Illustration : Le programme de Die Weber, la pièce la plus appréciée, créée en décembre 1893. "Die Weber de Hauptmann, donnés en décembre 1893, furent l’événement le plus marquant des pre¬mières années de la Freie Volksbühne. L’effet produit par cette représen¬tation d’une révolte ouvrière sur un public prolétarien fortement politisé fut presque aussi explosif que la police et Hauptmann lui même le craignaient. Pour les responsables sociaux démocrates, Die Weber était l’œuvre contem¬poraine qui se rapprochait le plus de l’œuvre d’art révolutionnaire dont ils attendaient l’apparition, mais bien des insuffisances séparaient encore, selon Franz Mehring, le drame de Hauptmann de l’idéal socialiste."
Cet article présente une analyse précise de la tentative de théâtre prolétaire qu'a représentée la création des Freie Volksbühne. Il donne un éclairage sur l'action culturelle de Franz Mehring, figure essentielle du courant révolutionnaire au sein de la social-démocratie aux côtés de Rosa Luxemburg et Clara Zetkin.
Les Freie Volksbühnen de Berlin 1890‑1915 - Marc Thuret - p. 169-186 - Texte intégral
Texte Bibliographie Notes Auteur
- 1 Zehn Tage, die die Welt erschütterten (1957), Horizonte (1969), Die Schlacht (1975), Die Bauern (19 (...)
Chacun des deux Berlin a la sienne : précédée de l’épithète qui sert de fanion au bloc occidental, elle s’appelle « Freie Volksbühne » à l’Ouest ; elle s’appelle simplement « Volksbühne » à l’Est – redondance inutile, il est vrai, dans une république où tout appartient au peuple. Plus rien n’évoque aujourd’hui l’originalité de l’entreprise à laquelle les deux théâtres doivent leur existence : ni leurs noms passe-partout, ni leurs bâtiments (un cube gris, orné d’une triste rangée de colonnes, à l’Est, une construction des années soixante, en verre et en béton, à l’Ouest), ni leurs programmes. Freie Volksbühne et Volksbühne sont, en 1984, des théâtres comme les autres. Les subventions y entretiennent une routine de bonne qualité, entrecoupée de temps forts mémorables : la création des premières pièces de Heiner Müller1 à la Volksbühne, celle du Vicaire de Hochhuth, puis de L’Affaire Oppenheimer de Heinar Kipphardt à la Freie Volksbühne, ou, cette année, la mise en scène de Ghetto de Joshua Shokol par Peter Zadek.
Ces deux théâtres ont un ancêtre commun, la Freie Volksbühne, une association créée en 1890 par des ouvriers et des intellectuels proches du parti social-démocrate pour « apporter l’art au peuple ». L’histoire de cette institution, qui fut un temps entre les mains de la social-démocratie, éclaire à sa manière l’évolution du parti face à la délicate question culturelle et ses rapports avec la littérature.
En 1890, Berlin a un million et demi d’habitants. Il est devenu le premier centre industriel du Reich. Plus du quart des Berlinois peut être assimilé à ce prolétariat des grandes villes et des bassins industriels dans lequel la social-démocratie, encore interdite (le Sozialistengesetz n’expirera légalement que le 10 octobre), recrute ses adhérents et ses électeurs : ils sont 125.000 dans la capitale du Reich, qui devient aussi celle de la social-démocratie. Avec la nouvelle décennie, la croissance industrielle et urbaine de l’agglomération berlinoise va brusquement se précipiter, faisant rapidement de la capitale du Reich la plus moderne, la plus neuve, la plus industrieuse du vieux continent, une métropole américaine égarée en Europe ...
- 2 Il y en aura 38 en 1900, d’après le Jahrbuch des Deutschen Theaters, cit. in : Winterstein, p. 127.
Cette croissance impétueuse, on la retrouve aussi dans l’industrie des plaisirs et du spectacle. Il y a, à Berlin, en 1890, seize théâtres2, deux opéras, deux cirques et une infinité « d’établissements » spécialisés dans des genres purement commerciaux, proches des variétés. Berlin est le premier centre théâtral de l’Europe germanophone par l’abondance des programmes, l’importance du public, le chiffre d’affaires de son industrie du spectacle. Par la quantité, non par la qualité. Les observateurs étrangers et la critique locale elle-même se plaignent de la médiocrité de ses réalisations. Le répertoire classique y est réduit à la portion congrue, l’avant-garde en est bannie. Entre le faste grandiose, mais creux et routinier, des scènes royales, et le divertissement facile (des adaptations du boulevard parisien, le plus souvent) de la plupart des autres théâtres, l’apport artistique des scènes berlinoises est maigre et discret.
- 3 Otto Brahm, Bd. 1, p. 252.
Deux événements allaient toutefois susciter en peu d’années une spectaculaire régénération : les tournées de la troupe de Meiningen entre 1874 et 1890, la création de la Freie Bühne en 1889. Le duc Georges II de Meiningen avait réformé le théâtre de sa petite ville et repensé l’interprétation du théâtre classique en préconisant une diction raisonnée, dépouillée de tout pathos, et en imposant un jeu d’ensemble strictement homogène. Face à ce travail de réflexion et de rénovation, le public berlinois prit conscience des insuffisances du répertoire et du style pratiqués chez lui. Un groupe de critiques rassemblés par Otto Brahm tenta alors de fonder, sur le modèle du « Théâtre Libre » d’André Antoine à Paris, une « Freie Bühne », une association organisant pour ses membres, avec le concours d’acteurs professionnels, des représentations de pièces contemporaines tenues à l’écart des scènes berlinoises « par le commerce et par la censure »3.
La formule de l’association de personnes privées, liées par un centre d’intérêt commun de caractère non politique, permettait à la Freie Bühne d’organiser, conformément aux dispositions de la loi de 1850 sur les associations, des représentations dispensées du contrôle de la censure. Elle put ainsi montrer à ses adhérents des pièces d’Ibsen, Strindberg, Bjørnson et Tolstoï, et surtout les drames naturalistes de Hauptmann et Sudermann. Ces œuvres n’auraient, sans le détour imaginé par la Freie Bühne, jamais passé le barrage de la censure prussienne, assez tolérante, il est vrai, vis‑à‑vis des grivoiseries du boulevard, mais intraitable face à toute représentation jugée trop crue des réalités sociales contemporaines.
La bourgeoisie libérale et toute l’intelligentsia progressiste avaient entrepris de promouvoir à la Freie Bühne une littérature qui s’était donné pour mission de montrer la corruption de la société bourgeoise, la déchéance du prolétariat et l’acuité de la question sociale. Un public éclairé et privilégié se donnait à lui-même, moyennant une cotisation élevée, le spectacle des turpitudes ordinaires de son propre corps social et de celles, plus exotiques, mais tout aussi désolantes, des couches inférieures. Ces dernières restaient exclues des représentations de la Freie Bühne, comme, de façon générale, de toute l’activité théâtrale de Berlin.
Le prolétariat berlinois n’allait pas au théâtre. Le prix des places, les horaires des représentations, les rites sociaux liés à sa fréquentation lui en interdisaient l’accès. Seule la dernière catégorie des « établissements » chantants et dansants, où un public, généralement debout, pouvait aller et venir, boire et fumer, lui était familière. Les divertissements prolétariens se situaient plus souvent encore dans les baraquements forains où l’ouvrier berlinois pouvait, le dimanche après‑midi, assister à des numéros combinant les attraits du cirque, du « tingel‑tangel » et de l’opérette.
- 4 Voir la remarque de Paul Linsemann (p. 64) « Bei Kalisch, Pohl Salingré und Weirauch steckten oft i (...)
