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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
13 novembre 2011 7 13 /11 /novembre /2011 19:25

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11 novembre 2011  

"Refuser toutes les guerres, celles d'aujourd'hui, celles de demain"

 

Voir Tardi 

http://comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com/album-1


Tardi.jpg

 

"La vie s'arrête là où la guerre commence" 

 

Ecouter Dominique Grange:


Au ravin des enfants perdus  

 

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11 novembre 2011 5 11 /11 /novembre /2011 20:11

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Un combat exemplaire! La sortie du journal "Die Rote Fahne"

Novembre 1918, Rosa Luxemburg emprisonnée depuis près de trois ans sans jugement pour son combat contre la guerre, sort non sans mal de prison. Sans se laisser un jour de répit, elle se joint à la révolution et son premier combat sera la sortie du journal: Die Rote Fahne.

 

(article en cours. Merci pour toute amélioration de la traduction)


Lettre à Wolfgang Fernbach- 18 novembre 1918 - Hôtel Molkte

 

Cher camarade Fernbach

 

Nous avons compté sur votre collaboration pour le journal. Il y aura beaucoup de travail, car nous voulons publier d'autres choses que la "Rote Fahne". Seulement, nous devons rester sans cesse en contact. Comme vous le voyez par exemple pour le numéro d'aujourd'hui, nous avons déjà traité le thème que vous aviez choisi: la peine de mort. Pour éviter de telles situations, il est nécessaire à l'avenir que vous vous mettiez d'abord d'accord avec nous sur le thème traité et la longueur de l'article. La plus grande difficulté: nous sommes tous d'accord dans la rédaction pour limiter la parution à deux articles, sinon le journal serait trop volumineux. Ces deux articles sont cependant déjà consacrés à toute une série de problèmes fondamentaux liés à la révolution et à la tactique, si bien que nous ne pouvons pas disposer librement de place pour d'autres articles. Ce qui serait cependant très utile, ce serait des notes, des entrefilets sur des événements actuels. Il faudrait alors se mettre d'accord cas par cas. Pour toutes ces raisons, il serait utile que vous passiez rapidement à la rédaction pour parler avec nous et plus précisément avec le camarade Meyer, qui est le secrétaire de la rédaction ou bien avec le camarade Levi, qui en général supervise cette rubrique. Certes, nous n'avons pas pour l'instant de salles de rédaction, mais cela devrait être réglé. J'espère que tout marchera bientôt.

 

Déjà, recevez mes salutations

Votre R. Luxemburg.


Télégramme à Clara Zetkin - Berlin - 18 novembre 1918

 

Envoie-moi tout de suite des articles courts signés pour la "Rote Fahne". Sur les thèmes que tu veux. Souhaités, sur les femmes. Mille saluts.

 

Rosa, Hôtel Milkte


Lettre à Clara Zetkin

 

Chère Clara, en toute hâte, seulements deux lignes. Depuis que je suis descendue du train, je n'ai pas encore mis le pied dans mon appartement. Durant tout ce temps et jusqu'à hier, c'était la poursuite pour  faire paraître la "Rote Fahne". Va-t-elle paraître, ne va-t-elle pas paraître?. C'était un combat du matin au soir. Enfin, le journal est paru. Tu devras te montrer patiente à son égard, Il n'est pas encore au mieux techniquement, cela viendra au fur et à mesure. Je veux avant tout savoir ton avis sur le contenu. J'ai le sentiment que nous avançons conformément à nos idées et cela me rend heureuse. Toutes mes pensées et mon coeur vont vers toi. Si seulemet, je pouvais passer une seule journée avec toi! Mais, cela sera possible maintenant, dès que les trains fonctionneront à nouveau. Pour l'instant, écris-moi par lettre urgente. J'attends impatiemment ton article - très court! Ne te donne pas trop de travail. Nous voulons ta signature. Ecris quelque chose sur les femmes, c'est si important maintenant et personne parmi nous ne s'y connaît.

 

Ma très chère, en hâte, je t'envoie des milliers de salutations et de baisers

Ta RL.


Lettre à Franz Mehring

Le 18 novembre 1918

 

Cher ami, je ne peux vous die combien cela me peine de ne pas pouvoir venir vous voir et vous serrer la main. Je ne suis même pas parvenue, depuis que je suis descendue du train à mettre un pied dans mon appartement à Südende et je loge à l'hôtel. Vous pouvez en conclure combien je suis aspirée par le tourbillon qui règne ici. La première chose était de faire paraître le journal. Et maintenant, je brûle de connaître votre avis, vos conseils. Nous nous sommes tous profondément réjouis, quand nous avons appris par notre ami X, que nous pourrions bientôt "orner" Die Fahne d'une contribution de votre part et de votre signature. J'attends avec la plus grande impatience. J'espère pouvoir venir vous voir très prochainement. Je suis heureuse d'apprendre que vous vous portez bien, que vous êtes si content et si prêt à vous mettre au travail. Ce brave et gentil ... aide et travaille avec la plus grande des abnégations, sa participation est inestimable à chaque instant. En toute hâte et pour l'instant ce bref et chaleureux salut, bientôt à nous revoir.

 

Votre Rosa Luxemburg


Télégramme à Clara Zetkin

 

Mille mercis pour la lettre et l'article. Tout à fait d'accord avec ton analyse. Lettre suit bientôt. Mille saluts.

 

Rosa

 

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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 22:18

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L'exécution programmée (et dans les derniers instants annulée) de Hank Skinner a donné lieu à de nombreux articles et c'est avec émotion que nous avons vu que certains reprenaient le texte "Devoir d'honneur" rédigé par Rosa Luxemburg, alors qu'elle venait à peine d'être libérée de prison (et que se développait la révolution spartakiste, sauvagement réprimée et au cours de laquelle elle-même trouvera la mort, assassinée.)

 

Rosa Luxemburg contre la peine de mort. "Devoir d'honneur"


"Nous exigeons l'élimination de la peine de mort du code pénal allemand !"

 

prison.jpg

 

  
Rosa Luxemburg. Un Devoir d'honneur


Nous n'avons sollicité ni "amnistie" ni pardon pour les prisonniers politiques qui ont été les victimes de l'ancien régime. Nous avons exigé notre droit à la liberté, par la lutte et la révolution, pour les centaines d'hommes et de femmes courageux et fidèles qui ont souffert dans les prisons et les forteresses, parce qu'ils ont lutté pour la liberté du peuple, pour la paix et pour le socialisme, contre la dictature sanglante des impérialistes criminels. Ils sont maintenant tous libérés. Et nous sommes à nouveau prêts pour la lutte.

Ce n'est pas les Scheidemann[1] et leurs alliés bourgeois avec à leur tête le Prince Max von Baden qui nous ont libéré ; c'est la révolution prolétarienne qui a ouvert toutes grandes les portes de nos cellules[2].

Mais une autre catégorie d'infortunés habitants de ces lugubres demeures a été complètement oubliée. Jusqu'ici personne n'a pensé aux êtres pâles et maladifs qui souffrent derrière les murs des prisons pour expier des délits mineurs.

Cependant, eux aussi sont des victimes infortunées de l'ordre social abominable contre lequel se bat la révolution, des victimes de la guerre impérialiste qui a poussé la détresse et la misère jusqu'aux plus extrêmes limites, des victimes de cette épouvantable boucherie qui a déchaîné les instincts les plus bas. La justice de la classe bourgeoise a de nouveau opéré comme un filet laissant échapper les requins voraces tandis que le menu fretin était capturé. Les profiteurs qui ont gagné des millions pendant la guerre ont été acquittés ou s'en sont tirés avec des peines ridicules, mais les petits voleurs ont reçu des peines de prison sévères. Epuisés par la faim et le froid, dans des cellules à peine chauffées, ces enfants oubliés de la société attendent l'indulgence, le soulagement. Ils attendent en vain. Le dernier Hohenzollern[3], en bon souverain, a oublié leur souffrance au milieu du bain de sang international et de l'érosion du pouvoir impérial. Pendant quatre ans, depuis la conquête de Liège, il n'y a pas eu d'amnistie, pas même à la fête officielle des esclaves allemands, l'anniversaire du Kaiser.

La révolution prolétarienne doit maintenant éclairer la sombre vie des prisons par un petit acte de pitié, elle doit écourter les sentences draconiennes, abolir le système disciplinaire barbare (détention en chaînes, châtiment corporel), améliorer les traitements, les soins médicaux, les rations alimentaires, les conditions de travail. C'est un devoir d'honneur !

