Aux plus proches, j'offre quand je les trouve, les lettres de prison dans l'ancienne et superbe traduction de Michel Aubreuil, que je préfère à la version récente. Dans une autre vie et dans un lieu difficile, j'ai découvert les onze tomes des œuvres et lettres de Rosa Luxemburg. Je n'ai pas souvenir d'avoir pensé différemment sur tout ce qui m'est essentiel de ce que je lisais et j'ai découvert sa si merveilleuse universalité, jamais déconnectée de son combat politique.
Aujourd'hui, je reçois un message d'une amie si proche, qui m'adresse un passage d'une des lettres tirée de cet ouvrage. Elle l'avait prêté et avait reçu en partage un extrait qu'elle m'envoie avec ce commentaire : "ma nièce a fini les Lettres de prison et m'a laissé mon exemplaire à la maison toujours à sa place. Elle m'a recopié ce petit extrait et je te le renvoie à toi aussi car je le trouve vraiment joli et tellement sensible un vrai magnifique cadeau que tu m'as fait."
"L'autre jour, quelqu'un a apporté une branche cassée dont la forme étrange a surpris tout le monde. On s'interrogeait sur sa provenance. C'était une branche d'orme. Souvenez-vous, je vous ai montré dans la rue de Südende des ormes couverts de petits fruits d'un rose pâle légèrement verdâtre. C'était aussi au mois de mai, et vous aviez été enthousiasmée par cet extraordinaire spectacle. Ici, les gens habitent depuis des dizaines d'années dans une rue plantée d'ormes, mais ils n'ont jamais observé ces arbres en fleurs... Et ils ne s'intéressent pas davantage aux animaux. Au fond, la plupart des citadins sont de véritables barbares...
Chez moi, au contraire, les liens qui m'unissent profondément à la nature vivante - "en dépit de l'humanité" - prennent un caractère presque maladif qui doit s'expliquer par mon état nerveux. Au-dessous de la fenêtre, un couple d'alouettes huppées vient d'avoir un petit - sans doute les trois autres sont-ils morts. Et déjà le petit oiseau sait très bien courir. Peut-être avez-vous remarqué comme les alouettes huppées sont drôles quand elles courent, à petits pas rapides, sautillant sur leurs deux pattes, comme le moineau. Le petit commence même à voler, mais il ne trouve pas encore par lui-même assez de nourriture, d'insectes et de petites chenilles, surtout par un temps aussi froid. Alors, il vient tous les soirs dans la cour, sous ma fenêtre, où il pousse des cris aigus et plaintifs. Aussitôt, les parents surgissent et lui répondent à mi-voix, par un "ouit-ouit" inquiet. Puis ils courent dans tous les sens, cherchant désespérément de la nourriture dans le crépuscule et le froid. Quand ils ont trouvé quelque chose, ils reviennent vers le petit qui crie famine et lui donne la becquée. Maintenant, la scène se répète tous les soirs, vers huit heures et demie._" Lettre du 12 mai 1918, envoyée de Breslau
Cette lettre, Rosa Luxemburg l'a écrite au fin fond d'une prison polonaise extrêmement stricte où elle avait été transférée après un incident de parloir. A des centaines de kilomètres de Berlin et de ses proches. En pleine guerre mondiale, trahison de tous ses idéaux et cimetière d'amis et camarades. Ces lettres choisies sont celles écrites à la compagne de Karl Liebknecht. Lui aussi emprisonné après leur manifestation commune pour le 1er mai 1916, pour laquelle elle avait été emprisonnée pour la cinquième fois, cette fois-ci sans procès, donc sans date de sortie. Pendant cet emprisonnement, elle continue son combat et ses écrits. Elle ne sortira que pour être assassinée au cours de la révolution en Allemagne.
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