Article sur le blog : Martinique, texte de Rosa Luxemburg. "Et ils se tournent vers la Martinique ... le coeur sur la main, ces meurtriers bienveillants" :lire
Bonjour,
J’ai enfin eu Nebez au téléphone. La communication a très vite été coupée. J’ai à peine eu le temps de lui demander comment il allait, si l’hôpital était debout et de quoi ils avaient besoin, que la communication a été coupée. Je crois qu’il pleurait. Peut-être riait-il. Il y avait beaucoup d’émotion. On ne s’est pas dit chose, on était tellement surpris, surpris d’être en présence, de réussir à se parler ; comme si on appartenait à deux mondes différents qui,dans un autre temps avaient coexisté et que ces 6 derniers jours avaient éloigné de milliers d’années lumières. Et la communication a été coupée. Et depuis, je n’ai pas réussi à le joindre. J’ai envoyé des mail, sans réponse pour l’instant.
J’ai du mal à imaginer les jours, les semaines à venir. J’ai peur de la pluie qui va tomber en mars et qui transforme les rues en cascades, les bidonvilles et la terre en bouillasse. J’ai peur des blessés pas soignés, des villages isolés sans secours, de la faim, de la soif aussi, des épidémies, de la révolte, de la
Je vois les armes, j’entends les hélicoptères tournoyer dans le ciel, les mouvements de panique pour un morceau de pain. Comment éviter cela.
Pas de réponse, pas de remède. « Bondye bon » comme ils disent là-bas jour et nuit au milieu des décombres. En s’écroulant, Port au Prince (et la région) dévoile au monde sa misère, notre honte à tous. On savait.
On savait qu’Haïti était le pays le plus pauvre au monde. (Et il y en a d’autres !) On savait que si jamais ce séisme se produisait, ça serait une catastrophe insurmontable.
Je me souviens de mon retour d’Haïti la première fois, c’était en 2005, un an après le départ d’Aristide. A cette époque, la région de Port au Prince était encore très dangereuse à cause de la misère, des enlèvements, des échanges de tirs, des balles perdues et des violences policières. A mon retour, je voulais
témoigner. Certaines personnes (dans le milieu humanitaire) m’ont fait alors comprendre qu’il valait mieux que je la ferme, parce qu’aujourd’hui il était de bon ton de parler de façon « positive » d’Haïti, qu’ Haïti s’en sortait…
Je ne crois pas à cette « façon » qui tient plus de la superstition et de l’opportunisme que d’une stratégie intelligente. Cacher la misère d’Haïti c’est comme dire d’un enfant famélique qu’il va bien, et le laisser mourir.
« Il n’existe aucune fatalité, un enfant qui meurt est un enfant assassiné » a écri Jean Ziegler, ancien rapporteur à l’ONU pour le droit à l’alimentation. A l’heure actuelle, on peut nourrir 12 milliards d’êtres humains alors que nous ne sommes qu’un peu plus de 6 milliards.
Si la situation en Haïti est aussi catastrophique c’est parce qu’ELLE ETAIT CATASTROPHIQUE AVANT LE TREMBLEMENT DE TERRE. Les dirigeants occidentaux (France et Etats-Unis en tête) le savent très bien. Ils agissent notamment par crainte de devoir rendre des comptes. Cette catastrophe humaine sera lahonte du XXIe siècle.
Le 7 février 1986, en pleine nuit, l’avion de Jean-Claude Duvalier atterri sur l’aéroport de Grenoble. -Claude Duvalier, dictateur haïtien surnommé Baby Doc au pouvoir de 1971 à1986 succéda à son père Papa Doc (au pouvoir de 1957 à 1971) responsable de 30 000 à 50 000 assassinats et exécutions.
Jean Ducharme, journaliste, écrivait : « Paris a accepté de recevoir Jean-Claude Duvalier pour un séjour bref : 8 jours. Le dictateur possède une résidence à Monte Carlo et un château dans le Val d’Oise près de la propriété de l’Empereur Bokassa, lui aussi, venu pour 8 jours après sa fuite de Centrafrique. » …
Effectivement, Jean-Claude Duvalier vit encore aujourd’hui en France ! Alors que pas un pays ne voulait sur son sol de ce dictateur en fuite, la France l’accueille, lui et sa fortune. (qu’il placera sur des comptes français et suisses) A l’époque, elle était évaluée à 800 millions de dollars, soit le montant de la dette d’Haïti.