Le système pénal existant, tout imprégné de l'esprit de classe brutal et de la barbarie du capitalisme, doit être totalement aboli. Une réforme complète du système d'accomplissement des peines doit être entreprise. Un système complètement nouveau, en harmonie avec l'esprit du socialisme, ne saurait être basé que sur un nouvel ordre économique et social. Tous les crimes, tous les châtiments, ont toujours en fait leurs racines implantées dans le type d'organisation de la société. Cependant, une mesure radicale peut être mise en oeuvre sans délai. La peine capitale, la plus grande honte de l'ultra-réactionnaire code pénal allemand, doit être immédiatement abolie[4]. Pourquoi donc y a-t-il des hésitations de la part de ce gouvernement des ouvriers et des soldats ? Ledebour, Barth, Däumig[5], est-ce que Beccaria[6], qui dénonçait il y a deux cent ans l'infamie de la peine de mort, n'existe pas pour vous ? Vous n'avez pas le temps, vous avez mille soucis, mille difficultés, milles tâches à remplir. Mais calculez, montre en main, combien de temps il vous faut pour dire : « la peine de mort est abolie ». Ou est-ce que vous voulez un débat en longueur, finissant par un vote entre vous sur ce sujet ? Est-ce que vous allez encore vous fourvoyez dans des couches et des couches de formalités, des considérations de compétence, des questions de tampon approprié et autres inepties ?

Ah, que cette révolution est allemande ! Comme elle est pédante, imprégnée d'arguties, manquant de fougue et de grandeur ! Cette peine de mort qu'on oublie n'est qu'un petit trait, isolé. Mais précisément c'est souvent que de tels traits trahissent l'esprit profond de l'ensemble.


Prenons n'importe quelle histoire de la grande révolution française ; prenons par exemple l'aride Mignet[7]. Quelqu'un peut-il lire ce livre sans sentir battre son coeur et son esprit s'enflammer ? Quelqu'un peut-il, après l'avoir ouvert à n'importe quelle page, le laisser de côté avant d'avoir entendu le dernier accord de cette formidable tragédie ? Elle est comme une symphonie de Beethoven portée jusqu'au gigantesque, une tempête sonnant sur les orgues du temps, grande et superbe dans ses erreurs comme dans ses exploits, dans la victoire comme dans la défaite, dans le premier cri de joie naïve comme dans son souffle final. et quelle est la situation maintenant en Allemagne ? Partout, dans les petites choses comme dans les grandes, on sent qu'on a affaire encore et toujours aux anciens et trop prudents citoyens de la vieille social-démocratie, à ceux pour lesquels la carte de membre du parti est tout, alors que les êtres humains et l'intelligence ne sont rien. Mais l'histoire du monde ne se fait pas sans grandeur de la pensée, sans élévation morale, sans nobles gestes.

Liebknecht et moi, en quittant les résidences hospitalières que nous avons récemment habitées - lui quittant ses camarades de prison dépouillés, moi mes chères pauvres voleuses et prostituées dont j'ai partagé le toit pendant 3 ans et demi - nous leur fîmes ce serment, tandis qu'ils nous suivaient de leurs yeux pleins de tristesse, que nous ne les oublierions pas !

Nous exigeons que le comité exécutif des conseils d'ouvriers et de soldats allège immédiatement le sort des prisonniers dans toutes les institutions pénales d'Allemagne !

Nous exigeons l'élimination de la peine de mort du code pénal allemand !

Des rivières de sang ont coulé en torrents pendant les quatre ans du génocide impérialiste. Aujourd'hui chaque goutte de ce précieux liquide devrait être conservée respectueusement dans du cristal. L'énergie révolutionnaire la plus constante alliée à l'humanité la plus bienveillante : cela seul est la vraie essence du socialisme. Un monde doit être renversé, mais chaque larme qui aurait pu être évitée est une accusation ; et l'homme qui, se hâtant vers une tâche importante, écrase par inadvertance même un pauvre ver de terre, commet un crime.


Rosa Luxemburg,


Die Rote fahne (Le Drapeau rouge), journal de la Ligue Spartakiste, 18 novembre 1918


Un Devoir d’honneur (Rosa Luxemburg)

Alors que nous participons à la campagne contre l’exécution de Henri Watkins (Hank) Skinner, condamné à mort au Texas (Etats-Unis), que nous participons régulièrement aux campagnes lancées par nos camarades iraniens contre les exécutions en Iran, que nous réaffirmons à chaque fois que nous le pouvons notre opposition à ce châtiment barbare qu’est la peine de mort, il semble intéressant de publier ce texte de Rosa Luxemburg revendiquant, en 1918, l’abolition immédiate de la peine de mort en Allemagne.


http://communismeouvrier.wordpress.com/2011/11/08/un-devoir-dhonneur-rosa-luxemburg/


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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 15:45

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A l'occasion de la nouvelle parution de l'Introduction à l'économie politique publié aux Editions Agone avec le collectif Smolny, nous proposons une relecture du chapitre consacré dans cet ouvrage par Rosa Luxemburg au travail salarié. Nous attirons particulièrement l'attention sur les parties consacrées au temps de travail, au chômage.

 

Rappelons que cet ouvrage est à la base un cours pour l'Ecole du parti social-démocrate allemand. Il représente donc une réflexion achevée, sur des bases marxistes, s'adressant à un public averti et exigeant et dans un but, en tous les cas pour Rosa Luxemburg, de formation rigoureuse de militants chargés de faire avancer la lutte de classe, la révolution. Rosa Luxemburg est en pleine possession de ses moyens d'analyse et d'expression. L'Introduction à l'économie politique représente donc un des ouvrages majeurs de réflexion sur le capitalisme, utilisable encore aujourd'hui.

 

Profitons de cet article pour souligner l'importance aujourd'hui du livre,. S'il est vrai qu'Internet permet d'avoir accès à de nombreux textes, la dépendance face à cet outil fragile et peu créatif (beaucoup de reprises, lien à l'actualité, peu de textes de fond) peut être dangereuse pour la pensée et l'action politique si l'on se cantonne à cet outil. Notre confrontation régulière, pour le blog, avec Internet nous fait sentir tous les risques et toutes les limites de l'outil. Nos recherches fréquentes et approfondies nous permettent parfois de trouver quelques pépites, mais l'outil est vite épuisé et l'accès difficile au blog comme le nôtre nous montre bien la difficulté de l'information du fait même des modes de référencement et du fonctionnement des moteurs de recherches.

 

Agone fait un travail d'édition exceptionnel. Nous ne pouvons que recommander à nos visiteurs de les soutenir en acquérant leurs ouvrages.

 

C'est un soutien à l'édition d'exigence, mais c'est aussi une exigence pour que nous puissions continuer à apprendre, réfléchir, ressentir, comprendre.


UNE RELECTURE DU CHAPITRE V DE L'INTRODUCTION A L'ECONOMIE POLITIQUE

 

LE TRAVAIL SALARIE

 

(Les citations de Rosa Luxemburg sont reprises de l'ouvrage publié chez Agone: Rosa Luxemburg, Introduction à l'économie politique, oeuvres complètes - Tome 1, 2009)

 

Notre relecture

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I.

 

Le salaire, prix de la marchandise "force de travail"

 

  • Contrairement aux sociétés primitives, aux sociétés fondées sur l'esclavage ou le servage, la société capitaliste est basée sur l'échange, la marchandise et le travail humain constitue une marchandise comme une autre.

"Pour vivre, tout homme doit donc fournir et vendre une marchandise. La production et la vente de marchandises sont devenues la condition de l'existence humaine" (P 347)

 

Dans la société, peu de marchandises peuvent être produites sans moyens de travail, outils, matières premières, lieu de travail, moyens de subsistance (Rosa Luxemburg donne comme contre-exemple la cueillette et en souligne les limites). Au contraire, la plupart des marchandises exige des moyens importants et donc, ceux qui n'en disposent pas, n'ont que leur force de travail à apporter comme marchandise.

  • Quelle valeur a alors la force de travail humaine? Si l'on considère que toute marchandise a une valeur déterminée, à savoir la quantité de travail nécessaire à sa production, pour l'homme, il s'agit donc de ce qui est nécessaire à son existence, la nourriture, les vêtements ...

"La force de travail de l'homme vaut ce qu'il faut de travail pour la maintenir en état de travailler, pour entretenir sa force de travail ..." (P 348)

  • Bien entendu, cette valeur "se traduit sur le marché par un prix", comme pour tout autre marchandise. Ce prix pour la force de travail humaine, c'est le salaire. 

Et ce prix suit, comme pour tout autre marchandise, la loi de l'offre et de la demande.

