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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
26 mars 2016 6 26 /03 /mars /2016 09:02
http://photos1.blogger.com/blogger/6255/1865/1600/47.jpg

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comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

Les Etats-Unis, depuis le XIXème siècle ont des vues sur Cuba. La guerre hispano-américaine de 1898 en est un parfait exemple. Rosa Luxemburg a analysé ce moment essentiel dans l'histoire des Etats-Unis et de Cuba. Nous avons traduit cet article en 1988 et l'avons publié pour la première fois sur le blog en avril 2014. Dominique Villaeys-Poirré

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Remarquable article, ce texte de Rosa Luxemburg écrit au tout début de son action au sein de la social-démocratie allemande, et au moment même de la signature du traité de Paris, analyse le basculement des Etats-Unis dans la politique impérialiste et les conséquences de sa victoire sur l'Espagne. On y trouve aussi bien des informations précieuses sur le financement de cette guerre, qu'une réflexion sur les conséquences incalculables et incalculées de cette politique à l'intérieur du pays comme sur le plan mondial.

 

LE PRIX D’UNE VICTOIRE – Leipziger Volkszeitung – 19 décembre 1898

Traduction Dominique Villaeys-Poirré

 

 

Les négociations de paix entre l’Espagne et les Etats-Unis ont scellé la victoire de l’Union. L’Union nord-américaine reçoit un territoire de 4OO OOO km2 avec une population de 12 millions d’habitants, dont 7 millions de race jaune et un million de race noire.

 

Il est intéressant de se poser la question de savoir combien cette victoire a bien pu coûter aux Etats-Unis. Nous ne comptons pas les pertes en vies humaines car la victoire doit tout d’abord être mesurée à l’aune de ce qui a aujourd’hui la valeur la plus haut : l’argent.

 

Dès après l’explosion du Maine, le caractère inéluctable de la guerre est apparu clairement à chacun dans l’Union et les préparatifs de guerre ont été rapidement entamés. Aussitôt, le Congrès donna, le 8 mars, son accord pour engager un crédit de 50 millions de dollars pour la « défense nationale », mais ce crédit fut rapidement épuisé, en l’espace de quelques semaines. Les Etats-Unis dépensèrent 18 millions de dollars pour l’acquisition d’une flotte de 101 bâtiments. Certains croiseurs comme le « Haward » ou le « Yale » revinrent chacun, pour chaque jour de guerre à  2OOO dollars, et le « Saint-Louis » et le « Saint-Paul » à 25OO dollars. Tout aussi onéreux étaient les canons de la marine, puisque chaque boulet de 13 revenait à 500 dollars et chaque boulet de canon de 8 mm à 134 dollars

 

Les achats nécessaires au renouvellement complet du stock de munitions utilisées par la flotte occasionnèrent une dépense de 65 millions de dollars. La destruction de la flotte espagnole au large de Manille par l’Amiral Dewey a coûté un demi-million de dollars, celle de la flotte de Cevera de même, tandis que les pertes de l’Espagne en bâtiments au large de Santiago devraient se chiffrer aux alentours des 16,5 millions de dollars.

 

De plus, 125 OOO hommes ont été appelés sous les drapeaux dès le début de la guerre entraînant le quintuplement du budget des armées.

 

En tout, les dépenses de l’Union pour son armée et sa flotte durant toute la guerre ont atteint 1 25O OOO dollars par jour, alors qu’elles se montent à 25O OOO en temps de paix..

 

Le crédit de 2O millions de dollars approuvé en mars par le Congrès a donc été très rapidement épuisé et les crédits se sont succédés si bien que la somme allouée se monte au total à 361 788 dollars. Quand il s’est agi de voter ces crédits, le Congrès patriotique, où l’influence discrète du trust de l’industrie sucrière joue un grand rôle, l’a fait avec toujours le plus grand enthousiasme. Mais il fallait bien aussi que ces crédits soient couverts par des liquidités. Et qui allait payer, si ce n’est  la grande masse du peuple des Etats-Unis.