Le niveau des distractions populaires, dans le Berlin des années 80, donne un exemple de l’acculturation subie par la classe ouvrière des grandes villes. Ses divertissements n’étaient que des sous‑produits bon marché de l’industrie du spectacle, ne reflétant ni les caractéristiques du public prolétarien ni l’identité locale. Berlin avait pourtant eu, au cours du demi‑siècle précédant la fondation du Reich, un théâtre populaire fortement typé. Adolf Glassbrenner, David Kalisch, Ernst Dohm avaient écrit, en utilisant le dialecte berlinois, des farces pleines de franchise, de réalisme et d’une ironie redoutable. Leur esprit continuait à animer la gouaille populaire, mais il ne s’exprimait plus au théâtre4.
- 5 Article de Gustave Schubert dans Die Gartenlaube 1887, Nr. 6, cit. in : Braulich, p.221.
Ce public populaire acculturé, mais nullement abêti, ne se satisfait pas cependant des amusements mis à sa portée. Dans aucune ville du Reich, on ne recense une telle densité d’initiatives, prises par la population ouvrière elle-même, pour échapper à l’abrutissement de sa condition. Les ouvriers berlinois ne s’organisent pas seulement dans des sociétés de gymnastique ou de plein air, ils fondent des « bibliothèques ouvrières » et des « clubs de lecture et de discussion ». En 1887, on en comptait plus de 3 500 enregistrés auprès des services de police5. On sait aujourd’hui que ces clubs servaient essentiellement à contourner le Sozialistengesetz. Mais le prétexte culturel derrière lequel ils s’abritaient avait‑il fini par influencer leurs objectifs ? Correspondait‑il, dès l’origine, à un besoin profond des prolétaires berlinois ? Comment démêler les motivations qui furent à l’origine de cette floraison des années 80 ? Le désir de se cultiver animait certainement la plupart de ceux qui se regroupaient dans ces sociétés crypto-socialistes, car, avec le retour du parti à la légalité, elles furent réorganisées, mais non dissoutes.
- 6 Les clubs ouvriers portaient, pour mieux tromper la police, des noms étrangers ou anodins suggérant (...)
Le club « Alte Tante »6 regroupait de jeunes ouvriers et des artisans qui assistaient à tour de rôle à des conférences ou à des spectacles. Ils se rendaient mutuellement compte de ce qu’ils avaient vu et appris, en discutaient entre eux et avec des intellectuels venus les éclairer sur des questions d’économie politique ou de philosophie. Un des membres de « Alte Tante », Willi Wach, un ouvrier relieur devenu, au début des années 90, collaborateur du Vorwärts, a dressé pour la Revue Socialiste de décembre 1898 un panorama des Préoccupations de culture intellectuelle du prolétariat berlinois où l’on trouve un récit des circonstances dans lesquelles naquit la Freie Volksbühne. Elle y apparaît nettement comme le produit de deux courants que rien ne semblait destiner à confluer : la régénération du théâtre bourgeois, avec la création de la Freie Bühne, et le mouvement d’émancipation du prolétariat urbain dans le cadre d’organisations primitivement destinées à combler le vide laissé par le parti interdit. Voici comment Willi Wach présente les faits :
- 7 Willi Wach, traduit par Edgard Milhaud, Revue Socialiste, p. 641.
« Les membres des clubs ouvriers […] s’intéressaient ardemment à tout ce que les journaux publiaient sur les représentations du Théâtre Libre. Dans Vieille Tante, on s’abonna particulièrement à la revue qui venait de naître : Freie Bühne für modernes Leben. D’ailleurs, nombre d’ouvriers engagés dans le mouvement socialiste s’intéressaient vivement à la littérature moderne, et par suite à cette revue. Dans Vieille Tante, l’intérêt était si grand qu’au commencement de 1890, on envoya au docteur Bruno Wille un sculpteur, Schleupner, et l’auteur du présent article (alors relieur), avec mission de le prier de faire que le club puisse, comme club, devenir membre du Théâtre Libre. On voulait envoyer à chaque représentation un sociétaire, de sorte que chacun y allât à son tour. Wille déclara que cela était impossible, mais annonça aux délégués qu’il chercherait les moyens de donner satisfaction aux goûts d’un public sans fortune épris d’art moderne. En mars de la même année, ce fut encore Wille qui, dans un appel publié par le Berliner Volksblatt, prenait l’initiative de la fondation d’un « Théâtre Libre du Peuple »7.
- 8 Freie Volksbühne 1890, Neue Freie Volksbühne 1892, Versuchsbühne 1894, Giordano-Bruno-Bund 1901, Fr (...)
Bruno Wille (1860‑1928) était une des personnalités les plus remuantes de l’intelligentsia berlinoise. On le retrouve, avec ses amis Julius et Heinrich Hart, Wilhelm Bölsche, O.E. Hartleben au centre du groupe « Durch », puis au « cercle de Friedrichshagen », premières cellules de l’avant‑garde naturaliste à Berlin. Il est associé à toutes les entreprises de diffusion du savoir et de la culture dans le prolétariat berlinois. Il donne des conférences dans les clubs, des cours à la Société Darwin (une université ouvrière fondée en 1889), puis dans les Arbeiterbildungsschulen créées par Wilhelm Liebknecht en 1890. Toute sa vie, il tentera de réaliser par des fondations successives8 sa vocation de « Volkspädagoge », de guide du peuple dans la voie de la connaissance, de la jouissance esthétique, puis de l’élévation mystique. Venu de la théologie, il évoluera, en effet, après quelques années d’adhésion au socialisme, vers le monisme et la théosophie. En 1890, Wille est très populaire parmi les représentants organisés du prolétariat berlinois. Ils apprécient sa patience de pédagogue, sa clarté et son éloquence. Bruno Wille – qui n’est pas tout à fait d’accord sur ce point avec les dirigeants du parti – pense que l’émancipation du prolétariat passe aussi par l’éveil de sa sensibilité artistique. Il voit dans la nouvelle école littéraire, qui a pris pour slogans les mots « réalité », « vérité », « nature », une alliée du socialisme. Aussi veut‑il amener l’art moderne et le prolétariat à unir leurs efforts sous l’égide des intellectuels et des artistes, et non des spécialistes de l’agitation politique regroupés à la tête du parti – un point de vue qui ne tardera pas à susciter des tensions à la Freie Volksbühne et dans le parti lui-même.
Mais, dans l’euphorie accompagnant sa sortie de la clandestinité, la social-démocratie tolère ou encourage les initiatives les plus diverses sans ergoter sur leur orthodoxie. L’appel de Bruno Wille à la constitution d’une Freie Volksbühne sera publié le 23 mars 1890 par le Berliner Volksblatt, l’organe central de la social-démocratie (rebaptisé Vorwärts le 1er janvier 1891).
- 9 Cit. in : Selo, p. 186.
« Le théâtre doit fournir le plaisir esthétique le plus noble, être une source d’élévation morale et il doit inciter à la réflexion sur les grandes questions de l’heure. Mais on le ramène le plus souvent au niveau des fadaises de salon, au niveau de la littérature de divertissement, du roman pour midinettes, au niveau du cirque et de la feuille humoristique. La scène est en effet soumise au capital et le goût de la masse, quelle que soit la classe sociale, a été corrompu par certaines réalités économiques […]. Les représentations publiques de pièces inspirées par l’esprit révolutionnaire ne parviennent pas à franchir les obstacles érigés par le capitalisme – qui n’y voit pas de quoi remplir sa caisse – et par la censure policière. Ces obstacles n’existent pas pour une société privée. C’est par ce biais que l’association « Freie Bühne » a pu donner quelques‑uns de ces drames révolutionnaires. Mais, comme le prolétariat, pour des raisons économiques, ne peut pas adhérer à la « Freie Bühne », il me paraît opportun de fonder une « Freie Volksbühne »9.