  • Une chose la distingue cependant, c'est que la force de travail est inséparable de son vendeur et qu'elle ne peut attendre longtemps son acheteur. Ce qui fait sa particularité.

" La particularité de la marchandise force de travail ne se manifeste donc pas sur le marché où seule la valeur d'échange joue un rôle. Cette particularité réside dans la valeur d'usage de cette marchandise;" (P 350)

 

Rosa Luxemburg reviendra plus loin sur cette distinction valeur d'usage et valeur d'échange et sur l'importance de cette valeur d'usage.

 

Le surtravail, capacité qui fait de la force de travail humaine une marchandise 

  • Mais qu'est-ce qui donne donc à la force de travail de l'homme son caractère de marchandise:

"C'est le fait que l'homme puisse travailler plus qu'il n'est nécessaire pour son propre entretien." (P 350)


C'est le surtravail qu'il peut fournir à l'acheteur.

 

Le surtravail. Un phénomènes social

  • Se pose alors le problème, est-ce l'homme en général ou le travailleur qui est en mesure de fournir un surtravail?

Cette possibilité de l'homme de fournir ce surtravail est en fait un phénomène social qui nécessite un certain niveau de surproductivité, qui dépend de l'évolution technique, de la maîtrise de la nature et non un caractère physiologique.

 

"La distance qui existe entre les premiers outils de pierre grossièrement taillés, la découverte du feu et les actuelles machines à vapeur et à l'électricité, c'est toute l'évolution sociale de l'humanité, évolution qui n'a été possible qu'à l'intérieur de la société par la vie en commun et la coopération entre les hommes." (P 350)

 

En prenant l'exemple de la production de bananes, on peut distinguer la différence entre le communisme primitif où les but est la satisfaction des besoins naturels de l'homme et non l'accession à la richesse, et donc à l'exploitation de l'homme par l'homme, à l'utilisation de la force de travail pour la production de surtravail.

 

La liberté personnelle comme condition

  • L'esclavage ou le servage repose déjà sur le surtravail, c'est-à-dire sur la capacité humaine à entretenir plus que lui-même. Tous deux sont des exemples de société utilisant le surtravail, mais celui-ci ne devient marchandise qu'avec la liberté du travailleur.

"Ce qu'il y a de particulier dans les rapports actuels du travailleur salarié avec l'entrepreneur, ce qui les distingue de l'esclavage comme du servage, c'est la liberté personnelle du travailleur. La vente de la force de travail est une affaire privée de l'homme, elle est volontaire et repose sur la liberté individuelle totale." (p 352)


Autre condition: la séparation de la force de travail et des moyens de production

 

L'autre condition pour que ce rapport existe est que le travailleur ne possède pas les moyens de production.

 

Pour que le travail devienne marchandise, il faut donc deux conditions: : la liberté personnelle de l'homme et la séparation de la force de travail et des moyens de production

 

Dans l'esclavage, l'esclave n'est qu'une partie des moyens de production, dans le servage, le serf n'est qu'un accessoire du moyen de production. Rosa Luxemburg reprend de plus l'exemple des paysans libres chassés par les gros propriétaires et interdits de travailller par leur statut qui représentent un autre stade: des hommes libres et sans biens, entretenus aux frais de l'Etat.

 

Elle reprend l'idée de Sismondi: "Dans la Rome antique, la société entretenait ses prolétaires, aujourd'hui les prolétaires entretiennent la société."

 

Conclusion

 

Rosa Luxemburg à la fin de cette première partie distingue en fait quatre conditions pour que le travail devienne marchandise:

 

. La liberté personnelle

. La séparation des moyens de de production

. Le niveau élevé de la productivité

. La domination de la société marchande (le surtravail devient le but de l'achat de la force de travail)  

  • Cependant, la force de travail humaine a une particularité sa valeur d'usage. 

Si du point de vue du marché, rien ne distingue cette affaire ordinaire de l'achat de bottes ou d'oignons, ce qui fait la particularité cependant de cette opération d'achat, c'est la valeur d'usage particulière de la marchandise "force de travail".

 

II. 

 

Les deux parties du salaire : le salaire du travailleur et la plus-value

  • Le travailleur vend sa force de travail. Cela signifie que quand il travaille, une partie sert à la reproduction de cette force de travail et l'autre partie est donnée à l'entrepreneur. 

Ceci existait déjà auparavant. Mais même le serf était en mesure de savoir quelle part servait pour lui-mêrme et quelle part revenait au seigneur. 

 

"A l'époque du servage, le travail du serf pour lui-même et son travail pour le seigneur étaient même distincts dans le temps et l'espace." (P 356)

 

Ce qui est différent pour l'ouvrier

 

"Dans la masse indistincte, les ressorts d'acier ou les courroies ou le tissu qu'il produit au cours de la journée se ressemblent tous, on n'y remarque pas la moindre différence, qu'une partie d'entre eux représente du travail payé et une autre du travail non payé, qu'une partie soit pour l'ouvrier et une autre pour le patron." (P 357)

 

Car tout ce qu'il produit appartient au patron, son travail à l'usine. L'ouvrier ne peut distinguer les deux parties, mais le patron, lui, peut effectuer la soustraction simple, enlever de ce qu'il encaisse, ce qui dépend des moyens de production et des salaires, et isoler ainsi la valeur créée par le travail non payé, qui représente ... la plus-value, cadeau qui lui est fait par le travail salarié.

 

"Tout travailleur produit d'abord son propre salaire, puis la plus-value ..." (P 357)

 

Le but: extorquer de la plus-value 

  • Les conséquences de cette différence entre le salariat et les formes précédentes de l'exploitation, sont importantes. 

Car les capacités de consommation à une époque donnée a ses limites et les objets d'usage des limites naturelles.

 

"La consommation avait, même en cas de vie très opulente, ses limites naturelles dans l'économie de servage ou d'esclavage, par là même l'exploitation de l'esclave ou du serf avait ses limites". (P 357)

 

C'est la différence avec l'achat de la force de travail: le patron ne fait pas fabriquer pour lui-même mais pour vendre le plus vite possible, pour en tirer le plus vite possible de l'argent.

 

"C'est dans ce but, pour faire de l'argent, avec le travail impayé qu'il fait toute l'affaire et achète la force de travail." (P 358)

 

Or la forme monétaire est le moyen même de l'accumulation des richesses, elle ne perd pas de sa valeur, peut même en prendre à l'infini, d'où une soif sans limite d'accumulation du surtravail.

 

"Extorquer de la plus-value, et l'extorquer sans limites, tel est le but et le rôle de l'achat de la force de travail." (P 358)

 

Pour accroître cette plus-value, il y a deux possibilités qu'il utillise:

 

- la baisse du salaire

- la prolongation du temps de travail

 

"La journée de travail de tout ouvrier salarié se compose normalement de deux parties: une partie où l'ouvrier restitue son propre salaire et une partie où il fournit du travail non payé, de la plus-value. Pour augmenter au maximum la seconde partie, l'entrepreneur peut procéder de deux façons: soit qu'il prolonge la journée de travail, soit qu'il réduise la première partie, la partie payée de la journée de travail, c'est-à-dire abaisse le salaire de l'ouvrier. Effectivement, le capitaliste a recours aux deux méthodes, d'où résulte une double tendance dans le système du salariat, une tendance à la prolongation de la journée de travail et une tendance à la réduction des salaires." (P 358/359)

 

 

Suite et fin de cette relecture dans l'article suivant.

 

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2 septembre 2011 5 02 /09 /septembre /2011 17:35

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La conquête de la Tripolitaine (partie de la LIbye actuelle) a représenté un moment majeur de la colonisation. Pour Jaurès, c'est un moment crucial de cet engrenage vers la "guerre générale", comme on disait alors, qu'il voit venir bien des années avant 14. Ainsi pour lui, tout commence avec la conquête du Maroc, qui autorise celle de la Tripolitaine et qui autorisera l'éclatement des Balkans..

 

"De la semence empoisonnée du Maroc est sorti un arbre immense et funeste dont l'ombre meurtrière a pesé sur la Tripolitaine, s'allonge sur les Balkans et couvrira peut-être demain toute l'Europe. Ce sera cet arbre maudit dont parle Dante, dont chaque rameau quand on le brise, laisse échapper des gouttes de sang."

 

Cette conquête, ces conquêtes sont le témoignage d'une logique fondée sur l'injustice.

 

"La politique actuelle consiste simplement à compenser l'iniquité des uns par l'iniquité des autres. C'est l'infini dans l'injustice et le désordre..."

