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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
21 décembre 2015 1 21 /12 /décembre /2015 12:46
Rosa Luxemburg dans les annéees 1895 - 1898

Rosa Luxemburg dans les annéees 1895 - 1898

Condamnations possibles pour atteintes aux symboles nationaux, hymne, drapeau, célébration imposée dans les écoles et recommandée fortement dans les rues après les attentats. Peut-on encore être internationalistes en France aujourd'hui?

 

Il devient alors urgent de relire Rosa Luxemburg dont le combat contre le nationalisme a été constant alors même qu'elle venait d'un pays sous domination de trois empires, combat qui lui a permis de s'opposer aux menée impérialistes tout au long du XIXème siècle et au conflit mondial.

 

Son tout premier combat est la création, avec des camarades, du SDKPiL (Social-démocratie du Royaume de Pologne et de Lituanie) sur des bases marxistes et contre le social-patriotisme incarné par le PPS (Parti Socialiste Polonais) et sa lutte contre le social-patriotisme polonais au sein de la Seconde Internationale.

 

A la même époque, elle publie une analyse d'une grande pertinence et témoignant de la même démarche, à propos des événements en Turquie critiquant l'approche nationaliste de la politique de la social-démocratie.

 

Lire sur le blog la page consacrée à Rosa Luxemburg et la question nationale: http://comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com/pages/4_Rosa_luxemburg_et_la_Pologne_la_question_nationale-595118.html

 

"L’adoption de la résolution social-patriotique créerait un précédent important pour le mouvement socialiste dans d’autres pays. Ce qui vaut pour l’un vaut pour les autres. Si la libération nationale de la Pologne devait être élevée au rang d’objectif politique du prolétariat international, pourquoi pas aussi la libération de la Tchécoslovaquie,  de l’Irlande, et de l’Alsace-Lorraine? Tous ces objectifs sont tout autant utopiques, et ne sont pas moins justifiés que la libération de la Pologne. La libération de l’Alsace-Lorraine, en particulier, serait même beaucoup plus importante pour le prolétariat international, et bien plus probable: derrière l’Alsace-Lorraine il y a quatre millions de baïonnettes françaises, et dans les questions d’annexions bourgeoises, les baïonnettes ont plus de poids que les manifestations morales. Ensuite si les polonais des trois  parties occupées s’organisent selon  des critères de nationalités pour la libération de la Pologne, pourquoi les autres nationalités en Autriche n’agiraient-elles pas de la même façon, pourquoi pas les Alsaciens ne s’organiseraient-ils pas en commun avec les Français? En un mot, la porte serait ouverte aux luttes nationales et aux organisations nationalistes. A la place de l’organisation des travailleurs et en fonction des données politiques et étatiques, on rendrait hommage au principe de l’organisation selon la nationalité, procédé qui nous a souvent égarés dès le début.  Au lieu de programmes politiques de classe, on établirait des programmes nationaux.  Le sabotage de la lutte politique unitaire du prolétariat menée dans chaque État déboucherait sur une série de luttes nationales stériles." Citation tirée de son article "La question polonaise au Congrès international de Londres" juillet 1896, article reproduit intégralement plus bas et qui  constitue un exposé très complet de sa position.


Liste des articles et textes parus en langue allemande entre 1893 et 1899

 

Compte-rendu pour le 3ème Congrès de l'Internationale socialiste de Zurich en 1893 sur l'Etat et l'action du mouvement social-démocrate en Pologne russe.

Paru dans la "Sprawa Robotnisza, journal que viennent de créer Rosa Luxemburg et Leo Jogiches

 

Nouveaux courants au sein du mouvement social-démocrate polonais en Allemagne et en Autriche

Paru dans la Neue Zeit, le journal animé par Kautzky

 

Le social-patriotisme en Pologne

Paru dans la Neue Zeit

 

A propos de la tactique de la social-démocratie polonaise

Paru dans l'organe du parti Vorwärt, le 25 juillet 1896

 

Les luttes nationalistes en Turquie et la social-démocratie

Paru les 8, 9 et 10 octobre 1896 dans la Sächsische Arbeiterzeitung

 

A propos de la politique "orientale" du Vorwärts

Paru dans la Sächsische Arbeiterzeitung le 25 novembre 1896

 

L'action auprès de la population polonaise

Paru le 5 juillet 1897 dans la Sächsische Arbeiterzeitung

 

Le socialisme en Pologne

Sozialistische Monatshefte1897

 

Pas à pas (Histoire de la bourgeoisie en Pologne)

Paru dans la Neue Zeit 1897/1898

 

Sa thèse: Le développement industriel de la Pologne

Tenue à à l'Université de Zurich auprès du Professeur Julius Wolf

 

Les élections en Haute-Silésie

Paru dans le Leipziger Volkszeitung

 

Nouvelles de Posnanie

Paru dans la Sächsische Arbeiterzeitung des 8 et13 juillet 1898

 

Etat d'urgence en Galicie autrichienne

Paru dans la Sächsische Arbeiterzeitung  le 13 juillet 1898

 

Adam Mickiewicz

Paru dans le Leipziger Volkszeitung le 24 décembre 1898

 

La Russie en 1898

Paru dans le Leipziger Volkszeitung les 18 et 20 janvier 1899

 La question polonaise au Congrès international de Londres , juillet 1896

Article de Rosa Luxemburg publié simultanément dans Sprawa Robotnicza N°25 (juillet 1896) et dans Critica Sociale N°14 (juillet 1896).

 

Il y a trente-deux ans, lorsque les fondateurs de ce qui allait devenir l’Internationale se sont rencontrés pour la première fois à Londres, ils ont ouvert leurs travaux par une protestation contre l’asservissement de la Pologne, qui était alors engagée, pour la troisième fois, dans une lutte stérile pour l’indépendance. Dans quelques semaines, le Congrès de l’Internationale ouvrière se réunira, également à Londres, et y verra présenté une résolution en faveur de l’indépendance polonaise. La similitude des circonstances amène tout naturellement à comparer ces deux événements dans la vie du prolétariat international.

Le prolétariat a parcouru un long chemin dans son développement au cours de ces  trente-deux dernières années. Les progrès sont manifestes dans tous les domaines, et de nombreux aspects de la lutte de la classe ouvrière se présentent très différemment d’il y a trente-deux ans. Mais l’élément essentiel de cet essor pourrait se résumer dans la phrase suivante: d’une secte d’idéologues, les socialistes sont devenus un grand parti unifié capable de gérer ses propres affaires. Alors qu’ils existaient à peine dans de petits groupes isolés en marge de la vie politique des pays, ils représentent aujourd’hui le facteur dominant dans la vie de la société. C’est particulièrement vrai dans les grands pays civilisés, mais aussi partout, ils sont un élément que le gouvernement et la classe dirigeante doivent prendre en compte. S’il fallait au départ diffuser le nouveau message, aujourd’hui, la question primordiale est de savoir comment la vaste lutte des masses populaires, désormais baignée de socialisme, peut être au mieux tendue vers son objectif.

Le Congrès international des travailleurs a connu des changements  équivalents. A ses débuts, le Bureau international était surtout un conseil qui se réunissait pour formuler les principes de base du nouveau mouvement, aujourd’hui c’est surtout, voire exclusivement, un organe de délibérations concrètes par un prolétariat conscient sur les questions urgentes de l’ordre du jour de sa lutte. Toutes les tâches et tous les objectifs y sont rigoureusement étudiés quant à leur faisabilité; ceux qui semblent dépasser les forces du prolétariat sont mis de côté, quel que soit leur attrait ou leur effet d’annonce. C’est la différence essentielle entre la conférence de cette année au Hall Saint-Martin et celle qui a eu lieu trente-deux ans auparavant, et c’est de ce point de vue que la résolution déposé devant le Congrès doit être examinée.

La résolution sur la restauration de la Pologne qui sera présenté au Congrès de Londres se lit comme suit. [1]

 » Considérant que l’asservissement d’une nation par une autre ne profite qu’aux capitalistes et aux despotes, qu’elle est également néfaste et à la classe ouvrière de la nation opprimée et à celle de la nation oppresseur; qu’en particulier le tsarisme russe, qui puise sa force intérieure et son poids extérieur dans l’asservissement et le partage de la Pologne, constitue une menace permanente pour le développement du mouvement ouvrier international, le Congrès déclare que l’indépendance de la Pologne représente une impérative exigence politique  tant pour le prolétariat polonais et pour le mouvement ouvrier international mouvement dans son ensemble.

La demande d’indépendance politique de la Pologne est défendue avec deux arguments: premièrement, la nature nuisible des annexions du point de vue des intérêts du prolétariat et, deuxièmement, l’importance particulière de l’asservissement de la Pologne quant au maintien du tsarisme russe, et donc, implicitement, l’importance de l’indépendance polonaise pour contribuer à sa chute. »

Commençons par le second point.

Le tsarisme russe ne puise ni sa force intérieure, ni son poids extérieur de la domination de la Pologne. Cette affirmation de la résolution est fausse de A à Z. Le tsarisme russe tire sa force intérieure des rapports sociaux au sein même de la Russie. La base historique de l’absolutisme russe est une économie naturelle qui repose sur les relations archaïques de propriété communautaire de la paysannerie. L’arrière-plan de cette structure sociale – et il y en a  encore de nombreux vestiges dans la Russie d’aujourd’hui – ainsi que la configuration générale des autres facteurs sociaux, constituent la base du tsarisme russe. La noblesse est contenue sous le joug du tsar par un flot incessant taxe sur la paysannerie.  La politique étrangère est menée au profit de la bourgeoisie, avec l’ouverture de nouveaux marchés comme objectif principal, tandis que la politique douanière met le consommateur russe à la merci des fabricants. Enfin, l’activité interne même du tsarisme est au service du capital: organisation d’expositions industrielles, construction du chemin de fer de Sibérie, et autres projets de même nature sont menés en vue de faire progresser les intérêts du capitalisme. De façon générale, la bourgeoisie joue un rôle très important dans le cadre du tsarisme dans l’élaboration de la politique intérieure et étrangère, un rôle que son inconséquence numérique ne serait jamais  lui permettre de jouer sans le tsar.  C’est cela, la combinaison de facteurs qui donne  au tsarisme sa force interne. S’il continue à végéter, c’est parce que les formes  sociales obsolètes n’ont pas encore complètement disparu, et que les rapports de classe embryonnaires d’une société moderne ne se sont pas encore pleinement développés et cristallisés.

A nouveau: le tsarisme  ne tire pas sa force du partage de la Pologne, mais des particularités de l’Empire russe. Ses vastes masses humaines lui fournissent une source illimitée de ressources financières et militaires, disponibles presque à la demande, qui élève la Russie au niveau d’une puissance européenne de premier plan. Son immensité et  sa situation géographique donnent à la Russie un intérêt tout particulier dans la question d’Orient, où il rivalise avec les autres nations également impliqués dans cette partie du monde. Les frontières de la Russie avec les possessions britanniques en Asie le mènent vers une confrontation inévitable avec l’Angleterre. En Europe aussi, la Russie est profondément impliquée dans les questions vitales des puissances européennes. Surtout en ce dix-neuvième siècle, la lutte de classe révolutionnaire émergente a placé le tsarisme dans le rôle de gardien de la réaction en Europe, ce qui contribue également à sa stature à l’étranger.

