En novembre 2011, nous publiions sur le blog l'article ci-dessous (lire ici) consacré à l'ouvrage rassemblant les photographies de Willy Römer sur la révolution spartakiste. Nous le reprenons aujourd'hui car il montre clairement ce qu'était la révolution spartakiste, un véritable mouvement d'ouvriers et de soldats et ce que signifie le réformisme qui l'a condamnée à mort.
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Berlin, janvier 1919 - Les photos de Willy Römer et le récit des événements qui ont précédé l'assassinat de Rosa Luxemburg
La maison d'édition Dirk Nishen avait repris en 1984 un ensemble de photographies de Willy Römer sur la révolution spartakiste.
Il s'agit d'un ensemble de photographies réalisées entre le 5 et le 12 janvier 1919 (la dernière photographie représentant les familles faisant la queue pour retrouver leurs disparus est datée seulement de janvier 1919 sans précision de jour) dans le PressevIertel (quartier de la presse).
C'est un témoignage inestimable sur l'ampleur de la révolution spartakiste.
L'ouvrage se termine par un aperçu des événements qui ont marqué janvier 1919 et la révolution allemande.
Ils éclairent le contexte qui aboutit à l'assassinat de Rosa Luxemburg, de Liebknecht, de Leo Jogiches ainsi qu'à la mort de centaines de révolutionnaires, et à l'écrasement d'une tentative révolutionnaire exemplaire, qui rappelle par de nombreux aspects l'écrasement de la Commune.
Ecrasement cependant dû cette fois à la social-démocrate et à son appui sur les forces militaires les plus réactionnaires.
Willy Römer
Né en 1987 à Berlin, fils d'un artisan tailleur, il a fait son apprentissage dans la toute première agence de presse allemande. Mobilisé, il resta sous les drapeaux de 1915 à 1918 en Russie, Pologne et en Flandres. Démobilisé en novembre 1918, il reprend l'entreprise "Photothek": c'est à cette époque qu'il réalise ses photographies sur la révolution à Berlin en janvier 1919.
(D'après wikipedia)
Eléments chronologiques repris du texte accompagnant les photographies.
Les combats de janvier 1919 commencent tout d'abord par un conflit entre les dirigeants du SPD et ceux de l'USPD et des Spartakistes suite au renvoi par Ebert du responsable de la police à Berlin, Eichhorn.
. L'appel à la manifestation, le 5 janvier, rassemble une foule énorme et armée.
Manifestation. Le 5 janvier 1919
. Sans que cela soit organisé et planifié, les combats s'engagent alors l'après-midi même. Des groupes armés de soldats et d'ouvriers occupent les gares et les journaux.
Occupation du quartier de la presse par les ouvriers et soldats
. La principale cible fut le journal Vorwärts, dont la rédaction avait été chassée par les militaires et qui ne fut pas remise en plac,e après la défaite, par le SPD (Karl etslaw).
. Après trois jours, les combats s'atténuèrent et une manifestation regroupa des ouvriers demandant leur arrêt et la fin de la guerre civile.
. C'est à ce moment-là que le SPD fit appel à l'armée impériale, constituée pour partie de régiments et pour partie de corps francs. Les combats durèrent du 9 au 12 janvier. Le combat était inégal entre les révolutionnaires armés de fusils, de mitrailleuses et de grenades et l'armée avec ses tanks et canons.
. Le 11, les locaux de Vorwärts furent repris par l'armée, il y eut environ 120 morts et 300 prisonniers.
L'assaut des troupes contre le l'immeuble occupée du Vorwärts. 11 janvier 1919
. Les autres rédactions tombèrent ensuite, puis le Polizeipräsidium (la préfecture de police). S'ensuivirent des tortures exercées contre les prisonniers et des exécutions sommaires ...
Des familles font la queue à la recherche de proches disparus. Janvier 1919
A la lumière de ces quelques indications, ne comprend-on pas clairement dans quelles circonstances eurent lieu les assassinats de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht et la responsabilité manifeste et incontestable du SPD? Qui préféra cet écrasement et ces assassinats à la possibilité d'une société différente.
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L'article publié dans la Rote Fahne le 14 janvier 1919 par Rosa Luxemburg à la suite de ces événements ...
http://www.marxists.org/francais/luxembur/spartakus/rl19190114.htm
« L'ordre règne à Berlin »
« L'ordre règne à Varsovie », déclara le ministre Sébastiani, en 1831, à la Chambre française, lorsque, après avoir lancé son terrible assaut sur le faubourg de Praga, la soldatesque de Souvorov [1], eut pénétré dans la capitale polonaise et qu'elle eut commencé son office de bourreau.