 

Dans la dépêche, nous sommes allés à la recherche des indications concernant la Libye dans les articles de Jaurès. Nous reproduisons ici les citations afin que l'on puisse réfléchir à la lumière du passé à cette nouvelle "colonisation" de la Libye par les pays occidentaux à laquelle nous assistons aujourd'hui trop impuissants, aussi impuissants peut-être que Jaurès devant la conquête coloniale et la montée de l'impérialisme.


Articles publiés dans la Dépêche

Jaurès. L'Intégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans la Dépêche

Editions Privat, 2009

 

22 novembre 1902. Lenteurs et intrigues

(Jaurès consacre cet article aux menées antirépublicaines qu'il voit se développer. il évoque déjà les projets colonialistes sur le Maroc et la Tripolitaine. P 359)

 

"Il y a les coloniaux qui, les uns par chauvinisme, les autres par appétit capitaliste, ont de grands desseins sur la Tripolitaine, sur le Maroc, sur le Siam, sur la Chine méridionale..."

 

6 novembre 1911. Conclusions générales

(Nous avons déjà repris cet article sur le blog:  Jaurès et la colonisation de la Tripolitaine (Lybie) - En contre-point à Rosa Luxemburg P. 809)

 

 

"L'Italie, encouragée par des traités secrets qui sont un monument obscur d'immoralité, et dont notre politique est responsable, s'est jetée sur la Tripolitaine par un acte de violence sans excuse, et dont on n'a même pas pris la peine de dissimuler l'odieux par des prétextes qui soutiennent une minute la discussion."

 

Le monde musulman, partout violenté ou menacé, semble resserrer de pays à pays, ses liens de solidarité, et il prépare à l'Europe, égarée par des convoitises sans frein, de redoutables entreprises; les exécutions sommaires odieuses des Arabes de Tripoli par les troupes italiennes laissent dans les âmes musulmanes un profond ressentiment ...".

 

28 novembre 1911. Pour la paix. 

(Ecrit à l'occasion du traité franco-allemand. P 807)

 

"Quelle douleur de penser que nos sombres convoitises marocaines, destinées d'ailleurs à une aussi cruelle déception, nous ont induits ou nous ont contraints, pour quêter partout des complicités et des complaisances, à favoriser d'un demi-sourire bienveillant l'expédition sauvage et scandaleuse de l'Italie en Tripolitaine ..."

 

24 avril 1912. Protectorat

(P 819)

 

"Mais comment pourrait-on maintenant songer à des contingents africains, arabes ou berbères. Le Maroc est agité et haineux. Par le voisinage de l'Italie en Tripolitaine, la Tunisie a cessé d'être sûre, et c'est encore un des effets détestables de la politique marocaine, qui a poussé l'Italie à Tripoli ..."

     

06 octobre .1912. Les nuées

(P833)

 

"La politique actuelle consiste simplement à compenser l'iniquité des uns par l'iniquité des autres. C'est l'infini dans l'injustice et le désordre. C'est un océan fangeux et qui n'a pas de rivage. Ah, vous êtes allés au Maroc! Je vais en Tripolitaine! Ah vous êtes allée en Tripolitaine, vous Italie! Moi, Montenegro, moi Serbie, moi, Bulgarie, moi Grèce, je ne vise que la Turquie. A moi, la Macédoine! Ah moi, l'Albanie! A moi les îles de l'Archipel! Où cela s'arrêtera-t-il?..."

 

 

 

12 octobre 1912. Vers la guerre générale

(P833/834)

 

"Les événements se développent avec une logique implacable. C'est la chaîne aimantée dont parlait Platon; mais l'aimant est sinistre. Le Maroc a déterminé la Tripolitaine, et celle-ci met en branle la guerre des Balkans, qui risque fort de produire la guerre générale. Je sais bien que quelques "esprits sages" se flattent de "localiser" le conflit qu'on n'a pu prévenir...

 

L'Italie avait un double intérêt à brouiller les cartes en Orient. Elle a subi en Tripolitaine de graves échecs. Les derniers engagements, présentés comme des victoires, ont été en réalité de sérieuses défaites.

 

De plus, l'expédition tripolitaine a été surtout un coup de diplomatie de la papauté. Pie X a vu dans l'opération dirigée contre l'Infidèle un moyen de faire rentrer le parti catholique dans la "grande politique" italienne, de concilier et de confondre les conspirations chauvines d'un peuple véhément et les intérêts de la propagande catholique ..."

 

16 octobre 1912. Le Salut

(P 834)

 

"C'est elle [l'Europe] qui est doublement responsable. C'est elle qui, par sa complaisance pour le sultant rouge Abdul-Hamid, et pour quêter les concessions fructueuses de ports et de chemins de fer, a négligé pendant toute une génération de demander pour les peuples balkaniques les garanties nécessaires. C'est elle ensuite, qui dans sa fièvre de conquête, a multiplié les attentats contre le monde de l'Islam, volant à la Turquie du nouveau régime la Bosnie-Herzégovine, désorganisant la Perse pour rmieux l'absorber, violentant  le Maroc, usurpant la Tripolitaine ..."  

,  

 

23 octobre 1912. Doux mystère. 

(P 835)

 

"De la semence empoisonnée du Maroc est sorti un arbre immense et funeste dont l'ombre meurtrière a pesé sur la Tripolitaine, s'allonge sur les Balkans et couvrira peut-être demain toute l'Europe. Ce sera cet arbre maudit dont parle Dante, dont chaque rameau quand on le brise, laisse échapper des gouttes de sang..."

 


 

06 novembre 1912. Confédération balkanique.

(P835)

 

"Mais mon correspondant oublie que le coup de la Bosnie-Herzégovine est de 1908 et que le traité par lequel la France encourageait l'Italie à saisir la Tripolitaine est de 1904. C'est pour se ménager des facilités au Maroc que la France de M. Delcassé a dit à l'Italie Prends la Tripolitaine! Et c'est l'expédition de Tripolitaine qui a été la cause la plus immédiate de l'ébranlement des BalKans. Il n'est personne qui le conteste. Bien mieux, l'opération de Bosnie-Herzégovine elle même a été favorisée par là. Ni l'Italie, qui rêvait à Tripoli, ni la France engagée au Maroc ne pouvait tenter la moindre opposition morale à l'entreprise autrichienne. L'Autriche aurait été très embarrassée pour violer un traité internationale, si elle n'avait pas dit tout bas à l'Italie, moi aussi, je vous permets la Tripolitaine. Et si elle n'avait pas dit à la France, vous savez bien qu'à la Conférence d'Algésiras, j'ai été aimable pour vous et complaisante à vos ambitions marocaines. Payez-moi de retour. Et ainsi l'affaire marocaine, la première dans la série des causes, a été le noeud d'une commune entreprise européenne contre le monde musulman..."

 

08 janvier 1913. Noble spectacle

(P 840)

 

"C'est cette même Europe qui a, pendant trente années, courtisé le régime d'Abdul-Hamid. Elle lui a permis qu'il étranglât la Constitution libérale de Midhal Pacha ... L'Europe a permis qu'Abdul-Hamid régnât par le meurtre, l'égorgement ... Quand après trente années, les Jeunes Turcs ont tenté un effort pour débarrasser la Turquie de ce régime ignominieux, quand ils ont tenté de régénérer un pays où tout était corruption et crime, quand ils ont assumé cette tâche surhumaine, l'Europe ne leur a pas fait six mois de crédit. Bosnie-Herzégovine, Tripolitaine, complot balkanique fomenté par les agents russes, manoeuvres des banques pour subordonner la Turquie, exploitation implacable dans toute la presse européenne des difficultés innombrables qui assaillaient le nouveau régime et des fautes à peu près inévitables qu'il commettait. Ce fut le spectacle le plus vilain et l'intrigue la plus sordide.

 

C'est dans un univers bestial que nous sommes condamnés à vivre jusqu'au jour où les hommes se décideront à devenir des hommes ..."

 

28 février 1913. La voix du salut 

(P844)

 

Elle [l'Italie] s'émeut à cette heure des ambitionsde la Grèce, de ses prétentions sur l'Archipel et sur les Iles de la côte de l'Asie Mineure. Elle s'émeut aussi des desseins présumés de la France et de l'Angleterre sur la Palestine et sur la Syrie, et elle croit utile de s'appuyer sur l'Autriche-Hongrie, qu'elle jalouse d'ailleurs en Albanie, et sur la Turquie qu'elle vient de dépouiller de la Tripolitaine, pour écarter de la Méditerranée orientale des ambitions actives qui la contrarient ..."

