"une chose lui manqua entièrement ; le deuxième élément vital du mouvement ouvrier: la volonté énergique de ne pas seulement comprendre l'histoire mais de la faire"
Depuis le 4 août 1914, elle se sentait libérée des liens qui jusqu'alors l'avait attachée au Parti. Au début de février 1915, elle écrivait dans l'article principal de "l'Internationale" (*) que nous avons déjà cité les phrases suivantes : Le 4 août 1914, la social-démocratie a politiquement abdiqué ... Cet effondrement, est, dans l'histoire de tous les temps, sans exemple ... placée devant cette alternative, la social-démocratie amena les voiles, abandonna la victoire à l'impérialisme, sans combattre. Jamais, depuis que la lutte des classes a une histoire, depuis qu'il y a des partis politiques, il ne s'en est rencontré un qui, de cette façon, après cinquante ans d'incessante croissance, après avoir conquis une puissance politique de premier ordre, rassemblé autour de lui des millions d'hommes, se soit vaporisé aussi complètement en l'espace de vingt-quatre heures, que la social-démocratie allemande ... La social-démocratie allemande a, au cours d'un demi-siècle, fait la moisson la plus riche des enseignements théoriques du marxisme, nourri de sa sève un corps puissant. Et, mise en face de la plus grande épreuve historique, épreuve qu'avec la sûreté d'un physicien, elle avait prévue et dont elle avait prédit tous les caractères essentiels, une chose lui manqua entièrement ; le deuxième élément vital du mouvement ouvrier: la volonté énergique de ne pas seulement comprendre l'histoire mais de la faire."
Et quand, dans sa Junius-Brochure, on lit son cri de colère, on comprend toute l'étendue du mépris furieux qu'elle éprouvait au fond de son coeur pour les chefs et les représentants du prolétariat allemand. "Ce qui est maintenant mis en question, c'est toute la période des quarante-cinq dernières années du développement du mouvement ouvrier moderne ... La constatation marxiste mettait en main de la classe ouvrière une boussole pour se reconnaître dans le chaos des événements quotidiens, pour orienter la tactique de la lutte dans le sens du but final immuable. Ayant la charge, la défense, la garde de cette méthode, elle était la plus pure incarnation du socialisme marxiste ..."
"La social-démocratie était, comme l'écrivait l'Arbeiterzeitung de Vienne, le 5 août 1914, le joyau de l'organisation de classe du prolétariat. Sur ses traces, les partis socialistes français, italien et belge, le mouvement ouvrier de Hollande, de Scandinavie, de Suisse, des Etats-Unis marchaient avec toujours plus d'ardeur. Les Etats slaves, les Russes, les sociaux-démocrates des Balkans, se tournaient vers elle, avec des regards d'une admiration illimitée, presque sans réserves ... Et qu'avons-nous vu, quand vint la grande épreuve historique? La chute la plus profonde, l'effondrement le plus total ..."
Qui a connu Rosa sait incontestablement que pour elle toute communauté avec la social-démocratie était désormais impossible et que le fossé qui avait été creusé le 4 août était devenu infranchissable ...
Extrait de Mon amie Rosa Luxemburg, de Louise Kautsky
SPARTACUS, 1969, P71-73