténué. En France, M. Hervé a été amnistié quelques mois après sa condamnation. En Allemagne, la brochure de M. Liebknecht, qui chez nous eût librement circulé, est saisie et mène son auteur devant la Haute Cour. Dira-t-on que cette diversité de traitement vient de la différence des régimes ? Ce serait un détestable argument. Car un régime républicain, étant par définition la chose de tous, est plus qualifié pour défendre le patrimoine commun, l’idée de patrie et la patrie elle-même contre les atteintes des Hervé et des Jaurès que ne l’est un régime impérial. En présence de certaines doctrines, de certaines menaces, de certaines menées, la politique d’insouciance et de dédain, qui souvent masque la complaisance et la compromission, est une politique coupable.


C’est la grande leçon du procès Liebknecht. Le gouvernement allemand aurait pu incliner à l’indulgence, puisque M. Liebknecht est isolé, puisque M. Bebel n’est pas à ses ordres comme M. Jaurès est à ceux de M. Hervé, puisque la Socialdemokratie a exclu de son sein l’anarchiste Hervéiste Friedeberg, puisque enfin le socialisme allemand se déclare patriote et que M. Liebknecht lui-même se défend de toute propagande antilégale.

 

Et cependant, le gouvernement allemand a dès le premier moment réagi avec vigueur contre une manifestation même timide d’antimilitarisme. Il a compris qu’en pareille matière il ne suffit pas de protester et de flétrir, qu’il faut aussi réprimer, et que les mots, si éloquents soient-ils ; ont besoin de s’appuyer sur des actes.
 

 

1907. – Le procès contre Karl Liebknecht à propos de son livre Militarisme et antimilitarisme


1. – Courte biographie de Liebknecht ............................... 1
2. – Commentaires sur « Le procès Liebknecht » ............. 3
3. – A propos du quotidien Le Temps ............................. 11
4. – Le procès Liebknecht (Le Temps, 12 octobre 1907 ) 13

 

1 Voir Rosa Luxembourg, Grève de masse, parti et syndicats, 1906.

2 Le Temps fut fondé en 1861 par Auguste Nefftzer (1820-1876), un protestant alsacien, qui le dirigea pendant dix ans. Nefftzer était un journaliste de tendance libérale. Il avait avant cela publié dans La Presse des articles sur des questions de philosophie et de politique étrangère. En 1857 il soutint avec talent les candidats de l’opposition à l’Empire. En 1858 il fonda la Reveue germanique (1858-1865) qui devait rapprocher l’Allemagne et la France. Il y publie des articles de critique religieuse, de philosophie et d’histoire. Il revient à La Presse en 1859 puis quitte encore ce journal pour fonder Le Temps, un journal politique dont il est directeur politique et rédacteur en chef. Son opposition à l’Empire, toute modérée qu’elle fût, lui valut l’estime de la bourgeoisie libérale et lettrée : Le Temps devint un des organes les plus respectés de la presse française. En 1871, Nefftzer abandonna la direction politique du Temps à Adrien Hébrard (1833-1914), tout en continuant de collaborer à ce journal. Adrien Hébrad apporta de nombreuses améliorations dans le journal, notamment l’accroissement des informations politques et  des correspondances de l’étranger –dont l’article sur le procès de Karl Liebknecht est une illustration. Le journal augmenta considérablement son tirage et devint l’organe de l’opposition modérée à l’Empire. Devenu sénateur, Adrien Hébrard intervint enfaveur de l’amnistie des Communards. Les fils d’Adrien Hébrard se succèdèrent à la direction du journal, qui est cédé entre 1929 et 1931 à un certain Louis Mill, lequel n’est qu’un prête-nom pour des intérêts financiersproches du Comité des Forges et du Comité des Houillères : François de Wendel et Henry de Peyerhimoff. Ces deux comparses n’entendaient pas développer des idées libérales mais empêcher un milliardaire, FrançoisC oty, propriétaire du Figaro et partisan de Mussolini, de mettre la main sur le journal – ce qui n’empêcha pas les deux directeurs du Temps d’être des pétainistes convaincus. Le Temps se saborda en novembre 42 mais futinterdit de reparaître à la Libération. En 1944, De Gaulle chercha un homme pour diriger un nouveau quotidien du soir qui prendrait la succession du Temps, qui occuperait son immeuble et reprendrait ses salariés. C’est ainsi qu’Hubert Beuve-Méry devint patron du journal Le Monde ...

3. Francisco Ferrer (1859-1909), anarchiste, libre-penseur et pédagogue espagnol, fondateur en 1901 de l’École moderne développant un projet de pédagogie rationaliste. Grand partisan de la grève comme prélude de la révolution sociale, Ferrer subventionne et écrit pour le journal La Huelga .

