GILBERT BADIA, dans le cadre de sa communication sur « l’impact d’Octobre 17 en Allemagne », a évoqué les jugements portés par Rosa Luxembourg sur la révolution russe.
Pendant toute une période, les idées de la jeune révolutionnaire ont été considérées comme une « déviation grave » et les appréciations qu’elle a portées sur la pensée de Lénine comme des « erreurs ». En 1932, Ernst Thälmann, secrétaire du KPD, va même jusqu’à écrire : « Dans tous les cas où Rosa Luxemburg a défendu une autre conception que celle de Lénine, elle s’est trompée. » Par la suite, a dominé dans le mouvement communiste allemand l’idée selon laquelle elle aurait été progressivement convaincue de la justesse des principes de Lénine. Cependant, la plupart des historiens extérieurs au mouvement révolutionnaire allemand - qu’ils soient de droite ou de gauche - ont mis l’accent sur ce qui aurait opposé irréductiblement Rosa Luxemburg et Lénine. La réalité était à la fois plus simple et plus complexe.
Comme l’a déjà montré Gilbert Badia, il y a eu entre Rosa Luxemburg et Lénine tantôt accord, tantôt conflit. S’appuyant sur les réserves et notes critiques rédigées en prison et publiées après sa mort par les soins de Paul Levi, sous le titre « la Révolution russe », Gilbert Badia a donné une analyse plus approfondie de la pensée « luxemburgiste » sur Octobre 17. La teneur générale du texte, publié en 1922, et de sa réédition corrigée en 1928, a été longtemps occultée par le fait que Paul Levi avait été exclu du Parti communiste allemand avant 1922.
Ce qui ressort, c’est en fin de compte son admiration pour l’audace des bolcheviks, leur « mérite historique immortel » d’avoir « posé pratiquement la question de la réalisation du socialisme ». Rosa Luxemburg émet trois grandes réserves : il aurait fallu socialiser la terre au lieu de la donner aux paysans, empêcher la montée du nationalisme et refuser la séparation de la Pologne des pays Baltes et de l’Ukraine, et ne pas dissoudre l’Assemblée nationale constituante. La révolutionnaire allemande n’a cessé de mettre l’accent sur la démocratie et la liberté, pour la construction du socialisme. Elle était en outre convaincue que le succès de la révolution en Russie était subordonné à la réalisation d’une révolution mondiale. Ce qui, on le sait, ne s’est pas produit.
L’intérêt de ce « retour » sur Rosa Luxemburg est de montrer comment, à partir de 1918, tous ceux qui n’étaient pas d’accord sur tous les points avec Lénine ont été considérés ou utilisés comme s’ils étaient ses adversaires.
ARNAUD SPIRE. (L'Humanité)