"... M. le Procureur a déclaré: l'Europe toute entière a les yeux fixés sur ce procès. Je suis d'accord avec lui: le monde civilisé a les yeux fixés sur Königsberg ... Pourquoi? Parce que c'est ici qu'est faite la première tentative pour punir des sociaux-démocrates allemands ou d'une façon générale, un mouvement libre parce qu'il exprime sa sympathie devant les souffrances et les luttes du peuples russe opprimé."
Le Procès de Köngsberg Aus dem Plädoyer
Ce texte est en cours de traduction.
[Kurt Eisner: Der Geheimbund des Zaren. Der Königsberger Prozess wegen Geheimbündelei, Hochverrat gegen Russland und Zarenbeleidigung vom 12. bis 25. Juli 1904,
Comment les Romanov sont-ils arrives au pouvoir? La Russie a-t-elle toujours été un Etat absolutiste ? Non, l’histoire enseigne que la famille tsariste a été élevée sur le trône en 1613 par le Parlement de Moscou.
Les Romanov ont reçu le pouvoir des mains du peuple russe, et l’absolutisme russe n’est pas issu d’une décision du parlement, mais a été créé par une révolution venue d’en haut. Devra-t-il s’insurger si un jour le glaive se retourne contre lui ? Ce serait très confortable pour lui s’il pouvait faire disparaître toute évolution par des interdits de papier, s’il pouvait tout simplement décréter : toute modification de la constitution est pour toujours interdite, toute aspiration à la liberté punissable par la loi et tout un chacun est dégradé au rang d’esclave ! Mais on ne peut pas ainsi brider l’évolution naturelle.
L’histoire russe est plus que tout autre écrite dans le sang, non pas le sang versé par le peuple, mais par les grandes familles entre elles et par le sang versé par les mains des gouvernements, des paysans, des sectes religieuses, des travailleurs, de la population juive et – des soldats et officiers ! Car ce n’est pas avec les événements de 1899, pas non plus avec la « Narodnaja Wolja », comme nous l’avons entendu, que le « mouvement tendant à renverser le pouvoir » a commencé, mais par les complots militaires, les décembristes, les Petraschewzen et il y a déjà plus de trois générations que la Sibérie est imbibée du sang le plus noble de la Russie.
Monsieur le procureur pose la question : Que peut-il exister de plus honteux que les écrits qui se trouvent devant nous? Je connais quelque chose de plus honteux : ce sont les conditions qui règnent en Russie auxquelles ces écrits font référence.
Je souhaiterais que chacun de vous, Messieurs les Juges, aient une fois l’opportunité d’assister à une fêtes des étudiants russes, où sont chantés ces chants graves, émus, passionnés. L’un des plus saisissants est le chant « le fouet des cosaques », de Ngaika. On y entend les mots suivants : Petit fouet, petit fouet, oublieras-tu ce que tu as fait le 8 février ? Il s’agit du 8 février 1899, jour où les étudiants de Saint-Petersbourg ont été fouettés en public.
Si nous considérons les conditions régnant en Russie, l’absence de droit absolue du peuple, la corruption et la brutalité sanglante de la bureaucratie, ce système laissant libre cours à l’absence de règles, les coups de fouet, les blessures à la tête, des paysans, des Juifs et des ouvriers, nous voyons alors que deux mots s’affichent au fronton de l’histoire russe récente : sans la Sibérie et Schlüsselburg, le tsarisme n’existe pas. Là-bas coule le sang de la jeunesse russe.
Avec fougue, le célèbre professeur de droit conservateur, Seidel, décrit l’état de la Russie comme un despotisme au sens asiatique. Pierre le Grand a dit : Je n’ai pas affaire à des êtres humains, mais à des animaux, dont je veux faire des êtres humains. Mais aujourd’hui, nous avons à faire à des êtres humains, dont on veut faire des animaux. Celui qui veut être un être humain, est envoyé en Sibérie ou à Schlüsselburg, et seul celui qui veut être un non humain, appartient aux éléments qui défendent l’Etat. On voudrait vraiment qualifier de fou ce système, comme le fait Nadeschdin.
