Dans le précédent article, nous avions indiqué le caractère exceptionnel de l'ouvrage publié chez bélibaste, Rosa Luxembourg, lettres de prison.
Quelques mots sur l'ouvrage: publié en 1969, il est donc l'un des premiers à reparler de Rosa Luxemburg (qu'il écrit d'ailleurs Luxembourg, ce qui donne un caractère daté quelque peu émouvant). Et l'inscrit par la même occasion dans tout ce qui fit de cette période un moment tout à fait spécial de sensibilité révolutionnaire.
D'autre part, en regroupant ainsi les lettres à Sonia Liebknecht, il permet de mieux ressentir la relation que Rosa Luxemburg développe avec chacun de ses correspondants.
Et l'on trouve dans les lettres à Sonia Liebknecht, ce mélange d'humour et d'attention, de rigueur et d'ouverture d'esprit, de refus de la plainte et de courage personnel, de culture et d'attention à la nature, de conscience et d'engagement politique qui font de Rosa Luxemburg, cet être universel que l'on découvre tant dans ses actes que dans ses mots, dans ses lettres que dans ses textes.
Adressées, à l'épouse de Karl Liebknecht, au moment où comme Rosa Luxemburg, celui-ci se retrouve emprisonné pour un combat commun, les lettres prennent bien entendu une force toute particulière.
Et en particulier la dernière qui précède leur libération, mais dont nous savons aussi qu'elle précède de trois mois à peine leur assassinat ...
Une dernière chose: nous souhaitons souligner ici la remarquable traduction de Michel Aubreuil
Ière lettre (écrite trois jours avant son arrestation) et dernière lettre (envoyée de la prison de Breslau) de l'ouvrage.
- Leipzig, le 7 juillet 1916
Ma chère petite Sonia,
Il fait aujourd'hui une chaleur lourde et humide, ce qui est très fréquent à Leipzig. Ici, j'ai peine à respirer. Ce matin, je suis restée deux heures assise dans le parc, au bord de l'étang à lire Le Propriétaire. C'est un livre passionnant. Une bonne vieille s'est assise à côté de moi et m'a dit, avec un sourire: "Ce doit être un beau livre. Moi aussi, j'aime beaucoup lire des livres." Avant de commencer ma lecture, j'ai bien entendu observé les arbres et les buissons du parc, et j'ai eu le plaisir de constater que toutes leurs silhouettes m'étaient familières. Par contre, les relations humaines me déçoivent de plus en plus; je crois que je vais renoncer au monde pour vivre en anachorète, comme Saint Antoine, sans les tentations toutefois. Gardez tout votre calme.
Bien à vous
Rosa
Mon affectueux souvenir aux enfants
- Breslau, le 18 octobre 1918
Sontschka, ma très chère amie, je vous ai écrit avant-hier. Je n'ai toujours pas de nouvelles du télégramme que j'ai adressé au chancelier de l'Empire. Cela peut encore demander quelques jours. En tout cas, une chose est certaine: je suis dans un tel état d'esprit que je ne puis recevoir mes amis en présence d'un gardien. Pendant des années, j'ai tout supporté avec beaucoup de patience et j'aurai continué pendant des années encore si les circonstances n'avaient changé. Mais, depuis le renversement de la situation, je suis en proie à de trop vives émotions. Les entretiens sous surveillance au cours desquels je ne puis parler de ce qui m'intéresse vraiment me sont devenus si pénibles que je préfère renoncer à toute visite jusqu'à ce que nous puissions nous revoir en toute liberté.
D'ailleurs, cela ne saurait durer davantage. S'ils ont libéré Dittmann et Kurt Eisner, ils ne peuvent me garder plus longtemps en prison, et Karl ne tardera pas lui aussi à être libre. Alors, il vaut mieux attendre et nous revoir à Berlin.
Entre temps, je vous adresse toutes mes amitiés.
Votre amie fidèle
Rosa