Dès 1886, Gérard Bloncourt, photographe haïtien expulsé de son pays par la junte militaire en 1946, s’associe à une démarche qui vise à poursuivre Duvalier en justice pour récupérer cette fortune : « Nous avons purement et simplement été éliminés de cette entreprise et le procès n’a jamais abouti. » Fin de citation.
Comment avait-il une telle fortune ? Les créanciers internationaux et les institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale…) ont accordé des prêts au développement aux autorités haïtiennes alors qu’ils savaient que ces sommes seraient détournées au profit de quelques uns et au détriment du pays et de son peuple. « Les détournements de fonds et la grande corruption sont ainsi tolérés, voir encouragés, par les créanciers internationaux pour s’assurer du soutien des dirigeants locaux, afin de pérenniser une domination très subtile sur les pays endettés et un accès facile à leurs richesses. » écrit Claude Quémar, CADTM-France (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde).
C’est pourquoi on parle de dette odieuse. Et c’est entre autres pourquoi, les institutions financières internationales ne peuvent pas exiger du peuple haïtien qu’il rembourse les sommes qui lui ont été dérobées !
J’ai rencontré Camille Chalmers en 2009 à Port au Prince dans les locaux de PAPDA, La Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif ; c’est une coalition de diverses organisations de la société civile travaillant sur différents aspects de la promotion et la mise en action d’un développement durable et citoyen en Haïti. Camille a survécu au tremblement de terre.
Voici ce qu’il dit : « soulignons que le cynisme qui se dégage dans le cadre des relations de notre pays avec les institutions financières internationales est un élément consubstantiel du marché de l’aide internationale qui ne sert qu’à maintenir la dépendance des pays du Sud et qui prolonge un mécanisme de pillage de nos ressources.
Haïti, malgré sa situation économique déprimée, est devenue un exportateur net de capitaux vers la banque mondiale au cours des dernières années. La Banque mondiale opère dans un contexte dominé par les intérêts des grandes puissances et des firmes transnationales qui ont, auc ours des deux dernières décennies, acquis un volume important de capitaux venant des processus de privatisation du patrimoine de nos pays. Ces privatisations sont souvent entachées de corruption et d’interminables scandales financiers ».
Alors, parlons-en des pillages !
Quand à Jean-Claude Duvalier, certains disent que sa femme est partie avec sa fortune, ne lui laissant que quelques millions de dollars. D’autre part, un collectif suisse qui militait pour que l’argent volé soit rendue au peuple haïtien, a obtenu des autorités suisses, après de longues procédures, que cinq millions d’euros soient versés à des organismes humanitaires haïtiens. Et avant-hier, dimanche 17 janvier 2010, alors que l’argent est bloqué, Jean-Claude Duvalier a demandé aux autorités suisses de transférer la totalité de l’argent au compte de la Croix-Rouge américaine pour l’aide aux Haïtiens !
Pour en revenir à nous, ce que nous pouvons faire. Ce que je suis en mesure aujourd’hui de vous proposer c’est, d’attendre encore, d’attendre la réponse Nebez.
Petit rappel : Nebez est un « ancien orphelin » qui, avec d’autres « anciens orphelins » ont décidé de faire eux-mêmes ce que font les ONG étrangères :écoles, orphelinats, hôpitaux, pour la reconstruction de leur pays. C’est à lui que nous avons envoyé en 2007 le groupe électrogène (qui était utilisé à la construction d’un centre d’apprentissage. Je ne sais pas dans quel état est le chantier suite au tremblement de terre). Il n’y a donc aucun intermédiaire entre lui et nous, aucun salaire pour des occidentaux en mission.
Deuxièmement : plus militant : lancer un appel pour la régularisation de tous les sans-papiers haïtiens dans les pays gouvernés par la France (Guadeloupe, Martinique, Guyane… et dans l’hexagone aussi).
Dans son roman « A l’angle des rues parallèles », Gary Victor (qui a survécu au tremblement de terre) écrit ceci : « Haïti chérie ! Comme un cri d’excuse pour la haine qu’on voue à cette terre, cette terre sur laquelle on crache jour après jour. Terre sur laquelle on se salue par peur de l’autre, terre de la haine réciproque et éternelle, terre prison, terre mépris, terre aux chants de sirène, terre avorteuse de rêves. Terre de paranoïa. Terre crasseuse et misérable, mais combien excusable d’être crasseuse et misérable, car la terre n’a pas d’âme, pas de conscience. Elle n’est que ce qu’en font les humains, elle n’est que le reflet de l’âme d’une nation. (…) »
Je vous embrasse,
Anne