Mais surtout, si l’on doit parler de la position extérieure de la Russie, en particulier au cours des dernières décennies, ce n’est pas du partage de la Pologne, mais uniquement et exclusivement de l’annexion de l’Alsace-Lorraine qu’il tire son pouvoir: en divisant l’Europe en deux camps hostiles, par la création d’une menace de guerre permanente, et en conduisant la France dans les bras de la Russie.

De fausses prémisses donnent de fausses conclusions: comme si l’existence d’une Pologne indépendante pourrait priver la Russie de ses pouvoirs chez elle ou à l’étranger… La restauration de la Pologne  ne pourrait provoquer la chute de l’absolutisme russe que si elle supprimait en même temps la base sociale du tsarisme en Russie même, à savoir, les restes de la vieille économie paysanne  et l’utilité du tsarisme pour à la fois la noblesse et la bourgeoisie. Mais bien sûr cela n’a aucun sens:  avec ou sans la Pologne, cela n’y changera rien. L’espoir de briser  la toute-puissance russe grâce à la restauration de la Pologne est un anachronisme qui remonte à ce temps révolu où il ne semblait y avoir aucun espoir que des forces au sein même de la Russie y soient jamais capable de viser la destruction du tsarisme. La Russie de l’époque, une terre d’économie naturelle, semblait, comme l’ont fait ces pays,  s’embourber dans la stagnation sociale  la plus totale. Mais depuis les années soixante elle a mis le cap vers le développement d’une économie moderne et, ce faisant, a semé le germe d’une solution au problème de l’absolutisme russe. Le tsarisme se trouve contraint de soutenir une économie capitaliste, mais, ce faisant, il scie la branche sur laquelle il est assis.

Par sa politique financière, il détruit ce qui reste des anciennes relations agricoles communes, et donc élimine les fondements de la pensée conservatrice chez les paysans. Qui plus est, dans son pillage de la paysannerie, le tsarisme sape ses  propres fondements matériels en détruisant les ressources avec lesquelles il a acquis la loyauté de la noblesse. Enfin, le tsarisme s’est visiblement fait une spécialité de ruiner la plupart des consommateurs pour l’embarassas de la bourgeoisie, ce qui laisse les poches  assez vides  aux seuls qui pourraient vouloir sacrifier un peu de leurs intérêts à ceux de la nation. Une l’agent de l’économie bourgeoise dépensé, la bureaucratie pèse de tout son poids.  Le résultat en est l’accélération de la croissance du prolétariat industriel, la seule force sociale à laquelle le tsarisme ne peut pas s’allier et à laquelle il ne peut pas céder sans mettre en péril sa propre existence.

Ces sont donc là les contradictions sociales dont la solution implique la chute de l’absolutisme. Le tsarisme fonce directement vers  ce moment fatal, comme une pierre roule du haut de la montagne. La montagne c’est le développement du capitalisme et ses flancs sont les poings de la classe ouvrière prête au combat. Seule la lutte politique du prolétariat dans tout l’empire de Russie peut accélérer ce processus. L’indépendance de la Pologne a relativement peu à voir avec la chute du tsarisme, de même que le partage de la Pologne avait peu à voir avec son existence.

Prenons maintenant le premier point de la résolution.  « La soumission d’une nation par une autre», y lit-on, « ne peut servir que les intérêts des capitalistes et des despotes, tandis qu’elle est également néfaste et à la classe ouvrière de la nation opprimée et à celle de la nation oppresseur…  » C’est sur cette base que la proposition de l’indépendance de la Pologne est censée devenir une exigence impérative du prolétariat. Ici, nous avons une de ces grandes vérités, si grande, en effet, que s’en est un lieu commun, et en tant que tel, ne peut mener à la moindre conclusion pratique. Si, en affirmant que l’assujettissement d’une nation par une autre est dans l’intérêt des capitalistes et des despotes,  on en conclut que toutes les annexions sont injustes, et peuvent être éradiquées dans le cadre du système capitaliste, alors raisonnons dans l’absurde, car ça ne tient pas compte des principes de base de l’ordre existant.

Il est intéressant de noter que ce point dans la résolution relève presque du même argument que la fameuse résolution néerlandaise: [2] « la conquête et le contrôle d’une nation par une autre et le combat d’un peuple par un autre ne peuvent être utiles qu’aux classes dirigeantes » … où le prolétariat doit accélérer la fin de la guerre en organisant des grèves militaires. Les deux résolutions sont fondées sur la croyance naïve qu’il suffit de reconnaître qu’un fait quelconque est avantageux pour les despotes  et nuisible pour les travailleurs, pour l’éliminer sur-le-champ. La similitude va plus loin. Le mal qui doit être écarté est dans son principe le même dans les deux résolutions: la résolution néerlandaise veut prévenir de futures annexions futures en mettant fin à la guerre, alors que la résolution polonais veut défaire les guerres passées en supprimant les annexions. Dans les deux cas, il s’agit pour le prolétariat d’éliminer la guerre et les annexions dans le cadre du capitalisme, sans éliminer le capitalisme lui-même,  alors que les deux font, de fait, partie de la nature même du capitalisme.

Si le truisme que nous venons de citer ne sert pas à grand chose pour l’abolition générale des annexions, il offre encore moins de raison d’abolir l’annexion  en question en Pologne. Dans ce cas particulier, sans une évaluation critique des conditions historiques concrètes, rien de bon ne peut être utile.  Mais sur ce point, sur la question de savoir comment – et si – le prolétariat peut libérer la Pologne, la résolution garde un profond silence profond. La résolution néerlandaise est plus élaborée à cet égard: elle propose au moins un moyen spécifique: un accord secret avec l’armée,  ce qui nous donne la mesure du côté utopique de la résolution. La résolution polonais reste en-deçà et se contente de « demander », ce qui n’est guère moins utopique  que le reste.

Comment le prolétariat polonais peut-il construire un État sans classes? Face aux trois gouvernements au pouvoir en Pologne, face de la bourgeoisie du Congrès polonais vendu au trône de Saint-Pétersbourg et rejetant toute idée d’une Pologne ressuscitée comme un crime et un complot contre son propre agenda, face aux grandes propriétés foncières de Galice représentées dans l’administration Badani, [3] qui vise  l’unité de l’Autriche (garantissant le partage de la Pologne) et, enfin, face aux Junkers prussiens qui alimentent le budget militaire pour sauvegarder les annexions; face à tous ces facteurs, que peut faire le prolétariat polonais? Toute révolte  serait matée dans le sang. Mais si aucune tentative de rébellion n’est faite, rien  d’autre ne se fera, car l’insurrection armée est la seule façon de réaliser l’indépendance polonaise. Aucun des États concernés ne renoncera volontairement à ses provinces, où ils ont régné pendant un long siècle. Mais dans les conditions actuelles, toute rébellion du prolétariat serait écrasée – il ne pourrait en résulter rien d’autre. Peut-être le prolétariat international pourrait-il aider? Il  ne serait pas  en position d’agir comme le prolétariat polonais lui-même, mais tout au moins peut-il déclarer sa sympathie.  Supposons  pourtant que toute la campagne en faveur de la restauration de la Pologne se limite à des manifestations pacifiques?  Eh bien, dans ce cas, bien sûr, les États qui l’ont partagé pourront continuer à régner sur la Pologne en toute tranquillité. Si donc le prolétariat international fait du rétablissement de la Pologne sa revendication politique – comme la résolution l’exige – il n’aura fait rien d’autre que prononcer un vœu pieux. Si l’on « exige » quelque chose, il faut se donner les moyens de cette exigence. Si l’on ne peut rien faire, l ‘ « exigence » creuse pourra bien tonner dans les airs, mais il ça n’ébranlera certainement pas le pouvoir des États sur la Pologne.

L’adoption de la résolution social-patriotique par le Congrès international pourrait toutefois avoir des implications plus vastes qu’il ne peut sembler à première vue. Tout d’abord, cela contredirait les décisions du précédent Congrès, en particulier relatifs à la résolution néerlandais sur la grève militaire. À la lumière d’arguments essentiellement équivalents et d’un contenu identique, l’adoption de la résolution social-patriotique réouvrirait la porte à la néerlandaise. Comment les délégués polonais, après avoir voté contre la résolution Nieuwenhuis, ont-ils réussi à proposer ce qui est pour l’essentiel une résolution identique, c’est là un point que nous ne discuterons pas pour le moment. En tout cas, ce serait bien pire si le Congrès dans son ensemble entrait dans une telle contradiction avec lui-même.

Deuxièmement, cette résolution, si elle était adoptée, aurait un effet pour le mouvement polonais que les prochains délégués au Congrès n’ont sûrement même pas osé imaginer. Ces trois dernières années – comme je l’ai détaillé dans mon article dans la Neue Zeit, numéros 32 et 33 [4] – on a tenté d’imposer aux socialistes polonais un programme pour le rétablissement de la Pologne, avec l’intention de les séparer de leurs camarades allemands, autrichiens et russes en les unifiant dans un parti polonais  construit sur une ligne  nationaliste. Compte tenu de l’utopie de ce programme et de sa contradiction avec toute lutte politique efficace, les défenseurs de cette tendance n’ont pas encore été en mesure de fournir d’argument à leur visées nationalistes qui résiste à la critique. C’est ainsi qu’ils n’ont guère, jusqu’à présent, mis en avant leur tendance sur la scène publique. Alors que les partis polonais des secteurs autrichien  et prussien n’ont pas adopté le point relatif au rétablissement de la Pologne dans leur programme, l’avant-garde de la tendance nationaliste, le groupe de Londres qui se fait appeler Zwiazek Polskich Zagraniczny Socjalistow, [5] a travaillé ferme  à susciter des sympathie dans les partis d’Europe occidentale, notamment via le journal Bulletin Officiel et par d’innombrables articles dans: Socialist Poland , The Poland of the Workers , Democratic Poland , The Independent Republic of Poland, etc les mêmes proses ont tourné en boucle en polonais, en allemand et en français. C’est ainsi qu’a été préparé le terrain pour l’adoption dans le programme d’un État de classe polonais. Le couronnement de tout ce processus devait être le congrès de Londres, avec l’adoption de la résolution du courant nationaliste passant en contrebande sous le drapeau international.  Le prolétariat international est sans doute censé lever le drapeau rouge sur le vieil édifice nationaliste et le consacrer temple de l’internationalisme. Ensuite cette consécration par les représentants du prolétariat international devrait couvrir l’absence d’une quelconque motivation scientifique et élever le social-patriotisme au rang de dogme qu’il serait vain de critiquer. Enfin cette décision devrait encourager les partis polonais à adopter, une fois pour toutes, le programme nationaliste et à s’organiser sur des bases nationales.

L’adoption de la résolution social-patriotique créerait un précédent important pour le mouvement socialiste dans d’autres pays. Ce qui vaut pour l’un vaut pour les autres. Si la libération nationale de la Pologne devait être élevée au rang d’objectif politique du prolétariat international, pourquoi pas aussi la libération de la Tchécoslovaquie,  de l’Irlande, et de l’Alsace-Lorraine? Tous ces objectifs sont tout autant utopiques, et ne sont pas moins justifiés que la libération de la Pologne. La libération de l’Alsace-Lorraine, en particulier, serait même beaucoup plus importante pour le prolétariat international, et bien plus probable: derrière l’Alsace-Lorraine il y a quatre millions de baïonnettes françaises, et dans les questions d’annexions bourgeoises, les baïonnettes ont plus de poids que les manifestations morales. Ensuite si les polonais des trois  parties occupées s’organisent selon  des critères de nationalités pour la libération de la Pologne, pourquoi les autres nationalités en Autriche n’agiraient-elles pas de la même façon, pourquoi pas les Alsaciens ne s’organiseraient-ils pas en commun avec les Français? En un mot, la porte serait ouverte aux luttes nationales et aux organisations nationalistes. A la place de l’organisation des travailleurs et en fonction des données politiques et étatiques, on rendrait hommage au principe de l’organisation selon la nationalité, procédé qui nous a souvent égarés dès le début.  Au lieu de programmes politiques de classe, on établirait des programmes nationaux.  Le sabotage de la lutte politique unitaire du prolétariat menée dans chaque État déboucherait sur une série de luttes nationales stériles.

