Allons donc aujourd'hui , 100 ans après, à la rencontre d'un parmi les plus grands représentants du peuple allemand : KARL LIEBKNECHT.
L'occasion, pour moi est la découverte, dans une bibliothèque, d'un petit livre de CAMILLE FABRY (1) publié en 1921 :
« KARL LIEBKNECHT EN BELGIQUE PENDANT LA GUERRE »
Relation inédite, d'après les notes fidèles de LEON TROCLET , député belge et conseiller communal de LIEGE, et les renseignements donnés par JOSEPH BOLOGNE, député belge et conseiller communal de LIEGE, V. SERWY,, président de la Fédération des Coopératives, C. HUYSMANS, secrétaire de l'INTERNATIONALE, A DENEE et G ; RONGY , militants socialistes
Début septembre 1914 : depuis le 4 août, la BELGIQUE est envahie ; LIEGE est tombée, les troupes allemandes ont pris NAMUR, CHARLEROI , pénètrent en FRANCE où MAUBEUGE capitule le 8.
Le pays est à feu et à sang.
« C'est alors que LIEBKNECHT vint nous voir. »
Député de POTSDAM du parti social démocrate allemand SPD, il y avait été élu en janvier 1912
Le SPD était le plus important parti en ALLEMAGNE représentant 39% de l'électorat, avec 110 députés au REICHSTAG.
On aurait pu imaginer qu'avec cette force parlementaire, et la force de ses organisations, il aurait joué un rôle décisif dans la crise internationale de juillet - août 1914.
Mais le 4 août, le groupe social démocrate au grand complet , s'alignant derrière le KAYSER , son Quartier Général et la bourgeoisie allemande, vote les crédits de guerre ;le jour même où les troupes allemandes envahissent la BELGIQUE!
14 députés dans le groupe parlementaire y étaient opposés, dont LIEBKNECHT et HAASE , le chef de groupe, mais tous votent pour, par discipline de parti...
Du 4 au 13 septembre, en vertu de son mandat parlementaire, LIEBKNECHT effectue une tournée en BELGIQUE occupée.
LIEGE
« Ce matin là, LEON TROCLET, (2) un des élus socialistes de LIEGE, revenait de l'Hôtel de Ville vers les 10 heures. Arrivé en face de l' INNOVATION, il voit dans la foule venant de la place du Théâtre, une personne qu'il croit reconnaître. : LIEBKNECHT.
Les deux hommes font quelques pas encore, et LIEBKNECHT, qui était en civil, dit textuellement , en mauvais français, : « Tiens , camarade LEON TROCLET... »
Celui- ci répond : « C'est notre ami LIEBKNECHT ! », serrant la main qui lui était tendue .
Les deux députés s'étaient rencontrés maintes fois, notamment au CONGRES INTERNATIONAL DE LA JEUNESSE SOCIALISTE , en août 1907 ,tenu à STUTTGART. »
1907, c'est l'année où LIEBKNECHT a publié sa brochure « MILITARISME ETANTIMILITARISME », analyse et dénonciation du militarisme germano - prussien , bras armé de la bourgeoisie, non seulement contre l'ennemi extérieur, mais aussi contre celui de l'intérieur .
La brochure sera saisie et, en octobre 1907, il sera condamné pour HAUTE TRAHISON , au procès de LEIPZIG à un an et demi de forteresse !!
ble du CAFE ANGLAIS est assez froide et distante.
TROCLET , tout empreint des scènes d' exaction de l'armée du KAYSER se fait accusateur :
« VOS soudards dans plusieurs de nos bourgs, ont massacré les bourgmestres, les échevins, les prêtres, les citoyens...
VOS protestations, où sont elles ? »
LIEBKNECHT fermant nerveusement le poing droit , répondit : « Difficile de protester, ils ont établi une censure de fer...Difficile en ALLEMAGNE... »
TROCLET : » Et puis, il y a quelque chose qui nous déroute... votre peuple s'est fait immédiatement et tout d'un coup à la guerre ?"
LIEBKNECHT : « Je n'ai jamais vu l'opinion publique se retourner ainsi...A la mi-juillet, on nous acclamait quand nous parlions contre la guerre.
Mais une fois l'ultimatum jeté à la SERBIE, un vent de folie sembla soulever ce peuple ; il se sentait fort, sans doute très fort sous le poids de ses armes redoutables...
