comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com
Pour une lecture plus sereine: http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
Lire Georges Haupt. Extrait de Guerre ou révolution? L'Internationale et l'Union sacrée en août 1914
Chercher à connaître le mécanisme de la défaite, le "comment" contraint à cerner le "pourquoi", non pas sur le seul terrain de l'idéologie mais sur celui de l'histoire. Dans cette perspective, il importe de découper le temps et de délimiter les étapes. Se servir du 4 août, date du vote des crédits de guerre par la fraction du SPD et du consentement à l'Union sacrée revient à confondre deux moments et deux problèmes différents: celui de l'effondrement de l'Internationale, c'est-à-dire son impuissance à empêcher les guerres entre les peuples, et celui de l'internationalisme, c'est-à-dire l'acceptation de la guerre et le support positif que lui apporta la grande majorité des socialistes.
Dans le processus d'ensemble, le 4 août, moment marquant certes, n'est ni un point d'arrivée ni un point de départ. L'Union sacrée n'a pas été davantage un simple revirement, une conversion soudaine ou un choix définitif. Les trois journées capitales qui suivirent l'effondrement de l'Internationale jouèrent le rôle d'un catalyseur dans le long processus qui devait aboutir à sobn terme logique.
En fait avec la réunion du B.S.I. des 29 et 30 juillet, l'Internationale avait déjà cessé d'exister. A peine les délégués étaient-ils rentrés que les événements se précipitaient, défiant leurs pronostics. Après le meurtre de Jaurès, et surtout le lendemain, le matin du Ier août, quand la mobilisation générale fut décrétée en Allemagne et en France, il devint évident que l'Internationale ne pouvait plus agir comme institution ni en tant que force collective. Le même jour, avant de partir pour Paris avec H. Müller, représentant du SPD, le secrétaire du B.S.I., Camille Huysmans envoya aux partis affiliés une brève circulaire, la dernière: "A la suite des derniers événements, le Congrès de Paris est ajourné à une date indéterminée.
C'était l'aveu même de l'impuissance de l'Internationale à avoir prise sur les événements. A partir du 1er août, laissées sans directives, sans tactique commune et concertée, les sections nationales durent agir toutes seules, conformément aux voeux et aux jugements de leurs dirigeants.
La résignation fataliste face à la guerre, que l'on considérait désormais comme un fait accompli, trouva son expression dans le manifeste que la direction du SPD rendit public le 1er août. Il avait été rédigé par Südekum dans l'après-midi du 31 juillet pour répondre à l'interdiction de toute manifestation que venait de promulguer le gouvernement. Pas la moindre protestation dans ce texte démobilisateur qui acceptait la défaite et l'impossibilité d'agir. Le SPD se décernait à lui-même et à l'Internationale un certificat de bonne conduite: le prolétariat avait fait son devoir jusqu'au bout, mais la pression des événements avait été plus forte que la volonté pacifiste des forces ouvrières.
Ce fut donc le Ier août qui marqua une nouvelle phase, le second volet du tryptique l'Internationale et la guerre. Il fut ressenti comme une énorme défaite par l'ensemble du mouvement ouvrier, alors que le vote des crédits de guerre par la social-démocratie allemande, l'Union sacrée scellée dans les pays belligérants ne furent éprouvés comme une trahison que par une minorité.
Le Ier août, il était difficile de discerner les lignes de clivage qui allaient s'établir trois jours plus tard. Il est significatif que, malgré des conceptions différentes de l'impérialisme qui opposèrent majoritaires et minoritaires révolutionnaires, on pouvait fin juillet et début août 1914 relever de part et d'autre les mêmes pronostics quant à l'évolution de la tension internationale, les mêmes affirmations aussi bien sur la gravité de la situation que sur la possibilité d'une issue pacifique. L'effet de surprise produit par la guerre fut donc général. Mais les convergences s'arrêtaient là. Les motivations de ce que pouvait et devait être l'activité socialiste, la guerre une fois éclatée, divergeaient fondamentalement.
(A lire dans Georges Haupt, l'historien et le mouvement social, maspéro, 1980)
Georges Haupt reste le principal historien de l'Internationale. Son ouvrage sur les congrès ou ce long article dans l'histoire et le mouvement social chez Maspéro en 1980 sont essentiels. D'autant que Georges Haupt comme Gilbert Badia adopte résolument une démarche d'historien qui manque aujourd'hui fortement pour suivre et approfondir les événements. Le recours aux textes, aux témoignages, à toute source permet d'établir des chronologies fines, de suivre les parcours des femmes et des hommes qui eurent à faire l'histoire. Cela permet alors de suivre des logiques politiques et "tactiques" (au sens essentiel de l'action à mener, discussion qui traversa toute la social-démocratie avec les apports constants de Rosa Luxemburg sur réforme ou révolution). Ainsi, dans cet article, Georges Haupt met en pratique ce qu'il se pose lui-même comme exigence: se poser sur le terrain de l'histoire. Et comme méthodologie: découper le temps et délimiter les étapes. On voit alors se dérouler exactement le processus de l'échec de L'Internationale d'une part et de l'internationalisme d'autres part.