Voilà la signification principale de la résolution social-patriotique, si elle devait être adoptée. Nous avons évoqué en commençant les progrès que le prolétariat a fait depuis l’époque de la première Internationale, son développement à partir de petits groupes  pour devenir un grand parti capable de gérer ses propres affaires. Mais à quoi prolétariat doit-il ce progrès? Seulement à sa capacité de comprendre la primauté de la lutte politique dans son activité. L’ancienne Internationale a fait place à des partis organisés dans chaque pays en conformité avec les conditions politiques propres à ces pays, sans, pour cela, s’occuper de la nationalité des travailleurs. Seule la lutte politique en conformité avec ce principe rend la classe ouvrière forte et puissante. Mais la résolution social-patriotique suit son cours en opposition diamétrale à ce principe. Son adoption par le Congrès serait renier trente-deux ans d’expérience accumulée par le prolétariat et d’enseignement théorique.

La résolution social-patriotique a été formulé très habilement: c’est derrière la protestation contre le tsarisme qu’on proteste contre l’annexion – mais après tout, la  revendication d’indépendance de la Pologne s’adresse aussi bien à l’Autriche et à la Prusse qu’à la Russie: elle sanctionne une tendance nationaliste ayant des intérêts internationaux; elle essaie d’obtenir l’appui du programme socialiste sur la base d’une manifestation morale générale. Mais la faiblesse de son argumentation est encore plus grande que l’habileté de sa formulation: quelques lieux communs sur la malfaisance des annexions et des sottises sur l’importance de la Pologne pour le tsarisme – cela et rien de plus – c’est tout ce que cette résolution est capable d’offrir.

 

Notes:

[1] Le texte de la résolution est reproduit d’après la forme présentée par Rosa Luxemburg dans son essai, Der Sozialpatriotismus in Polen, dans Neue Zeit. Cf. Collected Works , I, I, 39ff.

[2] Il s’agit d’une référence à un projet de résolution néerlandaise au Congrès socialiste international de Zurich en 1893. It was rejected in favor of a German resolution on the same theme. Il a été rejeté au profit d’une résolution allemand sur le même thème. Cf. Protokoll des Internationalen Sozialistischen Arbeiterkongresses in der Tonhalle Zurich vom 6 bis 12 August 1893 , Zurich 1894, p.25.

[3]  Référence à un membre de la noblesse polonaise de la Pologne autrichienne, Premier ministre de 1895 à 1897.

[4] Neue Strömungen in der polnischen sozialistischen Bewegung in Deutschland and Österreich ( New Tendencies in the Polish Socialist Movement in Germany and Austria ), in Collected Works , I, I.

[5] Union  à l’étranger des socialistes polonais , comité spécial associé au PPS.

 

Paru sur le site lLa Bataille socialiste : https://bataillesocialiste.wordpress.com/documents-historiques/1896-07-la-question-polonaise-au-congres-international-de-londres/

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Lettre publiée en 1896

Lettre à Karl Kautsky
Zurich, le 5 mars 1896

Monsieur le rédacteur en chef,

Par le même courrier, je vous envoie un assez long article sur les courants nationalistes dans le mouvement socialiste polonais. Le sujet - j'espère que vous le constaterez à la lecture de l'article - est tout à fait d'actualité. Le changement d'orientation politique des socialistes polonais d'allemagne et d'Autriche, préparé de longue main, peut avoir, à mon avis, une autre conséquence immédiate: à l'exemple de ce qui s'est déjà passé en Allemagne, le parti de Galicie se séparerait de la social-démocratie autrichienne. Ce changement d'orientation a déjà entraîné une résolution du peuple galicien, à propos de la célébration du premier mai, qui est très importante sur le plan pratique. Et son importance déborde et de loin le cadre du mouvement polonais lui-même, même si on laisse de côté l'intérêt immédiat que le mouvement polonais présente pour les camarades allemands. En effet, tout le mouvement nationaliste parmi les socialistes polonais tente de se donner des apparences marxistes, en invoquant surtout les sympathies dont il jouirait auprès de la social-démocratie allemande et il veut d'autre part gagner les sympathies des socialistes d'Europe occidentale grâce à une feuille qu'il édite spécialement à leur intention: Le Bulletin du parti soc(ialiste) pol(onais).
Mais traiter ce problème semble tout particulièrement indiqué si l'on considère que les représentants de la tendance nationaliste- socialiste se proposent - comme ils l'écrivent eux-mêmes dans l'organe allemaniste - Le Parti ouvrier - de soumettre au Congrès international de Londres une résolution qui sanctionnerait comme une rendication politique du prolétariat la restauration d'un Etat polonais, ce qui préparerait l'inclusion de cette revendication dans le programme pratique des partis polonais.
Si vous décidez de faire paraître mon article, son importance pratique sera d'autant plus grande qu'il sera publié plus vite, compte tenu de la proximité du Congrès de la social-démocratie autrichienne qui doit traiter de la question du premier mai et d'autres problèmes abordés dans cet article.

Veuillez agréer l'assurance de ma considération distinguée.

Rosa Luxemburg

L'allemand étant pour moi une langue étrangère, il se pourrait qu'une expression pas tout à fait correcte se fût glissé dans mon article. Aussi je me permets de vous prier très courtoisement de bien vouloir, le cas échéant, corriger mon article à cet égard

Mon adresse: Mademoiselle Luxemburg ...

(Vive la lutte - P44/45 - Maspero - Sous la direction de Georhes Haupt)

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11 juin 2011 6 11 /06 /juin /2011 21:39

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

Cette lettre fait suite à celle du 5 mars, déjà publiée sur le blog (voir ci-après) et très connue, concernant la publication d'un article "Nouveaux courants dans le mouvement socialiste polonais en Allemagne et en Autriche" dans la Neue Zeit.

Elle s'inscrit dans le combat que mène Rosa Luxemburg contre le courant nationaliste au sein du mouvement ouvrier en Pologne représenté par le Parti socialiste polonais. Ce premier article et les lettres qui s'y rapportent sont d'une grande importance pour comprendre l'approche de la question nationale de Rosa Luxemburg.


Zurich, 30 mars 1896

A Karl Kautsky

 

Monsieur le rédacteur en chef,

 

J'ai reçu hier votre estimée du 28 courant, mais j'attends encore le manuscrit que vous avez l'intention d'expédier avec la lettre et qui, jusqu"à présent n'est pas encore arrivé. Tout en le regrettant beaucoup, je suis disposée comme vous l'exigez à réduire la longueur de l'article. Mais il n'est pas possible d'obtenir cette réduction par de simples coupures. L'article forme un tout et il me faut en quelque sorte combler le vide qui résultera nécessairement de la suppression des 2 et 3ème parties, ne serait-ce que pour éviter que le lecteur s'étonne de me voir discuter la question de savoir si est réalisable ou non un programme dont je n'aurai pas mentionné les attendus. Or la possibilité de le réaliser est en étroit rapport avec la méthode qui a présidé à son établissement. C'est pourquoi d'ailleurs j'ai traité si brièvement la question de sa possibilité, parce que je croyais que, pour un marxiste, la façon dont on fonde un programme implique déjà pour une moitié la réponse à la première question. Il faudra sans doute deux ou trois jours pour établir dans l'article cette cohérence interne. Je vous laisse le soin, Monsieur le rédacteur en chef, de procéder aux autres coupures que vous jugerez nécessaires, parce que je ne sais pas ce qui, dans tel ou tel cas, vous paraît intéressant ou non. A vrai dire au départ, je n'avais pas escompté plus de vingt et une pages de la Neue Zeit, car en comparant une page imprimée de la revue à mon écriture, il me semblait que mon article n'exigerait pas davantage de place.

 

Quant à vos remarques sur la partie polémique de mon article, je me permets d'indiquer pour ma défense que ce qui suscite l'impression de polémique, ce n'est pas tant ma critique dans la 2 et 3ème partie que la reproduction du point de vue critiqué, par suite de la naïveté de l'argumentation. Par ailleurs, ma polémique n'a certes rien de personnel: elle vise exclusivement des opinions. Mais quand je critique une orientation politique, je me crois tenue de partir d'abord de l'argumentation de l'adversaire, sans quoi ma critique serait nécessairement incomplète. En outre l'opinion dont je traite dans les 2 et 3ème parties est effectivement partagée par tous les représentants de la tendance social-patriotique et elle s'est exprimée dans la presse allemande et française (voir Handbuch des Sozialismus, le Socialiste) sans soulever la moindre critique.

 

Pour le mouvement polonais spécialement, l'importance de cet article réside dans la critique de cette argumentation actuellement si répandue: en le publiant, la Neue Zeit ferait apparaître toute la faiblesse de cette position.

 

Enfin, surtout dans l'intérêt de la discussion qui pourrait s'engager, je voulais d'entrée de jeu expédier la partie de l'argumentation qui présente moins d'importance pour le grand public allemand, afin de concentrer la discussion exclusivement sur les aspects plus sérieux de la question traitée.

 

Malgré tout, j'attends mon manuscrit pour procéder aux réductions nécessaires: je n'en possède pas en effet d'autre exemplaire complet.

 

Veuillez agréer l'assurance de ma considération distinguée.

 

Rosa Luxemburg

Universitätsstr.77
(Vive la lutte - P46/47 - Maspero - Sous la direction de Georhes Haupt)



La lettre du 5 mars

Cette lettre adressée à Kautsky, rédacteur en chef de la Neue Zeit, fait partie des actions que Rosa Luxemburg a entamée contre la tendance nationaliste au sein du mouvement ouvrier polonais. Elle lui demande la publication d'un article dans le journal qu'il anime et qui est l'un des plus importants du parti social-démocrate allemand (voir article sur le blog).

Lettre à Karl Kautsky
Zurich, le 5 mars 1896

Monsieur le rédacteur en chef,

Par le même courrier, je vous envoie un assez long article sur les courants nationalistes dans le mouvement socialiste polonais. Le sujet - j'espère que vous le constaterez à la lecture de l'article - est tout à fait d'actualité. Le changement d'orientation politique des socialistes polonais d'allemagne et d'Autriche, préparé de longue main, peut avoir, à mon avis, une autre conséquence immédiate: à l'exemple de ce qui s'est déjà passé en Allemagne, le parti de Galicie se séparerait de la social-démocratie autrichienne. Ce changement d'orientation a déjà entraîné une résolution du peuple galicien, à propos de la célébration du premier mai, qui est très importante sur le plan pratique. Et son importance déborde et de loin le cadre du mouvement polonais lui-même, même si on laisse de côté l'intérêt immédiat que le mouvement polonais présente pour les camarades allemands. En effet, tout le mouvement nationaliste parmi les socialistes polonais tente de se donner des apparences marxistes, en invoquant surtout les sympathies dont il jouirait auprès de la social-démocratie allemande et il veut d'autre part gagner les sympathies des socialistes d'Europe occidentale grâce à une feuille qu'il édite spécialement à leur intention: Le Bulletin du parti soc(ialiste) pol(onais).


