Pour lire la 1ère partie : http://comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com/2016/01/rosa-luxemburg-a-propos-de-la-tactique-de-la-social-democratie-polonaise-25-juillet-1896-inedit-en-francais.html
Le très honorable camarade pense que le programme social-patriotique peut parvenir à la plus parfaite harmonie avec l’action de la social-démocratie allemande, autrichienne et russe. Concernant les deux premiers cas, l’Allemagne et l’Autriche, nous n’avons pas besoin d'ajouter grand chose à nos idées développées dans le n° 33 de la « Neue Zeit », puisqu’elles n’ont pas fait l’objet de réponses. Les sociaux-patriotes espèrent parvenir à l’indépendance de la Pologne par la « démocratisation la plus avancée possible des deux empires ». Nous avons démontré que la démocratisation de l’Etat ne mène pas à leur éclatement – en Allemagne comme en Autriche -, mais bien au contraire à leur consolidation. Donc, où les socialistes polonais renoncent à leurs efforts pour ériger un Etat de classe polonais, ou bien ils vont choisir un autre chemin que la démocratisation de l’Allemagne et de l’Autriche, et ils entreront nécessairement en contradiction avec l’ensemble du mouvement social-démocrate.
Oui, la tendance naturelle à réduire la relation du mouvement polonais aux mouvement allemand et autrichien, à quelque chose de purement extérieur, aléatoire, à une pure question d’opportunité et non de principe, est dans l’essence même du social-patriotisme. Ainsi les amis du très honorable camarade écrivent dans leur organe « Robotnik Jednodniowka » en 1895 que les socialistes de Galicie sont organisés dans le parti social-démocrate autrichien, parce qu’ils n’ont pas vu de raison pour ne pas s’unir au sein de celui-ci, le parti autrichien possédant une très bonne organisation ». Ainsi donc, si les socialistes de Galicie ne forment pas un tout avec le parti portugais, c’est tout simplement pour ce dernier une juste punition pour son organisation défaillante.
Mais en ce qui concerne la Russie, le combat pour la restauration de la Pologneest là-bas en contradiction la plus exacerbée avec le combat du prolétariat russe pour une constitution. Et les sociaux-patriotes eux-mêmes en sont tout à fait conscients. « Imaginons-nous un instant » écrivent-ils dans un éditorial du « Przedswit » (L’aurore), en octobre 1895, « que nous ayons été gagnés par la croyance dans la démocratisation et l’avènement proche de la constitution russe. Devons-nous, dans ce cas, faire de celle-ci une revendication politique ? Nous répondons immédiatement que non. Un parti ne peut pas poser dans le même temps, deux revendications contradictoires. » De fait, l’aspiration à démocratiser les institutions politiques au sein des frontières d’un Etat donné, et celle de s’échapper de ces frontières, s’excluent mutuellement. C’est pourquoi aussi le social-patriotisme signifie la division interne des forces prolétaires en Russie et en conséquence l’affaiblissement du combat contre le tsarisme. C’est un phénomène politique et psychologique bien étrange qu’un parti qui nie dans la Russie tsariste le combat pour la fin du tsarisme, fantasme encore, en se prévalant d’une conscience élevée, sur le fait qu’il se battrait non seulement dans son propre intérêt, mais dans l’intérêt de l’ensemble du monde civilisé ! Espérons que le représentant de la civilisation, le prolétariat international, saura mieux faire la différence à Londres, concernant ses propres intérêts, que le très honorable camarade et ses très honorables amis.
Notre conception de l’histoire déplaît à notre très honorable camarade. Pour montrer son insuffisance, il nous pose quelques questions, auxquelles nous ne serions pas du tout en mesure – comme il semble le croire – de répondre en partant de notre point de vue.
Pourquoi, par exemple, malgré les échanges privilégiés de marchandises avec la Russie, « le parti loyaliste, proche du gouvernement étranger, est-il, en Pologne russe, justement le plus faible. C’est très simple : parce que le très honorable camarade vient juste d’inventer la fable que ce serait en Pologne russe qu’un tel parti serait le plus faible. Bien au contraire, tandis qu’en Galicie et en Posnanie, toute la petite bourgeoisie, très nombreuse, forme une opposition nationale, la petite bourgeoisie en Pologne russe se reconnaît elle aussi en grande partie dans une conception terroriste, du fait des avantages qu’elle tire de son appartenance à la Russie. En effet, les classes loyalistes en Russie – la bourgeoisie, la noblesse, une partie de la petite bourgeoisie – montrent les témoignages les plus forts de loyauté qu’une classe capitaliste peut manifester ; ils lèchent en se reniant eux-mêmes le pied qui, vu sous le point de vue politique et national, le frappe : voir les laquais polonais à Saint-Petersbourg et Moscou lors de la montée sur le trône et le couronnement de Nicolas II.
La deuxième terrible question : pourquoi les junkers lituaniens, bien qu’ils souffrent de la concurrence des céréales russes, ne sont-ils pas des partisans de la restauration de la Pologne, mais des amis de la Russie ? C’est tout aussi simple : parce que les junkers lituaniens ne sont pas des écoliers mais des gens pratiques qui considèrent les appels du très honorable camarade à la constitution d’un marché non concurrentiel des céréales dans un état polonais à construire au préalable, comme des enfantillages et qui cherchent à se débarrasser de leurs soucis non pas à partir d’élucubrations sur un Etat à venir mais par des moyens réels comme celui de mendier auprès du pouvoir tsariste et autres.
La troisième question : pourquoi les éleveurs galiciens qui sont envahis par les bovins hongrois ne s’enthousiasment-ils pas non plus pour la restauration de la Pologne ? Peut-être cet étonnant phénomène peut-il s’expliquer par le fait que le gouvernement autrichien laisse aux éleveurs de Galicie une possibilité, de traiter les paysans polonais et ruthènes comme des porcs et des bœufs, ce que la meilleure des patries ne pourrait leur offrir et qu’ils trouvent donc là une large compensation à la pénétration des bovins hongrois vers l’ouest.
Ainsi, « notre » conception matérialiste de l’histoire semble ne pas s’en sortir si mal que le pense notre très honorable camarade ! Ce sont encore et toujours les intérêts matériels qui déterminent et expliquent la physionomie politique des différentes classes.
Mais l’on nous compare pour conclure avec Achille Loria, et en mettant sur le même plan Loria et Marx, l’on nous achève en nous rabaissant au niveau de vulgaires libres-échangistes comme Ricardo. Cependant, au vu des échantillons des notions défendues par le très honorable camarade concernant la conception matérialiste de l’histoire, nous nous consolons en nous disant qu’il ne pensait vraisemblablement pas à mal, la terrible formule semblant être pour lui-même une équation à quatre inconnues.
Merci pour toute amélioration de la traduction
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