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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
15 août 2008 5 15 /08 /août /2008 09:02

Nous commençons la publication intégrale de la préface de Clara Zetkin au texte de Rosa Luxemburg  "La crise de la social-démocratie", appelée aussi brochure de Junius. Outre qu'elle éclaire la génèse du texte, les conditions de sa rédaction, elle témoigne de son importance tant du fait de ses analyses que pour l'extraoardinaire force dont il témoigne.

"La brochure de Junius de Rosa Luxemburg a une histoire et elle est à elle seule une page d'histoire. Ceci, en raison des circonstances dans lesquelles elle est née, comme en raison de la vie ardente et de la rayonnante clarté qui s'en dégage.

Rosa Luxemburg rédigea la brochure en avril 1915. Quelques semaines auparavant, elle avait dû entrer dans la "Prison Royale de Prusse pour femmes" de la Barnimstrasse à Berlin. C'est là qu'elle devait purger la peine d'un an de prison à laquelle elle avait été condamnée avant la guerre, en février 1914, par la chambre correctionnelle de Francfort, et que lui avait valu sa lutte courageuse contre le militarisme. La lutte, la condamnation et l'épilogue contenaient déjà en raccourci tout ce qui par la suite se déploierait largement et apparaîtrait au grand jour :

- la connaissance claire qu'avait Rosa Luxemburg de l'orage impérialiste qui se préparait et de la nécessité impérieuse pour le prolétariat de s'y opposer avec toute son énergie;

- la hardiesse et le dévouement avec lesquels elle mena le combat au nom du socialisme international contre le dangereux ennemi;

- l'instinct de classe aigu du capitalisme, pour ne pas dire la conscience de classe lucide avec laquelle le monde bourgeois mettait sans scrupules son pouvoir au service du militarisme, auquel l'avènement de l'impérialisme avait imposé les nouvelles tâches de la domination du monde et auquel il avait conféré une importance accrue pour la survie du capitalisme;

- la capitulation sans honneur de la social-démocratie allemande, ou plutôt de ses dirigeants, devant le militarisme et l'impérialisme.

En effet les grandes masses prolétarienes brûlaient alors du désir de s'engager dans la lutte contre le militarisme et l'impérialisme. La conscience de classe ne comprenait pas encore l'ennemi mortel, mais leur sensibilité de classe, toujours saine, le flairait et le pressentait. Comme sous un projecteur, le militarisme était apparu à  leur horizon dans son essence historique, crûment mis en lumière par la condamnation de Rosa Luxemburg et par ce qui avait amené à cette condamnation: la conviction exprimée par la courageuse militante que les prolétaires ne devaient pas obéir à l'ordre qui leur était donné de prendre les armes contre leurs frères d'autres nationalités. L'effet cinglant et stimulant des paroles incriminées fut encore renforcé par le discours qu'elle tint devant le tribunal de Francfort, un document classique de défense politique où au lieu de se livrer à des chicaneries juridiques sur sa "culpabilité", son châtiment et sa peine, elle engage le combat pour l'idéal scientifiquementt établi du socialisme international. Une vague d'enthousiasme souleva les masses prolétariennes qui étaient décidées à luttter. Si la direction de la social-démocratie avait été un tant soit peu avisée, elle aurait dû tirer parti de cet état d'esprit et l'amplifier de manière à livrer au militarisme et à l'impérialisme une bataille de grand style et leur porter un coup sérieux. Le bureau directeur de la social-démocratie démontrait clairement une fois de plus que sa conviction ne reposait pas sur la base solidement établie des principes marxistes, sur cette plate-forme élevée qui donne un large point de vue sur les choses et leur développement, et permet ainsi de déterminer avec précision la connaissance, la volonté et l'action.