Nous connaissons tous les descriptions saisissantes de Dostoïevski dans son livre “Souvenir de la maison des morts”. Dans l’introduction de cette œuvre, Dostoïevski avec sa manière amère et sarcastique, distingue ceux qui « savent résoudre l’énigme de la vie », c'est-à-dire ceux qui s’accommodent de la barbarie russe et ceux qui ne le peuvent pas. Qui doute que ces derniers sont meilleurs, sont les meilleurs ? Ce sont justement les hommes et les femmes qui ont commis les attentats, qui ont les âmes les plus douces ; ce sont justement eux que leur noble sensibilité a emporté. Tous les attentats russes ne sont que les actes terribles du désespoir.
Chaque auteur de ces attentats pensait devoir se sacrifier pour le bien de l’humanité. Si l’on peut qualifier de condamnable et inintelligent ces actes, qui, examinant leur motivation, voudra être un juge sévère de leurs auteurs et leur refuser toute compréhension. Le tsarisme a violé brutalement un pays, faible, comme la Finlande mais ils se sont offert la poitrine nue, sachant que leur cou serait livré au bourreau, leur poitrine aux balles.
Les auteurs les plus célèbres de la littérature russe, eux aussi les ont fêtés comme des héros. Le document le plus poignant est ici le « Poème en prose » de Tourgueniev, adressé à la Perovskaia, qui a commis l’assassinat contre Alexandre II, je veux en rappeler approximativement le contenu. La Perovskaia, une jeune et jolie jeune fille, se tient devant un rideau, derrière lequel règle l’obscurité et un froid glaciaire, sur le point de l’ouvrir et de passer le seuil. Une voix l’appelle : « Veux-tu abandonner tes proches, veux-tu connaître la soit et la faim ? Elle répond : « Oui ». Veux-tu abandonner père, mère, sœurs et frères et tout espoir d’amour et de joie de la maternité ? » Elle répond « Oui » et ouvre le rideau. On entend alors venu des profondeurs « Insensée ! » Mais une voix venue du ciel crie : « Héroïne, Sainte ! ». Je n’ai pour tous ces actes de désespoir devant les conditions régnant en Russie aucun mot d’indignation morale ! …
Ce procès, acte de courtoisie de l’Allemagne envers le gouvernement russe, mené dans l’intérêt de la Russie, offre l’image étonnante, d’autorités allemandes qui doivent courir après la Russie, pour obtenir des documents, pour protéger la Russie, pour punir des citoyens allemands.
J’ai certes aussi une explication pour ce comportement étonnant du gouvernement russe. Il ne ressentira pas qu’on lui rend lors de ce procès un service d’ami. Je crois, que ce procès a réellement remué là-bas. La Russie sait que son absolutisme ne peut pas s’exposer à une procédure publique en Allemagne. Jamais l’absolutisme russe n’a connu des blessures aussi profondes que dans cette salle devant les yeux du monde entier. La Russie doit vraisemblablement se dire : Dieu protège-nous de nos amis.
Sur ce point, les conservateurs comme les nationaux-libéraux, même un Professeur Schiermann du Kreuz-Zeitung ont le même avis.
Je reconnais que par des voies légales, aucune amélioration n’est possible, mais cela ne signifie pas pour autant acte de haute trahison. La social-démocrate russe se contenterait de pouvoir distribuer des écrits et tenir des réunions publiques. C’est certes interdit, mais en Russie non plus ce n’est pas considéré comme acte de haute trahison. Autrefois, il a existé aussi des procès publics par exemple, mais c’est seulement quand on a constaté que cela servait plutôt l’agitation, au lieu de créer la peur, que l’on a abandonné les procès non seulement politiques mais aussi progressivement les procès pour des raisons sociales. Aujourd’hui, on n’entend plus que les cris de désespoir de Schlüsselburg et de la Forteresse Pierre et Paul.
Mais on ne peut enchainer la parole libre, encore moins l’évolution économique. Le tsarisme peut bien être tout puissant, mais il ne peut arrêter l’évolution capitaliste, au contraire, il doit s’unir au capitalisme contre les travailleurs, pour se sauver lui-même …
1 Der Königsberger Prozess fand vom 12. bis 25. Juli 1904 statt. Die Angeklagten waren auf Grund des Schmuggels illegaler, gegen den Zarismus gerichteter Schriften nach Russland der „Geheimbündelei, des Hochverrats gegen Russland und der Zarenbeleidigung" beschuldigt. Sechs von ihnen wurden zu Gefängnisstrafen verurteilt. Der Prozess endete mit einer politischen Niederlage der preußischen Reaktion, die ihn inszeniert hatte, und war ein Schlag gegen die zaristische Selbstherrschaft.