.

 

05 juillet 1914. L'Europe énervée

(P 880)

 

"Le roi d'Italie a vu avec surprise douloureuse surgir la révolte républicaine de Romagne, réponse du peuple souffrant à cette expédition de Tripolitaine qui a apporté au peuple d'Italie, non pas le paradis aux fruits d'or mais un désert de sable, un déficit de deux milliards, l'accroissement d'impôts déjà lourds, l'arrêt des industries, le chômage et la misère.

 

30 juillet 1914. Oscillation au bord de l'abîme

(Et la Tripolitaine est encotre présente dans le dernier article de Jaurès pour la Dépêche, à la veille de son assassinat. P 882) .

Lire l'ensemble de l'article sur le blog: "Et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre". Dernier article de Jaurès dans la Dépêche. En contre-point à R. Luxemburg

 

"Aurons-nous la guerre universelle? Aurons-nous la paix? La démarche de l'Autriche-Hongrie a été si brutale, si odieuse .. L'Europe a oublié les dix ans de compétitions d'intrigues, d'abus de la force, de mauvaise foi internationale qui ont grossi l'abcès. Elle a oublié le Maroc, la Tripolitaine, les horreurs balkaniques, les imprudences de la Serbie...

 

C'est dans cet article qui se termine par l'espoir en le socialisme que l'on trouve ce cri de désespoir:

 

"Quelle misère pour la race humaine! Quelle honte pour la civilisation! Devant la formidable menace qui plane sur l'Europe, j'éprouve deux impressions contraires. C'est d'abord une certaine stupeur et une révolte voisine du désespoir. Quoi! C'est à cela  qu'aboutit le mouvement humain! c'est à cette barbarie que se retournent dix-huit siècles de christianisme, le magnifique idéalisme du droit révolutionnaire, cent années de démocratie! Les peuples se sentent soudain dans une atmosphère de foudre, et il semble qu'il suffit de la maladresse d'un diplomate, du caprice d'un souverain, de la folie d'orgueil d'une caste militaire et cléricale au bord du Danube pour que des millions et des millions d'hommes soient appelés à se détruire. Et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre, et si l'homme n'est pas un être prédestiné à la souffrance, étant aussi incapable de se résigner à sa nature animale que de s'en affranchir."

 

la libye civilisation-0e45b

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23 août 2011 2 23 /08 /août /2011 18:16

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Extrait de la préface de E. Mandel à l'édition de 1970 de L'Introduction à l'économie politique. L'ensemble de l'article est à lire sur le site Ernest Mandel .

 

Rosa Luxemburg, le travail salarié.

Rosa Luxemburg. Introduction à l'économie politique chez Agone

Les oeuvres complètes de Rosa Luxemburg chez Agone. Une philosophie de la publication ...



 

1. L’introduction à l’économie politique de Rosa Luxemburg est née directement de son activité de professeur à l’École Centrale du parti social-démocrate à Berlin. Ouverte le 15 novembre 1906, cette école, qui reçut quelque cinquante élèves par semestre, compta Rosa Luxemburg parmi ses professeurs à partir du 1" octobre 1907. Elle y remplaça Hilferding et Pannekoek auxquels la police prussienne avait interdit tout enseignement politique ; ses cours portèrent sur l’économie politique et l’histoire économique. A partir de 1911, elle donna en outre un cours sur l’histoire du socialisme, en remplacement de Franz Mehring.[1]

L’idée de faire éditer ses conférences lui vint, semble-t-il, en 1908. Mais, entre-temps, le sujet qui allait lui permettre d’apporter sa contribution personnelle à l’histoire de la théorie économique marxiste - le problème de l’impérialisme, ou, pour reprendre son propre titre, celui de L’Accumulation du Capital - l’absorba de plus en plus matériellement et intellec tuellement.

L’Accumulation du Capital parut en 1913, et c’est, sans doute, seulement après avoir achevé son magnum opus, que Rosa reprit la rédaction de son Introduction à l’économie politique. De nouveau interrompue par l’éclatement de la guerre, elle poursuivit l’élaboration de L’Introduction pendant son séjour en prison, à Wronke, en Posnanie, en 1916-1917.

Paul Levi, qui était son exécuteur testamentaire, voulait éditer les Œuvres complètes de Rosa, mais L’Introduction fut publiée comme un ouvrage à part. Sans doute pensait-il qu’il ne s’agissait pas d’un livre achevé. Voici ce qu’il écrivait dans la préface de l’édition allemande de 1925 :

« Ces feuilles de Rosa Luxemburg sont dues aux conférences qu’elle a tenues à l’école du parti social-démocrate. Elles sont manuscrites ; mais le style trahit bien souvent le fait qu’il s’agit d’un discours écrit. L’ouvrage n’est pas non plus complet. Il y manque notamment les parties théoriques sur la valeur, la plus-value, le profit, etc., c’est-à-dire ce qui est exposé dans « Le Capital » de Karl Marx sur la fonction du système capitaliste. L’état du manuscrit posthume ne permet pas de saisir les raisons de ces lacunes. Est-ce la fin abrupte de sa vie qui a empêché Rosa d’achever ce qu’elle avait entrepris ? Est-ce dû au fait que les bandits, gardiens de « l’ordre », qui avaient pénétré dans sa maison, ont volé entre autres les parties manquantes du manuscrit ? Le manuscrit posthume offre en tout cas des indices certains que le texte, tel qu’il se présente aujourd’hui, ne peut pas être considéré comme achevé. [2]

Paul Frölich, un des principaux disciples de Rosa Luxemburg, est, cependant, plus précis que Paul Levi. Dans sa biographie de Rosa, il écrit :

« Nous connaissons le plan d’ensemble de l’ouvrage d’après une lettre envoyée à l’éditeur I.H.W. Dietz, écrite à la prison militaire des femmes de Berlin, le 28 juillet 1916. Voici quels en étaient les chapitres prévus :

  1. Qu’est-ce que l’économie politique ?
  2. Le travail social.
  3. Éléments d’histoire économique : la société communiste primitive.
  4. Id. le système économique féodal.
  5. Id. la ville médiévale et les corporations artisanales.
  6. La production marchande.
  7. Le travail salarié.
  8. Le profit capitaliste.
  9. La crise.
  10. Les tendances de l’évolution capitaliste.

En l’été 1916, les deux premiers chapitres étaient prêts pour l’impression, tous les autres étaient des brouillons. Parmi les manuscrits laissés par Rosa Luxemburg, on n’a cependant retrouvé que les chapitres 1, 3, 6, 7 et 10. Paul Levi les a publiés en 1925, malheureusement avec beaucoup d’erreurs, des modifications arbitraires et en omettant des remarques importantes. » [3]

Il faut souligner cependant que si, comme l’affirme Paul Levi, les problèmes de la valeur et de la plus-value ne sont pas traités de manière systématique dans les chapitres qui nous sont parvenus, ils sont éclaircis de manière satisfaisante dans les chapitres relatifs à la production marchande et à la loi des salaires.

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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 21:42
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14 août 2011 7 14 /08 /août /2011 13:10

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Pour illustrer l'importance de la nouvelle publication, chez Agone, de "L'Introduction à l'économie politique, nous mettons sur le blog le dernier chapitre de l'ouvrage dans sa version française de 1970 publié sur le site www.marxists.org.


(A propos de cette publication et de la traduction de 1970, voir notre article: Les oeuvres complètes de Rosa Luxemburg chez Agone. Une philosophie de la publication ..)

 

VI : LES TENDANCES DE L’ÉCONOMIE MONDIALE

 

Nous avons vu naître la production marchande, après que toutes les formes de société où la production est organisée et planifiée - la société communiste primitive, l'économie d'esclavage, l'économie médiévale de servage - se soient dissoutes par étapes. Puis nous avons vu naître de la simple production marchande, c'est-à-dire de la production artisanale urbaine à la fin du Moyen Âge, l'économie capitaliste actuelle tout à fait automatiquement, sans que l'homme le veuille ou en ait conscience. Au début, nous avons posé la question : comment l'économie capitaliste est-elle possible ?C'est la question fondamentale de l'économie politique, en tant que science. Eh bien, la science y répond abondamment. Elle nous montre que l'économie capitaliste est à première vue une impossibilité, une énigme insoluble, étant donné l'absence de tout plan, de toute organisation consciente. Et pourtant elle s'ordonne en un tout et elle existe :

  • par l'échange des marchandises et l'économie monétaire qui lie économiquement entre eux tous les producteurs de marchandises et les régions les plus reculées de la terre et impose la division du travail mondiale;

  • par la libre concurrence qui assure le progrès technique et en même temps transforme constamment les petits producteurs en prolétaires, apportant au capital la force de travail qu'il peut acheter;

  • par la loi capitaliste des salaires qui, d'une part, veille automatiquement à ce que jamais les salariés ne s'élèvent au-dessus de leur état de prolétaires et n'échappent au travail sous les ordres du capital, et qui, d'autre part, permet une accumulation toujours plus grande de travail non payé se transformant en capital, une accumulation et une extension toujours plus grandes de moyens de production;

  • par l'armée de réserve industrielle qui permet à la production capitaliste de s'étendre à volonté et de s'adapter aux besoins de la société;

  • par les variations de prix et les crises qui amènent, soit quotidiennement, soit périodiquement, un équilibre entre la production aveugle et chaotique et les besoins de la société.