Le bureau dressait aussi son propre constat de carence; il montrait qu'il manquait purement et simplement de tout ce qui fait une direction politique. Il renonçait à sa tâche évidente, manifeste, nécessaire: canaliser en une action de masse unitaire et puissante contre le militarisme et l'impérialisme toutes les manifestations imposantes qui se déclenchaient partout pour protester contre le jugement de la chambre correctionnelle de Francfort. Le bureau directeur du parti allait encore plus loin dans son recul par rapport au glorieux serment de la social-démocratie. Il cherchait à réprimer un mouvement qui s'était amplifié sans qu'il y soit pour rien. Et tout cela dans une atmosphère de violente agitation non seulement à propos de l'affaire Luxemburg, mais à propos du triomphe de l'autorité militaire dans le procès scandaleux contre le "petit lieutenant" Forstern-Zabern; à propos du jugement sanglant du tribunal de guerre de Erfurt qui, étouffant tout sentiment humain, condamnait les prolétaires à des années de bagne pour des broutilles; à propos des épouvantables brutalités dont fut victime un grand nombre de soldats, et qui devaient sortir de l'obscurité des cours de casernes et des chambrées pour être révélées au grand jour au cours d'un second procès ultérieur contre Rosa Luxemburg (si nos souvenirs sont exacts, plus de 30 000 victimes de telles brutalités furent citées comme témoins).

Mais à cette époque les progrès rapides de la crétinisation et de l'embourgeoisement parlementaires de la social-démocratie de même que sa crainte inébranlable des actions de masse l'avaient déjà conduite à un début de capitulation devant le militarisme et l'impérialisme. C'est avec la complicité active et passive du groupe parlementaire social-démocrate, et par là de la social-démocratie toute entière, que l'escroquerie monstrueuse du "don jubilaire pour l'empereur pacifique Guillaume II" put avoir lieu avec succès, que le gouvernement put préparer sans encombre la guerre "préventive" de l'impérialisme en 1914, grâce au projet de loi sur la défense qui accorda l'accroissement des effectifs militaires demandés, au budget militaire qui s'élevait à des milliards, au premier crédit de guerre pour l'expédition de pillage du Capital allemand sur Bagdad et d'autres "places au soleil" via les Balkans. Le groupe parlementaire avait soulagé les partis bourgeois "d'opposition" en donnant son approbation au projet de loi sur la défense, et ce faisant il admettait que ce projet soit séparé du projet de loi de couverture. Il avait donné sa bénédiction au budget militaire et à l'impôt sur l'accroissement de la fortune uniquement, disait-il, parce que c'étaient des impôts de possédants. Il avait couru derrière le fantôme insaisissable d'une "politique financière réorientée", mais avait renoncé à s'opposer à la cuirasse de fer de l'impérialisme.

Les positions du groupe parlementaire avaient décidé de l'attitude du parti tout entier, à l'exception de petits cercles qui adoptaient une attitude critique et agissante. La social-démocratie ne s'était pas préparée à repousser, par de puiissantes actions de masse, le troisième assaut de l'impérialisme avide de pouvoir. Ainsi, d'un côté, elle donna au militarisme et à l'impérialisme la certitude de la victoire et l'assurance qu'ils ne devaient pas craindre un soulèvement des masses prolétariennes qui pourrait contrarier la réalisation de leurs plans; d'autre part, elle créait une situation maussade et paralysante dans les masses elles-mêmes, et provoquait une démobilisation alors qu'un péril menaçant était en vue. Bref, la social-démocratie laissa se développer un climat de vertige de guerre qui, en été 1914, sapa toute résistance politique et morale de la classe ouvrière contre le crime de la guerre. N'oublions pas que dans l'attitude de la social-démocratie à cette époque triomphait la politique du "centre marxiste" ("Marxistische Zentrum") que Karl Kautsky recommande de nos jours avec ferveur au prolétariat comme condition de sa victoire. N'oublions pas que c'est ce même grand prêtre du "marxisme pur" qui, avec sa théorie fiscale, antimarxiste au plus haut point, avait construit le pont-aux-ânes sur lequel le groupe parlementaire devait s'engager en votant les crédits militaires et l'impôt impérial sur l'accroissementde la fortune. Dans la situation où on se trouvait, si le bureau directeur du parti social-démocrate avait décidé de changer de peau, il se serait résolu à tirer parti de  l'état d'esprit qui était apparu dans les masses à la suite du procès de Francfort et à mener une lutte sérieuse contre le militarisme et l'impérialisme. Au cours des événements qui, dans la première moitié de février 1915, amenèrent Rosa Luxemburg à faire de la prison, on avait pu constater la faillitte honteuse de la social-démocratie, mais on avait aussi assisté au combat dévoué et résolu que la militante ardente du socialisme entreprenait contre la décadence intérieure de celui-ci.