4 Victor Méric, A travers la jungle politique et Littéraire : « Gustave Hervé ».

4. » Contrairement à ce que dit plus loin l’auteur de l’article du Temps, les antimilitaristes français ne firent l’objet d’aucune complaisance de la part de la justice. Les démêlés de Gustave Hervé avec la justice lui font perdre son poste d’enseignant. Devenu avocat, il est radié du bareau de Paris pour raisons politiques. Il se consacre alors General (La Grève Générale) de 1901 à 1903. Il fonde le journal Solidaridad Obrera (Solidarité Ouvrière) en 1907 et participe en 1909 à la campagne pour la libération des prisonniers de Alcalá del Valle. Pendant que la social-démocratie allemande tergiversait dans les congrès  sur la question de la guerre, et s’efforçait de ne pas prendre clairement position, les ouvriers espagnols en cette même année 1909 s’insurgeaient contre la guerre coloniale au Maroc. Le lundi 26 juillet, un comité composé d’anarchistes et de socialistes appela à la grève générale contre le rappel des réservistes. Le lendemain les ouvriers contrôlaient la ville de Barcelone : les convois militaires étaient bloqués, les trams renversés. Le jeudi 26, des combats de rue eurent lieu contre les forces gouvernementales qui se soldèrent par plus de 150 ouvriers tués. L’insurrection est réprimée dans le sang. Francisco Ferrer, désigné comme l’instigateur, est arrêté, emprisonné. Le 13 octobre, il est exécuté. Son exécution provoque des réactions à l’échelle mondiale. Lisbonne met en berne le drapeau de son Hôtel de Ville. Milan avec son conseil municipal monarchiste prend le deuil. Le bassin de Charleroi hisse ses drapeaux noirs sur les maisons du peuple. La Marseillaise, symbole de solidarité révolutionnaire, retentit dans les rues de Montevideo. Des boulevards de Paris à l’Université de Saint-Pétersbourg, à Londres, à Rome et à Berlin, c’est une véritable levée en masse qui contraint 50 consuls d’Espagne à démissionner de leurs postes à l’étranger.

5 A partir de 1912 il évolue vers la patriotisme et se range, en 1914, contre les partisans de la grève générale pour empêcher la guerre. Alfred Rosmer n’avait jamais caché sa méfiance envers lui pour ses excès verbaux. Le 1er juillet 1916, il transforme La Guerre Sociale en La Victoire. En 1919, il créé le Parti socialiste national, rejoint par Alexandre Zévaès, ancien député guesdiste devenu l’avocat de l’assassin de Jaurès, et par Jean Allemane, leader d’un des partis socialistes de la période 1890-1902. Le « socialisme national » de Gustave Hervé se transformera ensuite en fascisme.

6 Raphael Friedberg (1863-1940), n’a jamais rien eu à voir avec Gustave Hervé. Friedberg était un fils de rabin, il étudia la médecine et l’économie politique à l’université de Königsberg dont il fut exclu pour ses idées socialistes. Il passera son diplôme de médecin à Berlin. Militant du SPD, il contribue à l’établissement d’une assurance santé pour les ouvriers de Berlin. Membre du conseil municipal de Berlin, il devient un militant influent du SPD dans la capitale allemande. Il remet en cause la politique parlementaire du SPD et le principe de neutralité des syndicats. Il rejoint la FVdG, l’Association libre des syndicats allemands, proche du syndicalisme révolutionnaire, fondée en 1897. La FVdG critiquait la séparation entre action politique et syndicale et le contrôle centralisé sur les syndicats. Dans l’organisation, il prit position en faveur de l’idée de grève de masse, qui était en même temps en débat dans le SPD. Il prit position pour la grève générale. En 1907, les membres du FVdG se virent contraints de choisir entre l’adhésion aux syndicats centralisés ou la perte de leur qualité de membre du SPD. Friedeberg choisit la seconde option. Il développa ensuite ce qu’il appelait l’anarcho-socialisme, une synthèse critiquée à la fois par les anarchistes et par les socialistes. Il évolua ensuite sur des positions radicales, rejetant l’idée d’organisation et se rapprochant de l’individualisme. Il collabora à la Fédération anarchiste d’Allemagne, fondée en 1903, participa au congrès anarchiste d’Amsterdam en 1907, puis cessa de participer activement au mouvement. Ce personnage étonnant consacra le reste de sa vie à lamédecine entre la Silésie et la Suisse ; il resta le médecin traitant de Bebel et de Kautsky et accueillit chez lui en Suisse Otto Braun, ex-Premier ministre de Prusse lorsqu’il s’échappa de l’Allemagne nazie.

7 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k239144s/f2.highres

 

 

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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009