C'est ainsi, par l'action mécanique des lois économiques énumérées ci-dessus, qui se sont constituées d'elles-mêmes, sans aucune intervention consciente de la société, que l'économie capitaliste existe. Bien que toute cohésion économique organisée manque entre les producteurs individuels, bien qu'il n'y ait aucun plan dans l'activité économique des hommes, la production sociale peut ainsi se dérouler et se relier à la consommation, les besoins de la société peuvent tant bien que mal être satisfaits et le progrès économique, le développement de la productivité du travail humain, fondement de tout le progrès de la civilisation, sont assurés.

Or, ce sont là les conditions fondamentales d'existence de toute société humaine et tant qu'une forme historique d'économie satisfait à ces conditions, elle peut exister, elle est une nécessité historique.

Les relations sociales n'ont pas des formes rigides et immuables. Elles passent au cours des temps par de nombreux changements, elles sont soumises à un bouleversement continuel qui fraie la voie au progrès de la civilisation, à l'évolution. Les longs millénaires de l'économie communiste primitive qui conduisent la société humaine, des premiers commencements d'une existence encore semi-animale jusqu'à un haut niveau de développement, à la formation du langage et de la religion, à l'élevage et à l'agriculture, à la vie sédentaire et à la formation de villages, sont suivis peu à peu de la décomposition du communisme primitif, de la formation de l'esclavage antique, qui à son tour amène de nouveaux et grands progrès dans la vie sociale, pour aboutir lui-même au déclin du monde antique. De la société communiste des Germains en Europe centrale sort, sur les ruines du monde antique, une nouvelle forme d'économie, le servage, sur laquelle se fonde le féodalisme médiéval.

L'évolution continue sa marche ininterrompue : au sein de la société féodale du Moyen Âge, les germes d'une nouvelle forme d'économie et de société se forment dans les villes : les corporations artisanales, la production marchande et un commerce régulier s'instaurent pour finalement désagréger la société féodale. Elle s'effondre, pour faire place à la production capitaliste qui s'est développée à partir de la production marchande artisanale, grâce au commerce mondial, grâce à la découverte de l'Amérique et de la voie maritime vers les Indes.

Le mode de production capitaliste lui-même n'est pas immuable et éternel si on le considère dans la gigantesque perspective du progrès historique; il est aussi une simple phase transitoire, un échelon dans la colossale échelle de l'évolution humaine, comme toutes les formes de société qui l'ont précédé. Examinée de plus près, l'évolution du capitalisme le mène à son propre déclin, mène au-delà du capitalisme. Nous avons jusqu'ici recherché ce qui rend possible le capitalisme, il est temps maintenant de voir ce qui le rend impossible. Il suffit pour cela de suivre les lois internes de la domination du capital dans leurs effets ultérieurs. Ce sont ces lois qui, parvenues à un certain niveau de développement, se tournent contre les conditions fondamentales sans lesquelles la société humaine ne peut pas exister. Ce qui distingue le mode de production capitaliste des modes de production antérieurs, c'est sa tendance interne à s'étendre à toute la terre et à chasser toute autre forme de société plus ancienne. Au temps du communisme primitif, le monde accessible à la recherche historique était également couvert d'économies communistes. Entre les différentes communautés communistes il n'y avait pas de relation du tout ou bien seulement des relations très lâches. Chaque communauté ou tribu vivait refermée sur elle-même et si nous trouvons des faits aussi étonnants que la communauté de nom entre l'ancienne communauté péruvienne en Amérique du Sud, la “ marca ”, et la communauté germanique médiévale, la “ marche ”, c'est là une énigme encore inexpliquée, ou un simple hasard. Même au temps de l'extension de l'esclavage antique, nous trouvons des ressemblance plus ou moins grandes dans l'organisation et la situation des diverses économies esclavagistes et des États esclavagistes de l'antiquité, mais non une communauté de vie économique. De même, l’histoire des corporations artisanales s'est répétée plus ou moins dans la plupart des villes de l’Italie, de l'Allemagne, de la Hollande, de l'Angleterre, etc., au Moyen Âge. Toutefois c'était le plus souvent l'histoire de chaque ville séparément. La production capitaliste s'étend à tous les pays, en leur donnant la même forme économique et en les reliant en une seule grande économie capitaliste mondiale.

A l'intérieur de chaque pays industriel européen, la production capitaliste refoule sans arrêt la petite production paysanne et artisanale. En même temps, elle intègre tous les pays arriérés d'Europe, tous les pays d’Amérique, d'Asie, d'Afrique, d'Australie, à l'économie mondiale. Cela se passe de deux façons : par le commerce mondial et par les conquêtes coloniales. L'un et l'autre ont commencé ensemble, dès la découverte de l'Amérique à la fin du XV° siècle, puis se sont étendus au cours des siècles suivants; ils ont pris leur plus grand essor surtout au XIX° siècle et ils continuent de s'étendre. Tous deux - le commerce mondial et les conquêtes coloniales - agissent la main dans la main. Ils mettent les pays industriels capitalistes d'Europe en contact avec toutes sortes de formes de société dans d'autres parties du monde, avec des formes d'économie et de civilisation plus anciennes, économies esclavagistes rurales, économies féodales et surtout économies communistes primitives. Le commerce auquel ces économies sont entraînées les décompose et les désagrège rapidement. La fondation de compagnies commerciales coloniales en terre étrangère fait passer le sol, base la plus importante de la production, ainsi que les troupeaux de bétail quand il en existe, dans les mains des États européens ou des compagnies commerciales. Cela détruit partout les rapports sociaux naturels et le mode d'économie indigène, des peuples entiers mont pour une part exterminés, et pour le reste prolétarisés et placés, sous une forme ou sous l'autre, comme esclaves ou comme travailleurs salariés, sous les ordres du capital industriel et commercial. L'histoire des décennies de guerres coloniales pendant tout le XIX° siècle, les soulèvements contre la France, l’Italie, l'Angleterre et l'Allemagne en Afrique, contre la France, l'Angleterre, la Hollande et les États-Unis en Asie, contre l'Espagne et la France en Afrique, c'est l'histoire de la longue et tenace résistance apportée par les vieilles sociétés indigènes à leur élimination et à leur prolétarisation par le capital moderne, lutte d'où partout le capital est sorti vainqueur. Cela signifie une énorme extension de la domination du capital, la formation du marché mondial et de l'économie mondiale où tous les pays habités de la terre sont les uns pour les autres producteurs et preneurs de produits, travaillant la main dans la main, partenaires d'une seule et même économie englobant toute la terre.

L'autre aspect, c'est la paupérisation croissante de couches de plus en plus vastes de l'humanité, et l'insécurité croissante de leur existence. Avec le recul des anciens rapports communistes, paysans ou féodaux aux forces productives limitées et à l'aisance réduite, et aux conditions d'existence solides et assurées pour tous, devant les relations coloniales capitalistes, devant la prolétarisation et devant l'esclavage salarial, la misère brutale, un travail insupportable et inhabituel et de surcroît l'insécurité totale de l'existence s'instaurent pour tous les peuples en Amérique, en Asie, en Australie, en Afrique. Après que le Brésil, pays riche et fertile, ait été, pour les besoins du capitalisme européen et nord-américain, transformé en un gigantesque désert et en une vaste plantation de café, après que les indigènes aient été transformés en esclaves salariés prolétarisés dans les plantations, ces esclaves salariés sont soudain livrés pour de longues périodes au chômage et à la faim, par un phénomène purement capitaliste, la “ crise du café ”. Après une résistance désespérée de plusieurs décennies, l’Inde riche et immense a été soumise à la domination du capital par la politique coloniale anglaise, et depuis lors la famine et le typhus, qui fauchent d'un seul coup des millions d'hommes, sont les hôtes périodiques de la région du Gange. A l'intérieur de l’Afrique, la politique coloniale anglais et allemande a, en vingt ans, transformé des peuplades entières en esclaves salariés ou bien les a fait mourir de faim; leurs os sont dispersés dans toutes les régions. Les soulèvements désespérés  [1] et les épidémies dues à la faim dans l'immense Empire chinois sont les conséquences de l'introduction du capital européen, qui a broyé l'ancienne économie paysanne et artisanale. L'entrée du capitalisme européen aux États-Unis s'est accompagnée d'abord de l'extermination des Indiens d'Amérique et du vol de leurs terres par les immigrants anglais, puis de l'introduction au début du XIX° siècle d'une production brute capitaliste pour l'industrie anglaise, puis de la réduction en esclavage de quatre millions de nègres africains, vendus en Amérique par des marchands d'esclaves européens, pour être placés sous les ordres du capital dans les plantations de coton, de sucre et de tabac.