Mais traiter ce problème semble tout particulièrement indiqué si l'on considère que les représentants de la tendance nationaliste- socialiste se proposent - comme ils l'écrivent eux-mêmes dans l'organe allemaniste - Le Parti ouvrier - de soumettre au Congrès international de Londres une résolution qui sanctionnerait comme une rendication politique du prolétariat la restauration d'un Etat polonais, ce qui préparerait l'inclusion de cette revendication dans le programme pratique des partis polonais.


Si vous décidez de faire paraître mon article, son importance pratique sera d'autant plus grande qu'il sera publié plus vite, compte tenu de la proximité du Congrès de la social-démocratie autrichienne qui doit traiter de la question du premier mai et d'autres problèmes abordés dans cet article.

Veuillez agréer l'assurance de ma considération distinguée.

Rosa Luxemburg


L'allemand étant pour moi une langue étrangère, il se pourrait qu'une expression pas tout à fait correcte se fût glissé dans mon article. Aussi je me permets de vous prier très courtoisement de bien vouloir, le cas échéant, corriger mon article à cet égard

Mon adresse: Mademoiselle Luxemburg ...

(Vive la lutte - P44/45 - Maspero - Sous la direction de Georhes Haupt)


 

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11 juin 2011 6 11 /06 /juin /2011 20:49

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

Qu'il ait été nécessaire de faire paraître une nouvelle édition polonaise du Manifeste du Parti communiste, permet de faire maintes conclusions.

 

D'abord, il faut constater que le Manifeste est devenu, ces derniers temps, une sorte d'illustration du progrès de la grande industrie sur le continent européen. A mesure que celle-ci évolue dans un pays donné, les ouvriers de ce pays ont de plus en plus tendance à voir clair dans leur situation, en tant que classe ouvrière, par rapport aux classes possédantes; le mouvement socialiste prend de l'extension parmi eux et le Manifeste devient l'objet d'une demande accrue. Ainsi, d'après le nombre d'exemplaires diffusés dans la langue du pays, il est possible de déterminer avec  assez de précision non seulement l'état du mouvement ouvrier, mais aussi le degré d'évolution de la grande industrie dans ce pays.

 

La nouvelle édition polonaise du Manifeste est donc une preuve du progrès décisif de l'industrie de la Pologne.     Que ce progrès ait effectivement eu lieu durant les dix années qui se sont écoulées depuis que la dernière édition a vu     le jour, nul doute ne saurait subsister. Le Royaume de Pologne, la Pologne du Congrès [ce nom désignait la partie de la Pologne qui, sous le titre officiel de Royaume de Pologne, passa à la Russie par décision du Congrès de Vienne     (1814-1815). (N.D.L.R)], s'est transformé en une vaste région industrielle de l'empire de Russie. Tandis que la grande industrie russe est dispersée dans maints endroits, une partie tout près du golfe de Finlande, une autre dans la région     centrale (Moscou, Vladimir), la troisième sur les côtes de la mer Noire et de la mer d'Azov, etc., l'industrie polonaise se trouve concentrée sur une étendue relativement faible et éprouve aussi bien les avantages que les inconvénients de cette concentration. Ces avantages furent reconnus par les fabricants concurrents de Russie lorsque, malgré leur désir ardent de russifier tous les Polonais, ils réclamèrent l'institution de droits protecteurs contre la Pologne. Quant aux inconvénients—pour les fabricants polonais comme pour le gouvernement russe—, ils se traduisent par une rapide diffusion des idées socialistes parmi les ouvriers polonais et par une demande accrue pour le Manifeste.

 

Cependant, cette évolution rapide de l'industrie polonaise qui a pris le pas sur l'industrie russe, offre à son tour une nouvelle preuve de la vitalité tenace du peuple polonais et constitue une caution nouvelle de son futur rétablissement national. Or, le rétablissement d'une Pologne autonome puissante, nous concerne nous tous et pas seulement les Polonais. Une coopération internationale de bonne foi entre les peuples d'Europe n'est possible que si chacun de ces peuples reste le maître absolu dans sa propre maison. La révolution de 1848, au cours de laquelle les combattants prolétariens ont dû, sous le drapeau du prolétariat, exécuter en fin de compte la besogne de la bourgeoisie, a réalisé du même coup, par le truchement de ses commis—Louis Bonaparte et Bismarck[Bismarck, Otto (1815-1898), homme d'Etat et diplomate prussien Dans la politique intérieure et extérieure qu'il pratiquait, il se     guida sur les intérêts des hobereaux et de la grande bourgeoisie. Grâce à des guerres d'agression et à une série de démarches diplomatiques heureuses, il réussit, en 1871, l'unification de l'Allemagne sous l'égide de la Prusse. De 1871 à 1890, il fut le chancelier de l'Empire allemand. /"La révolution de 1848, comme nombre de celles qui la précédèrent, a connu d'étranges destins. Les mêmes gens qui l'écrasèrent, sont devenus, selon le mot de Marx, ses exécuteurs testamentaires. Louis-Napoléon fut contraint de créer une Italie unie et indépendante, Bismarck fut contraint de faire en Allemagne une révolution à sa manière et de rendre à la Hongrie une certaine indépendance..." (Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre. Préface à l'édition allemande de 1892.) (N.R.)]— l'indépendance de l'Italie, de l'Allemagne, de la Hongrie. Pour ce qui est de la Pologne qui depuis 1792 avait fait pour la révolution plus que ces trois pays pris ensemble, à l'heure où, en 1863, elle succombait sous la poussée des forces russes[Allusion à l'insurrection nationale qui commença en janvier 1863 dans les terres polonaises faisant partie de l'Empire russe et qui fut sauvagement réprimée par les troupes du tsar. Les gouvernements des puissances de l'Europe occidentale—en qui les chefs de cette insurrection, gens de tendances conservatrices avaient placé leurs espoirs—, se bornèrent à des démarches diplomatiques et trahirent en fait les insurgés. N.D.L.R)], dix fois supérieures aux siennes propres, elle fut abandonnée à elle-même. La noblesse a été impuissante à défendre et à reconquérir l'indépendance de la Pologne; la bourgeoisie se désintéresse actuellement, pour ne pas dire plus, de cette indépendance. Néanmoins, pour la     coopération harmonieuse des nations européennes, elle s'impose impérieusement. Seul peut conquérir cette indépendance le jeune prolétariat polonais, qui en est même le garant le plus sûr. Car pour les ouvriers du reste de l'Europe cette indépendance est aussi nécessaire que pour les ouvriers polonais eux-mêmes.

 

                                                                     Friedrich Engels

                                                                Londres, 10 février 1892

 

 

 

http://www.marxists.org/francais/engels/works/1892/02/fe18920210.htm

 


Vous pouvez consulter en permanence le dossier sur le blog:

Rosa luxemburg et la Pologne - la question nationale

Le SDKPiL


                Sprawa robotnisza - La cause ouvrière : lire
Articles dans la presse social-démocrate allemande


                  Lettre 1898 - Contre les courants nationalistes dans le parti socialiste polonais : lire
Meetings en Haute-Silésie 1899


             Meetings en Haute-Silésie, lettre du 30.12.1899 : lire
Rosa luxemburg et la question nationale


             L'Etat-nation (1908) : lire
             L'Etat-nation et le prolétariat (suite) :
lire

                 Social-démocratie et luttes nationales en Turquie - Notre lecture : lire            

             Rosa Luxemburg et la Société des Nations : lire
Réfléxion actuelles sur la question nationale


                Le droit à l'autodétermination au Québec: lire

                Refuser de particper au débat sur l'identité nationale est une nécessité: lire

Contre-point historique


                Préface au Manifeste de Engels, 1892 : lire

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2 janvier 2011 7 02 /01 /janvier /2011 11:01

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

Nous reprenons ce texte paru en ce premier janvier  sur le web (voir) . La lecture en est toujours aussi utile. Ecrit en 1896, il témoigne de la cohérence des analyses de Rosa Luxemburg, Ainsi y retrouve-t-on les prémisses de cette pensée anti-impérialiste, marxiste qui se construira tout au long de sa vie et qui se traduira par de multiples textes et ouvrages, dont l'Accumulation du Capital paru 20 ans plus tard.

Ce texte publié dans la Sächsische Arbeiterzeitung est un texte de jeunesse. Rosa Luxemburg est encore en Suisse. Elle a travaillé pour sa thèse sur le développement économique de la Pologne. Elle a participé à la création en 1893 du parti social-démocrate de Pologne, sur des bases de classes, en opposition au parti socialiste polonais. Elle commence à militer au sein de la IIème Internationale pour la reconnaissance de cette approche marxiste de la question nationale. Et elle commence à se rapprocher de la social-démocratie allemande qu'elle rejoindra en 1898 lors de son installation volontaire et réfléchie dans ce pays. Le journal dans lequel elle publie est l'un des plus intéressants de l'époque. Il joue un rôle important dans l'activité de Rosa Luxemburg, on y trouve nombre de ses articles, où elle lie actualité et analyses.

Le texte:


Pour Rosa Luxemburg, la question nationale est étroitement liée à une analyse de classe. La réalisation des aspirations nationales dépend ainsi pour elle d'un contexte économique et politique, différent selon qu'il concerne la Pologne par exemple, l'Alsace-Lorraine, l'Irlande ou l'Arménie ici. Aussi, ce texte est d'abord une analyse de la situation en Turquie vue à partir d'une approche marxiste.

 

"Or, pour la social-démocratie qui, pour l’heure, élucide simplement les événements dans la sphère internationale et qui se préoccupe par-dessus tout de faire remonter les phénomènes de la vie publique à des causes matérielles sous-jacentes ..."

 

Selon elle, la Turquie a dû passer d'une économie de troc à une économie plus moderne et développer un Etat centralisé, occasionnant des coûts énormes sans que soit fondamentalement modifiée l'organisation économique - en Turquie, le capitalisme n'est pas installé - ni la structure du pouvoir.

 

"Alors que chez nous le gouvernement central spolie le peuple et soutient ainsi son administration, là bas, à l’inverse, l’administration prend l’initiative de spolier le peuple, finançant ainsi le gouvernement central."

 

"Mais, alors que là les réformes après la guerre de Crimée (B) entraînèrent parallèlement le développement rapide du capitalisme et jetèrent les bases matérielles pour des innovations administratives et financières, ainsi que pour le développement ultérieur du militarisme, en Turquie une transformation économique correspondant aux réformes modernes fut totalement absente"

 

Pas de développement d'une industrie nationale, pas de mise en place des structures monétaires adéquates. Dépendance des places financières européenne qui prêtent à des taux usuraires. En même temps, détérioration de l'économie paysanne.

 

Pour Rosa Luxemburg, la réalisation des buts de la social-démocratie correspond alors à ceux des luttes nationales. La désintégration de la Turquie permettant le développement d'une société capitaliste et donc le développement de luttes sociales.

 

"Premièrement, la libération des territoires chrétiens de la Turquie signifie un progrès dans la vie politique internationale. L’existence d’une position artificielle comme celle de la Turquie actuelle, où convergent tant d’intérêts du monde capitaliste, a un effet contraignant et retardateur sur le progrès politique général."

