"Dans l’ensemble du discours de Noske, il n’y a pas un mot sur le caractère de lutte de classe de la social-démocratie.
Il n’est pas souligné que nous combattons le militarisme comme un instrument de classe servant l’intérêt des classes dominantes.
Pas un mot sur la solidarité internationale, comme si les tâches de la social-démocratie cessaient d’exister au poste frontière noir, blanc, rouge.
Tout le discours n’est qu’une référence continue au patriotisme, dans l’esprit de "Vive l’Allemagne". Il manque tout accent mis sur notre position de principe, et c’est pourquoi il a rencontré à juste titre un rejet catégorique."
Karl Liebknecht, Congrès de Essen, 1907
Intervention de Karl Liebknecht en réponse à Gustav Noske au Congrès de Essen, 1907 (1)
"Je ne suis en aucun cas un adepte de la division et je pense également que la critique ne doit pas sortir de leur contexte des mots isolés d’un discours. Mais ce n'est pas le cas en l'espèce. Le discours de Noske n'était pas l’un de ses innombrables discours tenus dans un meeting. Noske a parlé en tant que représentant de la social-démocratie au Reichstag, et bien sûr une norme stricte doit être appliquée à de tels discours, qui ont un caractère d’autorité.
Je suis d’avis que Noske, dans son discours, comme Bebel dans une certaine mesure, était sous l'influence déprimante de l'échec électoral. ("Très juste !") Tous les débats d'alors n’ont pas véritablement fait honneur à notre parti. Et Noske est celui qui a cédé le plus largement au battage nationaliste qui a marqué cette élection et auquel nous devons sans aucun doute nombre de nos échecs.
D’après ce qu’il a déclaré dans son introduction, Noske voulait clarifier les efforts que nous faisons pour courir derrière le militarisme et réfuter « les interprétations invraisemblables et invraisemblablement fausses » concernant ces efforts. Quelles sont ces interprétations incroyablement fausses ? Noske souligne à plusieurs reprises et avec force dans son discours que la social-démocratie est bien loin d’exiger la disparition de l’armée. Dès le début, il dénonce cela comme une insinuation, comme si nous serions sur la position du tout ou rien en matière militaire et il poursuit : Quand cela est-il jamais venu à l’esprit d’un social-démocrate d’exiger la suppression brutale de l’armée ? Il souligne toujours que dans ses revendications, la social-démocratie prend en compte le maintien des capacités de défense de la nation. Cet accent mis constamment sur la nécessité pour l’Allemagne de rester armée, on devrait le laisser aux membre des associations de défense du militarisme.
Entre autres choses, Noske exige que l’on restreigne les fanfares militaires. Mais même dans ce cas, il estime nécessaire d’assurer que ces restrictions ne doivent pas aller au-delà de ce qui est possible sans entraîner une diminution de la capacité d’agir de l’armée. (rires) En outre, Noske rejette l’affirmation de ses adversaires selon laquelle la social-démocratie ne voudrait pas du tout qu'il y ait des soldats. « Jamais la social-démocratie a appelé à la suppression de l’armée ! ». Il poursuit : « Naturellement, un État ne peut pas songer seul à désarmer. Si nous reconnaissons qu’il est tout à fait exclu que l’Allemagne entame actuellement le désarmement, alors ce qu'il faudrait, c'est nous retourner contre l’éternelle course aux armements.
J’admets volontiers que si l’on s’en donne la peine, on peut trouver dans ces mots une ligne de pensée juste, mais l’accent mis en continu sur la nécessité pour l’Allemagne d’être fortement armée est ce qui donne le ton au discours. Il ne s’agit pas du contenu logique des paroles mais du «ton digne des associations va-t-en guerre » qui caractérise ce discours.