 

Le prélèvement des fonds patriotiques pour les besoins de la guerre fut organisé de deux façons. D’abord grâce à ce moyen efficace que constituent pour tout gouvernement capitaliste, les impôts indirects. Dès la déclaration de guerre, l’impôt sur la bière fut doublé, ce qui permit de récolter une somme totale de 3O millions de dollars. Les taxes supplémentaires sur le tabac rapportèrent 6 millions de dollars, le nouvel impôt sur le thé 10 millions et l’augmentation de la taxe d’affranchissement 92. En tout, les ressources provenant des impôts indirects s’élevèrent à 15O millions de dollars supplémentaires. Cependant il fallait en trouver encore 200 millions et le gouvernement des Etats-Unis eut recours à l’émission d’un emprunt national à 5% sur 2O ans. Mais cet emprunt devait aussi permettre de prendre l’argent des gens modestes, c’est pourquoi l’on organisa cette opération avec un luxe inhabituel à grands renforts de coups de cymbales et de roulements de tambours.

 

La circulaire annonçant cet emprunt patriotique fut adressée à toutes les banques, à tous les bureaux de poste et aux 24 OOO journaux. Et « le petit gibier » s’y laissa prendre. Plus de la moitié de l’emprunt, soit 1O millions de dollars fut couvert par la souscription de coupures inférieures à 500 dollars et le nombre total de souscripteurs atteignit le chiffre record de 32O OOO , tandis que par exemple le précédent emprunt émis sous Cleveland n’en avait rassemblé que 5O 7OO. Cette fois-ci, les économies des petits épargnants affluèrent, attirées par tout ce vacarme patriotique, elles sortirent de tous les recoins et des bas de laine les plus cachés pour aller remplir les caisses du ministère de la Marine et de la Guerre. Ce sont directement les classes laborieuses et la petite-bourgoisie qui payèrent l’addition de leur propre poche.

 

Mais ne considérer le prix d’une guerre qu’à partir des fonds dépensés pour sa conduite reviendrait à voir les événements historiques à travers le petit bout de la lorgnette d’un petit boutiquier. La véritable addition à payer pour la victoire sur l’Espagne, l’Union va devoir la régler maintenant et elle dépassera la première.

 

Avec l’annexion des Philippines, les Etats-Unis ont cessé d’être une puissance uniquement européenne pour devenir une puissance mondiale. Au principe défensif de la doctrine Monroe succède une politique mondiale offensive, une politique d’annexion de territoires se trouvant sur des continents étrangers. Mais cela signifie un bouleversement fondamental de l’ensemble de la politique étrangère de l’Union. Alors qu’elle avait jusqu’à présent à défendre simplement ses intérêts américains, elle a maintenant des intérêts en Asie, en Chine, en Australie et elle est entraînée dans des conflits politiques avec l’Angleterre, la Russie, l’Allemagne, elle est impliquée dans tous les grands problèmes mondiaux et soumise au risque de nouvelles guerres. L’ère du développement interne et de la paix est terminée et une nouvelle page s’ouvre sur laquelle l’histoire pourra inscrire les événements les plus inattendus et les plus étranges.

 

Dès maintenant, l’Union nord-américaine doit procéder à une réorganisation de fond de son armée pour défendre les nouveaux territoires qu’elle a acquis. Jusqu’à présent, elle disposait d’une armée modeste (30 OOO hommes dont 12 OOO pour l’infanterie, 6OOO pour la cavalerie, 4OOO pour l’artillerie, 8OOO fonctionnaires et 6O batteries) et d’une flotte d’importance secondaire (81 bâtiments représentant un tonnage de 230 OOO tonnes, 18 amiraux, 12 OOO matelots et 75O mousses.)