 

"Nous avons affaire en l’espèce à un processus historique, lequel se développe avec l’inéluctabilité d’une loi naturelle. L’impossibilité d’une continuation de formes économiques archaïques en Turquie face au système fiscal et à l’économie monétaire, et l’impossibilité pour l’économie monétaire de se développer vers le capitalisme"

 

"Séparé de la Turquie, il acquiert une forme européenne d’Etat et des institutions bourgeoises, et se retrouve graduellement entraîné dans le courant général du développement capitaliste."

 

Cette analyse des luttes nationales, Rosa Luxemburg y sera fidèle tout au long de sa vie. Si elle ne nie pas l'existence des nationalités, elle lie toujours ces questions à l'analyse du capitalisme et au "but final" sans cesse réaffirmé: le développement social.

 

Rosa Luxemburg et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes

 


La traduction et la présentatation du texte sont remarquables. Le site www.marxists.org à visiter et revisiter. Les indications en gras sont de notre fait, pour notre lecture!

Rosa Luxemburg - Social-démocratie et luttes nationales en Turquie / Social Democracy and the National Struggles in Turkey

samedi 1 janvier 2011

Social-démocratie et luttes nationales en Turquie

par Rosa Luxemburg

www.marxists.org

 

I. La situation de la Turquie



Dans la presse du parti, nous rencontrons trop souvent la tentative de représenter les événements de Turquie comme un pur produit du jeu des intrigues diplomatiques, en particulier du côté russe (A). Un temps, l’on trouvait même des voix dans la presse, soutenant que les atrocités turques n’étaient qu’invention, que les bachi-bouzouks étaient en fait des parangons de christianisme et que les révoltes des Arméniens étaient l’œuvre d’agents à la solde de la Russie.

Le plus frappant dans cette position, c’est le fait qu’elle n’est en aucune manière fondamentalement différente du point de vue bourgeois. Dans les deux cas, nous observons la réduction de grands phénomènes sociaux à divers « agents », autrement dit, aux agissements délibérés des services diplomatiques. De la part des politiciens bourgeois, de tels points de vue ne sont, naturellement, pas pour surprendre : en fait, ces derniers font l’histoire dans cette sphère, d’où le fait que le fil le plus ténu d’une intrigue diplomatique est d’une grande importance pratique pour la position qu’ils adoptent au regard d’intérêts à court terme. Or, pour la social-démocratie qui, pour l’heure, élucide simplement les événements dans la sphère internationale et qui se préoccupe par-dessus tout de faire remonter les phénomènes de la vie publique à des causes matérielles sous-jacentes, cette même politique apparaît totalement futile. Au contraire, en politique extérieure comme en politique intérieure, la social-démocratie peut adopter sa propre position qui, dans ces deux domaines, doit être déterminée par les mêmes points de vue, à savoir par les conditions sociales internes du phénomène concerné et par nos principes généraux (1).

Quelles sont donc ces conditions au regard des luttes nationales en Turquie, qui nous occupent ici ? Il y a peu, dans une partie de la presse, la Turquie était encore dépeinte comme un paradis dans lequel « les différentes nationalités ont coexisté pacifiquement durant des centaines d’années », « jouissent de l’autonomie la plus totale » et où seule l’interférence de la diplomatie européenne a créé artificiellement le mécontentement, en persuadant les heureux peuples de la Turquie qu’ils sont opprimés, tout en empêchant l’agneau innocent d’un sultan de mener ses « réformes plusieurs fois octroyées ».

Ces affirmations se basent sur une très grande ignorance des conditions.

Jusqu’au début du siècle présent, la Turquie était un pays avec une économie de troc, dans laquelle chaque nationalité, chaque province et chaque communauté vivait son existence à part, supportait patiemment les souffrances auxquelles elle était accoutumée et formait la base véritable d’un despotisme oriental. Ces conditions, pour oppressives qu’elles puissent être, se distinguaient néanmoins par une grande stabilité et auraient pu donc survivre longtemps sans susciter de révolte de la part des populations soumises. Depuis le début du siècle présent, tout cela a considérablement changé. Secouée par des conflits avec les Etats d’Europe, forts et centralisés, mais menacée en particulier par la Russie, la Turquie s’est retrouvée contrainte d’introduire des réformes intérieures, nécessité qui trouva son premier représentant en la personne de Mahmoud II [sultan de 1808 à 1839]. Les réformes abolirent le gouvernement féodal, introduisant à sa place une bureaucratie centralisée, une armée permanente et un nouveau système financier. Ces réformes modernes, comme toujours, impliquèrent des coûts énormes et, traduites dans la langue des intérêts matériels de la population, aboutirent à un accroissement colossal des impôts publics. Des taxes indirectes élevées, collectées sur chaque tête de bétail et chaque meule de paille, des droits de douanes, des droits de timbre et des impôts sur les alcools, une dîme gouvernementale, périodiquement augmentée, frappant chaque quartier, et enfin un impôt direct sur le revenu, qui s’élevait à 30 % dans les villes et à 40 % dans les campagnes, accompagné d’une taxe d’exemption du service militaire pour les chrétiens, et enfin d’autres contributions obligatoires – voilà ce que le peuple dut payer pour les dépenses de l’Etat réformé. Or c’est seulement le système particulier de gouvernement existant en Turquie qui donne une véritable idée des fardeaux qui sont supportés. Par un étrange mélange de principes modernes et médiévaux, ce système se compose d’une myriade d’autorités administratives, de tribunaux et d’assemblées, liés à la capitale d’une manière extrêmement centralisée dans leur fonctionnement ; or, parallèlement, toutes les fonctions publiques sont de facto vénales et ne sont pas rétribuées par le gouvernement central, mais principalement financées par les revenus provenant de la population locale – une sorte de bénéfice bureaucratique. Ainsi le pacha peut-il voler sa province à son aise, tant qu’il envoie une somme d’argent, aussi généreuse que possible, à Istanbul ; ainsi le cadi (juge) se trouve-t-il, en vertu de sa charge, financé au moyen d’exactions, puisqu’il doit lui-même payer un tribut annuel à Constantinople pour sa fonction. Le plus important, néanmoins, est le système d’imposition qui, se trouvant aux mains d’un mülterim, un fermier des impôts, en comparaison duquel l’intendant général de la France d’Ancien Régime ressemble au Bon Samaritain, se traduit par une absence complète de système et de règles et un arbitraire sans bornes. Et finalement, entre les mains de la bureaucratie, les contributions obligatoires se révèlent être des moyens d’extorsion et d’exploitation effrénées du peuple.

Naturellement, un système de gouvernement constitué de cette manière diffère fondamentalement du modèle européen. Alors que chez nous le gouvernement central spolie le peuple et soutient ainsi son administration, là bas, à l’inverse, l’administration prend l’initiative de spolier le peuple, finançant ainsi le gouvernement central. En conséquence, en Turquie, l’administration apparaît comme une classe particulière, nombreuse, de la population, qui représente directement par elle-même un facteur économique et dont l’existence est financée par le pillage professionnel du peuple.

En même temps, et en liaison avec les réformes, il en résulta un changement dans les conditions de propriété foncière des paysans chrétiens, à nouveau à leur grand désavantage, dans leurs rapports avec le propriétaire turc. Ce dernier, généralement un ancien seigneur féodal, pouvait rendre sa charge héréditaire, comme dans le modèle chrétien. Lorsque le spahiluk (tenure féodale) fut aboli par la réforme, et que les dîmes jusque là versées aux spahis furent redirigées vers le ministère des Finances, le possédant chercha à s’affirmer en tant que propriétaire d’un bien foncier ; résultat, un nouvel impôt pour les paysans – redevance foncière – apparut aux côtés des anciennes dîmes, s’élevant régulièrement à un tiers des bénéfices nets après déduction de la dîme. Pour le paysan chrétien, il n’y avait d’autre salut, parmi toutes ces merveilles, que de céder un petit lot de terre per oblationem (par délégation) à l’Eglise musulmane, puis de le récupérer en tant que bail, sur lequel un loyer était dû, mais qui, du moins, était exempté d’impôts. Si bien qu’à la fin des années 1870, les biens de mainmorte en Turquie représentaient plus de la moitié de l’ensemble des propriétés terriennes cultivées.

Les réformes s’accompagnèrent ainsi d’une grave détérioration dans les conditions matérielles du peuple. Or ce qui les rendit particulièrement insupportables, ce fut une caractéristique très moderne, ayant partie liée avec cette situation – à savoir, l’insécurité : le système fiscal inégal, les relations fluctuantes de la propriété terrienne, mais par-dessus tout l’économie monétaire comme résultat de la transformation d’un impôt en nature vers un impôt en argent et le développement du commerce avec l’étranger.

Les anciennes conditions se détériorèrent et leur stabilité disparut à jamais.


II. La désintégration



Le moment dans l’histoire de la Turquie, que nous avons abordé dans notre précédent article, rappelle, dans un certain sens, la Russie. Mais, alors que là les réformes après la guerre de Crimée (B) entraînèrent parallèlement le développement rapide du capitalisme et jetèrent les bases matérielles pour des innovations administratives et financières, ainsi que pour le développement ultérieur du militarisme, en Turquie une transformation économique correspondant aux réformes modernes fut totalement absente. Toutes les tentatives pour créer une industrie nationale dans ce pays ont échoué. Les nouvelles usines fondées par le gouvernement produisent des marchandises de piètre qualité et onéreuses. L’absence des plus élémentaires conditions préalables à un ordre bourgeois – sécurité des personnes et des biens, au moins une égalité formelle devant la loi, un droit civil séparée du droit religieux, des moyens modernes de communication, etc. – rendent totalement impossible l’apparence de formes capitalistes de production. La politique commerciale des Etats européens à l’égard de la Turquie opère dans la même direction, exploitant son impuissance politique afin de s’assurer un marché non protégé pour leurs propres industries. Encore maintenant, parallèlement au négoce, l’usure reste l’unique manifestation de capital intérieur. Economiquement, la Turquie se retrouve donc avec l’agriculture paysanne la plus primitive, dans laquelle, dans de nombreux cas, les relations foncières n’ont pas encore quitté leur caractère semi-féodal.

Il est clair qu’une base matérielle pour une économie monétaire constituée de la sorte ne s’est pas accrue en parallèle avec les formes de gouvernement et de taxation financière qui lui sont associées, qu’elle a été écrasée par ce dernier et, ne pouvant se développer, s’est dirigée vers un processus de désintégration.

La désintégration de la Turquie devint évidente à deux extrêmes en même temps. D’une part, un déficit permanent se produisit dans l’économie paysanne. Déficit qui acquit une expression tangible à travers l’usurier, devenu un élément organique de la communauté villageoise et manifestant, tel un abcès, la suppuration interne des conditions. Des taux d’intérêt mensuels à 3 % étaient un phénomène courant dans les villages turcs, et l’épilogue ordinaire du drame silencieux du village était la prolétarisation du paysan, en l’absence de formes de production accessibles dans le pays qui lui eussent permis d’être absorbé au sein d’une classe ouvrière moderne, avec pour résultat de sombrer trop souvent dans le sous-prolétariat. Phénomènes liés en outre au déclin de l’agriculture, aux famines dévastatrices et à la fièvre aphteuse.