« L'ordre règne à Berlin », proclame avec des cris de triomphe la presse bourgeoise, tout comme les Ebert et les Noske, tout comme les officiers des « troupes victorieuses » que la racaille petite-bourgeoise accueille dans les rues de Berlin en agitant des mouchoirs et en criant : « Hourrah ! » Devant l'histoire mondiale, la gloire et l'honneur des armes allemandes sont saufs. Les lamentables vaincus des Flandres et de l'Argonne ont rétabli leur renommée en remportant une victoire éclatante... sur les 300 « Spartakistes » du Vorwärts. Les exploits datant de la glorieuse invasion de la Belgique par des troupes allemandes, les exploits du général von Emmich, le vainqueur de Liège, pâlissent devant les exploits des Reinhardt [2] et Cie dans les rues de Berlin. Assassinat de parlementaires venus négocier la reddition du Vorwärts et que la soldatesque gouvernementale a frappés a coups de crosse, au point que l'identification des corps est impossible, prisonniers collés au mur, dont on a fait éclater les crânes et jaillir la cervelle : qui donc, en présence de faits aussi glorieux pourrait encore évoquer les défaites subies devant les Français, les Anglais et les Américains ? L'ennemi, c'est « Spartacus » et Berlin est le lieu où nos officiers s'entendent à remporter la victoire. Et le général qui s'entend à organiser ces victoires, là où Ludendorff a échoué, c'est Noske, l' « ouvrier » Noske.
Qui n'évoquerait l'ivresse de la meute des partisans de « l'ordre », la bacchanale de la bourgeoisie parisienne dansant sur les cadavres des combattants de la Commune, cette bourgeoisie qui venait de capituler lâchement devant les Prussiens et de livrer la capitale à l'ennemi extérieur après avoir levé le pied ? Mais quand il s'est agi d'affronter les prolétaires parisiens affamés et mal armés, d'affronter leurs femmes sans défense et leurs enfants, ah comme le courage viril des fils de bourgeois, de cette « jeunesse dorée », comme le courage des officiers a éclaté Comme la bravoure de ces fils de Mars qui avaient cané devant l'ennemi extérieur s'est donné libre cours dans ces atrocités bestiales, commises sur des hommes sans défense, des blessés et des prisonniers !
« L'ordre règne à Varsovie », « l'ordre règne à Paris », « l'ordre règne à Berlin ». Tous les demi-siècles, les gardiens de « l'ordre » lancent ainsi dans un des foyers de la lutte mondiale leurs bulletins de victoire. Et ces « vainqueurs » qui exultent ne s'aperçoivent pas qu'un « ordre », qui a besoin d'être maintenu périodiquement par de sanglantes hécatombes, va inéluctablement à sa perte.
Cette « Semaine Spartakiste » de Berlin, que nous a-t-elle apporté, que nous enseigne-t-elle ? Au cœur de la mêlée, au milieu des clameurs de triomphe de la contre-révolution, les prolétaires révolutionnaires doivent déjà faire le bilan des événements, les mesurer, eux et leurs résultats, au grand étalon de l'histoire. La révolution n'a pas de temps à perdre, elle poursuit sa marche en avant, - par-dessus les tombes encore ouvertes, par-delà les « victoires » et les « défaites » - vers ses objectifs grandioses. Et le premier devoir de ceux qui luttent pour le socialisme internationaliste, c'est d'étudier avec lucidité sa marche et ses lignes de force.
Pouvait-on s'attendre, dans le présent affrontement, à une victoire décisive du prolétariat révolutionnaire, pouvait-on escompter la chute des Ebert-Scheidemann et l'instauration de la dictature socialiste ? Certainement pas, si l'on fait entrer en ligne de compte tous les éléments qui décident de la réponse. Il suffit de mettre le doigt sur ce qui est à l'heure actuelle la plaie de la révolution : le manque de maturité politique de la masse des soldats qui continuent de se laisser abuser par leurs officiers et utiliser à des fins contre-révolutionnaires est à lui seul la preuve que, dans ce choc-ci, une victoire durable de la révolution n'était pas possible. D'autre part, ce manque de maturité n'est lui-même que le symptôme du manque général de maturité de la révolution allemande.