 

Il lui faut à présent procéder à une augmentation énorme de son armée de terre et de sa flotte. A Cuba et à Porto Rico, il lui faudra entretenir au minimum 40 à 50 OOO hommes et au moins autant aux Philippines. En bref, l’Union devra certainement augmenter les effectifs de son armée permanente pour les porter à 15O OOO voire 2OO OOO hommes. Cependant, une telle armée ne pourra pas être constituée sur la base du système actuellement en vigueur aux Etats-Unis. Aussi passera-t-on probablement au système européen du service militaire et de l’armée permanente dans les délais les plus brefs ; ainsi l’Union pourra-t-elle fêter solennellement son entrée dans le véritable système militariste.

 

De même la flotte américaine ne pourra pas en rester à ses modestes dimensions actuelles. Les Etats-Unis doivent s’imposer maintenant aussi bien sur l’Océan Atlantique que sur l’Océan Pacifique. Ils se voient donc contraints de rivaliser avec les puissances européennes et surtout avec l’Angleterre et devront donc très bientôt constituer une flotte de tout premier rang. En même temps que la politique mondiale, entrent aussi aux Etats-Unis ses jumeaux inséparables : le militarisme et les intérêts maritimes. L’avenir des Etats-Unis va donc aussi se jouer « sur mer » et les eaux profondes des océans lointains paraissent bien troubles.

 

Non seulement l’organisation militaire mais aussi la vie économique et la vie intérieure vont être profondément modifiées par les conséquences de cette guerre. Soit les nouveaux territoires ne seront pas intégrés comme pays membres de l’Union avec les mêmes droits et alors les Etats-Unis qui étaient édifiés sur une base démocratique se transformeront en Etat tyran. Et l’on peut avoir une petite idée de la façon dont cette domination va s’exercer en se rappelant les premières années qui ont suivi la Guerre de Sécession où les Etats du Sud étaient gouvernés par ceux du Nord et soumis à un régime sans scrupule de pilleurs (carpet-badgeur). Il n’est pas nécessaire de montrer plus avant les effets que peut avoir la domination sur des territoires étrangers, même exercée de manière plus humaine, même dans un pays démocratique, ni comment les fondements de la démocratie sont progressivement remis en question laissant place à la corruption politique.

 

Soit les territoires seront intégrés à l’Union et au Congrès en tant qu’Etat avec les mêmes droits  que les autres. Mais on peut se demander quelles conséquences cet afflux d’un courant si profondément différent aura sur la vie politique américaine ; seuls les Dieux peuvent répondre à cette question. La question peut aussi être aisément formulée comme le fit Carlile (l’ancien secrétaire au Trésor de Cleveland) dans le magazine Harper : « La question n’est pas de savoir ce que nous ferons des Philippins, mais ce que les Philippins feront de nous ».

 

Dans ce dernier cas surgit une autre question importante. Si les habitants des Philippines, sont considérés comme des citoyens ayant les mêmes droits, leur immigration vers les Etats-Unis ne pourra être interdite du fait même de la Constitution des Etats-Unis  Mais apparaît alors le fantôme menaçant du « péril jaune », la concurrence des Malais des Philippines et des Chinois qui y sont en grand nombre. Pour prévenir ce danger, une voie médiane est proposée : faire des pays annexés un protectorat ou quelque chose de semblable afin de pouvoir traiter au moins ces territoires comme des pays étrangers. Mais il est clair qu’il s’agirait alors d’un compromis et qu’il ne s’agirait que d’une phase de transition, qui se développera ensuite, soit vers une domination pleine et entière, soit vers une pleine et entière égalité des droits.

