Cher camarade Westphal
Südende, Lindenstrasse 2
25.02.1916
Je ne sais pas comment vous remercier, vous et tous les camarades de Mariendorf pour les preuves d’amitié et de gentillesse que vous m’avez données lors de ma libération. Tout cela m’a rendue très confuse. Je n’ai jamais osé rêver d’un tel accueil, car la prison me semble faire tout naturellement partie de notre métier de combattants prolétariens de la liberté, et la Russie m’a habituée à considérer qu’entrer et sortir de ces murs est une affaire des plus banales. Certes, je le sais, ma personne n’était pas en cause dans tout cela, ce fut l’occasion d’exprimer notre combativité commune. Dans cette optique, l’accueil cordial de tant de camarades me fut une grande joie car, là-dessus, nous sommes tout à fait d’accord. Je suis sortie de prison animée du plus ardent et du plus impatient des désirs de combattre et de travailler, et j’espère ne pas décevoir les espérances que vous placez en moi. Notre cause doit progresser malgré tout ; j’ai beaucoup d’espoir et de bonne volonté. Mes meilleurs vœux à vous et à tous les camarades de Mariendof. Votre Rosa Luxemburg
Dans rosa luxemburg, j’étais, je suis, je serai ! correspondance, 1914-1919, textes réunis, traduits et annotés, sous la direction de georges haupt, par gilbert badia et irène petit, claudie weill, Maspero, 1977, P. 121).
A Regina Ruben
Südende, Lindenstrasse 2
25.2.[19]16
Chère camarade, je vous remercie de tout cœur de vos paroles d’amitié à l’occasion de ma libération. Je suis rendue à la “liberté” en éprouvant une grande envie de travailler et j’espère ne pas vous décevoir, vous et d’autres camarades. Avec mes sentiments les meilleurs »
Dans rosa luxemburg, j’étais, je suis, je serai ! correspondance, 1914-1919, textes réunis, traduits et annotés, sous la direction de georges haupt, par gilbert badia, irène petit, claudie weill, Maspero, 1977, P. 121/122).
A Clara Zetkin, le 28 février 1916
J’étais tellement bousculée que je n’ai pas eu le temps de t’écrire plus tôt quelques lignes. On m’a réservé un accueil qui m’a tellement stupéfiée et remplie de confusion. A la prison, il y avait plus de mille personnes, des femmes pour la plupart, et ici mon appartement était transformé en jardin floral et en dépôt de victuailles. J’étais littéralement pétrifiée …
Dans rosa luxemburg, j’étais, je suis, je serai ! correspondance, 1914-1919, textes réunis, traduits et annotés, sous la direction de georges haupt, par gilbert badia, irène petit, claudie weill, Paris, Maspero, 1977, Note 8, P. 123/124).
A Clara Zetkin, 9 mars 1916
[…] Tu as sans doute déjà appris de quelle façon les camarades berlinoises m’ont accueillie. A plus de mille, elles sont venues me prendre à la sortie, et puis elles sont arrivées en masse chez moi, dans l’appartement, pour me serrer la main. Mon appartement était et est encore bourré de leurs cadeaux : des jardinières de fleurs, des gâteaux, des cakes, des boites de conserve, des sachets de thé, du savon, du cacao, des sardines, des légumes très recherchés – comme dans une épicerie fine -, tout cela, ces pauvres femmes, ces femmes de cœur, l’ont préparé elles-mêmes, l’ont mis en conserve elles-mêmes, l’ont apporté elles-mêmes. Tu sais bien ce que j’éprouve quand je vois ça. J’en sangloterais de confusion et ce qui me console, c’est uniquement la pensée que, dans ce cas, je ne suis rien d’autre que le mât auquel elles ont accroché le drapeau de leur enthousiasme pour la lutte en général. A Mariendorf eut lieu ensuite la réception au cours de la soirée de lecture : de nouveau un énorme bouquet sur la table – et ces visages, et ces yeux sérieux et brillants ! Tu aurais éprouvé dans ton cœur de la joie à voir ces femmes. Le président me salua en déclarant que la manifestation du 18 avait tout à fait été spontanée, organisée sur la propre initiative des femmes de Berlin pour saluer « celle qui nous a manqué parce qu’elle dit carrément leur fait aux dirigeants du parti, parce qu’elle est la femme qu’on préfère dans les hautes sphères du parti, voir entrer en prison qu’en sortir […] »
Je crois qu’en gros, je me suis mise au courant : je peux simplement te dire que je suis très satisfaite de voir où en sont les choses. […] Je trouve qu’au bout d’un an un énorme pas en avant a été fait pour ce qui est de la clarification, du renforcement des différences idéologiques […] Pour l’essentiel, tu peux être tranquille. Quant à moi, je fais confiance avant tout à la logique objective de l’histoire qui accomplit infatigablement son travail d’éclaircissement et de différenciation. […]
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