...C'est une terrible machine le militarisme allemand! Il est dangereux de se heurter à cette formidable organisation... »
La presse avait parlé de la fusillade du 20 août de la PLACE DE L'UNIVERSITE
Ils s'y rendent tous les deux, mais une sentinelle interdit à TROCLET d'accompagner sur les lieux , le député du REICHSTAG, qui refuse ce « privilège »...
C'est là qu'il prend connaissance d'une affiche de menaces de la KOMMANDANTUR.
Le lendemain, plus cordialement, les 2 députés continuent leur échange :
TROCLET : « Tous les socialistes allemands resteront ils passifs, sans protester ?"
LIEBKNECHT : « Ils seront peu nombreux, ceux qui agiront dans ce sens , les premiers temps, mais il y en aura, ayez confiance ! L'heure de la Justice n'oublie jamais de sonner ...
...Nos voix, soutenues par ce qu'il y a de plus pur dans la conscience humaine seront entendues
Il y aura de nombreuses scissions dans la Social-Démocratie, des tiraillements et des heurts violents. Et que de responsabilités !... et que de troubles !...
Mais le salut en sortira... »
ANDENNE
"Les jours suivants, LIEBKNECHT insiste pour visiter les villes martyres d' ANDENNE, et de LOUVAIN. Il fit apposer un nouveau visa sur son passeport et partit en auto avec le député POB Joseph BOLOGNE (3) et le dirigeant syndical JEAN CLAJOT (4) ;
« Quand nous arrivâmes à ANDENNE, ce fut la consternation, ce fut la révélation des horreurs de la guerre.
Environ 300 maisons détruites.
Des femmes, des enfants et des vieillards avaient été fusillés, massacrés par une soldatesque en délire.
On avait compté sur le pavé rouge plus de 266 victimes, et parmi celles-ci, le bourgmestre CAMUS, âgé de 70 ans.
La plupart des façades des maisons étaient criblées de trous faits par les balles.
A certains endroits, les briques, les pierres de taille obstruaient les chemins.
Dans les tas, on voyait des lits tordus, un portrait déchiré, le bois ouvragé, bleu-pâle d'un berceau.
LIEBKNECHT examina bien, silencieusement, puis pleura.
Sa douleur intérieure semblait immense;sa poitrine se soulevait, oppressée ; mais il ne voulait pas afficher son chagrin.
C'est à l'hôpital d' ANDENNE , que le tribun vit ARMAND DENEE, directeur de la coopérative socialiste et GERARD RONGY.
Celui ci raconta avec fièvre , mais sans exagération, le drame atroce qu'ils avaient du subir.
Des détails précis parce que vécus dans uns détresse qui nous semble aujourd'hui surhumaine, furent jetés dans une conscience allemande, qui les retint pour une noble cause...
On sait que RONGY remit une relation écrite du massacre, à LIEBKNECHT, à la demande de celui ci."
LES FRANC - TIREURS DE TIRLEMONT
« LIEBKNECHT voulait voir LOUVAIN, il en parlait constamment.
On décida de s'y rendre, puis de là, on regagnerait BRUXELLES.
A une dizaine de kilomètres de TIRLEMONT , en direction de LOUVAIN,la voiture stoppa.
Cinq autos militaires étaient arrêtées au même endroit. Une douzaine de soldats allemands, la rage dans les yeux , gesticulaient et menaçaient.
Que se passait-il exactement ?
LIEBKNECHT s'approcha.On nous montra alors trois cadavres chauds encore, ceux d'un lieutenant, d'un feldwebel et d'un chauffeur.
BOLOGNE entendait répéter avec insistance « civilisten ». Il comprit.
On accusait de nouveau les « franc-tireurs » de la légende...
On amenait deux malheureux civils, l'un âgé d' une cinquantaine d'années, l'autre de 35 ans.
Jamais, m'affirme notre concitoyen je n'aurai ce vivant tableau hors de ma mémoire.
Nous étions à 7 mètres du groupe au milieu duquel LIEBKNECHT discutait et essayait de savoir exactement.
On entendait très nettement les coups de fusil de l'infanterie ; un sous officier, révolver au poing,
s'agitait fébrilement.
Les deux paysans restaient abasourdis, sous l'emprise d'une crainte excessive.
... BOLOGNE conduisit les malheureux auprès des cadavres et leur demanda : « Wie heeft dat gemaakt ? » « Dat zijn soldaten . »
« Welke soldaten ? » ... Le plus jeune se met à imiter le mouvement de la jambe qui pédale.