La proposition fut accueillie avec un enthousiasme qui décida Wille à convoquer pour le 29 juillet, puis pour le 8 août, deux réunions des partisans de son projet. Ils furent plus de 2 000 à se retrouver pour élire un comité constituant, puis pour adopter des statuts dont le premier paragraphe définissait ainsi le but de l’association :
- 10 Berliner Volksblatt. 10. Aug. 1890, cit. in : Selo, p. 187.
« L’association ‘Freie Volksbühne’ s’est fixé pour mission de présenter au peuple les orientations modernes de la littérature, et, plus particulièrement, de faire représenter, de lire et d’expliquer dans le cadre de conférences, des œuvres littéraires reflétant fidèlement la réalité et l’actualité »10.
Son organisation mettait en avant le principe démocratique : des assemblées générales élisaient « par acclamation » le président, le comité directeur, le service d’ordre. Elles faisaient le bilan des activités de l’association, décidaient de toute modification des statuts, de l’organisation et du financement. L’association se distinguait par des pratiques originales, héritées de l’esprit de fraternité et de discipline en vigueur dans les clubs sous le Sozialistengesetz. Les adhérents pouvaient estimer eux‑mêmes le montant de leur inscription et de leurs cotisations (elles ne dépassèrent que rarement le minimum fixé par la direction) ; les places étaient tirées au sort ; un service d’ordre formé de volontaires veillait à leur attribution, à la fermeture des portes, à la bonne tenue des spectateurs – tâche difficile face à un public venu des revues foraines ou des « établissements » de la périphérie de Berlin... L’association était divisée en sections de 800 à 1.200 membres – capacité moyenne de la plupart des théâtres. Chaque spectacle était donné autant de fois qu’il y avait de sections. Malgré les constants va‑et‑vient des premières années, chacune des sections eut tendance à former une sorte de club à l’intérieur duquel se tissaient des amitiés et des habitudes. Chaque regroupement imposé par les fluctuations du nombre des adhérents entraîna des déchirements, des protestations, des démissions – réactions témoignant que l’esprit de corps, le besoin de se retrouver entre frères de classe, de parti, d’opinion, étaient plus forts encore que le désir de s’initier à l’art.
La première représentation eut lieu le 19 octobre, à l’Ostend-Theater. Sa troupe, misérablement payée, n’était pas la plus brillante de Berlin, mais la salle était vaste et la direction fut la seule à proposer des conditions acceptables. Le public de l’unique section vit une pièce d’Ibsen donnée peu avant à la Freie Bühne : Les Soutiens de la Société, une œuvre qui, comme Les Revenants, donnés en 1889 pour l’inauguration de la Freie Bühne, dénonce le « mensonge existentiel » (Die Lebenslüge) de l’univers bourgeois en exposant les vices cachés derrière une façade respectable. Conformément aux dispositions de ses statuts, la Freie Volksbühne proposa à ses adhérents, au cours de ses deux premières saisons (d’octobre à juillet) des représentations mensuelles illustrant généralement les « orientations modernes » de la littérature. Ibsen fut représenté cinq fois, Anzengruber et Ludwig Fulda deux fois. La Freie Volksbühne reprit la plupart des nouveautés créées par la Freie Bühne : Vor Sonnenaufgang de Hauptmann, Die Ehre de Sudermann, Eisgang de Max Halbe, des pièces de Pissemski, Gogol, Zola... Elle affirma cependant son originalité (et sa liberté vis‑à‑vis de ses statuts) en montant quelques classiques : Kabale und Liebe et Die Räuber de Schiller, Maria Magdalene de Hebbel, DerErbförster d’Otto Ludwig.
Les ambiguïtés entretenues par Bruno Wille sur la nature de son entreprise (fondation indépendante ou filiale de la social-démocratie ?), puis les querelles qui l’opposèrent, au cours de l’été et au congrès de Halle, aux leaders du parti, créèrent d’abord un mouvement de recul chez les adhérents potentiels de l’association. Le prolétariat socialiste ne voulait pas encourager l’initiative d’un dissident ; les éléments petits‑bourgeois du public populaire hésitaient à s’engager dans une entreprise socialiste. L’organisation ne prit son essor qu’après avoir clairement adopté, grâce à l’action d’un des membres du comité directeur, Julius Türk, l’image d’une association militante placée sous l’égide du parti. La Freie Volksbühne organisa des réunions de propagande dans les quartiers ouvriers où elle recruta une, puis deux nouvelles sections. À partir de février 1891, l’élément prolétarien dominait nettement le public de la Freie Volksbühne.
Ce public a laissé un souvenir très vif à tous ceux qui l’ont connu : attentif et enthousiaste, mais naïf, bruyant, extroverti, il ne ressemblait en rien aux autres publics des théâtres de Berlin. L’alcoolisme, la promiscuité, et toutes les images de la dépravation sociale étalées dans les drames naturalistes, le laissaient indifférent ou l’amusaient. Il se laissait capturer par l’illusion au point de ne pouvoir réprimer son enthousiasme ou son indignation. Des interjections, des applaudissements interrompaient le dialogue. Des protestations, émises par le reste de la salle, gênée dans son attention, les réprimaient aussitôt... Les blâmes et les encouragements allaient aux situations, jamais au jeu des acteurs, que le public distinguait à peine des personnages dont ils portaient le costume. Le public de la Freie Volksbühne n’avait aucun goût. Il était aussi insensible à la virtuosité qu’aux fausses notes relevées par la critique, souvent choquée par des négligences de mise en scène et d’interprétation, par le mélange de diction naturaliste et de déclamation traditionnelle en particulier, défaut le plus fréquent des formations composites réunies pour les spectacles de l’association. Mais l’enthousiasme des spectateurs faisait oublier ces faiblesses. Les acteurs berlinois jouaient volontiers pour la Freie Volksbühne. Quelques‑uns des plus célèbres d’Allemagne, Josef Kainz, Emil Reicher, Eduard von Winterstein par exemple, acceptèrent parfois, et souvent de façon bénévole, de venir rehausser la distribution.
- 11 Aus dem Urteil des Oberverwaltungsgerichtes vom 8. Mai 1892, cit. in : Selo, p. 198.
Le public de la Freie Volksbühne, mal dégrossi sur le plan esthétique, s’avérait par ailleurs fortement politisé. Il applaudissait frénétiquement toute réplique évoquant les slogans de l’agitation social-démocrate. Il était heureux de reconnaître une « tendance » conforme à celle de son parti. Des conférences préparatoires lui apprenaient à retirer les enseignements politiques de l’œuvre qu’il allait voir : la corruption des classes privilégiées annonçait leur déclin, les injustices subies par les plus pauvres susciteraient leur révolte et leur délivrance. Les œuvres naturalistes montraient « l’inanité et la fragilité » (die Hohlheit und die Unhaltbarkeit)11 de la société présente. Elles faisaient pressentir le caractère inévitable de son prochain engloutissement. Elles confirmaient le message optimiste que l’ouvrier social-démocrate avait retenu du marxisme : le capitalisme allait périr sous le poids de ses propres contradictions. Il manquait, bien sûr, à ce théâtre, l’élan militant dont le prolétaire aurait eu besoin. Il se complaisait trop dans la peinture du désespoir et trahissait par là sa nature bourgeoise, mais il était une première approximation de l’œuvre d’art socialiste qui verrait le jour avec les bouleversements prédits par Marx.