 

Mais on peut s’attendre encore dès maintenant à d’autres conséquences économiques et politiques suite à cette victoire. Du fait de leur entrée dans cette ère nouvelle de la grande politique navale, les Etats-Unis ressentent le besoin d’une liaison rapide entre les deux océans où ils ont des intérêts. La guerre avec l’Espagne a montré le caractère insupportable du détour forcé que constitue le contournement du continent américain. Aussi l’on s’achemine de plus en plus vers le creusement du Canal du Nicaragua. D’où l’intérêt de l’Union du Nord  pour l’Amérique centrale et le désir d’y prendre pied. En Angleterre, on a compris cela et l’on voit ce qui va se passer avec une résignation forcée. « Il est absurde et de plus très dangereux », écrit le journal anglais l’Economiste, « de vouloir se battre contre les faits, et c’est un fait que si les Etats-Unis veulent établir leur domination sur les côtes de l’Amérique centrale, leur situation géographique leur rendra cette domination possible. » La victoire sur l’Espagne entraîne donc des bouleversements pour l’Union, non seulement pour ce qui concerne sa position par rapport à la politique mondiale mais encore en Amérique même. D’autres effets encore inconnus pour l’instant devraient se faire sentir.

 

Ainsi, l’Union nord-américaine doit-elle faire face à une situation tout à fait nouvelle dans les domaines militaire, politique et économique, suite à sa guerre victorieuse. Et si l’on considère l’avenir, totalement imprévisible pour ce qui concerne l’Union, on est tenté de s’écrier pour résumer le prix de cette victoire : vae victori ! (Malheur aux vainqueurs !).

 

Ces bouleversements actuels des conditions d’existence des Etats-Unis ne tombent pas du ciel. Le saut politique vers la guerre a été précédé par de lents et imperceptibles changements économiques. La révolution ayant lieu dans les conditions politiques exacerbées est le fruit d’une évolution capitaliste progressant doucement durant la première décennie. Les Etats-Unis sont devenus un Etat industriel exportateur.

 

« Nos exportations » déclare Monsieur Gage, le secrétaire d’Etat au Trésor dans son rapport trisannuel, « se sont montées à 246 297 OOO livres sterling et nos importations à seulement 123 210 OOO livres ». Pour la première fois de notre histoire », constate-t-il avec fierté, « nos exportations de produits manufacturés ont dépassé nos importations ». C’est ce rapide essor économique qui a produit l’enthousiasme pour la guerre d’annexion menée contre l’Espagne, de même qu’il a permis de rassembler les fonds pour en assumer le coût. La bourgeoisie américaine comprend très bien elle aussi la dialectique de son histoire.

 

« La volonté de nous imposer sur le marché mondial », écrit le journal new-yorkais « Banker’s Magazine » a développé depuis longtemps le désir d’une « strong foreign policy » (d’une politique extérieure forte). L’Union devait devenir « a world power » (une puissance mondiale).

 

Si l’explosion sur le Maine pouvait donc être le fruit d’un hasard, la guerre avec l’Espagne, elle, ne l’était pas. Et la politique mondiale l’est encore moins.

 

Nous, qui avec Goethe trouvons « que toute ce qui existe est digne de disparaître » et qui considérons avec intérêt l’état des choses actuel, nous ne pouvons qu’être satisfaits  du cours des événements.

 

L’histoire a donné un fort coup d’éperon à son poulain et celui-ci a fait un prodigieux bond en avant. Mais pour ce qui nous concerne, nous préférons toujours un galop vif et joyeux à un trot endormi. Nous n’en arriverons que plus rapidement au but.

 

Mais comme il apparaît comique, face à ces gigantesques bouleversements qui ont lieu dans l’autre hémisphère et qui ont provoqué un ouragan politique impressionnant, le raisonnement de ceux qui, en s’appuyant sur une décennie de statistiques dans le monde, affirment que l’ordre capitaliste est maintenant établi pour un temps indéfini et que cet ordre reposerait sur une base inébranlable. Ils font penser à cette grenouille qui considérant le calme régnant dans son étang boueux, explique que la terre s’est arrêtée de tourner parce qu’elle ne voit aucun souffle de vent agiter la surface verte de cet étang. Mais les événements historiques concernent un bien plus vaste morceau de terre que ce que l’on peut voir en se plaçant dans la perspective (digne de cette grenouille) de la politique « réaliste ».

