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Texte choisi en hommage à Rosa Luxemburg
Ce texte est la préface écrite en mai 1941 par Marc Bloch pour son son livre "Apologie pour l'histoire". Il témoigne d'une volonté de penser et de réfléchir dans une période des plus terribles envers ceux qui ont la volonté de penser et de réfléchir. Elle vient d'un historien qui choisit de résister. C'est pour cette double raison que le texte figure sur le blog en hommage à Rosa Luxemburg.
"Si ce livre doit, un jour, être publié; si de simple antidote auquel, parmi les pires douleurs et les pires anxiétés, personnelles et collectives, je demande aujourd'hui un peu d'équilibre de l'âme ..."
"La tâche commune, au moment où j'écris, subit bien des menaces. Non par notre faute. Nous sommes les vaincus provisoires d'un injuste destin"
A lucien Febvre
Si ce livre doit, un jour, être publié; si de simple antidote auquel, parmi les pires douleurs et les pires anxiétés, personnelles et collectives, je demande aujourd'hui un peu d'équilibre de l'âme, il se change jamais en un vrai livre, offert pour être lu: un autre nom que le vôtre cher ami, sera alors inscrit sur la feuille de garde. Vous le sentez, il le fallait, ce nom-là, à cette place: seul rappel permis à votre tendresse profonde et trop sacrée pour souffrir d'être dite. Vous aussi cependant, comment me résignerais-je à ne vous voir paraître seulement qu'au hasard de quelques références? Longuement, nous avons combattu de concert pour une histoire plus large et plus humaine. La tâche commune, au moment où j'écris, subit bien des menaces. Non par notre faute. Nous sommes les vaincus provisoires d'un injuste destin. Le temps viendra, j'en suis sûr, où notre collaboration pourra vraiment reprendre, publique comme par le passé et, comme par le passé, libre. En attendant, c'est dans ces pages toutes pleines de votre présence que, de mon côté, elle se poursuivra. Elle y gardera le rythme qui fut toujours le sien, d'un accord fondamental, vivifié en surface, par le profitable jeu de nos affectueuses discussions. Parmi les idées que je me propose de soutenir, plus d'une assurément me vient tout droit de vous. De beaucoup d'autres je ne saurais décider, en toute conscience, si elles sont de vous, de moi ou de nous deux. Vous approuverez, je m'en flatte, souvent. Vous me gourmanderez quelquefois. Et tout cela fera entre nous un lien de plus.
Fougères (Creuse)
1 mai 1941
Marc Bloch, Apologie pour l'histoire
Armand Colin - Prisme
Edition 1974 P 17