Ces réunions, où la littérature était retaillée aux mesures de la social-démocratie, servirent bientôt de prétexte à des tracasseries policières qui allaient handicaper la vie de l’association pendant plus de deux ans, provoquer son éclatement et la dissolution temporaire d’une des deux sociétés nées de la scission.
- 12 « ... so erscheint die Annahme begründet, dass auch diese « Freie Volksbühne » der sozialdemokratis (...)
Les observateurs délégués par la police aux réunions et aux représentations de la Freie Volksbühne furent bientôt convaincus qu’elles étaient « avant tout destinées à servir la propagande social-démocrate »12. La Freie Volksbühne « visait à agir sur la vie publique », elle entrait ainsi dans la deuxième des catégories définies par la loi de 1850. Elle devait donc transmettre à la police les listes, régulièrement mises à jour, de tous ses membres. Ses représentations, données pour un public trop nombreux et anonyme pour pouvoir passer pour privées, devraient dorénavant être soumises à la censure.
- 13 Cit in Braulich, p. 47.
Le comité directeur tomba d’accord pour renoncer aux réunions de préparation, qui ressemblaient trop à des meetings politiques, et les remplaça par un bulletin mensuel. La mesure n’apaisa la police qu’un temps. Fallait‑il continuer à marchander avec elle ? édulcorer, pour lui plaire, les objectifs de l’association ? La direction, profondément divisée déjà par des questions de personnes et des divergences idéologiques, se scinda sur la question de la tactique à adopter. « Wir wollen auf öffentliche Angelegenheiten einwirken, und wir sind stolz darauf »13, telle était la déclaration par laquelle Julius Türk et son camp étaient prêts à faire de la Freie Volksbühne un instrument de combat, quitte à jouer son existence. Mais pour Wille et son groupe, l’art était une fin en soi et l’association ne devait pas risquer sa vie en s’opposant à l’État.
Après une série de rencontres houleuses, la rupture eut lieu le 11 octobre. Bruno Wille et plus de 200 de ses partisans quittèrent l’assemblée générale pour aller fonder aussitôt une nouvelle société, la Neue Freie Volksbühne, indépendante du parti social‑démocrate, entièrement dévouée à l’élévation du peuple par l’art.
Le reste de l’assemblée, représentant près des trois quarts des adhérents, élut à la présidence Franz Mehring, un homme de parti proche des chefs historiques, rédacteur de la Neue Zeit, organe de réflexion théorique et gardien de l’orthodoxie marxiste, fondé par Karl Kautsky en 1883. Franz Mehring (1846‑1919), est un des rares représentants de la première génération social-démocrate à avoir évolué vers des positions toujours plus radicales. C’est lui qui fondera, en 1914, la ligue spartakiste. En se donnant ce chef, la Freie Volksbühne manifestait clairement son attachement à la tutelle du parti et à la priorité du combat politique. Franz Mehring avait observé l’entreprise de Bruno Wille avec scepticisme. Elle dégageait des relents d’esthétisme et de paternalisme bourgeois, et il l’avait critiquée sans ménagement dans sa revue :
« Pour les lecteurs de la Neue Zeit, il va de soi que toute ‘instruction populaire’ cherchant à réconcilier l’ouvrier et la société actuelle et cherchant à le détourner du combat pour son émancipation n’est qu’un ensemble de sornettes que l’on se hâtera de mettre au rebut ».
Et puis le théâtre était une arme bien faible :
- 14 Die Neue Zeit, cit. in : Nichts muss bleiben…
« Dans la lutte du prolétariat pour son émancipation, le théâtre ne jouera jamais de rôle déterminant, ni même de rôle influent. Seuls d’incorrigibles Gribouille peuvent se faire des illusions à ce sujet »14.
En 1882, Franz Mehring consacrait cependant une part importante de ses réflexions aux questions culturelles : il travaillait alors à sa Lessing‑Legende, première tentative systématique d’interprétation marxiste d’un chapitre d’histoire de la littérature. Ses recherches l’avaient persuadé de l’importance des questions culturelles et de la nécessité de concéder au prolétariat des satisfactions esthétiques.
- 15 Die Neue Zeit, Aug. 1893, cit. in : Braulich, p.49.
« L’art est si intimement lié à la vie de l’homme que les goûts et les besoins artistiques du prolétaire ne feront que s’affirmer au fur et à mesure que le mouvement ouvrier lui restituera sa dignité d’homme. Vouloir étouffer cette aspiration serait tout aussi impossible que déraisonnable. Il faut simplement veiller à ne pas la laisser devenir envahissante. Mais, sur ce point, le bon sens instinctif de la classe ouvrière l’aidera à trouver la bonne mesure »15.
- 16 cit. in : Selo, p. 157.
- 17 Die Volksbühne, April 1894, cit. in : Selo, p. 161. Les réponses des adhérentes sont inutilisables (...)
Ce fut l’esprit dans lequel il dirigea l’association : la Freie Volksbühne correspondait à un besoin « que l’on ne pouvait pas étouffer », mais qui ne devait pas « détourner du combat », ni « devenir envahissant ». Mehring géra la Freie Volksbühne en tremblant devant ses succès. L’assainissement opéré par la scission entraînait en effet un regain de faveur pour l’association majoritaire. En janvier 1893, il fallut créer une quatrième section, puis en envisager une cinquième au début de la saison suivante, mesure à laquelle il s’opposa d’abord car il craignait que le nombre croissant d’adhérents n’ouvre la porte à des éléments petits‑bourgeois. « La Freie Volksbühne ne doit pas être une organisation de consommateurs procurant à bon compte des représentations théâtrales au plus grand nombre possible »16. L’assemblée générale se prononça tout de même pour la création d’une cinquième, puis, en janvier 1894, d’une sixième section. Pour rassurer leur président, des adhérents réalisèrent en 1894 une enquête sur l’activité professionnelle des 6 812 membres que comptait alors la Freie Volksbühne ». 3 236 des 3 272 adhérents masculins17 exerçaient un métier manuel ; l’élément prolétarien dominait incontestablement l’association. Sa croissance n’était donc pas la conséquence d’infiltrations bourgeoises, mais d’un besoin croissant d’art et de littérature.
Cette évolution était‑elle de nature à rassurer Mehring ? Signalait‑elle au contraire les méfaits d’une aliénation croissante ? La littérature dramatique contemporaine n’offrait rien, aux yeux de Mehring, qui réponde aux besoins du prolétariat. Il la refoula autant qu’il le put. Socialisme et naturalisme, loin de converger, comme Bruno Wille l’avait cru, s’opposaient de façon toujours plus nette. Le théâtre qui convenait au peuple, c’est encore chez les auteurs classiques que l’on avait le plus de chances de le trouver.
- 18 Die Neue Zeit, 15. Jg., 1. Bd., Nr. 5, cit. in : Selo, p. 182.
« Il ressort de notre expérience pratique qu’on peut résumer cette opposition entre socialisme et naturalisme en disant que le trait fondamental de l’art moderne est son profond pessimisme tandis que celui du prolétariat moderne est son profond optimisme. Toute classe révolutionnaire est optimiste ; comme l’a dit un jour Rodbertus, peu avant sa mort, elle voit l’avenir nimbé d’un merveilleux halo rose. L’art moderne, tout au contraire, est profondément pessimiste. Il ne voit aucune issue à la misère qu’il décrit avec prédilection... Si l’ouvrier n’aime pas l’art moderne, ce n’est pas parce qu’il manque de sens artistique : la preuve en est son enthousiasme pour les classiques, chez lesquels il ne trouve pas trace de sa conscience de classe, mais qui ont cet esprit alerte et combatif dont il déplore l’absence dans l’art moderne... »18.
