Ce très beau texte rédigé par Rosa Luxemburg pour le Congrès de l'Internationale de Copenhague en 1910 et présenté par Clara Zetkin a été adopté avec peu de modifications et sous les applaudissements nourris de l'assemblée. Un autre texte de Rosa Luxemburg "Devoir d'honneur", rédigé en 1918, est plus largement connu. Celui-ci vient d'être publié dans le Tome 7/2 des Gesammelte Werke chez Dietz Verlag. (P 637 - 638). Traduction Dominique Villaeys-Poirré pour le blog. En souhaitant qu'il soit aussi largement diffusé.
A l’aube des temps nouveaux, l’Aufklärung a condamné la peine de mort comme héritage barbare du plus obscur Moyen Age. Pour la bourgeoisie révolutionnaire de l’époque, les idéaux de progrès et d’humanité n’étaient pas des mots vides de sens, aussi ses représentants les meilleurs dans les différents pays proclamèrent-ils le combat contre la honte pour la civilisation que représente ce meurtre d’un être humain, commis de sang froid, systématique, et revêtu des habits de justice.
Depuis, une évolution fondamentale a eu lieu sur ce point. L’affrontement toujours plus fort et toujours plus exacerbé entre la bourgeoisie et le prolétariat moderne, qui, de plus en plus, s’est imposé comme l’axe de la vie publique dans tous les Etats, a conduit à l’abandon par la bourgeoisie sur le déclin, du combat pour l’abolition de la peine de mort, en plus de ses autres buts démocratiques et de liberté. En effet, les classes dirigeantes recourent de plus en plus elles-mêmes à cette arme infamante de la peine de mort, autant pour en finir avec ce que produit le pourrissement de leur société capitaliste que pour réduire par la force le prolétariat en lutte.
En Allemagne et dans quelques autres pays dits civilisés tout un cortège de coryphées de la science et de la culture, brillants représentants de l’intelligentsia bourgeoise se sont déclarés il y a peu pour la nécessité de la peine de mort. D’éminents représentants de la justice pénale moderne n’ont accepté que très récemment des modifications substantielles du droit d’asile, ce qui, dans de nombreux cas, quand il s’agit notamment de réfugiés venant de l’empire tsariste, reviendrait a une réintroduction de fait de la peine de mort, même dans les pays comme la Hollande, où celle-ci a été abolie depuis des dizaines d’années.
Dans la France républicaine, un projet de loi a été refusé ces dernières années, qui demandait l’abandon de la peine de mort.
Aux Etats-Unis d’Amérique du nord, la peine de mort est utilisée comme arme contre le prolétariat luttant au sein des syndicats. Ces victimes, à jamais dans notre mémoire, du meurtre légal de Chicago, tombés dans le combat pour la journée de huit heures auraient été suivis récemment par des mineurs, avant-garde de ces mineurs organisés luttant pour leur existence.
En Espagne, un régime réactionnaire moribond utilise le meurtre légal comme arme et moyen pour se venger, contre les aspirations à la liberté du prolétariat.
En Russie, enfin, pays où la peine de mort était depuis longtemps abolie pour les crimes de droit commun, le bourreau travaille sans relâche depuis le grand soulèvement révolutionnaire du peuple ouvrier, de fait depuis la victoire de la contre-révolution. Des milliers et des milliers de personnes y sont pendues après une sinistre comédie devant des tribunaux militaires. Un flot de sang se déverse sur tout l’empire russe. Et tout cela se passe sous les yeux de l’ensemble du monde civilisé, sans que les représentants de l’intelligentsia bourgeoise des cultures européennes occidentales osent opposer une résistance énergique, et même avec le soutien moral et financier de ce régime criminel par la bourgeoisie d’Europe. Beaucoup des intellectuels bourgeois qui se sont élevés avec la plus grande force contre le meurtre légal de Ferrer, regardent d’un œil tranquille le massacre perpétré par l’absolutisme russe corrompu, qui cherche à étouffer le soulèvement révolutionnaire du prolétariat.
Aujourd’hui le prolétariat socialiste est donc le porteur le plus important et le plus fiable du combat contre la barbarie de la peine de mort. Seules « les idées des lumières » propagées par les partis socialistes, seule l’élévation culturelle des larges masses travailleuses par l’action politique et syndicale, seul le pouvoir croissant du prolétariat organisé de tous les pays peut opposer un barrage solide contre l’infamie sociale de la peine de mort.
Les représentants du prolétariat de tous les pays, organisé politiquement et syndicalement, réunis à Copenhague, clouent au pilori tous les partisans actifs ou passifs du meurtre légal sanglant sous toutes ses formes, ils appellent tous les représentants au parlement de la classe ouvrière dans tous les pays à exiger l’abolition de la peine de mort.
Leur action aux Parlements, comme tous les événements politiques en relevant, doivent être utilisés comme prétexte d’une campagne forte dans les meetings et dans la presse ouvrière, pour l’abolition de la peine de mort.