Extrait de la Déclaration au Reichstag du 28 avril 1916
Militarisme, guerre, révolution
Maspero, 1970, P 157 - 159
Dossier Liebknecht
[…] Messieurs le principal travail accompli par M. le secrétaire d’Etat, dont le traitement est débattu ici a été certes, l’année passée, son activité en faveur des traitements de guerre. Ce sera ma tâche de soumettre cette activité à un examen critique. (Rires)
Messieurs, le nouvel emprunt a certes rapporté 1 400 millions de marks de moins que le précédent, mais tout de même 10,7 milliards. (Cris : Bravo !) Comment expliquer ce succès, Quelles méthodes ont été employées pour l’obtenir ? L’automne passé, l’Office du Trésor du Reich a publié quelques brochures de propagande en vue de dénoncer les méthodes grâce auxquelles le gouvernement anglais a réussi à obtenir les fonds dont il avait besoin pour poursuivre la guerre. Quiconque a lu ces brochures d’un œil critique s’est rendu compte immédiatement que les méthodes reprochées au gouvernement anglais par l’Office du Trésor du Reich, par les auteurs de ces brochures ont été en fait, à côté d’autres nullement plus réjouissantes, employées presque toutes, et dans une mesure plus grande, par le gouvernement allemand, ce qui bien entendu ne doit pas être dit dans la presse ni porté à la connaissance du public. (Vives interruptions)
On a parlé, à propos des emprunts, de multiplication à l’intérieur du capital allemand. Et c’est à juste titre que les emprunts de guerre allemands, du fait de la possibilité qui a été donnée d’emprunter des emprunts déjà obtenus précédemment, pour pouvoir, avec ce qui a été emprunté, contracter un nouvel emprunt, ont été appelés un perpetuum mobile. Ils ressemblent dans un certain sens à un carrousel. Les mêmes sommes tournent continuellement en rond. Il ne s’agit aussi, pour une bonne part, que d’une centralisation des ressources publiques dans la caisse d’Etat (Le président agite sa sonnette. Bruits de tous les côtés. Cris indignés : « Devons-nous accepter cela, M. le Président ? » « Trahison ! » « C’est inouï ! » Le président continue d’agiter sa sonnette.) J’ai le droit de critiquer ! La vérité doit être dite ! Vous voulez m’en empêcher ! (Interruptions prolongées. Le président continue d’agiter sa sonnette.)
Le président. – Messieurs, je vous prie de cesser ces interruptions. Je ne puis à vrai dire que regretter qu’un Allemand fasse à cette tribune des déclarations telles que vient de les faire le député Liebknecht. (Vives approbations. Cris indignés : « Ce n’est pas un Allemand ! »)
Et vous, vous êtes des représentants des intérêts capitalistes ! Je suis social-démocrate, représentant du prolétariat international. (Cris : « Au fou ! », « Absurdités ! » Le président agite de nouveau sa sonnette.)
Le président. – Messieurs, je dois … (Grande agitation prolongée. Le président agite sa sonnette.)
Vos exclamations me sont un honneur. C’est … (Les interruptions ne cessent pas. Vives exclamations. Le président agite sa sonnette.)
Le président. – Messieurs, ce n’est pas possible ! Je vous prie de garder votre calme. (Cris : « Monsieur le Président, nous sommes ici dans notre droit. Qu’il s’en aille, nous ne le supportons plus ! »)
Liebknecht essaie de poursuivre. (Cris et interruptions prolongées, le Président agite sa sonnette sans arrêt.)
Le président. – Je prie ces messiers de garder leur calme. Vous pouvez compter que je saurai maintenir l’ordre (Cris indignés) même vis-à-vis de M. le député Liebknecht. (Bruit prolongé. Cri : Je demande la parole pour une motion d’ordre ! ») Je ne puis pas vous donner la parole maintenant. Je dois observer ici le règlement. (Cris : « Non ! Non ! Il ne parlera pas ! »)
Messieurs, il est paru hier dans la presse un tableau … (Cris « Assez ! Assez ! » Un député arrache ses notes à l’orateur et les jette à terre. Tempête d’applaudissements prolongés sur tous les bancs et dans les tribunes du public. Cris : « Bravo ! » Le député Liebknecht descend les degrés de la tribune, puis revient aussitôt.)
Le président. – M. le député Liebknecht, vous aviez quitté la tribune ! (Réponse du député Liebknecht : Non !)
M. le président, c’est vraiment une violence inique ! Je ne me suis pas éloigné ! Je suis seulement allé ramasser (Cris : « Non, il ne parlera pas ! ») mes papiers qu’un membre de cette assemblée m’a arrachés, M. le président ! N’avez-vous donc pas vu qu’on m’a arraché mes papiers ? Je suis toujours à la tribune ! (Cris : « La clôture ! La clôture, Le président agite sa sonnette)
Le président. – M. le député Liebknecht, je vous rappelle d’abord à l’ordre et je vous exclus ensuite de la séance pour violation grossière de l’ordre de cette maison. (Tempête d’applaudissements prolongés. Le député Liebknecht essaie de parler encore et crie à plusieurs reprises : « C’est une infamie ! » Le président agite longuement sa sonnette. Tumulte sur tous les bancs.) Personne ne demande plus la parole ? Les débats sont clos.
Le député Dittmann. – Je mets en doute la capacité de décision de l’Assemblée.
Le président. – On a mis en doute la capacité de décision de l’Assemblée. Le bureau est d’accord sur ce point : l’Assemblée n’est plus en mesure de prendre une décision. C’est pourquoi il faut interrompre les débats.