 

traduction Dominique Villaeys-Poirré. 1988 - sur le blog 02.04.2014

 

Lire sur le blog le texte du Traité de Paris :

 

Le 10 décembre 1898, les Etats-Unis et l'Espagne ont signé le traité de Paris qui scelle la "victoire" des Etats-Unis et entraîne l'annexion de Cuba, Porto Rico et des Philippines. Lire le texte du Traité:

 

Lire : Le texte du Traité de Paris mettant fin à la guerre hispano-américaine. En contre-point à l'article de Rosa Luxemburg: Le prix d'une victoire. .

Contexte de l'écriture de cet article

 

Rosa Luxemburg est arrivée en Allemagne en mai avec la volonté de s'inscrire dans la politique du parti social-démocrate allemand, une stratégie bien définie dans une lettre qu'elle écrit à Leo Jogiches. Si la question de la Pologne était alors centrale, en six mois, c'est en fait sur le terrain politique général qu'elle agit et prend rapidement une existence forte.

 

Directrice de la Sächsiche Arbeiterzeitung pendant quelques mois, (Parvus, rédacteur en chef du journal avait dû abandonner ses fonctions, expulsé par les autorités allemandes. Contactée, elle avait accepté de lui succéder), elle écrit parallèlement une série d'articles "Panorama économique et social", signé du pseudonyme ego où elle aborde les bouleversements économiques et sociaux qui se produisent sur le marché mondial.

 

Les conditions d'écriture de ces articles sont décrites dans sa correspondance. A la bibliothèque, elle lit les journaux et armée des moyens d'une analyse de classe, elle choisit ses thèmes et les soumet à une grille d'analyse rigoureuse, qui fait de ces articles de circonstances, écrit en toute rapidité, les premiers articles anti-impérialistes d'une longue série d'articles et de textes. Le terme employé est alors encore Weltpolitik, politique mondiale. Mais c'est en fait une première approche de ce processus d'accumulation du capital qu'elle s'attachera à étudier toute sa vie et qui d'une politique nationale, est en train de passer à une phase internationale pour s'acheminer vers ce que l'on appelle maintenant la mondialisation.

 

C'est dans ce cadre qu'il faut lire l'article qu'elle consacre à la guerre hispano-américaine écrit  pour un autre grand journal la " Leipziger Volkszeitung".

 

A consulter sur le blog :   Une chronique nommée ego - Premiers pas vers une pensée de l'impérialisme

 

Quelques éléments d'analyse de cet article :

 

LE COÛT FINANCIER

 

L'écriture de Rosa Luxemburg montre dès cette époque ce caractère incisif qui interpelle le lecteur, qui ressent derrière l'humour grinçant, jamais gratuit, derrière la formule frappante, la réalité d'une analyse couplée à une sensibilité jamais démentie. La formule qui ouvre cet article en est le témoignage. « Il est intéressant de se poser la question de savoir combien cette victoire a bien pu coûter aux Etats-Unis. Nous ne comptons pas les pertes en vies humaines car la victoire doit tout d’abord être mesurée à l’aune de ce qui a aujourd’hui la valeur la plus haute : l'argent »

 

Le premier point qu'elle aborde est le coût financier de cette guerre. Elle utilise les chiffres pour montrer ce que l'on tait souvent en s'abritant derrière de grandes phrases idéologiques, l'argent mis en jeu et l'origine des fonds: vote de crédits militaires, coût des armes, rôle des trusts de l'industrie sucrière, augmentation des impôts indirects, emprunt et ... particulièrement frappant l'appel aux fonds des gens modestes, "le petit gibier", que l'on attrape avec une campagne publicitaire sans précédent. On s'approche à grands pas du XXème siècle, siècle de la communication toute puissante. 