La part du répertoire classique augmenta sensiblement sous la direction de Mehring, passant du cinquième au quart du répertoire. 9 des 36 pièces montées sous sa responsabilité étaient dues à la plume d’auteurs éprouvés par le temps : Lessing, Kleist, Goethe, Calderon, Schiller, Grillparzer, Molière et Gutzkow. Mais les œuvres modernes, réalistes et naturalistes, continuèrent à dominer les programmes. Ibsen, Hauptmann, Sudermann et Anzengruber restaient les auteurs les plus joués. Die Weber de Hauptmann, donnés en décembre 1893, furent l’événement le plus marquant des premières années de la Freie Volksbühne. L’effet produit par cette représentation d’une révolte ouvrière sur un public prolétarien fortement politisé fut presque aussi explosif que la police et Hauptmann lui‑même le craignaient. Pour les responsables sociaux‑démocrates, Die Weber était l’œuvre contemporaine qui se rapprochait le plus de l’œuvre d’art révolutionnaire dont ils attendaient l’apparition, mais bien des insuffisances séparaient encore, selon Franz Mehring, le drame de Hauptmann de l’idéal socialiste.
- 19 cit. in : Nichts muss bleiben... Le caractère révolutionnaire que Mehring conteste à la pièce de Ha (...)
« Même si, de tous les drames modernes, Les tisserands est celui qui correspond le mieux à l’esprit émancipateur et prolétarien qui a donné naissance à notre ‘Freie Volksbühne’, cette pièce n’est pas révolutionnaire [...] à aucun moment n’apparaît l’espoir que, de ce sang‑là, rejaillira le héros, puissant, irrésistible, qui les vengera »19.
Mais auteurs classiques ou contemporains naturalistes n’étaient que des pis‑aller permettant d’assurer la transition entre le théâtre bourgeois et le drame socialiste de l’avenir. Fallait‑il se préparer à accueillir le second en continuant indéfiniment à jouer le premier ? La Freie Volksbühne tenta de promouvoir des œuvres conformes au langage et à l’attente de la social-démocratie : Der freie Wille (novembre 1892) de Faber, Andere Zeiten (janvier 1893) de Bader, Das Fest auf der Bastille (juin 1894) de Held, trois pièces d’auteurs restés si obscurs que l’on ne retrouve nulle part ne serait‑ce que leurs prénoms. Le succès fut si médiocre que l’expérience ne fut presque jamais renouvelée. La Freie Volksbühne attendit désormais que le drame socialiste s’impose de lui‑même et ne s’engagea que passagèrement pour l’œuvre d’auteurs réalistes, proches du socialisme, tels qu’Emil Rosenow ou Otto Ernst.
Convaincu des bienfaits de la démocratie, Franz Mehring se plia finalement aux critiques et aux vœux émis au cours des assemblées générales, devenues plus nombreuses sous sa présidence. Ceci explique la permanence des œuvres modernes et une légère augmentation de la part des divertissements comiques. Mais Mehring n’était pas de ces natures conciliantes prêtes à céder sur les principes au nom de la paix et de l’unité. Si elle s’institutionnalisait, l’orientation prise par la Freie Volksbühne engageait le prolétariat sur une pente néfaste. Il eut finalement la chance que la reprise des tracasseries policières vienne mettre fin à son dilemme en lui donnant l’occasion d’éprouver la valeur de l’association en tant qu’instrument de combat politique.
- 20 Freie Bühne, Freie Volksbühne, Neue Freie Volksbühne, Versuchsbühne.
En avril 1895, le ministre prussien de l’Intérieur décida d’en finir avec la provocation permanente que représentaient à ses yeux les Freie Bühnen de Berlin20. Il décréta leurs représentations publiques et soumises en tant que telles à la censure. Les spectacles annoncés ne s’étant pas soumis à son contrôle dans les délais requis furent interdits. Les divergences qui s’étaient affrontées trois ans auparavant purent s’exprimer, à la tête de chacune des deux Volksbühnen, par l’adoption de tactiques radicalement différentes.
Depuis la sécession d’octobre 1892, la Neue Freie Volksbühne n’arrivait pas à constituer plus d’une section. Sa fragilité devenait, sous les coups du ministre de l’Intérieur, tout à fait préoccupante. Le comité directeur adopta la politique de repli stratégique autrefois refusée par la majorité de la première Volksbühne. L’association contesta, devant la justice, le caractère « public » que lui avait octroyé le ministre, puis s’engagea dans de patients marchandages qui lui permirent de retrouver, en novembre 1896, avec des statuts modifiés, la plupart de ses privilèges de société privée, dispensée de censure préalable. Mais elle avait courbé l’échine et toléré, une saison durant, l’odieux contrôle de la censure, qui n’autorisa que quatre des dix spectacles annuels.
- 21 « Eine imposante Kundgebung gegen die Zensur », Vorwärts, 24. April 1895, cit. in : Oschilewski, p. (...)
- 22 La Freie Volksbühne se référait à l’article 27 de la Constitution prussienne : « Jeder Preusse hat (...)
La Freie Volksbühne adopta au contraire d’emblée l’attitude la plus intransigeante. L’assemblée générale convoquée pour le 23 avril 1895 se transforma en une « imposante manifestation »21 contre la censure et adopta à une forte majorité la proposition de Franz Mehring qui engageait la société à suspendre immédiatement toutes ses activités. La Freie Volksbühne ne les reprendrait qu’après avoir triomphé de la censure, but qu’elle avait l’ambition d’atteindre en forçant l’État prussien à reconnaître l’illégalité de la censure des pièces de théâtre22. Le procès intenté par la Freie Volksbühne n’avait aucune chance de succès. Il se prolongea durant deux ans et fut perdu devant toutes les instances. L’association, qui s’était elle‑même privée de toutes ses manifestations, et même de son bulletin, se dispersa puis prononça sa dissolution en apprenant, le 9 mars 1896, le rejet définitif de sa plainte.
Cette campagne chevaleresque, mais désespérée, n’était pas cependant une manifestation de don-quichottisme. En recommandant la suspension de toutes les activités culturelles, puis la poursuite de ce procès suicidaire, Franz Mehring avait le sentiment de ramener dans le droit chemin du combat politique une institution social-démocrate en voie de perdition idéologique. Il ne pouvait pas ignorer que l’assaut auquel il l’envoyait signifiait sa liquidation. Il prit pourtant cette décision, et il le fit certainement d’un cœur léger. La spontanéité avec laquelle la Freie Volksbühne s’associa au défi lancé par son chef et la discipline dont elle fit preuve en se sabordant par idéal politique montre pourtant qu’elle continuait à s’identifier, avec une loyauté irréprochable, au parti social‑démocrate.
La Freie Volksbühne laissait un vide que la Neue Freie Volksbühne ne réussit pas à combler (le nombre de ses adhérents continuait à stagner autour du millier), et une nostalgie tenace dans le souvenir de ses anciens adhérents qui refusaient à la fois de rallier la société rivale et de fréquenter individuellement les théâtres bourgeois.
Fallait‑il, au nom du tout ou rien défendu par Mehring, entretenir chez les 6 000 anciens membres de l’organisation dissoute une frustration que les circonstances justifiaient à peine ? L’exemple de la Neue Freie Volksbühne prouvait que les accommodements étaient possibles, que la flambée de rigueur du ministre n’était qu’une manœuvre d’intimidation tentée par un pouvoir indécis, conscient de mener un combat d’arrière‑garde. Ne valait‑il pas mieux ressusciter l’organisation en négociant, comme l’avait fait la société de Bruno Wille, de nouveaux statuts ? La permanence des regrets exprimés par les anciens adhérents de la Freie Volksbühne, dans leurs lettres au Vorwärts en particulier, décidèrent finalement les responsables de fonder l’association une nouvelle fois. Une assemblée fut convoquée pour le 12 mars 1897. Huit cents personnes répondirent à l’appel. L’association ramenée à la vie ébaucha une modification de ses statuts et se donna pour président Conrad Schmidt, un des cofondateurs de la première Freie Volksbühne, personnalité social‑démocrate bien connue, rédacteur au Vorwärts, frère de l’artiste Käthe Kollwitz dont les dessins et lithographies passent aujourd’hui encore pour le meilleur exemple de ce que peut réussir l’art engagé pour la cause socialiste.
