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| Histoire


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Le 15 janvier 1919, Karl Liebknecht, le seul député du Reichstag à avoir voté, le 2 décembre 1914, contre les crédits de guerre et Rosa Luxemburg qui, pour avoir fait la guerre à la guerre, se retrouva enfermée pendant toute la durée de la première guerre mondiale, étaient assassinés par la soldatesque aux ordres du ministre de la Reichswehr (armée) Gustav Noske qui, avec Friedriech Ebert et le chancelier Philipp Scheidemann dirigeait le SPD, le parti social-démocrate allemand.
Leur assassinat, prélude à des milliers d’autres assassinats dans les mois qui suivirent et à des millions durant les longues années de la peste hitlérienne, n’est pas seulement la marque d’infamie de ces dirigeants socio-démocrates, traitres à la révolution allemande de novembre 1918, mais signe aussi le début d’une série de crimes qui détermineront, à partir de la répression de cette révolution, la division fratricide de la gauche dont profiteront le fascisme, la nazisme et leurs piètres épigones d’aujourd’hui.
Sorti d’une prison maccartiste où il avait passé quelques mois en 1950, le célèbre écrivain et journaliste américain Howard Fast – qui allait quitter le Parti Communiste Américain en 1956 – dut publier à ses frais – étant donné qu’il refusait de se cacher derrière un pseudonyme comme le prétendaient ses éditeurs – son nouveau roman, Spartacus, sur la révolte des esclaves conduite par un gladiateur thrace en Italie méridionale de 73 à 71 av JC. Ce roman lui avait été inspiré par la lecture, à la bibliothèque de la prison, d’un livre qui lui avait fait découvrir Rosa Luxemburg et l’existence d’un autre Spartacus, du même en réalité, celui dont se réclamait le mouvement des Spartakistes, les nouveaux socialistes allemands qui, conduits par Karl et Rosa, se rebellaient, comme Spartacus, contre l’injustice, qui refusaient de se soumettre, qui avaient rompu avec le SPD et allaient donner vie au KPD, le parti communiste allemand. Un film, voulu et produit par Kirk Douglas qui y interprète le rôle de Spartacus, fut tiré de ce livre. La réalisation est de Stanley Kubrick et la mise en scène de Dalton Trumbo, l’un des “dix de Hollywood” condamnés à des peines de détention pour avoir refusé de répondre “comme il fallait” à la Commission des activités anti-américaines mise en place par le sénateur McCarthy. Il avait été inclus dans la liste noire du cinéma américain, l’empêchant de travailler pendant les années 50, avait été isolé et exilé, contraint à se cacher sous des pseudonymes ou des prête-noms: l’inoubliable réponse donnée par chaque esclave, tous solidaires d’un seul, à la proposition de dénoncer Spartacus en échange de la liberté, “I’m Spartacus”, est de lui.
Voici ce qu’écrivait Fast à propos de Rosa: Cette remarquable petite femme était née en Pologne d’une famille juive. Infirme, allemande d’adoption, emprisonnée durant la Première Guerre mondiale, était devenue après sa libération un des chefs de la révolution ratée de 1918. Ce fut un des grands esprits de son époque. C’est elle qui avait baptisé les nouveaux socialistes “Spartakistes”, elle qui observait avec un mélange de joie et de désespoir ce qui se passait en Russie, elle qui écrit en 1919, à la veille de son assassinat: ” La liberté accordée aux seuls partisans du gouvernement, la liberté accordée aux membres d’un seul parti – quelquesoit leur nombre – n’est pas une véritable liberté. La liberté sera toujours celle de l’homme qui pense différemment. Cette affirmation n’est pas née d’un amour fanatique pour la justice abstraite, mais du constat que tout ce que la liberté a d’édifiant, de sain et de purificateur émane de son caractère indépendant et que la liberté perd toute vertu à peine devient-elle un privilège”.
Le 27 janvier 1916, entre deux séjours en prison, Rosa Luxemburg écrivit la première de ses dix Lettres de Spartacus – qui unirent la minorité socialiste opposée à l’”Union sacrée” dans laquelle la social-démocratie allemande, aveuglée par le nationalisme va-t-en-guerre, perdit son âme – lettres dans lesquelles la politique est entendue comme recherche obstinée du bonheur pour tous, de la fraternité entre égaux, de la liberté sans réserve. Le 14 janvier 1919, Rosa Luxemburg, peu de temps avant d’être séquestrée par des miliciens qui allaient la tuer et jeter son cadavre dans le Landwehrkanal, écrivit dans Die Rote Fahne l’article “L’ordre règne à Berlin” qu’elle conclue de ses derniers mots “J’étais, je suis, je serai”, un défi poétique à toutes les peurs, à la terreur, au pouvoir qui en fait commerce et usage. Rosa Luxemburg, une femme, qui plus est juive et polonaise, a été (c’est un de ses bons mots) un des derniers hommes de la social-démocratie allemande et elle, justement elle qu’une malformation congénitale dont elle souffrait depuis l’âge de cinq ans, obligeait à boiter, est restée une des rares personnes à garder une attitude droite dans un monde bancal.
Le 10 janvier 2010, des dizaines de milliers de personnes défiaient le froid, la neige et la glace qui rendaient les rues et les trottoirs dangereux et, comme chaque année, deux manifestations se complétaient: celle des vieux partis communistes, témoins d’un passé tragique aussi glorieux que contradictoire et désormais presque absents de la scène politique actuelle, renforcés par le concours de milliers de jeunes et de très jeunes militants des mouvements anti-fascistes et de “Die Linke” qui défilaient en cortège de la Frankfurter Tor au vieux cimetière des pauvres de Lichtemberg (là où se dressait la tombe dessinée pour Karl et Rosa par le grand architecte Mies van der Rohe et réduite en poussière par les nazis) et celle de dizaines de milliers de femmes et d’hommes de tous âges, certains accompagnés de leurs enfants, venant de Berlin, d’autres villes d’Allemagne et d’Europe, qui, en groupe ou individuellement, se dirigeaient en silence vers le cimetière, pour déposer un œillet rouge au pied d’une stèle entourée de plaques aux noms de Liebknecht, Luxemburg et de tant d’antifascistes allemands. Sur la stèle est écrit: Die Toten mahnen uns (Les morts nous admonestent).
Giustiniano Rossi
traduit de l’italien par mariecl