- "Le prélèvement des fonds patriotiques pour les besoins de la guerre fut organisé de deux façons. D’abord grâce à ce moyen efficace que constituent pour tout gouvernement capitaliste, les impôts indirects. Dès la déclaration de guerre, l’impôt sur la bière fut doublé, ce qui permit de récolter une somme totale de 3O millions de dollars. Les taxes supplémentaires sur le tabac rapportèrent 6 millions de dollars, le nouvel impôt sur le thé 10 millions et l’augmentation de la taxe d’affranchissement 92. En tout, les ressources provenant des impôts indirects s’élevèrent à 15O millions de dollars supplémentaires. Cependant il fallait trouver encore 200 millions et le gouvernement des Etats-Unis eut recours à l’émission d’un emprunt national à 5% sur 2O ans. Mais cet emprunt devait aussi permettre de prendre l’argent des gens modestes, c’est pourquoi l’on organisa cette opération avec un luxe inhabituel à grands renforts de coups de cymbales et de roulements de tambours.

- La circulaire annonçant cet emprunt patriotique fut adressée à toutes les banques, à tous les bureaux de poste et aux 24 OOO journaux. Et « le petit gibier » s’y laissa prendre. Plus de la moitié de l’emprunt, soit 1O millions de dollars fut couvert par la souscription de coupures inférieures à 500 dollars et le nombre total de souscripteurs atteignit le chiffre record de 32O OOO , tandis que par exemple le précédent emprunt émis sous Cleveland n’en avait rassemblé que 5O 7OO. Cette fois-ci, les économies des petits épargnants affluèrent, attirées par tout ce vacarme patriotique, elles sortirent de tous les recoins et des bas de laine les plus cachés pour aller remplir les caisses du ministère de la Marine et de la Guerre."


Le coût d'une guerre, c'est d'abord la population qui la paye en argent, avant de la payer massivement de sa vie : "Ce sont directement les classes laborieuses et la petite-bourgoisie qui payèrent l’addition de leur propre poche."

 

L'ENTREE DES ETATS-UNIS DANS LE CIRQUE IMPERIALISTE

 

Aujourd'hui, toutes les analyses considèrent la guerre hispano-américaine comme l'entrée des Etats-Unis dans le cercle des Etats impérialistes. Rosa Luxemburg dans cet article écrit à chaud et sans le recul de l'histoire ne dit pas autre chose. Une petite métaphore pour lancer l'analyse et nous mettre l'eau à la bouche : "Mais ne considérer le prix d’une guerre qu’à partir des fonds dépensés pour sa conduite reviendrait à voir les événements historiques à travers le petit bout de la lorgnette d’un petit boutiquier. La véritable addition à payer pour la victoire sur l’Espagne, l’Union va devoir la régler maintenant et elle dépassera la première." Et elle en vient tout de suite au point essentiel: "Avec l’annexion des Philippines, les Etats-Unis ont cessé d’être une puissance uniquement européenne pour devenir une puissance mondiale" Ce qui signifie pour elle :

- L'abandon de la doctrine Monroe, l'entrée dans une logique d'annexion, la nécessité pour les Etats-Unis de défendre leurs intérêts sur tous les continents, de jouer leur avenir aussi bien sur mer que sur terre: « L’avenir des Etats-Unis va donc aussi se jouer « sur mer » et les eaux profondes des océans lointains paraissent bien troubles. »,

- Leur implication dans tous les problèmes mondiaux avec les risques de guerre que cela entraîne: " Mais cela signifie un bouleversement fondamental de l’ensemble de la politique étrangère de l’Union. Alors qu’elle avait jusqu’à présent à défendre simplement ses intérêts américains, elle a maintenant des intérêts en Asie, en Chine, en Australie et elle est entraînée dans des conflits politiques avec l’Angleterre, la Russie, l’Allemagne..."

- L'entrée sur la scène politique intérieure des "deux jumeaux inséparables: le militarisme et les intérêts maritimes".

- Et une transformation radicale de leur armée pour se rapprocher du système européen de l'armée de métier et de la conscription : "ainsi l’Union pourra-t-elle fêter solennellement son entrée dans le véritable système militariste." 

