C'est le troisième document consacré à la grève de masse dans cette première période de ses engagements par Karl Liebknecht. Il s'agit du compte-rendu d'un discours tenu à Leipzig aux lendemains du Congrès de Iéna qui vit la grève de masse devenir un des sujets majeurs des discussions et interventions. Dans ce texte, Liebknecht s'inscrit dans la discussion sur les liens parti/syndicats après qu'au congrès syndical de Cologne le réformisme syndical a pris des formes extrêmes. Il fait référence aussi aux grandes manifestations ouvrières de 1905 répondant aux tentatives d'atteinte au droit de vote au parlement de Saxe.
La grève politique – une nouvelle arme du prolétariat, Compte-rendu d’un discours tenu à Leipzig le 12 décembre 1905
Traduction Dominique Villaeys-Poirré, 02.11.2021. Merci pour toute amélioration de la traduction
Ce qui a déclenché les vifs débats sur la relation entre parti et syndicats, est l’état d’esprit qui s’est développé depuis quelques temps dans les syndicats, et qui doit être considéré comme inquiétant pour les syndicats eux-mêmes. C’est un état d’esprit qui témoigne de la conception la plus étroite de la politique, une conception qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez et contre lequel le camarade von Elm a mis en garde. Lors du Congrès syndical de Cologne, on a pu voir des phénomènes très regrettables. On y a tenu des discours tellement superficiels sur les questions économiques et politiques, comme ceux sur le 1e mai et sur la grève de masse politique, qu’ils ont suscité de toute part l’étonnement. L’expression du calme dont on aurait besoin les syndicats est aussi très préoccupante.
Ce qui est réjouissant, c’est que la masse des travailleurs organisés dans les syndicats a désavoué ses dirigeants et s’est déclaré clairement contre une telle conception du mouvement syndical. Nous devons nous demander comment de telles conceptions ont bien pu naître, et ce chez des gens dont l’esprit par rapport au parti est irréprochable. Cela vient du fait que les syndicats ne s’appuient plus que sur la quantité et non sur la qualité de leurs membres. Que l’on nous laisse rassembler encore des millions d’adhérents et nous ferons ce que vous définissez déjà comme les tâches des syndicats. – Mais on oublie par là que la force des syndicats ne dépend pas tant de la quantité mais de la qualité des membres. Les structures de soutien sont présentées aussi à de nombreuses reprises comme la raison qui explique la disparition du caractère de lutte de classes des syndicats. Selon l’avis de l’orateur, ceci est une erreur. En ce qui concerne les structures de soutien, il ne s’agit pas de savoir si elles doivent exister mais seulement ce qu’elles doivent être et dans quelle mesure.
On a aussi vu dans le bureaucratisme qui s’est développé si fortement ces derniers temps au sein du mouvement syndical, une raison pour l’affaiblissement du caractère de lutte de classe du syndicat. Tous ces phénomènes ne doivent en aucun cas être considérés avec scepticisme. En Allemagne, nous ne devons pas nous soucier d’un possible recul du combat de classe ; La justice allemande se charge déjà de l’empêcher. La politique impériale poursuivie aujourd’hui, non seulement ne mène pas à l’apaisement de la lutte des classes, mais bien au contraire la rend de toutes les manières plus aigue.
Chaque jour, la “jurisprudence” enseigne clairement au prolétariat qu’il est inférieur en droit aux autres classes de la population.
Cependant, jamais une situation politique n’avait été aussi favorable à l’éveil du prolétariat à la lutte des classes qu’aujourd’hui.
L’ensemble du prolétariat est mobilisé. Les vagues de la révolution russe, du mouvement pour le droit électoral en Autriche s’étendent aussi vers l’Allemagne.
Ce qui va intensifier principalement en Allemagne la lutte des classes, ce sont les nouvelles charges inouïes que l’on va faire peser sur le peuple pour satisfaire les exigences navales.
A tout cela viennent s’ajouter ensuite les décisions judiciaires dans les affaires de grève. Si déjà chaque pauvre hère, qui se retrouve sur le banc des accusés, se dit : tu n’as pas à espérer de mansuétude, alors pour les fauteurs de grève, la justice se présente réellement encore plus mal. Lors des grèves importantes, les accusations et procès pleuvent, parmi eux, des accusations d’atteinte à la paix civile, qui ne laissent plus aucun répit aux travailleurs. Ce qui relève pour les étudiants révoltés et les techniciens de bêtises grossières, relève pour les grévistes des paragraphes de loi sur la menace de la paix civile et se conclut par des dizaines d’années de peines de prison.
Vous savez ce qu’il en est en Saxe. Ce que l’esprit policier étroit et mesquin de la réaction saxonne a tenté pour nuire aux travailleurs comme le vol des droits électoraux et autres freins imposés à leur action, trouve maintenant son expression comme le fruit d’un puissant mouvement populaire. Si la voie n’est pas dégagée, l’anneau dans lequel le peuple a été enserré, doit être brisé
C’est déjà une honte de claquer la porte du parlement au nez d’une classe ouvrière culturellement si avancée comme l’est la classe ouvrière saxonne. Mais c’est une impudence encore plus grande que de penser que les travailleurs vont l’accepter sur le long terme.
La tâche commune des syndicats et du parti est d’éduquer les travailleurs à devenir des combattants de classe conscients et de mener ensemble de telles actions, ce à quoi chacune des partie est intéressée ; cela rend le mouvement lui-même invincible. Les classes dirigeantes pourront bien dire alors qu’elles ont encore le pouvoir, et qu’elles peuvent inverser la roue de l’histoire mondiale en soumettant la classe ouvrière par la coercition ; elles ne réussiront pas, et bien au contraire, elles rapprocheront par cela d’autant plus vite leur chute.
Avec la grève de masse politique, le prolétariat s’est approprié une nouvelle arme dans son arsenal qu’il utilisera le moment venu. Est-ce qu’il faut utiliser la grève de masse pour la conquête du droit de vote en Saxe, impossible de le dire pour le moment. Je crains cependant que le temps n’est plus éloigné où le prolétariat exigera avec insistance les droits qu’on lui a volés, l’heure décisive alors ne tardera pas. Il ne sera plus alors question de séparation entre parti et syndicats. Le but commun, l’ennemi commun les unira. Alors, en Saxe, en Prusse, dans toute l’Allemagne, la dernière petite heure de l’oppression et de la servitude sonnera. (Applaudissements vis et soutenus)
Source :
[Leipziger Volkszeitung, Nr. 287 du 12. Dezember 1905. Karl Liebknecht, Gesammelte Reden und Schriften, tome 1, P. 162-165] https://sites.google.com/site/sozialistischeklassiker2punkt0/liebknecht/1905/karl-liebknecht-der-politische-massenstreik---eine-neue-waffe-des-proletariats.
Eléments bibliograhiques (en cours) :
Wahlrechtskämpfe in Sachsen nach 1896 : https://retallack.faculty.history.utoronto.ca/Retallack_Wahlrechtskaempfe_DH80_2004.pdf