Ce courrier a été adressé à Albert Baumeister, "social-démocrate de droite et responsable du service de presse "Internationale Korrespondenz" pour les questions internationales et du mouvement ouvrier financé par la Commission générale des syndicats allemands". Le courrier a été adressé le 19 mars 1915. On en trouve la traduction (ainsi que ces informations) dans l'ouvrage publié chez Maspéro "militarisme, guerre, révolution", aux pages 140 et 141.
Lettre à Albert Baumeister !
Ce qui m’a déterminé à attaquer l’IK, c’est la façon dont les documents y sont rassemblés et présentés. Je saluerais de tout mon cœur une correspondance internationale qui mentionnerait toutes les déclarations, tous les faits de l’étranger montrant la communauté d’intérêt des travailleurs de tous les pays, les manifestations de la lutte de classe dans les différents pays, ainsi que tous les mouvements en faveur de la paix, toute opposition à la guerre. Présenter également les déclarations et les faits en sens inverse est bien entendu nécessaire et inévitable. Mais les mettre au premier plan et rejeter les autres en seconde place, c’est encourager le chauvinisme, nuire à l’Internationale et mettre son avenir en danger, prolonger la guerre, jeter le trouble dans le prolétariat allemand, gêner de la façon la plus dangereuse la lutte de classe. Je voudrais qu’on ne se méprenne pas : je ne doute pas un seul instant que le prolétariat surmontera tous ces dangers. Je ne suis pas un pessimiste, mais un optimiste de combat.
Aussi n’était-il pas dans mon intention de vous reprocher quelques inexactitudes, qui sont, tout au moins en comparaison, d’ordre secondaire.
Mais il y a pourtant une chose que je voudrais souligner très rapidement. Dans l’un de vos derniers numéros, vous publiez une information sur l’arrestation de la camarade Luxemburg. Cette information, vous l’avez sans doute compris entre-temps, est inexacte. Le 13 février déjà, l’ordre d’incarcération était lancé, et cela à cause de différentes réunions, spécialement celle qui s’est tenue le 10 février à Charlottenburg. Ce n’est que le 17 que l’affaire du passeport a eu lieu : le passeport fut demandé à la police – et l’autorisation de se rendre à l’étranger, le même jour, au procureur de Francfort sur le Main – sur l’ordre duquel, le 18, l’arrestation eut lieu. La « suspicion de fuite » est un prétexte d’autant plus misérable que Rosa était venue, à la date fixée, pour le procès, de Londres à Francfort, et qu’en avril 1914, bien que déjà condamnée, elle s’était rendue à l’étranger avec l’autorisation du procureur.
Je vous prie instamment de bien vouloir apporter ces rectifications dans votre prochain numéro. Tout cela repose sur le contenu des actes. J’en discuterais volontiers plus en détail avec vous : naturellement l’opposition fondamentale de nos conceptions politiques est à la base de nos divergences sur l’IK. Mais, je dois me présenter à la caserne le lendemain du jour de la clôture de la session du Reichstag avant midi. Aussi le temps dont je dispose est trop court.
Salutations social-démocrates
K. Liebknecht