Ainsi un continent après l'autre, et dans chaque continent, un pays après l'autre, une race après l'autre passent inéluctablement sous la domination du capital  [2]. D'innombrables millions d'hommes sont voués à la prolétarisation, à l'esclavage, à une existence incertaine, bref à la paupérisation. L'instauration de l'économie capitaliste mondiale entraîne l'extension d'une misère toujours plus grande, d'une charge de travail insupportable et d'une insécurité croissante de l'existence sur la surface du globe, à laquelle correspond la concentration du capital. L'économie capitaliste mondiale implique que l'humanité entière s'attèle toujours plus à un dur travail et souffre de privation et de maux innombrables, qu'elle soit livrée à la dégénérescence physique et morale, pour servir l'accumulation du capital. Le mode de production capitaliste a cette particularité que la consommation humaine qui, dans toutes les économies antérieures, était le but, n'est plus qu'un moyen au service du but proprement dit : l'accumulation capitaliste. La croissance du capital apparaît comme le commencement et la fin, la fin en soi et le sens de toute la production. L'absurdité de tels rapports n'apparaît que dans la mesure où la production capitaliste devient mondiale. Ici, à l'échelle mondiale, l'absurdité de l'économie capitaliste atteint son expression dans le tableau d'une humanité entière gémissant sous le joug terrible d'une puissance sociale aveugle quelle a elle-même créée inconsciemment : le capital. Le but fondamental de toute forme sociale de production : l'entretien de la société par le travail, la satisfaction des besoins, apparaît ici complètement renversé et mis la tête en bas, puisque la production pour le profit et non plus pour l'homme devient la loi sur toute la terre et que la sous-consommation, l'insécurité permanente de la consommation et par moments la non-consommation de l'énorme majorité de l'humanité deviennent la règle.

En même temps, l'évolution de l'économie mondiale entraîne d'autres phénomènes importants, pour la production capitaliste elle-même. L'instauration de la domination du capital européen dans les pays extra-européens passe par deux étapes : d'abord la pénétration du commerce et l'intégration des indigènes à l'échange de marchandises, en partie la transformation des formes préexistantes de production indigène en production marchande; puis l'expropriation des indigènes de leurs terres, et par suite de leurs moyens de production, sous telle ou telle forme. Ces moyens de production se transforment en capital entre les mains des Européens, tandis que les indigènes se transforment en prolétaires. Une troisième étape succède en règle générale aux deux premières : la création d'une production capitaliste propre dans le pays colonial, soit par des Européens immigrés, soit par des indigènes enrichis. Les États-Unis d'Amérique, qui ont d'abord été peuplés par les Anglais et autres immigrants européens après l'extermination des peaux-rouges indigènes, constituèrent d'abord un arrière-pays agricole pour l'Europe capitaliste, fournissant à l'Angleterre les matières premières, telles que le coton et le grain, et absorbant toutes sortes de produits industriels. Dans la seconde moitié du XIX° siècle, il se forme aux États-Unis une industrie qui, non seulement refoule les importations d’Europe, mais livre une dure concurrence au capitalisme européen en Europe et dans les autres continents. Aux Indes, le capitalisme anglais se voit confronté à un dangereux concurrent dans l'industrie indigène, textile et autre. L'Australie a suivi le même chemin, se transformant de pays colonial en pays capitaliste industriel. Au Japon, dès la première étape, le heurt avec le commerce mondial a fait surgir une industrie propre, ce qui a préservé le Japon du partage colonial. En Chine, le processus de démembrement et de pillage du pays par le capitalisme européen se complique du fait des efforts du pays pour créer sa propre production capitaliste avec l'aide du Japon, afin de se défendre de la production capitaliste européenne, ce qui redouble les souffrances de la population. La domination et le commandement du capital se répandent sur toute la terre par la création d'un marché mondial, le mode de production capitaliste se répand aussi peu à peu sur tout le globe. Or, les besoins d'expansion de la production et le territoire où elle peut s'étendre, c'est-à-dire ses débouchés, sont dans un rapport de plus en plus tendu. C'est un besoin inhérent et une loi vitale de la production capitaliste de ne pas rester stable, de s'étendre toujours plus et plus vite, c'est-à-dire de produire toujours plus vite d'énormes quantités de marchandises, dans des entreprises toujours plus grandes, avec des moyens techniques toujours plus perfectionnés.

Cette capacité d'extension de la production capitaliste ne connaît pas de limites, parce que le progrès technique, et par suite les forces productives de la terre, n'ont pas de limites. Cependant, ce besoin d'extension se heurte à des limites tout à fait déterminées, à savoir le profit du capital. La production et son extension n'ont de sens que tant qu'il en sort au moins le profit moyen “ normal ”. Il dépend du marché que ce soit le cas, c'est-à-dire du rapport entre la demande solvable du côté du consommateur et la quantité de marchandises produites ainsi que de leurs prix. L'intérêt du capital qui exige une production toujours plus rapide et plus grande, crée à chaque pas les limites de son marché, qui font obstacle à l'impétueuse tendance de la production à s'étendre. Il en résulte que les crises industrielles et commerciales sont inévitables; elles rétablissent périodiquement l'équilibre entre la tendance capitaliste à la production, en soi illimitée, et les limites de la consommation, et permettent au capital de se perpétuer et de se développer.

Plus les pays qui développent leur propre industrie capitaliste sont nombreux, et plus le besoin d'extension et les capacités d'extension de la production augmentent d'un côté, et moins les capacités d'extension du marché augmentent en rapport avec les premières. Si l'on compare les bonds par lesquels l'industrie anglaise a progressé dans les années 1860 et 1870, alors que l’Angleterre dominait encore le marché mondial, avec sa croissance dans les deux dernières décennies, depuis que l'Allemagne et les États-Unis d'Amérique ont fait considérablement reculer l’Angleterre sur le marché mondial, il en ressort que la croissance a été beaucoup plus lente qu'avant. Le sort de l'industrie anglaise attend aussi l'industrie allemande, l'industrie nord-américaine et finalement toute l'industrie du monde. A chaque pas de son propre développement, la production capitaliste s'approche irrésistiblement de l'époque où elle ne pourra se développer que de plus en plus lentement et difficilement. Le développement capitaliste en soi a devant lui un long chemin, car la production capitaliste en tant que telle ne représente qu'une infime fraction de la production mondiale. Même dans les plus vieux pays industriels d'Europe, il y a encore, à côté des grandes entreprises industrielles, beaucoup de petites entreprises artisanales arriérées, la plus grande partie de la production agricole, la production paysanne, n'est pas capitaliste. A côté de cela, il y a en Europe des pays entiers où la grande industrie est à peine développée, où la production locale a un caractère paysan et artisanal. Dans les autres continents, à l'exception de l'Amérique du Nord, les entreprises capitalistes ne constituent que de petits îlots dispersés tandis que d'immenses régions ne sont pas passées à la production marchande simple. La vie économique de ces couches sociales et de ces pays d'Europe et hors d'Europe qui ne produisent pas selon le mode capitaliste est dominée par le capitalisme. Le paysan européen peut bien pratiquer l'exploitation parcellaire la plus primitive, il dépend de l'économie capitaliste, du marché mondial avec lequel le commerce et la politique fiscale des États capitalistes l'ont mis en contact. De même, les pays extra-européens les plus primitifs se trouvent soumis à la domination du capitalisme européen ou nord-américain par le commerce mondial et la politique coloniale. Le mode de production capitaliste pourrait avoir une puissante extension s'il devait refouler partout les formes arriérées de production. L'évolution va dans ce sens. Cependant, cette évolution enferme le capitalisme dans la contradiction fondamentale : plus la production capitaliste remplace les modes de production plus arriérés, plus deviennent étroites les limites du marché créé par la recherche du profit, par rapport au besoin d'expansion des entreprises capitalistes existantes. La chose devient tout à fait claire si nous nous imaginons pour un instant que le développement du capitalisme est si avancé que sur toute la surface du globe tout est produit de façon capitaliste, c'est-à-dire uniquement par des entrepreneurs capitalistes privés, dans des grandes entreprises, avec des ouvriers salariés modernes. L'impossibilité du capitalisme apparaît alors clairement.