 

LES CONSEQUENCES SUR LA POLITIQUE INTERIEURE ET LA DEMOCRATIE

 

La suite de l'article est à la fois d'un grand enseignement sur les conséquences du colonialisme et d'une grande prescience sur ce que vivra ensuite le peuple philippin. Rosa Luxemburg s'interroge sur le statut des territoires annexés et en montre les conséquences : que ce soit le protectorat (forme pour laquelle elle établit une comparaison avec les années qui ont suivi la fin de la guerre de Sécession): "Il n'est pas nécessaire de montrer plus avant les effets que peut avoir la domination sur des territoires étrangers, même exercée de manière plus humaine, même dans un pays démocratique, ni comment cela entraîne une remise en question progressive des fondements de la démocratie  laissant la place à la corruption politique. » ou que ce soit l'intégration ou une voie médiane dont elle souligne le caractère nécessairement transitoire.

 

LE CANAL DU NICARAGUA

 

Cette victoire annonce la  politique des Etats-Unis par rapport à l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud: (Le percement du canal :"Du fait de leur entrée dans cette ère nouvelle de la grande politique navale, les Etats-Unis ressentent le besoin d’une liaison rapide entre les deux océans où ils ont des intérêts.") et toutes les tentatives ultérieures de domination du continent.

 

LE SIGNE D'UNE EVOLUTION ECONOMIQUE MONDIALE

 

Rosa Luxemburg termine son analyse en montrant le lien entre l'évolution économique mondiale, et des Etats-Unis dans ce contexte, et la guerre : «Ces bouleversements actuels des conditions d’existence des Etats-Unis ne tombent pas du ciel. Le saut politique vers la guerre a été précédé par de lents et imperceptibles changements économiques.» C'est parce que les Etats-Unis sont devenus pour la première fois en cette fin de siècle un pays exportateur, c'est-à-dire qu'ils s'inscrivent dans la concurrence mondiale acharnée que se livrent les principaux pays sur le marché mondial :

- Qu'ils ont besoin de s'étendre,

- Que "la bourgeoisie américaine comprend très bien elle aussi la dialectique de son histoire" , et de ses intérêts,

- Qu'ils ressentent le besoin d'une politique étrangère forte. Elle reprend pour montrer cela une citation : « La volonté de nous imposer sur le marché mondial », écrit le journal new-yorkais « Banker’s Magazine » a développé depuis longtemps le désir d’une « strong foreign policy » (d’une politique extérieure forte). L’Union devait devenir « a world power » (une puissance mondiale).

La guerre hispano-américaine s'inscrit bien pour elle dans la logique de cette politique mondiale qu'elle voit se développer devant ses yeux.

 

CONSEQUENCES POUR LE MOUVEMENT OUVRIER

 

Elle termine, comme pour la plupart de ces articles, par ce que cela peut signifier pour le prolétariat. Tout d'abord, en s'enthousiasmant sur le dynamisme de l'histoire et en incitant le mouvement ouvrier à en tirer parti: « L’histoire a donné un fort coup d’éperon à son poulain et celui-ci a fait un prodigieux bond en avant. Mais pour ce qui nous concerne, nous préférons toujours un galop vif et joyeux à un trot endormi. Nous n’en arriverons que plus rapidement au but ». Cet optimisme qu'elle montrera toujours est-il forcé ou convaincu?

Et en remettant en cause les analyses étroites du courant réformiste au sein du parti :« ... cette grenouille qui considérant le calme régnant dans étang boueux, explique que la terre s’est arrêtée de tourner parce qu’elle ne voit aucun souffle de vent agiter la surface verte de cet étang. Mais les événements historiques concernent un bien plus vaste morceau de terre que ce que l’on peut voir en se plaçant dans la perspective (digne de cette grenouille) de la politique « réaliste ».

 

Cet article présente donc une analyse très complète d'un événement majeur de la fin du XIXème siècle et qui constitue l'un des premiers pas dans la marche vers la guerre qui aboutira au conflit mondial en 1914. N'est-il pas juste, à sa lecture, de le considérer comme essentiel dans une approche de la pensée de Rosa Luxemburg contre la guerre?

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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009