Le ministre de la Guerre a cité un passage de ma brochure où je disais que les mauvais traitements dans l’armée étaient tout à fait de nature à permettre une critique fondamentale du militarisme. Une interjection de Bebel aurait désavoué ce passage - je ne sais pas si c’est le cas, le compte-rendu sténographique en fait état - , pourtant c’est un point de vue que notre parti a toujours défendu, pour autant qu’il se livre à une propagande antimilitariste. Naturellement Noske a lui aussi remis en cause ce point de vue pourtant logique.
Noske a rejeté en outre l’affirmation du ministre de la Guerre selon laquelle nous voudrions dégoûter les gens du service militaire. Afin de réfuter cela, il a affirmé que lors de trois congrès, la motion visant à faire de la propagande dans les casernes, aurait été rejetée à l’unanimité. Mais il n’y a jamais eu de motion présentée au Congrès pour la propagande dans les casernes. L’affirmation de Noske est donc aussi inexacte qu’imprudente. Pour le reste, il est vrai que nous voulons dégouter le prolétariat du dressage dans les casernes. Mais il faut juste se demander, comment et pourquoi.
Noske pense aussi que nous devons rejeter sans restriction l’accusation grave du ministre de la Guerre selon laquelle nous voulons saper la discipline dans l’armée. Il précise que nous exigeons aussi au sein du parti la discipline. Certes, mais nous nous réjouissons que la discipline au sein de l’armée ne soit pas aussi bonne qu’au sein de la social-démocratie (rires).
En ce qui concerne les guerres d’agression, poursuit Noske, nous – c’est-à-dire la social-démocratie et le ministre de la guerre - sommes absolument « du même avis ». « il n’y a pas de différence » - à savoir entre le ministre de la Guerre et Noske. (rires) C’est donc une calomnie mortelle que l’expression de guerre agressive, telle qu’il n’y en avait jamais eu jusqu’à maintenant, dieu soit loué, dans le parti.
Il termine son discours comme suit : « Nous souhaitons que l’Allemagne reste autant que possible en mesure de se défendre ». C’est ainsi qu’un social-démocrate termine son discours ?
Dans l’ensemble du discours de Noske, il n’y a pas un mot sur le caractère de lutte de classe de la social-démocratie. Il n’est pas souligné que nous combattons le militarisme comme un instrument de classe servant l’intérêt des classes dominantes. Pas un mot sur la solidarité internationale, comme si les tâches de la social-démocratie cessaient d’exister au poste frontière noir, blanc, rouge., Tout le discours n’est qu’une référence continue au patriotisme, dans l’esprit de "Vive l’Allemagne". Il manque tout accent mis sur notre position de principe, et c’est pourquoi il a rencontré à juste titre un rejet catégorique."
Traduction Dominique Villaeys-Poirré - Janvier 2022, merci pour toute amélioration de la traduction
15 janvier 1919, assassinat de Karl Liebknecht et R. Luxemburg, comme la révolution à Berlin. C'est l’inadmissible aboutissement du combat du social-réformisme contre le courant révolutionnaire au sein de la social-démocratie en Allemagne. Noske, ministre de l'armée et de la marine joue un rôle essentiel. Déjà en 1907, Karl Liebknecht le combattait au Congrès de Essen. Déjà, il lui répondait sur sa conception de l’armée. A cette époque, Liebknecht s’est engagé dans le combat contre le militarisme qui prend une place de plus en plus importante dans l’Allemagne impérialiste et impérial. Il publie une longue analyse "Militarisme et antimilitarisme" qui le conduira en prison. Ce texte était principalement adressé à la jeunesse, comme un autre de ses textes « L’adieu aux recrues ». Car contre l'avis même du parti, il s’attache à mettre sur pied des organisations spécifiques de jeunesse. L'importance prise par l'armée dans la politique impérialiste de l'Allemagne et la nécessité pour cela de l'embrigadement des jeunes prolétaires fait que le pouvoir impérial suit avec crainte son action et l’emprisonne pour 18 mois sous l’accusation de haute-trahison. L'accusation s’appuiera sur certaines des interventions réformistes lors de ce congrès. Noske, lui, est à la même époque l'un des principaux tenants du réformisme.