Les campagnes, d'où est issu un fort pourcentage de la masse des soldats, continuent de n'être à peu près pas touchées par la révolution. Jusqu'ici, Berlin est à peu près isolé du reste du Reich. Certes en province, les foyers révolutionnaires - en Rhénanie, sur la côte de la mer du Nord, dans le Brunswick, la Saxe, le Wurtemberg - sont corps et âme aux côtés du prolétariat berlinois. Mais ce qui fait défaut, c'est la coordination de la marche en avant, l'action commune qui donnerait aux coups de boutoir et aux ripostes de la classe ouvrière berlinoise une tout autre efficacité. Ensuite - et c'est de cette cause plus profonde que proviennent ces imperfections politiques - les luttes économiques, ce volcan qui alimente sans cesse la lutte de classe révolutionnaire, ces luttes économiques n'en sont encore qu'à leur stade initial.
Il en résulte que, dans la phase actuelle, on ne pouvait encore escompter de victoire définitive, de victoire durable. La lutte de la semaine écoulée constituait-elle pour autant une « faute » ? Oui, s'il s'agissait d'un « coup de boutoir » délibéré, de ce qu'on appelle un « putsch » ! Mais quel a été le point de départ des combats ? Comme dans tous les cas précédents, le 6 décembre, le 24 décembre : une provocation brutale du gouvernement ! Naguère l'attentat contre les manifestants sans armes de la Chausséestrasse, le massacre des matelots, cette fois le coup tenté contre la Préfecture de Police, ont été la cause des événements ultérieurs. C'est que la révolution n'agit pas à sa guise, elle n'opère pas en rase campagne, selon un plan bien mis au point par d'habiles « stratèges ». Ses adversaires aussi font preuve d'initiative, et même en règle générale, bien plus que la Révolution.
Placés devant la provocation violente des Ebert-Scheidemann, les ouvriers révolutionnaires étaient contraints de prendre les armes. Pour la révolution, c'était une question d'honneur que de repousser l'attaque immédiatement, de toute son énergie, si l'on ne voulait pas que la contre-révolution se crût encouragée à un nouveau pas en avant ; si l'on ne voulait pas que fussent ébranlés les rangs du prolétariat révolutionnaire et le crédit dont jouit au sein de l'Internationale [3] la révolution allemande.
Du reste, des masses berlinoises jaillit spontanément, avec une énergie si naturelle, la volonté de résistance, que, dès le premier jour, la victoire morale fut du côté de la « rue ».
Or il existe pour la Révolution une règle absolue : ne jamais s'arrêter une fois le premier pas accompli, ne jamais tomber dans l'inaction, la passivité. La meilleure parade, c'est de porter à l'adversaire un coup énergique. Cette règle élémentaire qui s'applique à tout combat vaut surtout pour les premiers pas de la révolution. Il va de soi - et pareil comportement témoigne de la justesse, de la fraîcheur de réaction du prolétariat, - qu'il ne pouvait se satisfaire d'avoir réinstallé Eichhorn à son poste. Spontanément, il occupa d'autres positions de la contre-révolution : les sièges de la presse bourgeoise, le bureau de l'agence d'informations officieuse, le Vorwärts. Ces démarches étaient inspirées à la masse par ce qu'elle comprenait d'instinct : la contre-révolution n'allait pas pour sa part se satisfaire de sa défaite, mais préparer une épreuve de force générale.
Là encore nous nous trouvons en présence d'une de ces grandes lois historiques de la révolution, sur laquelle viennent se briser toutes les habiletés, toute la « science » de ces petits révolutionnaires de l'U.S.P. [4], qui dans chaque lutte ne sont en quête que d'une chose ; de prétextes pour battre en retraite. Dès que le problème fondamental d'une révolution a été clairement posé - et dans celle-ci c'est le renversement du gouvernement Ebert-Scheidemann, premier obstacle à la victoire du socialisme - alors ce problème ne cesse de resurgir dans toute son actualité, et, avec la fatalité d'une loi naturelle, chaque épisode de la lutte le fait apparaître dans toute son ampleur, si peu préparée à le résoudre que soit la révolution, si peu propice que soit la situation.
« A bas Ebert-Scheidemann ! » Ce mot d'ordre jaillit immanquablement à chaque nouvelle crise révolutionnaire ; c'est la formule qui, seule, épuise tous les conflits partiels et qui, par sa logique interne, qu'on le veuille ou non, pousse n'importe quel épisode de la lutte jusqu'à ses conséquences extrêmes.
De cette contradiction entre la tâche qui s'impose et l'absence, à l'étape actuelle de la révolution, des conditions préalables permettant de la résoudre, il résulte que les luttes se terminent par une défaite formelle. Mais la révolution est la seule forme de « guerre » - c'est encore une des lois de son développement - où la victoire finale ne saurait être obtenue que par une série de « défaites ».