2 Gemeint sind Angehörige religiöser Sekten (Baptisten, Adventisten und andere), deren Zahl insbesondere nach der Aufhebung der Leibeigenschaft im Jahre 1861 bedeutend anwuchs. Lenin wies wiederholt darauf hin, dass die Anhänger der Sekten für den gemeinsamen Kampf gegen das zaristische System gewonnen werden müssten
3 „Narodnaja Wolja" – (Volkswille), ging hervor aus der im Jahre 1876 entstandenen kleinbürgerlich-revolutionären, volkstümlerischen Organisation „Semlja i Wolja", die nicht in der Arbeiterklasse, sondern in der Bauernschaft die revolutionäre Kraft sahen. Um die Bauernschaft zum Kampf gegen den Zaren zu organisieren, gingen sie auf
4 Ein in den vierziger Jahren des vorigen Jahrhunderts um den Beamten des Auswärtigen Amts M. W. Petraschewski entstandener Zirkel, dem unter anderen F. M. Dostojewski, M. E. Saltykow und der berühmte Pianist Rubinstein angehörten. Die Petraschewzen bildeten einen inoffiziellen politischen Klub, in dem man sich vor allem mit den Lehren des utopischen Sozialisten Fourier beschäftigte und sich zu republikanischen und demokratischen Ansichten bekannte. Im April 1849 wurden 39 der hervorragendsten Mitglieder verhaftet und 15 von ihnen zum Tode verurteilt. Das Todesurteil wurde in Zwangsarbeit umgewandelt.
5 Im Jahre 1899 pfiffen die Studenten der Universität
6 Unter dem beschlagnahmten Material befand sich eine von dem russischen Sozialrevolutionär Nadeschdin verfasste Broschüre „Die Wiedergeburt des Revolutionismus".
Le texte se trouve de fait au chapitre 4, La révolution à l'Est, de Militarisme, guerre, révolution paru chez maspéro, P 177 à 183.
Note de bas de page : Le procès de Königsberg eut lieu du 12 au 25 juillet 1904. Pour avoir fait passer en fraude en Russie des écrits illégaux dirigés contre le tsarisme, 9 sociaux-démocrates allemands furent accusés de formation de société secrètes, heute trahison contre la Russie et lèse-majesté contre le tsar.
liste des textes de cet ouvrage sur comprendre : https://comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com/2021/12/textes-de-karl-liebknecht-dans-militarisme-guerre-revolution-paru-chez-francois-maspero-en-1970.html
Début du texte dans l'ouvrage précédant notre extrait :
[...] M. le Procureur a déclaré: l'Europe toute entière a les yeux fixés sur ce procès. Je suis d'accord avec lui: le monde civilisé a les yeux fixés sur Königsberg ... Pourquoi? Parce que c'est ici qu'est faite la première tentative pour punir des sociaux-démocrates allemands ou d'une façon générale, un mouvement libre parce qu'il exprime sa sympathie devant les souffrances et les luttes du peuples russe opprimé. Haute trahison à l'égard de la Russie! De la Russie qui, au mépris des traités, a violenté la Finlande; de la Russie, qui tente par la force de russifier nos provinces baltes; de la Russie, qui a envahi la Mandchourie au mépris du droit des gens; de la Russie qui a entrepris, elle-même coupable de haute trahison, de faire sauter des trains à la dynamite et de provoquer des soulèvements armés dans les États balkaniques. Vraiment, cette Russie doit être considérée autrement que n'importe quel État de droit, autrement en ce qui concerne sa "Constitution", en ce qui concerne la haute trahison. S'il est exact que les mêmes moyens terroristes qui secouent la Russie, sont employés par le gouvernement russe dans d'autres pays, alors vaut l'adage: "Qui a frappé par l’épée périra par l’épée." Et ainsi s'applique ce principe de toute justice qui est aussi vieux que le monde : "Ce que tu me fais, je te le fais!"