Après avoir bénéficié d'un ajournement de peine, Rosa Luxemburg fut emprisonné avec une rapidité surprenante, sans que l'on tienne compte du fait qu'elle souffrait indéniablement des séquelles d'une grave maladie et que les médecins craignaient que son séjour ne nuise fortement à sa santé. Le monde bourgeois avati-il besoin d'expiation pour que l'on exécute tout à coup la sentence de Francfort? A cette époque, les portes des prisons et des pénitenciers s'étaient ouvertes devant des voleurs, des escrocs, des adultères, des banqueroutiers, des parjures, des meurtriers, des souteneurs. Gräce au meurtre de masse commis pour la gloire de l'impérialisme allemand, et, en fin de compte, pour l'existence et la continuité de l'économie d'exploitation capitaliste en Allemagne, ils devenaient tous blancs comme neige : bien sûr, ils avaient péché contre les lois de la société bourgeoise, mais malgré tout, dans leurs erreurs mêmes, ils restaient ses enfants légitimes. Rosa Luxemburg, elle, s'insurgeait fondamentalement contre cette société, car même après le début de la guerre au lieu de brailler le "Deutschland, Deutschland über alles" avec toute la social-démocratie, elle entonnait le chant de l'Internationale qui englobe l'humanité entière. La prison devait beaucoup moins constituer une expiation pour les "délits" du passé qu'une entrave pour la combattante de l'heure présente. Car, depuis le jour de la mobilisation, Rosa Luxemburg était partie en lutte contre l'impérialisme et ses crimes monstrueux.

A peine avait-on appris que le groupe parlementaire social-démocrate avait voté les crédits de guerre que Rosa, accompagnée de quelques rares amis, leva l'étendard de la rebellion contre la trahison de l'Internationale et du socialisme. Deux circonstances empêchèrent que la nouvelle de cette rebellion ne soit aussitôt largement diffusée. Il fallait engager la lutte par une protestation contre le vote social-démocrate des crédits de guerre, et, on devait agir de telle sorte que cette protestation ne soit pas étranglée par les tours de passe-passe de la censure et de l'état de siège.  Par ailleurs, et avant tout, l'effet de cette protestation aurait sans doute été renforcé si elle avait tout d'abord été soutenue par un nombre considérable de militants sociaux-démocrates connus. Dès lors, nous nous sommes efforcés de la formuler de telle sorte qu'elle puisse être approuvée par le plus grand nombre possible des camarades dirigeants qui, dans le groupe parlementaire et dans des petits cercles, critiquaient impitoyablement la politique du 4 août. C'est un souci qui nous coûta beaucoup de tracas, de papier, de lettres, de télégrammes et de temps précieux, et dont le résultat fut quand même quasi nul. Seuls Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg, Franz Mehring et moi-mêmes, osâmes affronter l'idole dévorante de la discipline du partie, qui faisait perdre tout caractère et toute conviction personnelle, et adressâmes des critiques violentes à la majorité du parti.