La Freie Volksbühne reconstituée retrouva en moins d’un an ses six sections, en créa une septième en 1900, mais décida, face aux difficultés d’organisation suscitées par son succès, de limiter le nombre de ses membres à 7 500. Une enquête statistique entreprise à ce moment, établit une légère augmentation des représentants des classes moyennes, moins de 4 % du public de la Freie Volksbühne cependant, qui gardait presque intact son caractère prolétarien.
- 23 Deux des pièces de Hauptmann, d’inspiration symboliste ou mystique doivent être elles aussi rangées (...)
Conrad Schmidt, président de l’association jusqu’en 1918, s’efforça de répondre sans concessions démagogiques aux aspirations de ses adhérents. Ceux‑ci n’abandonnaient plus, comme autrefois, les décisions esthétiques aux spécialistes du comité directeur. Leur goût s’était formé. Ils s’étaient constitué un fonds culturel qui les autorisait à émettre un avis, et ils étaient avant tout fidèles à leurs premières amours. Les drames réalistes et naturalistes du dernier tiers du xixe siècle continuèrent à dominer le répertoire. Ibsen, Hauptmann, Anzengruber y tiennent la première place. Les auteurs russes et scandinaves dont la découverte avait été déterminante pour la renaissance du théâtre berlinois, Tolstoï, Gogol, Bjørnson et Strindberg y sont également bien représentés. La Freie Volksbühne s’ouvrit cependant à des auteurs plus jeunes qui évoluaient dans la tradition de ces aînés, faisant une place, aux côtés de Hauptmann, à Otto Erich Hartleben, Max Dreyer, Arthur Schnitzler, ou, parmi les auteurs étrangers, à Bernard Shaw et surtout à Maxime Gorki, découvert par les Berlinois en 1903 avec le succès sensationnel des Bas‑Fonds (Nachtasyl), mis en scène par Max Reinhardt. La Freie Volksbühne ne s’est pas tout à fait coupée non plus des formes symbolistes, impressionnistes ou néo‑romantiques du théâtre contemporain : Maeterlinck, Oscar Wilde ou Emil Hardt apparaissent également dans ses programmes23.
Deux éléments caractérisent l’évolution de la Freie Volksbühne : la part croissante du répertoire classique, qui finit par être, en 1908, presque aussi bien représenté que le groupe défini plus haut, et l’augmentation progressive des œuvres de divertissement (les succès parisiens de Sardou, Emile Augier ou Courteline par exemple), augmentation qui se fait au détriment du répertoire classique. À partir de 1900, la Freie Volksbühne donnera aussi des opéras (Le Freischütz, Le Barbier de Séville, Carmen, Fidelio, etc.) et un nombre croissant d’opérettes de Lortzing, Strauss ou Offenbach.
Les mêmes spectacles figuraient le plus souvent au programme des deux Volksbühnen, la Neue Freie Volksbühne faisant œuvre de pionnier, la Freie Volksbühne reprenant, avec une ou deux saisons de retard, les succès de sa rivale. Les projets de réunification émis de part et d’autre se heurtaient cependant au refus d’une majorité d’adhérents de la Freie Volksbühne toujours soucieux de défendre leur association contre « l’envahissement » jadis dénoncé par Franz Mehring.
La sécession de Bruno Wille (placée en 1902 sous la présidence de Josef Ettlinger et habilement gérée par Heinrich Neft et Georg Springer) offrait un programme plus imaginatif et beaucoup plus abondant que celui de l’association restée soumise aux chaperons sociaux‑démocrates. Plus souple aussi dans son organisation, elle renonça bientôt à monter elle‑même toutes ses pièces, se contentant de louer, pour le compte de ses adhérents, une sélection des meilleurs spectacles de Berlin. Tout en maintenant très haut le niveau de ses ambitions, la Neue Freie Volksbühne pratiquait une propagande active pour élargir son recrutement et se montrait prête à intégrer toutes les couches sociales – tandis que la Freie Volksbühne instaurait un numerus clausus et vérifiait périodiquement le caractère prolétarien de son public. La Neue Freie Volksbühne proposait des programmes musicaux – opéras et concerts populaires – toujours plus abondants. Elle réussit, à partir de 1904, à s’assurer la collaboration de Max Reinhardt, le « magicien » de la scène allemande, auteur de mises en scène où les techniques les plus neuves (projecteurs, plateau tournant, machinerie électrique) étaient placées au service d’une esthétique impressionniste habilement renouvelée de spectacle en spectacle. La Neue Freie Volksbühne rattrapa l’association de Conrad Schmidt en 1904. Cinq ans plus tard, elle avait déjà 27 000 membres et envisageait l’édification de son propre théâtre. Avec ses 50 000 adhérents, elle constituait en 1912 une véritable cité culturelle à l’intérieur de la capitale. Le gouvernement prussien, impuissant à combattre cette association, s’était résolu à en tirer du moins des revenus fiscaux par l’institution d’un « Lustbarkeitssteuer ».
La Freie Volksbühne au contraire, bien que liée au parti le plus puissant du Reich, gardait un caractère paroissial. Son bulletin, étroitement refermé sur la vie de l’association, continuait à publier d’honnêtes comptes rendus des prochains spectacles, analysés selon la perspective de classe. Son programme ne sort de la routine que sous l’impulsion de la société concurrente. Ses réalisations, désertées depuis longtemps par la critique, jouées pour un public acquis d’avance, invitent les acteurs au laisser‑aller... Mais l’association reste vivante par la fraternité qui unit ses membres, par ses manifestations de solidarité envers les camarades en conflit avec le pouvoir capitaliste, à Berlin et dans le reste du Reich, par des traditions telles que ses réunions de plein air (Waldfeste), ses fêtes du 1er mai, ses concerts de la Saint‑Sylvestre ou ceux de sa « chorale ouvrière », dont les quelque deux cents participants forment le groupe le plus vivant.
- 24 Au congrès de Gotha, en 1896, en particulier, à propos de la revue Die Neue Welt du camarade Edgar (...)
Les deux sociétés présentaient des visages différents, mais leur division n’avait plus, depuis la résurrection de la Freie Volksbühne, de base objective. Le principe fondateur, « apporter l’art au peuple » (Die Kunst dem Volke), ne dictait‑il pas l’activité de l’une et de l’autre ? La social‑démocratie avait renoncé à exercer son contrôle sur les questions esthétiques. Les congressistes de ces assemblées annuelles s’étaient trop souvent et vainement échauffés24 à ce propos. Elle avait rangé ce sujet, comme d’autres interrogations embarrassantes, la question religieuse par exemple ou celle de l’anti-alcoolisme, parmi les « affaires privées » dont chacun devait décider à sa guise. Le parti social-démocrate, première puissance parlementaire du Reich depuis 1912, pouvait, sans se sentir miné de l’intérieur, tolérer la réunion de son groupe berlinois d’amis du théâtre avec celui, plus nombreux, composite et hétérodoxe de la Neue Freie Volksbühne. Les deux sociétés formèrent en 1913 un cartel réunissant soixante‑dix mille adhérents. La fusion définitive ne se fera qu’en 1920. Chaque société gardait son comité directeur et, jusqu’en 1914, son bulletin, mais leurs ressources et toutes leurs manifestations étaient mises en commun. La Neue Freie Volksbühne (présidée depuis 1912 par Georg Springer) était massivement majoritaire. L’initiative artistique lui revenait. Les goûts de son public allaient dicter les programmes, et ce qui caractérisait ce public, c’était une nette prédominance des motivations esthétiques. L’extraordinaire croissance de la Neue Freie Volksbühne date du début de sa coopération avec Max Reinhardt. Il est hors de doute que la fascination de ses spectacles et la possibilité offerte par l’association d’y avoir un accès commode et bon marché ont joué un rôle déterminant dans l’afflux des adhérents. Institution destinée à diffuser à grande échelle des spectacles et des concerts, le cartel des Volksbühnen avait perdu tous les traits d’une organisation de classe. La notion de « peuple », avec toutes ses ambiguïtés et, comme la guerre allait bientôt le montrer, ses implications chauvines, remplaçait désormais celle de prolétariat.
