En échos à l'article de Rosa Luxemburg publié sur le blog sur Millerand et Dreyfus.
Le 26 novembre 1900, Jean Jaurès et Jules Guesde, deux dirigeants du Parti socialiste, invités par la section locale, se rencontrent à Lille afin de s’expliquer sur l’origine et les raisons du « dissentiment » (terme utilisé par Jaurès) qui oppose le tribun de Carmaux au fondateur du Parti ouvrier.
Cette controverse, dirigée par le socialiste Gustave Delory, maire de la ville, eut pour cadre l’hippodrome. Le public, environ 4.000 personnes, exclusivement des militants du Parti ouvrier venus de Lille, Roubaix et Tourcoing. fut invité à ne pas manifester : « Le plus grand plaisir que vous puissiez nous faire, ce n’est pas de nous acclamer, c’est de nous écouter», précisa Jean Jaurès dans son introduction.
Au terme de ce débat, sans vote, il n’y eut ni vainqueur, ni vaincu, mais, comme se plait à le souligner Jean Jaurès, juste une véritable leçon de démocratie : « C’est un grand honneur pour le Parti socialiste d’instituer des débats comme celui de ce soir et je crois pouvoir dire qu’il est le seul parti qui ait assez de foi dans la puissance de ses principes pour instituer ainsi entre ses militants un débat politique ». Les commentaires du Journal de Roubaix le rejoignent dans cette idée : « La lutte a été serrée mais courtoise. On s’est dit des choses désagréables d’une façon polie et les dures vérités ont été délicatement servies. Les deux jouteurs avec une adresse merveilleuse ont ferraillé ferme, en évitant les coups dangereux, et malgré quelques corps à corps et quelques bottes secrètes, aucun n’a reçu de blessures trop graves. Et comme la rencontre n’a pas eu de sanction, le procès-verbal peut donc se libeller ainsi : Deux discours ont été échangés sans résultats».
Un siècle plus tard, ce débat relève encore d’une certaine actualité : ainsi, la question de l’opportunité de l’entrée du socialiste Millerand dans le gouvernement « bourgeois » de Waldeck-Rousseau trouve, depuis 1981, un certain écho dans la régulière remise en question par les militants communistes, de la participation de certains des leurs aux gouvernements socialistes. Il en est de même du discours pacifiste de Jaurès et de l’antimilitarisme affiché par Guesde qui peuvent, aujourd’hui encore, nous aider à comprendre la position des partis socialiste et communiste dans la gestion des conflits armés (Guerre du golfe, du Kosovo) et dans l’évolution de notre service militaire (abandon de la conscription et passage à l’armée de métier).
Pacifisme et antimilitarisme dans la pensée socialiste de la IIIème République
Au soir du 31 juillet 1914, sur les boulevards, s'arrachent les journaux. L'Europe va-t-elle basculer dans la guerre ? Jaurès dîne au Café du Croissant à deux pas de son journal l'Humanité (fondé en 1904), pour lequel il doit terminer un article. À ses amis, la veille, il a déclaré : « Cette guerre va réveiller toutes les passions bestiales ... Il faut nous attendre à être assassiné au coin des rues ». Il est 21 h 40, deux balles claquent ; Raoul Villain, adhérent à la Ligue des jeunes amis de l'Alsace -Lorraine, un exalté nourri à la propagande de la presse nationaliste, vient d'assassiner Jean Jaurès[3]. Le lendemain, la presse de gauche, comme de droite, rend hommage au disparu. Un de ses plus irréductibles pourfendeurs, Charles Maurras, journaliste à l'Action française écrit noblement, quelques jours seulement après l’avoir qualifié d’agent de l'Allemagne : « L'homme meurt dans la défaite de son rêve. On dirait même qu'il en est mort ». Au cri de la foule, " Ils ont tué Jaurès", succède aussitôt la question, si bien mise en chanson par Jacques Brel, dans sa chanson "Jaurès" [4]: « Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? ».
[1] Environ 4.000 personnes, exclusivement des militants du Parti ouvrier venus de Lille, Roubaix et Tourcoing.
[2]Le texte de ce débat fut, par la suite, distribué (à 100.000 exemplaires) aux militants du parti socialiste sous le titre « Les deux méthodes ; conférence par Jean Jaurès et Jules Guesde ».
Pierre Outteryck, président de l’association Repères et mémoires du monde du travail a republié l’intégralité du texte de ce débat en y joignant une présentation et des notes de lecture.
P. OUTTERYCK , « Présentation du débat des deux méthodes », Espace Marx, pp. 16-40, 1994
3] Raoul Villain, après avoir passé les quatre années de guerre en prison, fut jugé au printemps 1919, et acquitté par 11 voix contre 1. Le 15 septembre 1936, deux mois après le début de la guerre civile espagnole, il sera abattu à Ibiza, où il vivait, par des miliciens républicains qui l'avaient peut-être identifié sous sa nouvelle identité.