Evidemment, ces jours de calme apparent n'étaient rien d'autre qu'une période de fiévreux préparatifs en vue du combat au corps à corps avec l'ennemi mortel. Rosa Luxemburg fut l'animatrice des préparatifs et ensuite du combat lui-même. Dans les brumes sanglantes du chaos de la guerre mondiale, son intelligence historique clairvoyante montrait aux hésitants les lignes ineffaçables de l'évolution vers le socialisme; son énergie impétueuse et jamais défaillante aiguillonnait ceux qui étaient las et abattus, son audace intrépide et son dévouement faisaient rougir les timorés et les apeurés. L'esprit hardi, le coeur brûlant et la volonté ferme de la "petite" Rosa étaient le moteur de la rebellion qui, au nom du socialisme international, s'opposait à la guerre mondiale meurtrière et à ses funestes corrolaires; le social-patriotisme et l'Union Sacrée. Ni la maladie ni l'état de siège, ni même ce qui était l'obstacle le plus pénible et le plus oppressant: l'inertie des masses, ne purent empêcher Rosa Luxemburg de lutter par ses paroles et par ses écrits contre la majorité social-démocrate et son socialisme nationaliste et guerrier, et contre l'opposition hésitante et timorée qui commençaient à se grouper autour de la minorité du groupe parlementaire et autour de Kautsky, et de faire tout ce qu'elle pouvait pour arracher les prolétaires allemands à leur influence. Les rassembler sur la base d'une reconnaissance claire et nettement définie des principes du socialisme international, les amener à s'opposer à l'impérialisme en tant que militants conscients de la lutte de classe, augmenter l'intensité de la lutte de classe prolétarienne conformément au degré d'évolution de la situation historique : tes étaient les buts de son action passionnée.

Rosa Luxemburg avait déjà terminé le premier numéro de la revie Internationale lorsqu'elle fut incarcérée. A la veille d'un voyage que nous comptions faire ensemble en Kollande, au cours duquel nous voulions préparer la Conférence Internationale des femmes socialistes qui était prévue, resserrer fermement les liens internationaux, encourager les tentatives qui étaient faites pour rassembler, les camarades, hommes et femmes, restés fidèles aux principes de l'Internationale. Au lieu de franchir la frontière hollandaise avec Rosa, je dus lui rendre visite dans la prison de la Barnimstrasse. L'exécution de la peine surgit comme un éclair foudroyant dans nos projets de luttes immédiats. Néanmoins, à peine deux mois plus tard, la brochure de Junius était achevée. Rosa Luxemburg ne permit pas que son emprisonnement laisse un moment de répit à l'ennemi. On l'empêchait de combattre. Hardiment, elle répondit à la contrainte qui s'abattait sur elle ; maintenant plus que jamais! Sa volonté indomptable métamorphosa ce lieu d'oppression impitoyable en un lieu de lberté intellectuelle. Les travaux politiques lui étaient strictement défendus. En cachette, au milieu des plus grandes difficultés, étroitement surveillée par des yeux structateurs, à côté des occupations scientifiques et littéraires qui lui étaient permises, elle rédigea sa critique étendue et pénétrante de la social-démocratie, mettant avidement à profit à cet effet chaque minute et chaque étincelle de lumière. La fatigue et la maladie disparaissaient devant la puissance de la voix intérieure. C'est cette voix qui permit à Rosa de supporter ce qui la contrariait et la torturait au plus haut point; le fait qu'un nombre incalculable de fois, elle était interrompue dans le fil de ses idées, qu'elle craignait sans cesse d'être surprise dans son travail et de ne pas pouvoir le poursuvre jusqu'à son terme. Ce fut pour elle la délivrance lorsqu'elle put mettre le point final au manuscrit et, rusée comme Ulysse, en confier les dernières feuilles à des mains amies pour les faire sortir de son cachot.

Devant les portes de la prison pour femmes, l'air était lourd des ravages de la guerre mondiale, et empesté des vapeurs putrides dégagées par les instincts de profit et d'usure des honorables profiteurs et défenseurs de l'ordre bourgeois qui se déchaînaient sans retenue. La "volonté de vaincre" artificiellement chauffée à blanc par tous les moyens: mensonges, violence, infamie, était à son comble. Mois après mois, la social-démocratie s'enfonçait un peu plus dans la mer sanglante du fraticide, ânonnant comme une élève obéissante les décisions de la bourgeoisie impérialiste et de son gouvernement, à quelques variantes près, violant tous ses serments de fidélité à la solidarité internationale, foulant aux pieds les idéaux socialistes. Les travaileurs se laissaient entraîner par l'impérialisme dans le gouffre de la mort et de la perdition au lieu de s'employer à lui résister consciemment; leur apathie et leur léthargie étaient comme une masse de brouillard sombre et oppressante. Dans l'atmosphère suffocante de cette période, la brochure de Junius eut l'effet d'une bourrasque de vent frais et vivifiant qui annonce l'orage purificateur.