Les Volksbühnen gardaient cependant de leurs origines quelques pratiques : les assemblées générales, le bénévolat des organisations et du service d’ordre, le tirage des places au sort, et certains rites : les fêtes de mai, l’imposant concert populaire de la Saint‑Sylvestre, l’inévitable ixe Symphonie et son Hymne à la joie entonné par les 500 choristes de l’« Arbeiterchor » devenu « Volkschor »... Les associations gardaient de leurs liens avec la social-démocratie un regard optimiste, conquérant, porté vers l’avenir, et un indéniable attachement aux idées progressistes. L’organisation, la composition sociale et l’idéologie du cartel échappaient au parti, mais sa mainmise était-elle nécessaire ? La social‑démocratie savait qu’elle y était majoritaire, comme elle l’était dans la population berlinoise elle‑même. À ce point de son histoire, le mouvement des Volksbühnen reflétait l’évolution de la social-démocratie entre son retour à la légalité et la déclaration de guerre. On constatait, chez l’un et chez l’autre, le même dépérissement des positions sectaires, le même attachement à des idéaux révolutionnaires toujours plus platoniques, les même progrès dans la conquête des masses.
En se réunissant, Freie Volksbühne et Neue Freie Volksbühne décidaient aussi d’œuvrer en commun à l’édification d’un théâtre dont on avait confié les plans à l’architecte Oscar Kaufmann. La première pierre fut posée le 14 décembre 1913. Le théâtre, inauguré en 1915 au Bülowplatz (aujourd’hui Luxemburgplatz), devait être le plus vaste et le plus moderne de Berlin. La perfection des équipements techniques et l’élégance de la salle (un exemple intéressant de transition entre le Jugendstil et le fonctionnalisme) récompensaient les efforts de milliers de souscripteurs populaires. L’actuelle Volksbühne de Berlin‑Est, une restauration sommaire du monument plusieurs fois bombardé à la fin de la guerre, ne laisse plus rien paraître de l’ancienne splendeur.
Avec la formation du cartel, puis l’édification d’un théâtre qui apportait au peuple non seulement l’art, mais le luxe, la Freie Volksbühne ne s’était-elle pas laissé submerger par les idéologies bourgeoises ?
Franz Mehring, qui avait accepté de participer aux travaux du comité directeur de la Freie Volksbühne restaurée, en 1897, démissionnait de ses fonctions un an plus tard, mécontent des choix de Conrad Schmidt. La Freie Volksbühne s’entêtait à satisfaire les aspirations du prolétariat à une culture qui n’était pas la sienne. Elle contribuait à dénaturer le mouvement ouvrier en le réconciliant, par l’apport de satisfactions ponctuelles, avec la société bourgeoise. Cette critique n’était pas isolée. Elle se fondait sur le texte qui, depuis 1872, définissait les positions de la social‑démocratie face aux questions culturelles : le discours prononcé par Wilhelm Liebknecht devant l’Arbeiterbildungsverein de Dresde, édité sous le titre : Wissen ist Macht.
- 25 Liebknecht, p. 94. Ce texte donne un curieux exemple de perversion du message par le titre. Wissen (...)
« Si nous renonçons au combat politique, nous renonçons à la culture et au savoir. “Accéder à la liberté par la culture”, c’est la mauvaise formule. Nous rétorquons : ‘Il faut accéder à la culture par la liberté !’. Ce n’est que dans un État libre et démocratique que le peuple pourra accéder à la culture. Ce n’est que si le peuple conquiert le pouvoir politique que les portes du savoir s’ouvriront devant lui. Sans pouvoir pour le peuple, pas de savoir ! Savoir, c’est pouvoir, pouvoir, c’est savoir ! »25
Conrad Schmidt ne faisait pourtant qu’appliquer au cas particulier de la Freie Volksbühne la politique de compromis réformistes adoptée par la majorité du parti, politique dont la cohérence reposait sur le respect des règles démocratiques et, par conséquent, sur une écoute attentive des vœux émis par la base. Le peuple social‑démocrate avait choisi de s’installer le plus confortablement possible à l’intérieur de la société bourgeoise, en attendant sa chute inéluctable. Il s’acharnait à croire, en dépit de ce qu’affirmaient Marx, Liebknecht ou Mehring, que son émancipation passait d’abord par la conquête des biens culturels, et non par celle d’un pouvoir sans partage. Le prolétariat berlinois refusait d’attendre l’aube des temps nouveaux pour jouir des bienfaits de la culture, et il le manifestait par son adhésion aux deux Volksbühnen comme par sa participation aux « écoles » et aux « universités ouvrières » qui avaient pris le relais des associations culturelles des années 80. Il n’était pas disposé non plus à attendre la naissance du drame socialiste pour commencer à aller au théâtre. Élève attentif des maîtres qui disséquaient à son intention, dans le bulletin mensuel de l’association, le contenu idéologique des œuvres qu’il allait voir, il s’était composé à l’intérieur du répertoire du Bildungsbürger, une anthologie de pièces constituant à la fois le cœur de sa culture théâtrale et l’expression littéraire de sa foi révolutionnaire.
- 26 Die Volksunterhaltung, Jg. 8. Nr. 9, cit. in : Selo, p. 182.
Une enquête réalisée en septembre 1906 auprès des auditeurs d’une des universités ouvrières de Berlin26 sur leurs pièces préférées fait apparaître, en tête de liste, trois œuvres classiques : Kabale und Liebe, Wilhelm Tell et Die Räuber, et deux œuvres du théâtre moderne : Les Bas‑Fonds et Die Weber. Si elle exprime vraiment la quintessence de la culture dramatique des prolétaires berlinois, cette liste atteste le succès de la Volksbühne, car elle témoigne d’une bonne vue d’ensemble des répertoires classique et contemporain et de discernement dans l’interprétation de leur message.
- 27 En août 1913, Freie Volksbühne, bulletin de l’association de Conrad Schmidt, proposait aux membres (...)
Estimant que le meilleur ne serait jamais trop bon pour le peuple, le cartel des Volksbühnen confiera en 1915 la direction de son théâtre à Max Reinhardt, qui allait y monter, avec le concours des stars du théâtre berlinois – Emil Jannings, Ernst Lubitsch, Alexander Moissi, Else Lehmann, etc. – des mises en scène admirées dans le monde entier. Le mouvement d’éducation populaire qui se proposait, vingt‑cinq ans plus tôt, d’apporter « l’art du peuple » était allé si loin dans la réalisation de son programme qu’il revendiquait à présent le meilleur de l’art au peuple27.