D’autre part, un déficit dans la trésorerie de l’Etat. A partir de 1854, la Turquie contracta des prêts sans limites envers l’étranger. Les usuriers de Londres et Paris opéraient dans la capitale, tout comme leurs homologues arméniens et grecs dans les villages. Gouverner devint encore plus malaisé, tandis que les administrés se montraient de plus en plus mécontents. Banqueroute dans la capitale et banqueroute dans les villages ; révolutions de palais à Constantinople et révoltes populaires dans les provinces – tels furent les ultimes résultats du déclin intérieur. Impossible de trouver une issue à cette situation. Le seul remède n’aurait pu être qu’une transformation totale de la vie économique et sociale, via une transition vers des formes capitalistes de production. Mais il n’existait alors et il n’existe toujours pas de base pour une transformation de ce genre ou de classe sociale pouvant surgir pour la représenter. Les « réformes plusieurs fois octroyées » du sultan ne pouvaient évidemment parer aux difficultés, puisqu’elles n’étaient nécessairement rien d’autre que de nouvelles innovations juridiques, laissant inchangée la vie sociale et économique et restant souvent de papier, puisque s’opposant aux intérêts dominants de l’administration.

La Turquie ne peut se régénérer en bloc. Depuis le début, elle se compose de plusieurs territoires différents. La stabilité du mode de vie, le caractère indépendant des provinces et des nationalités ont disparu. Or aucun intérêt matériel, aucun développement commun n’a été créé, qui puissent leur conférer une unité interne. Au contraire, les pressions et la misère, nées de leur appartenance conjointe à l’Etat turc, se sont même accrues. Si bien que les diverses nationalités ont manifesté une tendance naturelle à fuir cet ensemble, cherchant instinctivement le moyen d’accéder à un plus grand développement social dans le cadre d’une existence autonome. Et c’est ainsi qu’une sentence historique fut prononcée à l’endroit de la Turquie : un Etat près de la ruine.

Même si tous les sujets du gouvernement ottoman ont fini par faire l’expérience du délabrement d’une institution étatique décrépite, et que les différents peuples musulmans – les Druzes, les Nazaréens, les Kurdes et les Arabes – se sont aussi révoltés contre le joug turc, la tendance séparatiste a surtout gagné les territoires chrétiens. Là, le conflit d’intérêts matériels coïncide souvent avec les frontières nationales. Le chrétien voit son droit nié, sa parole est sans valeur face à celle d’un musulman, il ne peut porter des armes et, selon l’usage, il ne peut occuper la moindre charge publique. Mais, plus important encore, en tant que paysan il occupe souvent la terre d’un propriétaire musulman et se voit pressuré par les autorités musulmanes. A la base, se manifeste donc fréquemment une lutte des classes – une lutte des petits paysans et métayers avec la classe des propriétaires fonciers et des autorités, comme par exemple en Bosnie et en Herzégovine, où les conditions rappellent tout à fait celles de l’Irlande. Aussi l’opposition engendrée par les pressions économiques et juridiques trouva-t-elle ici une idéologie toute prête lors des conflits nationaux et religieux. L’incorporation d’éléments religieux leur conféra logiquement un caractère particulièrement cruel et sauvage. Tous les éléments étaient donc présents pour créer une lutte à mort des nations chrétiennes contre la Turquie, celle des Grecs, des Bosno-Herzégoviniens, des Serbes et des Bulgares. Et maintenant, à leur suite, les Arméniens.

Face aux conditions sociales que nous avons brièvement esquissées plus haut, les affirmations selon lesquelles les révoltes et les luttes nationales en Turquie ont été artificiellement suscitées par des agents du gouvernement russe n’apparaissent guère plus sérieuses que celles de la bourgeoisie, selon lesquelles le mouvement moderne des travailleurs est entièrement l’œuvre de quelques agitateurs socio-démocrates. Reconnaissons que la désagrégation de la Turquie ne progresse pas uniquement d’elle-même. Reconnaissons que les tendres mains des cosaques russes ont rendu des services de sage-femme pour la naissance de la Grèce, de la Serbie et de la Bulgarie, et que le rouble russe est le régisseur permanent du drame historique qui se joue en Mer Noire. Or ici la diplomatie ne fait rien d’autre que jeter une brindille en feu dans du matériel inflammable, dont des montagnes ont été accumulées durant des siècles d’injustice et d’exploitation.

Nous avons affaire en l’espèce à un processus historique, lequel se développe avec l’inéluctabilité d’une loi naturelle. L’impossibilité d’une continuation de formes économiques archaïques en Turquie face au système fiscal et à l’économie monétaire, et l’impossibilité pour l’économie monétaire de se développer vers le capitalisme : telle est la clé pour comprendre les événements dans la péninsule balkanique. La base de l’existence du despotisme turc est sapée. Or la base de son développement vers un Etat moderne n’est pas créée. Il doit donc disparaître, non comme forme de gouvernement, mais comme Etat ; non par la lutte des classes, mais par la lutte des nationalités. Et ce qui est en train de se créer ici ce n’est pas une Turquie régénérée, mais toute une série de nouveaux Etats, sculptés à partir des restes de la Turquie.

Telle est la situation. Venons-en maintenant à la position que la social-démocratie doit prendre en liaison avec les événements de Turquie.


III. Le point de vue de la social-démocratie



Quelle peut donc être la position de la social-démocratie au regard des événements en Turquie ? Par principe, la social-démocratie se tient toujours du côté des aspirations à la liberté. Les nations chrétiennes, dans ce cas les Arméniens, veulent se libérer du joug de la Turquie et la social-démocratie doit se déclarer sans réserves en faveur de leur cause.

Naturellement, en politique étrangère – tout comme dans les questions intérieures – nous ne devons pas voir les choses trop schématiquement. La lutte nationale n’est pas toujours la forme appropriée à la lutte pour la liberté. Par exemple, la question nationale revêt une forme différente en Pologne, en Alsace-Lorraine ou en Bohême. Dans tous ces cas, nous rencontrons un processus d’assimilation capitaliste de territoires annexés s’opposant directement à ceux dominés, lequel condamne les efforts séparatistes à l’impuissance, et il est dans les intérêts du mouvement de la classe ouvrière de plaider pour l’unité des forces, et non leur fragmentation en luttes nationales. Mais, concernant les révoltes en Turquie, la situation est différente : les territoires chrétiens ne sont liés à la Turquie que par la force, ils ne possèdent aucun mouvement de la classe ouvrière, ils déclinent en vertu d’un développement social naturel, ou plutôt d’une désagrégation, et par conséquent les aspirations à la liberté ne peuvent s’y faire entendre qu’au travers d’une lutte nationale ; c’est pourquoi notre esprit de parti ne peut et ne doit admettre le moindre doute. Nous n’avons pas pour tâche de formuler des exigences pratiques pour les Arméniens, ni de déterminer la forme politique à laquelle il conviendrait d’aspirer là-bas ; pour cela, les propres aspirations de l’Arménie devraient être prises en considération, ainsi que ses conditions internes et le contexte international. Pour nous, la question dans cette situation est par-dessus tout le point de vue général, ce qui exige de nous d’être en faveur des insurgés et non contre eux.

Mais quelle est la situation au regard des intérêts pratiques de la social-démocratie ? Ne tombons-nous pas dans une contradiction avec ces derniers, en prenant position au nom des principes rappelés plus haut ? Nous pensons pouvoir prouver exactement le contraire en trois points.

Premièrement, la libération des territoires chrétiens de la Turquie signifie un progrès dans la vie politique internationale. L’existence d’une position artificielle comme celle de la Turquie actuelle, où convergent tant d’intérêts du monde capitaliste, a un effet contraignant et retardateur sur le progrès politique général. La Question d’Orient, avec celle de l’Alsace-Lorraine, oblige les puissances européennes à préférer poursuivre une politique faite de stratagèmes et de duperie, dissimuler leurs véritables intérêts sous des noms trompeurs, et tenter de les atteindre par subterfuge. Avec la libération des nations chrétiennes d’avec la Turquie, la politique bourgeoise sera dépouillée d’un de ses derniers oripeaux idéalistes – la « protection des chrétiens » - et sera réduite à son véritable contenu, l’intérêt pur et dur via le pillage. Cela est aussi bénéfique pour notre cause que la réduction de toutes sortes de programmes « libéraux » et « éclairés » des partis bourgeois, qui sont purement et simplement des questions d’argent.

Deuxièmement, il s’ensuit des articles précédents que la séparation des territoires chrétiens d’avec la Turquie est un phénomène progressiste, un acte de développement social, car cette séparation est la seule façon par laquelle les territoires turcs peuvent parvenir à des formes plus élevées de vie sociale. Aussi longtemps qu’un territoire demeure sous la férule turque, il ne peut être question de développement capitaliste moderne. Séparé de la Turquie, il acquiert une forme européenne d’Etat et des institutions bourgeoises, et se retrouve graduellement entraîné dans le courant général du développement capitaliste. Ainsi la Grèce et la Roumanie ont-elles fait des progrès étonnants, depuis leur séparation d’avec la Turquie. Il est vrai que tous les Etats nouvellement émergents sont des Etats mineurs ; néanmoins, il serait erroné de percevoir leur création comme un processus de fragmentation politique. Car la Turquie elle-même n’est pas une grande puissance, au sens moderne du terme. Or dans les pays connaissant un développement bourgeois, le terrain est aussi progressivement préparé pour un mouvement moderne de la classe ouvrière – pour la social-démocratie –, comme, par exemple, c’est déjà le cas en Roumanie et, dans une certaine mesure aussi, en Bulgarie (2). Ainsi, notre intérêt international majeur est-il satisfait, autrement dit, le fait qu’aussi loin que possible, le mouvement socialiste prenne pied dans tous les pays.

Troisièmement, et enfin, le processus de désagrégation de la Turquie est étroitement lié à la question de l’influence de la Russie en Europe, et c’est là le cœur de l’affaire. Lorsque même notre presse, de temps à autre, se range aux côtés de la Turquie, cela ne procède aucunement d’une quelconque cruauté innée ou de quelque préférence pour les partisans de la polygamie. Bien évidemment, la base est une opposition centrale aux appétits de l’absolutisme russe, qui cherche à s’ouvrir une voie vers la domination du monde par-dessus le cadavre de la Turquie et veut utiliser ses nations chrétiennes comme un moyen de parvenir à Constantinople. Or, selon nous, ce désir louable s’applique à mauvais escient, et les mesures contre la Russie sont recherchées dans la direction presque opposée à celle où elles se trouvent réellement.

Une précédente expérience a déjà montré que dans sa politique à l’égard de la péninsule balkanique, la Russie aboutit ordinairement à l’exact opposé de ce que pour quoi elle luttait. Les peuples libérés du joug turc ont souvent payé la bienveillance de la Russie d’une « vile ingratitude », autrement dit, ils ont carrément rejeté un échange du joug russe contre celui de la Turquie. Aussi inattendu que cela ait pu être pour les diplomates russes, ce comportement des Etats balkaniques n’a rien de surprenant. Entre eux et la Russie existe un conflit naturel d’intérêts, le même conflit qui existe entre l’agneau et le loup, le chasseur et sa proie. La dépendance vis-à-vis de la Turquie est le voile qui dissimule ce conflit d’intérêt, permettant même d’apparaître superficiellement et temporairement comme une communauté d’intérêt. Les masses ne s’engagent pas dans des réflexions complexes et lointaines. Comme les révoltes nationales en Turquie sont assurément des mouvements de masse, elles acceptent la meilleure méthode qui correspond à leurs intérêts immédiats, même si cette méthode est l’abjecte diplomatie de la Russie. Mais, dès que les chaînes entre les territoires chrétiens et la Turquie ont été brisées, la diplomatie russe montre elle aussi son véritable visage, d’une véritable bassesse, et d’instinct les territoires libérés se retournent immédiatement contre la Russie. Si les nations soumises par la Turquie sont alliées de la Russie, les nations libérées de la Turquie deviennent autant d’ennemis naturels de la Russie. La politique actuelle de la Bulgarie envers la Russie résulte dans une grande mesure de sa semi-liberté, de la chaîne qui la lie encore à la Turquie.