Que nous enseigne toute l'histoire des révolutions modernes et du socialisme? La première flambée de la lutte de classe en Europe s'est achevé par une défaite. Le soulèvement des canuts de Lyon, en 1831, s'est soldé par un lourd échec. Défaite aussi pour le mouvement chartiste en Angleterre. Défaite écrasante pour la levée du prolétariat parisien au cours des journées de juin 1848. La Commune de Paris enfin a connu une terrible défaite. La route du socialisme - à considérer les luttes révolutionnaires - est pavée de défaites.
Et pourtant cette histoire mène irrésistiblement, pas à pas, à la victoire finale ! Où en serions-nous aujourd'hui sans toutes ces « défaites », où nous avons puisé notre expérience, nos connaissances, la force et l'idéalisme qui nous animent ? Aujourd'hui que nous sommes tout juste parvenus à la veille du combat final de la lutte prolétarienne, nous sommes campés sur ces défaites et nous ne pouvons renoncer à une seule d'entre elles, car de chacune nous tirons une portion de notre force, une partie de notre lucidité.
Les combats révolutionnaires sont à l'opposé des luttes parlementaires. En Allemagne, pendant quatre décennies, nous n'avons connu sur le plan parlementaire que des « victoires »; nous volions littéralement de victoire en victoire. Et quel a été le résultat lors de la grande épreuve historique du 4 août 1914 : une défaite morale et politique écrasante, un effondrement inouï, une banqueroute sans exemple. Les révolutions par contre ne nous ont jusqu'ici apporté que défaites, mais ces échecs inévitables sont précisément la caution réitérée de la victoire finale.
A une condition il est vrai ! Car il faut étudier dans quelles conditions la défaite s'est chaque fois produite. Résulte-t-elle du fait que l'énergie des masses est venue se briser contre la barrière des conditions historiques qui n'avaient pas atteint une maturité suffisante, ou bien est-elle imputable aux demi-mesures, à l'irrésolution, à la faiblesse interne qui ont paralysé l'action révolutionnaire ?
Pour chacune de ces deux éventualités, nous disposons d'exemples classiques : la révolution française de février, la révolution allemande de mars. L'action héroïque du prolétariat parisien, en 1848, est la source vive où tout le prolétariat international puise son énergie. Par contre, les navrantes petitesses de la révolution allemande de mars sont comme un boulet qui freine toute l'évolution de l'Allemagne moderne. Elles se sont répercutées - à travers l'histoire particulière de la social-démocratie allemande - jusque dans les événements les plus récents de la révolution allemande, jusque dans la crise que nous venons de vivre.
A la lumière de cette question historique, comment juger la défaite de ce qu'on appelle la « semaine spartakiste » ? Provient-elle de l'impétuosité de l'énergie révolutionnaire et de l'insuffisante maturité de la situation, ou de la faiblesse de l'action menée ?
De l'une et de l'autre ! Le double caractère de cette crise, la contradiction entre la manifestation vigoureuse, résolue, offensive des masses berlinoises et l'irrésolution, les hésitations, les atermoiements de la direction, telles sont les caractéristiques de ce dernier épisode.
La direction a été défaillante. Mais on peut et on doit instaurer une direction nouvelle, une direction qui émane des masses et que les masses choisissent. Les masses constituent l'élément décisif, le roc sur lequel on bâtira la victoire finale de la révolution.
Les masses ont été à la hauteur de leur tâche. Elles ont fait de cette « défaite » un maillon dans la série des défaites historiques, qui constituent la fierté et la force du socialisme international. Et voilà pourquoi la victoire fleurira sur le sol de cette défaite.
« L'ordre règne à Berlin ! » sbires stupides ! Votre « ordre » est bâti sur le sable. Dès demain la révolution « se dressera de nouveau avec fracas » proclamant à son de trompe pour votre plus grand effroi
J'étais, je suis, je serai ! [5]
Notes
[1] Erreur de Rosa Luxemburg : Souvorov est mort en 1800. Les troupes russes étaient commandées par Paskevitch. (Note de G.Badia).
[2] REINHARDT, Walther (1872-1930). Officier d'État Major pendant la première guerre mondiale, dernier ministre prussien de la guerre, il fut nommé en octobre 1919, chef de la direction de l'armée. Il démissionna en même temps que Noske, après le putsch de Kapp.
[3] Il s'agit encore à ce moment-là d'une Internationale toute théorique puisque le premier Congrès de la III° Internationale n'a pas encore eu lieu. (Note de G.Badia).
[4] L’U.S.P. était le parti social-démocrate indépendant au sein duquel militaient notamment Kautsky et Bernstein.
[5] Vers extrait du poème de F. Freiligrath « La Révolution ». (Note de G.Badia).