« Ce sont des sodats cyclistes » dit BOLOGNE ;
« Welke kleuren aan hun hoeden ? » « Geel... »
Nul doute possible .C'étaient nos carabiniers cyclistes qui avaient surpris et cerné l'automobile. Le coup avait donc été accompli par des militaires.
Un officier survint. LIEBKNECHT lui montra son étonnement ;
Et le lieutenant , calme, répondit : « Nos soldats sont tous comme ça ; devant des morts, ils accusent toujours les civils sans raison sérieuse »
Dans l'automobile, qui reprenait le chemin de BRUXELLES, par JODOIGNE et WAVRE, BOLOGNE dit à LIEBKNECHT : " ... Vous avez vu que le coup porté à l'officier en plein coeur, était un coup de baïonnette ?
Quant au sous officier, c'est bien un coup de crosse de fusil qu'il porte au front.
Ces constatations prouvent les faits et nos protestations."
... il approuvait silencieusement, et semblait souffrir de toute sa pensée meurtrie et bouleversée.
A LA MAISON DU PEUPLE DE BRUXELLES
A BRUXELLES – nous sommes le 16 septembre 1914- il rencontra à la MAISON DU PEUPLE , CAMILLE HUYSMANS, dirigeant du POB et secrétaire du BUREAU SOCIALISTE INTERNATIONAL
« Il monta immédiatement au 5ème étage où trône C. HUYSMANS.
KARL LIEBKNECHT dut subir une réception froide ;
Ils échangent en allemand : HUYSMANS , incisif et tranchant, exprime d'amers reproches ; il condamnait les faiblesses du début.
LIEBKNECHT fit un exposé de la situation du groupe parlementaire social démocrate, et renouvela ses idées sur le premier vote des crédits de guerre.*
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CAMILLE HUYSMANS, secrétaire de l'INTERNATIONALE aux funérailles de JAURES |
CAMILLE HUYSMANS résumera ainsi cette rencontre ,dans une lettre à RENAUDEL, qui avait succédé à JAURES à la direction de « L' HUMANITE », qui ne sera publiée que le 4 juin 1915
« Liebknecht ne .savait rien de ce qui s' était passé en Belgique quand il est venu voir notre pays.
Il a emporté l'impression que les Belges n'étaient pas vendus à la Grande-Bretagne, qu'ils n'ont pas organisé des bandes de francs-tireurs et aussi qu'ils n'ont pas assassiné les blessés allemands, et que les exécutions, allemandes en Belgique sont injustifiables.. ̃̃
Il est venu en Belgique pour se documenter loyalement.
Le reste est. de la calomnie.
Les Belges qui regardaient comme un acte de trahison (!!!) le fait de recevoir un Allemand lui ont serré la main avec effusion quand ils ont appris qu'il était ̃venu pour ̃découvrir et dire la vérité.
Bien à toi.
Camille HUYSMANS.»
*(Dés le 21 septembre ,de retour en ALLEMAGNE, il déclara dans une réunion à STUTTGART : « vous me reprochez... mon indécision...J'aurais dû en plein REICHSTAG crier mon « NON »)
A près une nouvelle vaine tentative, de voir, avec HUYSMANS, la ville de LOUVAIN, interdite d'accès par l'armée, on rentre à LIEGE ;
« Je vais retrouver nos amis
Je vais revoir ROSA LUXEMBOURG, CLARA ZETKIN, MEHRING.
Nous essaierons de parler, d'écrire.
Nous ferons l'impossible pour ouvrir les yeux .
Notre devoir est tout tracé. Il faut un monde meilleur et nouveau. »
JOSEPH BOLOGNE et CLAJOT, convaincus de la sincérité et de la foi de KARL LIEBKNECHT, émus encore jusqu'aux larmes de l'attitude courageuse et de la bonté naturelle de celui qu'ils ne reverraient plus jamais lui serrèrent les mains affectueusement, sans réserve aucune.
Voilà quelle fut la démarche d'un député socialiste du peuple allemand , internationaliste convaincu:
voir de ses propres yeux, comprendre, rencontrer et des témoins des exactions du militarisme germano – prussien, et des camarades belges, connaître la vérité, cachée par la presse allemande , y compris la presse social démocrate .
Ah! Il le connaissait bien ce militarisme , pour en avoir étudié et dénoncé les mécanismes ; il avait subi 18 mois de forteresse, accusé de haute trahison.
Mais il lui fallait voir , comprendre et aussi pleurer.
Il lui fallait « souffrir de toute sa pensée meurtrie et bouleversée »
Il lui fallut aussi subir « l'accueil froid », accusateur de ses camarades belges.