Or un autre résultat produit dans ce processus est encore plus important. La libération des territoires chrétiens d’avec la Turquie est considérée à la base comme s’apparentant à une « libération » de la Turquie d’avec ses sujets chrétiens. Ce sont précisément ces derniers qui servent de prétexte à la diplomatie européenne pour intervenir en Turquie, et qui les confient sans conditions à la partie russe. En outre, ce sont eux qui, lors de guerres, rendent la Turquie incapable de résister. Les chrétiens ne servent pas dans les forces armées turques, mais sont toujours prêts à se soulever contre elles. Ainsi, pour la Turquie, une guerre étrangère signifie toujours une seconde guerre intérieure, partant une dispersion de ses forces militaires et une paralysie de ses mouvements. Affranchie de ce fardeau chrétien, la Turquie adopterait sans nul doute une position plus libre dans la politique internationale et son territoire étatique correspondrait davantage avec ses forces défensives ; mais, par-dessus tout, elle se débarrasserait de l’ennemi intérieur, l’allié naturel de tout agresseur externe. En résumé, renoncer à gouverner les chrétiens rendrait le gouvernement ottoman davantage capable de résistance, surtout par rapport à la Russie. Ce qui explique pourquoi la Russie aujourd’hui est en faveur de l’intégrité de la Turquie. Il est maintenant dans son intérêt que la Turquie reste en possession du bacille qui causera sa désorganisation – les nations chrétiennes – et donc que ces dernières demeurent sous le joug de la Turquie et dépendent de la Russie, jusqu’à ce qu’un moment favorable se présente pour elle de mettre en œuvre ses plans concernant Constantinople. Ceci explique aussi pourquoi nous devons être en faveur de la libération des chrétiens d’avec la Turquie, et non pour l’intégrité de ce pays.

A notre avis, nous devrions chercher le remède contre l’avancée de l’attitude russe dans les résultats mentionnés plus haut du processus de désintégration de la Turquie, et non dans des conjectures pour savoir « si Salisbury (C) est l’homme de la situation » ou s’il est celui qui montre la porte aux Russes « fermée en Turquie ». Et cet aspect de la question est d’une importance extrême. La réaction de la Russie constitue un ennemi beaucoup trop dangereux et sérieux pour que nous nous offrions le luxe d’éluder son poids pesant par des flèches en papier, tout en ignorant parallèlement une arme sérieuse que les circonstances nous proposent pour la combattre. Plaider aujourd’hui l’intégrité de la Turquie signifie en réalité tomber entre les mains de la diplomatie russe.

Se livrer à de lointaines conjectures politiques en détail est loisible. Mais il est loin d’être impossible que la résistance d’une Turquie libérée et que les territoires balkaniques libérés puissent frustrer l’avancée russe, pour autant que l’absolutisme russe ne dure pas pour voir la solution finale de la question de Constantinople et doive disparaître, au profit des peuples, sans pouvoir participer au règlement de cette question d’une importance universelle.

Nos intérêts pratiques coïncident ainsi totalement avec notre position de principe. Aussi recommandons-nous que les propositions suivantes soient adoptées pour la position présente de la social-démocratie sur la Question d’Orient.

Nous devons accepter le processus de désintégration de la Turquie comme un fait permanent, et ne pas avoir en tête le fait qu’il puisse ou doive être stoppé.

Nous devrions témoigner notre sympathie la plus entière aux aspirations à l’autonomie des nations chrétiennes.

Nous devrions par-dessus tout accueillir ces aspirations comme des moyens de combattre la Russie tsariste, et plaider avec insistance leur indépendance à l’égard de la Russie, comme de la Turquie.

Ce n’est pas un hasard si, dans les questions abordées ici, des considérations pratiques ont conduit aux mêmes conclusions que nos principes généraux. Car les objectifs et les principes de la social-démocratie dérivent du véritable développement social et se fondent sur lui ; ainsi, dans les processus historiques, il doit, dans une large mesure, apparaître que les événements apportent finalement de l’eau au moulin social-démocrate et que nous pouvons nous occuper de nos intérêts immédiats du mieux possible, tout en conservant une position de principe. Un regard plus approfondi sur les événements, rend donc toujours superflu à nos yeux le fait que des diplomates interviennent dans les causes des grands mouvements populaires et de chercher les moyens de combattre ces mêmes diplomates par d’autres diplomates. Ce qui n’est qu’une politique de café du commerce.

Notes

1. L’on dit à présent, d’un autre côté, que le sultan est à critiquer en tout. Ainsi la « victime » devient-elle le « bouc émissaire ». A travers les arguments qui suivent, les lecteurs se convaincront que cela n’a rien à voir avec la personne, mais avec les conditions. [Note de l’éditeur in Sächsische Arbeiter-Zeitung]
2. Les socialistes arméniens sont donc, selon nous, sur la mauvaise voie, lorsqu’ils pensent – comme dans Die Neue Zeit, vol 14, n° 42 – qu’ils doivent justifier leurs aspirations séparatistes par un ostensible développement capitaliste en Arménie. Au contraire, la séparation d’avec la Turquie n'est ici que la condition préalable à la naissance du capitalisme. Et naturellement, le capitalisme lui-même est une condition préalable au mouvement socialiste. Selon nous, donc, les camarades arméniens doivent – pour paraphraser Lassalle – pour l’heure se préoccuper d’une condition préalable à la condition préalable du socialisme – une sorte de condition préalable au carré. [Note de Rosa Luxemburg]

A. Dans les années 1890, en particulier en Arménie, en Crète et en Macédoine, des révoltes éclatèrent sans cesse contre la domination étrangère de la Turquie ; elles furent cruellement écrasées.
B. La défaite de la Russie lors de la guerre de Crimée (1853-56) exacerba la situation politique interne au point que la classe dirigeante, entre les années 1861 et 1870, dut introduire toute une série de réformes politiques qui, bien qu’incomplètes et contaminées par des relents de féodalité, encouragèrent cependant le développement capitaliste en Russie. Les réformes les plus importantes concernèrent l’abolition du servage en 1861, la formation d’instances d’autogestion rurales et urbaines en 1864, des changements dans l’administration de l’enseignement public en 1863 et dans la justice en 1864, ainsi que dans la censure en 1865.
C. Robert Cecil, troisième marquis de Salisbury (1830-1903), fut à trois reprises Premier ministre de Grande-Bretagne et quatre fois Secrétaire du Foreign Office entre 1878 et 1902.

___________

Source : http://www.marxists.org/archive/luxemburg/1896/10/10.htm
Article publié pour la première fois les 8, 9 et 10 octobre 1896 dans le Sächsische Arbeiter-Zeitung, organe de presse des Sociaux-démocrates allemands à Dresde.
Cité in : « The Balkan Socialist Tradition – Balkan Socialism and the Balkan Federation, 1871-1915 », in Revolutionary History, vol. 8, n° 3, 2003.
Traduction de l’allemand en anglais : © Ian Birchall.
Traduction française : © Georges Festa – 01.2011.

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22 juin 2010 2 22 /06 /juin /2010 22:28

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

F. Engels - Discours sur la Pologne

22 février 1848

Sur le site  www.marxists.org



L'insurrection don't nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire a échoué. Après quelques jours de résistance héroïque, Cracovie a été prise, et le spectre sanglant de la Pologne, qui s'était dressé un instant devant les yeux de ses assassins, redescendit dans la tombe.

C'est par une défaite que s'acheva la révolution de Cracovie, une défaite bien déplorable. Rendons les derniers honneurs aux héros tombés, plaignons leur échec, vouons nos sympathies aux vingt millions de Polonais dont cet échec a resserré les chaînes.

Mais, Messieurs, est-ce là tout ce que nous avons à faire ? Est-ce assez de verser une larme sur le tombeau d'un malheureux pays et de jurer à ses oppresseurs une haine implacable, mais jusqu'à présent peu puissante ?

Non, Messieurs ! L'anniversaire de Cracovie n'est pas un jour de deuil seulement, c'est pour nous, démocrates, un jour de réjouissance; car la défaite même renferme une victoire, victoire dont les fruits nous restent acquis, tandis que les résultats de la défaite ne sont que passagers.

Cette victoire, c'est la victoire de la jeune Pologne démocratique sur la vieille Pologne aristocratique.

Oui, la dernière lutte de la Pologne contre ses oppresseurs étrangers a été précédée par une lutte cachée, occulte, mais décisive au sein de la Pologne même, lutte des Polonais opprimés contre les Polonais oppresseurs, lutte de la démocratie contre l'aristocratie polonaise.

Comparez 1830 et 1846, comparez Varsovie et Cracovie. En 1830, la classe dominante en Pologne était aussi égoïste, aussi bornée, aussi lâche dans le corps législatif qu'elle était dévouée, enthousiaste et vaillante sur le champ de bataille.

Que voulait l'aristocratie polonaise en 1830 ? Sauvegarder ses droits acquis, à elle, vis-à-vis de l'empereur. Elle bornait l'insurrection à ce petit pays qu'il a plu au Congrès de Vienne d'appeler le royaume de Pologne; elle retenait l'élan des autres provinces polonaises; elle laissait intactes le servage abrutissant des paysans, la condition infâme des juifs. Si l'aristocratie, dans le cours de l'insurrection, a dû faire des concessions au peuple, elle ne les a faites que lorsqu'il était déjà trop tard, lorsque l'insurrection était perdue.

Disons-le hautement : l'insurrection de 1830 n'était ni une révolution nationale (elle excluait les trois quarts de la Pologne) ni une révolution sociale ou politique; elle ne changeait rien à la situation antérieure du peuple : c'était une révolution conservatrice.

Mais, au sein de cette révolution conservatrice, au sein du gouvernement national même, il y avait un homme qui attaquait vivement les vues étroites de la classe dominante. Il proposa des mesures vraiment révolutionnaires et devant la hardiesse desquelles reculèrent les aristocrates de la Diète. En appelant aux armes toute l'ancienne Pologne, en faisant ainsi de la guerre pour l'indépendance polonaise une guerre européenne, en émancipant les juifs et les paysans, en faisant participer ces derniers à la propriété du sol, en reconstruisant la Pologne sur la base de la démocratie et de l'égalité, il voulait faire de la cause nationale la cause de la liberté; il voulait identifier l'intérêt de tous les peuples avec celui du peuple polonais. L'homme dont le génie conçut ce plan si vaste et pourtant si simple, cet homme, ai-je besoin de le nommer ? C'était LeleweI.

En 1830, ces propositions furent constamment rejetées par l'aveuglement intéressé de la majorité aristocratique. Mais ces principes mûris et développés par l'expérience de quinze ans de servitude, ces mêmes principes nous les avons vus écrits sur le drapeau de l'insurrection cracovienne de 1846. A Cracovie, on le voyait bien, il n'y avait plus d'hommes qui avaient beaucoup à perdre; il n'y avait point d'aristocrates; toute décision qui fut prise portait l'empreinte de cette hardiesse démocratique, je dirais presque prolétaire, qui n'a que sa misère à perdre, et qui a toute une patrie, tout un monde à gagner. Là, point d'hésitation, point de scrupules; on attaquait les trois puissances à la fois; on proclamait la liberté des paysans, la réforme agraire, l'émancipation des juifs, sans se soucier un instant si cela pût froisser tel ou tel intérêt aristocratique

La révolution de Cracovie ne se fixa pas pour but de rétablir l'ancienne Pologne, ni de conserver ce que les gouvernements étrangers avaient laissé subsister des vieilles institutions polonaises : elle ne fut ni réactionnaire ni conservatrice. Non, elle était le plus hostile à la Pologne elle-même, barbare, féodale, aristocratique, basée sur le servage de la majorité du peuple. Loin de rétablir cette ancienne Pologne, elle voulut la bouleverser de fond en comble, et fonder sur ses débris, avec une classe toute nouvelle, avec la majorité du peuple, une nouvelle Pologne, moderne, civilisée, démocratique, digne du XIX° siècle, et qui fût, en vérité, la sentinelle avancée de la civilisation.