De telles exigences contredisaient l’image d’un prolétariat ascétique, et cette représentation, cultivée par une partie des leaders sociaux-démocrates, faisait effectivement apparaître les réalisations des Volksbühnen comme une œuvre d’aliénation. Mais ce reproche (que l’on retrouve dans le plus récent des livres consacrés au mouvement, l’étude du chercheur est‑allemand Heinrich Braulich) ne repose‑t‑il pas précisément sur une vision irréaliste du prolétariat, inspirée par le désir d’adapter les faits à la théorie, au mépris même de la règle de pensée marxiste postulant que « la pratique est le critère de la vérité » ? Les critiques émises à propos de la Freie Volksbühne étaient inspirées par une conception de la social‑démocratie qui la condamnait au ghetto. L’ascétisme est un programme qui n’a jamais mobilisé durablement les masses, et la social démocratie avait choisi de s’imposer par les majorités parlementaires, et donc par la conquête des foules. Y serait‑elle parvenue en prêchant continuellement le renoncement ?
- 28 Les Volksbühnen ne se sont imposées qu’à Berlin. Les imitations suscitées par leur exemple à Cologn (...)
Mais la réussite de la Freie Volksbühne n’a pas seulement consisté à conquérir le publie populaire berlinois28 – Son succès avait fait apparaître le caractère désuet et rétrograde des conceptions élitistes encore si fortement implantées chez les amateurs et chez les artistes à la fin du xixe siècle. La Freie Volksbühne avait ainsi ouvert des perspectives vraiment révolutionnaires à l’art du xxe siècle. On retrouve dans le mouvement qui l’a portée le germe de ce qui fera l’originalité et la force de l’avant‑garde la plus féconde sous la république de Weimar : la volonté de conquérir les masses, le souci de créer des œuvres d’art adaptées aux techniques de reproduction et de diffusion les plus efficaces. Ce sont ces préoccupations qui expliquent la précoce maturité du cinéma allemand. Ce sont elles qui dictent l’enseignement du Bauhaus. On reconnaît leur influence dans les mises en scène de Piscator ou dans le théâtre épique de Bertolt Brecht – même si cette avant-garde là fut assez mal accueillie à la Freie Volksbühne devenue, après la guerre, en majorité conservatrice. Réalisée grâce à l’entremise des Volksbühnen, la rencontre entre théâtre et social‑démocratie avait contribué à ouvrir la voie aux orientations les plus neuves de l’art moderne.
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Die Neue Welt,
Notes
1 Zehn Tage, die die Welt erschütterten (1957), Horizonte (1969), Die Schlacht (1975), Die Bauern (1976).
2 Il y en aura 38 en 1900, d’après le Jahrbuch des Deutschen Theaters, cit. in : Winterstein, p. 127.
3 Otto Brahm, Bd. 1, p. 252.
4 Voir la remarque de Paul Linsemann (p. 64) « Bei Kalisch, Pohl Salingré und Weirauch steckten oft in einer Szene mehr Beobachtung des Lebens und mehr Humor als in den gesammelten Werken eines der Modernen [...] Die Berliner Posse ist tot, wir haben nur noch Pariser Possen, die dreiste, freche und amüsante Zote. »
5 Article de Gustave Schubert dans Die Gartenlaube 1887, Nr. 6, cit. in : Braulich, p.221.
6 Les clubs ouvriers portaient, pour mieux tromper la police, des noms étrangers ou anodins suggérant le culte de marottes inoffensives. Il s’appelaient par exemple « Kamel‑Klub », « Müller und Schulze », « Piepenkorn », « Pipifax »... Voir Braulich, p. 221.
7 Willi Wach, traduit par Edgard Milhaud, Revue Socialiste, p. 641.
8 Freie Volksbühne 1890, Neue Freie Volksbühne 1892, Versuchsbühne 1894, Giordano-Bruno-Bund 1901, Freie Hochschule 1902.
9 Cit. in : Selo, p. 186.
10 Berliner Volksblatt. 10. Aug. 1890, cit. in : Selo, p. 187.
11 Aus dem Urteil des Oberverwaltungsgerichtes vom 8. Mai 1892, cit. in : Selo, p. 198.
12 « ... so erscheint die Annahme begründet, dass auch diese « Freie Volksbühne » der sozialdemokratischen Propaganda gewidmet sein soll.. » Ibid., Selo, p. 196.
13 Cit in Braulich, p. 47.
14 Die Neue Zeit, cit. in : Nichts muss bleiben…
15 Die Neue Zeit, Aug. 1893, cit. in : Braulich, p.49.
16 cit. in : Selo, p. 157.
17 Die Volksbühne, April 1894, cit. in : Selo, p. 161. Les réponses des adhérentes sont inutilisables car elles confondent généralement le métier de la femme et celui du conjoint.
18 Die Neue Zeit, 15. Jg., 1. Bd., Nr. 5, cit. in : Selo, p. 182.
19 cit. in : Nichts muss bleiben... Le caractère révolutionnaire que Mehring conteste à la pièce de Hauptmann, il le décèle dans des œuvres telles que Kabale und Liebe, repris en février 1894, ou Emilia Galotti, jouée en septembre de la même année.
20 Freie Bühne, Freie Volksbühne, Neue Freie Volksbühne, Versuchsbühne.
21 « Eine imposante Kundgebung gegen die Zensur », Vorwärts, 24. April 1895, cit. in : Oschilewski, p. 21.
22 La Freie Volksbühne se référait à l’article 27 de la Constitution prussienne : « Jeder Preusse hat das Recht, durch Wort, Schrift, Druck und bildliche Darstellung seine Meinung frei zu äussern. » cit. in : Nestriepke, p. 134. Le ministre de l’Intérieur rétorquait que le théâtre n’entrait dans aucune des catégories définies par la loi.
23 Deux des pièces de Hauptmann, d’inspiration symboliste ou mystique doivent être elles aussi rangées dans cette catégorie : Die versunkene Glocke, Hanneles Himmelfahrt, jouées respectivement en 1907 et 1909.
24 Au congrès de Gotha, en 1896, en particulier, à propos de la revue Die Neue Welt du camarade Edgar Steiger, qui entendait lutter contre un certain kitsch social‑démocrate en faisant pénétrer l’art moderne dans les foyers ouvriers, Wilhelm Liebknecht joignit sa voix à ceux qui jugeaient choquantes les reproductions et les nouvelles à épisodes dans le goût naturaliste proposées par la revue. August Bebel, au contraire, les défendit.
25 Liebknecht, p. 94. Ce texte donne un curieux exemple de perversion du message par le titre. Wissen ist Macht, la formule a certainement été retenue par la plupart des militants comme une invitation à se préparer à la prise de pouvoir en s’instruisant et en se cultivant. Liebknecht affirme exactement le contraire : n’attendez rien de l’école ni des institutions culturelles tant que le pouvoir ne sera pas entre vos mains.
26 Die Volksunterhaltung, Jg. 8. Nr. 9, cit. in : Selo, p. 182.
27 En août 1913, Freie Volksbühne, bulletin de l’association de Conrad Schmidt, proposait aux membres de l’association d’acquérir à un prix préférentiel (« 2,85 Mark mit Glas und Rahmen ») des lithographies de Käthe Kollwitz, Max Liebermann, Max Slevogt. Ernst Barlach et Max Beckmann. Combien d’amateurs bourgeois investissaient alors les surplus de leurs revenus dans l’achat d’œuvres épigonales ou académiques bientôt dévaluées ?
28 Les Volksbühnen ne se sont imposées qu’à Berlin. Les imitations suscitées par leur exemple à Cologne (1892), Hambourg (1893), Kiel et Hanovre (1894) n’ont eu qu’une existence éphémère. Voir Nestriepke, chap. 14.