Et elle représentait bien plus que cela: en elle-même, elle était déjà cet orage purificateur de la connaissance lucide grâce à laquelle la social-démocratie commençait à retrouver son chemin, s'apprêtait à vaincre l'impérialisme et le militarisme et à réaliser le socialisme par la lutte de classe internationale. Elle contribuait puissamment à réveiller les prolétaires, à les arracher à l'ivresse social-patriotique et à la torpeur de l'harmonie de l'Union Sacrée, à les rassembler sur la base de la lutte de classe autour du drapeau du socialisme international. Claire, solide comme du granit, reposant sur une étude scientifique approfondie, elle exprimait et canalisait une manière de sentir, de penser et de vouloir qui commençait à apparaître dans les masses populaires, d'abord sous une forme timide et sporadique, ensuite d'une façon plus affirmée et plus pressante, touchant des cercles de plus en plus larges. C'est grâce à la brochure de Junius que l'avant-garde révolutionnaire du prolétariat allemand et surtout ces cercles importants qui servent d'intermédiaire auprès des masses et qui transmettent la ligne politique à suivre, retrouvèrent leur lucidité et leur esprit combattif. Elle apportait précisément ce dont ces cercles avaient besoin, et ce que réclamait l'avant-garde; une vision claire des événements de l'heure qui formaient un embrouillamini d'une confusion extrême; une perspective lumineuse sur l'avenir; des mots d'ordre audacieux et précis.

Karl Kautsky, le théoricien officiel de la social-démocratie avait cessé d'être un guide clairvoyant et l'avait égarée sur une mauvaise voie. Dans son stock de formules "marxistes", il ne put en trouver une seule qui aurait justifié la trahison lamentable de la majorité du parti. Ad usum delphini il inventa la fameuse théorie des deux âmes de l'Internationale socialiste qui, selon lui, était "un instrument valable pour la paix et non pour la guerre" et dont les principes, désormais, variaient selon la situation donnée, prenant tantôt la forme "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!", tantôt au contraire: "Prolétaires de tous les pays, assassinez-vous!". Comme une âme en peine, il errait ça et là, en chancelant au milieu de ses constructions logiques, fragiles comme des châteaux de cartes et ses logomachies pédantes, pour prendre finalement position en faveur de la politique du 4 août en se retranchant derrière son autorité. L'opposition qu'il manifesta par la suite fut pleine de contradictions, instable dans ses principes et faible. Rosa Luxemburg, elle, faisait le procès de cette politique dans sa brochure de Junius d'une façon conséquente, impitoyable, écrasante. Elle y faisait le bilan de la faillitte, unique dans l'histoire, de la social-démocratie et pour ce faire, elle ne s'appuyait pas sur des formules, mais sur des faits, ces petites choses inflexibles. Elle démolissait toutes les légendes et les slogans qui servaient de justification au social-patriotisme en mettant à nu les causes et les forces motrices de la guerre impérialiste et en dévoilant sla nature et ses buts.

En dépit des grandes difficultés qui résultaient de son emprisonnement, Rosa Luxemburg a rassemblé dans la brochure de Junius un ensemble de faits précieux et concluants. Avec une maîtrise souveraine dans l'utilisation du matérialisme historique comme méthode de recherche, elle débrouille ces faits et les éclaire, et sa saisie dialectique de l'histoire les remplit d'une vie intense. Le leitmotiv de la brochure de Junius est contenu dans cette phrase de l'avant-dernier chapitre: "L'histoire qui a donné naissance à la guerre actuelle n'a pas commencé en juillet 1914, mais elle remonte à des années en arrière, pendant lesquelles elle s'est nouée fil après fil avec la nécessité d'une loi naturelle, jusqu'à ce que le filet aux mailles serrées de la politique mondiale impérialiste ait enveloppé les cinq continents - un formidable complexe historique de phénomènes dont les racines descendent dans les profondeurs du devenir économique, et dont les branches extrêmes font signe en direction d'un nouveau monde encore indistinct qui commence à poindre."

(Editions la taupe - Documents socialistes - 1970)
La fin du texte fera l'objet du prochain article.


  monument."
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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009