La différence de 1830 et de 1846, le progrès immense fait au sein même de la Pologne malheureuse, sanglante, déchirée, c'est l'aristocratie polonaise séparée entièrement du peuple polonais et jetée dans les bras des oppresseurs de sa patrie ; le peuple polonais gagné irrévocablement àla cause démocratique ; enfin, la lutte de classe à classe, c£~use motrice de tout progrès social, établie en Pologne comme ici. Telle est la victoire de la démocratie constatée par la révolution cracovienne ; tel est le résultat qui portera encore ses fruits quand la défaite des insurgés aura été vengée.

Oui, Messieurs, par l'insurrection de Cracovie, la cause polonaise, de nationale qu'elle était, est devenue la cause de tous les peuples ; de question de sympathie qu'elle était, elle est devenue question d'intérêt pour tous les démocrates. Jusqu'en 1846, nous avions un crime à venger, dorénavant nous avons à soutenir des alliés - et nous le ferons.

Et c'est surtout l'Allemagne qui doit se féliciter de cette explosion des passions démocratiques de la Pologne. Nous sommes, nous-mêmes, sur le point de faire une révolution démocratique; nous aurons à combattre les hordes barbares de l'Autriche et de la Russie. Avant 1846, nous pouvions avoir des doutes sur le parti que prendrait la Pologne en cas de révolution démocratique en Allemagne. La révolution de Cracovie les a écartés. Désormais, le peuple allemand et le peuple polonais sont irrévocablement alliés. Nous avons les mêmes ennemis, les mêmes oppresseurs, car le gouvernement russe pèse aussi bien sur nous que sur les Polonais. La première condition de la délivrance et de l'Allemagne et de la Pologne est le bouleversement de l'état politique actuel de l'Allemagne, la chute de la Prusse et de l'Autriche, le refoulement de la Russiela Dvina. au-delà du Dniestr et de

L'alliance des deux nations n'est donc point un beau rêve, une charmante illusion; non, Messieurs, elle est une nécessité inévitable, résultant des intérêts communs des deux nations, et elle est devenue une nécessité par la révolution de Cracovie. Le peuple allemand, qui pour lui-même jusqu'à présent n'a presque eu que des paroles, aura des actions pour ses frères de Pologne ; et de même que nous, démocrates allemands, présents ici, offrons la main aux démocrates polonais, présents ici, de même tout le peuple allemand célébrera son alliance avec le peuple polonais sur le champ même de la première bataille gagnée en commun sur nos oppresseurs communs.

 

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3 janvier 2010 7 03 /01 /janvier /2010 12:05

Ce texte est publié au Temps des Cerises,  dans Lettres et Textes de Rosa Luxemburg, P 102 - 107

... Désarmement, paix, démocratie, harmonie des nations. La force s'incline devant le droit, le faible se redresse. Au lieu des canons, , Krupp va produire ... des bougies pour les arbres de Noël, la ville américaine de Gari (?) se métamorphose en un jardin d'enfants conçu par Fröbel.

C'est une arche de Noé où l'agneau paït tranquillement à côté du loup, où le tigre ronronne en clignant des yeux comme un gros chat, tandis que l'antilope, du bout de sa corne, le caresse derrière l'oreille, où le lion joue à colin-maillard avec la chèvre. Et tout cela grâce à la formule magique de Wilson, le président des milliardaires américains, tout cela avec l'aide des Clemenceau, Llyod George et du prince Max de Bade. Désarmemùent, alors que l'Angleterre et l'Amérique représentent deux nouveaux militarismes! Le Japon fournisseur de guerre! Alors que la technique s'est développée de façon démesurée! Alors que tous les Etats, en raison de leurs dettes, sont dans la poche du capital d'armement et du capital financier! Alors que les colonies ... continuent à être des colonies.  L'idée de la lutte des classes capitule littéralement devant l'idée nationale. L'harmonie des classes au sein de chaque nation apparaît comme la condition préalable et le complément de cette harmonie des nations qui doit surgir de la guerre dans la "Société des Nations". Le nationalisme est actuellement la carte maîtresse. De toutes parts se présentent nations et mini-nations en arguant de leurs droits à se constituer en Etats.
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10 décembre 2009 4 10 /12 /décembre /2009 12:01

Parfois des mails arrivent, s'interrogeant sur l'opportunité de participer aux débats organisés sur la dite identité nationale. Cela montre le profond désarroi politique et la difficulté de réfléchir dans notre société dès qu'il s'agit "d'identité". Les combats contre le nationalisme sont alors oubliés, comme ceux de classe et il peut être bien utile alors de revenir aux textes de Rosa Luxemburg sur la question nationale ou sur la marche vers le premier conflit mondial.

Nous relayons la pétition qui peut être signée sur mediapart

Nous ne débattrons pas

Par principe, nous sommes favorables au débat. A sa liberté, à sa pluralité, à son utilité. C'est pourquoi nous refusons le « grand débat sur l'identité nationale » organisé par le pouvoir : parce qu'il n'est ni libre, ni pluraliste, ni utile.


Il n'est pas libre car c'est le gouvernement qui le met en scène, qui pose les questions et qui contrôle les réponses. Il n'est pas pluraliste car sa formulation réduit d'emblée notre diversité nationale à une identité unique. Il n'est pas utile car cette manœuvre de diversion est une machine de division entre les Français et de stigmatisation envers les étrangers.


Affaire publique, la nation ne relève pas de l'identité, affaire privée. Accepter que l'Etat entende définir à notre place ce qui nous appartient, dans la variété de nos itinéraires, de nos expériences et de nos appartenances, c'est ouvrir la porte à l'arbitraire, à l'autoritarisme et à la soumission.


La République n'a pas d'identité assignée, figée et fermée, mais des principes politiques, vivants et ouverts. C'est parce que nous entendons les défendre que nous refusons un débat qui les discrédite. Nous ne tomberons pas dans ce piège tant nous avons mieux à faire : promouvoir une France de la liberté des opinions, de l'égalité des droits et de la fraternité des peuples. 

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21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 19:44
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11 avril 2009 6 11 /04 /avril /2009 07:10

"Rosa Luxemburg à l'orée de la recherche marxiste dans le domaine national", cet article  se trouve dans l'ouvrage de Georges Haupt, "l'historien et le mouvement social" chez maspero en 1970. Il fait partie des éléments essentiels de réflexion sur l'analyse de la question nationale, qui est aujourd'hui si important.

"Dès 1893, dès l'aube de son activité militante, Rosa Luxemburg se trouve confrontée à ces interrogations; sa réflexion se place à partir et au coeur même de l'action dans le cadre de laquelle se produit l'affrontement des alternatives. Car le socialisme naissant avait, selon ses propres termes, "dès le départ pour tâche de venir à bout de l'héritage historique de la noblesse polonaise, c'est-à-dire de trouver une solution à la question nationale". Tâche qui, pour Rosa Luxemburg, revenait à définir le rapport historique spécifique entre la lutte politique du prolétariat et l'aspiration à la restauration de la Pologne. En fait, le choix n'était pas à opérer entre les "aspirations nationales sans espoir", les voeux pieux "pratiquement irréalisables" et les possibilités concrètes de réalisation de la lutte quotidienne du mouvement ouvrier, ainsi que le présentait Rosa Luxemburg dans le feu de la polémique. Le conflit au sein du socialisme polonais, la division qui en résultait se situaient dans la priorité à accorder à l'objectif national ou à l'objectif de classe, dans les modalités d'une harmonisation entre les intérêts nationaux et les intérêts de classe. Les termes du débat préfiguraient d'ailleurs les dilemmes qui se sont généralisés deux décennies plus tard dans le socialisme européen.. En fait, Rosa Luxemburg ne niait pas l'existence d'un "rapport organique entre ces deux objectifs en Pologne", pas plus qu'elle ne persévéra dans la "tentative discrète" initiale pour le trouver. Son choix était entièrement orienté par le refus de voir renversé l'ordre des priorités et de voir ainsi le socialisme dévié de sa vocation et de son option internationaliste. Par la suite, Rosa Luxemburg allait inverser en quelque sorte la formulation d'Engels: c'est lorsque les socialistes sont le plus internationaliste qu'ils sont les plus nationaux..."
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23 mars 2009 1 23 /03 /mars /2009 20:15

Rosa Luxemburg a toujours mis au centre de ses combats la lutte des classes. Née dans une Pologne partagée entre trois empires, elle s'est refusé à tout nationalisme et voyait dans la révolution la possibilité pour toutes les cultures d'exister. C'est la même démarche qui explique sa position par rapport au Bund puis au sionisme naissant auquel fait référence un article de Bellaciao.


Extrait d'un article paru sur Bellaciao :

Même prétendument démocratique, avec son "fait majoritaire" (ainsi que l’oppression consécutive des minorités en tous genres), le nationalisme représente donc la dégénération inéluctable du socialisme, un phénomène ayant trouvé ses aboutissements extrêmes d’abord en Allemagne avec le nazisme (1933) et en Palestine avec le sionisme (1948). Mais en 1921 Ben Gourion, premier secrétaire élu du syndicat des travailleurs juifs (Histadrout), favorisait déjà le nationalisme contre l’idéal socialiste, laïc, en s’opposant à l’entrée de travailleurs non-juifs dans son organisation. Nazisme et sionisme, tous deux réellement nationalistes et prétendument socialistes, ne pouvaient historiquement que s’entretenir mutuellement à travers une symbiose hostile (2). Ainsi, à partir de 1914, dépassées par l’ampleur du grand raz-de-marée historique faisant proliférer des Etats-nation indépendants, égoïstes et mutuellement hostiles, les diverses Inter-nationales (la Deuxième socialiste, la Troisième communiste ou la Quatrième trotskiste) ne purent guère offrir d’alternative politique sérieuse à ce phénomène ; en 1919, au lendemain de la guerre et à la veille de son assassinat, Rosa Luxemburg entrevoyait déjà la dimension de ce drame (3).


(3) "Des nations et des mini-nations s’annoncent de toutes parts et affirment leurs droits à constituer des Etats. Des cadavres putréfiés sortent de tombes centenaires, animés d’une nouvelle vigueur printanière et des peuples "sans histoire" qui n’ont jamais constitué d’entité étatique autonome ressentent le besoin violent de s’ériger en Etats. Polonais, Ukrainiens, Biélorusses, Lituaniens, Tchèques, Yougoslaves, dix nouvelles nations au Caucase ... Les sionistes édifient déjà leur ghetto palestinien, pour l’instant à Philadelphie (souligné par nous), c’est aujourd’hui la nuit de Walpurgis sur le Brocken nationaliste", écrivait déjà Rosa Luxemburg au lendemain de la Première Guerre mondiale (Œuvres, t. II, Maspéro, 1978, p. 93).
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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009