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14 août 2011 7 14 /08 /août /2011 10:56

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Le tome 1 des Oeuvres complètes chez Rosa Luxemburg :


Introduction à l'économie politique

 


Rosa Luxemburg


Introduction à l’économie politique
Co-édition avec le collectif Smolny… — Préface de Louis Janover

De 1907 à 1913, Rosa Luxemburg donne des cours d’économie politique à l’école du parti social-démocrate allemand. Alors que ce dernier se montre de plus en plus complaisant à l’égard d’un système qui conduit tout droit à la Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg fait ressortir les contradictions insurmontables du capitalisme, son inhumanité croissante, mais aussi son caractère transitoire. Appuyé sur les avancés scientifiques et critiques de son temps, son regard embrasse les formes d’organisations sociales les plus variées, depuis le « communisme primitif » jusqu’au dernier-né des modes d’exploitation, le capital « assoiffé de surtravail ». Dans ces leçons, qui s’inscrivent dans le droit-fil de la Critique de l’économie politique de Marx comme du Manifeste communiste, elle pose la question qui resurgit aujourd’hui avec plus d’insistance que jamais : socialisme ou chute dans la barbarie !

Théoricienne communiste héritière de Karl Marx et révolutionnaire allemande, Rosa Luxemburg participe à la création de la gauche polonaise puis crée en Allemagne, avec Karl Liebknecht, le mouvement révolutionnaire spartakiste, ancêtre du Parti Communiste d’Allemagne (KPD). Elle passe de nombreux séjours en prison, notamment pour pacifisme ; arrêtée avec Karl Liebknecht à l’issue de la révolution de Novembre 1918, elle est assassinée le 15 janvier 1919 par une unité de Corps Francs, sur ordre de Gustav Noske « commissaire du peuple » social-démocrate. Ses écrits publiés en français sont de deux sortes : sa correspondance, qui donne à voir son quotidien militant et son intimité ; et des essais économiques et politiques actualisant les thèses de Marx et théorisant l’internationalisme.

 




Notes

[1] Note marginale de R.L. (au crayon) : typhus famélique.

[2] Note marginale de R. L. (au crayon) : extermination des peuples primitifs.

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13 août 2011 6 13 /08 /août /2011 22:27

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Cette note des éditeurs et l'avant-propos du  Tome 1 des Oeuvres complètes de Rosa Luxemburg paru chez Agone témoignent de la philosophie et de l'exigence qui animent cette entreprise.


Note des éditeurs

 

"Au rédacteur responsable de l'imprimerie du grand journal social-démocrate Vorwärts qui lui proposait une parution en fascicules de ses oeuvres et de celles de Marx, Friedrich Engels répondait : "Ce à quoi je ne pourrais me résoudre, c'est de laisser subir aux anciens travaux de Marx et aux miens la plus petite opération de castration afin de me plier aux contraintes de publication du moment. [...] J'ai l'intention de restituer au public les moindres écrits de Marx et les miens dans une édition complète, c'est-à-dire non par livraisons successives, mais directement en volumes complets (1). " On mesure l'enjeu qu'aurait représenté une telle édition conçue non comme une finalité académique mais comme instrument d'approfondissement de la conscience politique. Cet espoir ne devait malheureusement pas se concrétiser. Et les projets d'édition savante d'une intégrale Marx-Engels, qui ont surgi depuis, progressent encore avec de grandes difficultés

 

Ainsi en a-t-il été des écrits de Rosa Luxemburg, autre figure majeure d'un mouvement ouvrier dont la force, qui semblait irrésistible, devait pourtant se briser à l'épreuve de la Guerre et de la Révolution.

 

En nous engageant dans la voie de la publication des Oeuvres complètes de Rosa Luxemburg, nous souhaitons que l'intégralité du corpus des écrits fasse écho à la totalité d'une pensée qui ne se laisse réduire à aucune de ses parties et dont l'inaltérable intégrité continue de nous questionner sur nos propres responsabilités. Qu'en est-il de nos projets d'émancipation? Que sont devenues les exigences d'égalité sociale, d'abolition de l'exploitation et d'épanouissement de la liberté pour le plus grand nombre?"

 

Smolny et Agone, novembre 2009

 

1. Engels à  Richard Fischer, 15 avril 1895 ....

 

Rosa Luxemburg. Tome 1, P 7

 


Avant-propos

 

Redonner à lire un ouvrage comme celui de Rosa Luxemburg, après sa première édition en langue française en 1970 - déjà bien tardive si l'on se souvient que la première édition allemande date de 1925 -, mérite sans doute quelques éclaircissements sur les conditions d'une telle parution. Celle-ci participe des objectifs du collectif d'édition Smolny: rendre à nouveau disponibles certains textes majeurs de l'histoire politique du mouvement ouvrier et redonner ainsi la parole à quelques internationalistes que l'édition "traditionnelle" semble ne pas toujours retenir. Cette entreprise se présente comme le fruit d'une association de bonnes volontés animées par l'écho persistant des propos de Pannekoek qui souhaitait que "les masses toujours plus larges prennent les choses en main, se considèrent comme responsables, se mettent à chercher, à faire de la propagande, à combattre, expérimenter, réfléchir, à peser, puis oser, et aller jusqu'au bout." (1)

 

Pour que cette nouvelle édition soit pleinement utile au lecteur, il nous a semblé qu'il devait disposer d'un texte revu, corrigé et confronté à la dernière édition allemande lorsque le sens ou la syntaxe de la précédente traduction (2) nous paraissait problématique. Et il était également indispensable que l'appareil de notes apporte un éclairage, fût-il succinct, sur toutes les personnes ou les travaux évoqués au fil des pages, et précise certains des éléments, ethnologiques notamment, abordés différemment depuis. Que ce soit par les références détaillées des textes cités par Rosa Luxemburg ou par les renvois vers d'autres ouvrages, nous espérons rendre encore plus évidente la richesse d'une pensée qui puisait dans tous les domaines, arts, sciences, histoire, philosophie ou sociologie, sans se laisser enfermer dans aucune spécialisation

 

C'est dans ce même esprit que les appendices essaient d'offrir un aperçu plus large sur une période charnière de l'histoire du mouvement ouvrier, un combat dont la vie de Rosa Luxemburg est indissociable. Chronologie et notices sont bien entendu le résultat de choix qui restent éminemment subjectifs; la place que nous avons voulu donner à des courants d'opposition est par exemple sans rapport avec celle que leur réserve l'historiographie officielle.

 

Aussi n'était-il pas question de publier un auteur, dont la seule perspective fût celle du communisme et de la révolution prolétarienne sans se confronter à la réalité de ce qui, au XXème siècle s'est présenté sous ces noms, mensonges déconcertants qui restent toujours présents dans notre histoire. Que nous dit aujourd'hui l'oeuvre de Rosa Luxemburg des partis qui ont revêtu ces mouvements d'émancipation sociale des habits repoussants taillés par les idéologues des régimes dits "soviétiques" ou sociaux-démocrates"? C'est à cette question que s'est attelé Louis Janover dans le texte qui ouvre ce volume..

 

Nous adressons nos plus vifs remerciements à M. Jean Pavlevski, directeur des éditions Economica, qui nous a permis de reprendre ce texte à la suite des éditions Anthropos; à M. Jean-Marie Tremblays, responsable du site internet des classiques des sciences sociales de l'université de Chicoutimi, qui a rendu publique une version numérisée de l'édition de 1973. Nos témoignages de reconnaissance vont aussi aux souscripteurs dont le soutien moral et financier important a rendu possible la réalisation de ce projet. Monique et Louis Janover ont aidé à la relecture du texte de Rosa Luxemburg et des notes attenantes. Louis Janover et Franjo Jugel nous ont été d'un secours précieux pour les traductions de l'allemand au français. Enfin, Philippe Dos et Pascale ont bien amicalement contribué à la mise en forme finale de la maquette.

 

Smolny, mars 2008

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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009