comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com
Cette lettre, importante, s'inscrit de fait dans sa réflexion sur le réformisme et sur la grève de masse et la révolution. Rosa Luxemburg avait rejointla révolution russe. Arrêtée avec Leo Jogiches, elle sera libérée et restera un moment en Finlande où elle écrit "Grève de masse, parti et syndicat". On sent dans cette lettre le fossé qui se creuse entre celle qui a fait l'expérience pratique du procès révolutionnaire et ce parti social-démocrate qui s'enfonce toujours plus loin dans le parlementarisme et l'opportunisme et dont elle perçoit bien qu'il devient de plus en plus clairement un "ennemi" pour la révolution.
La traduction ci-dessous se trouve sur le site du collectifsmolny. Les éléments en gras viennent de nous.
16 décembre 1906 : Rosa Luxemburg à Clara Zetkin
[Vers le 16/12/1906 [1].]
Chère Clara,
Je viens de lire ta dernière lettre à Kostia et j’ai un impérieux besoin de t’écrire. [2] L’appel du Comité directeur m’a fait le même effet qu’à toi - c’est tout dire. Depuis mon retour de Russie, je me sens assez seule dans ce contexte. J’ai conscience, plus brutalement et plus douloureusement que jamais auparavant, de la pusillanimité et de la mesquinerie qui règnent dans notre parti, mais je ne me mets pas en colère comme tu le fais à ce sujet, parce que j’ai déjà compris - c’est d’une clarté effrayante - que ces choses et ces gens ne pourront changer, tant que la situation n’aura pas changé du tout au tout. Et même alors - je me le suis déjà dit en y réfléchissant froidement, et c’est une chose, pour moi, entendue - il nous faut compter avec la résistance inévitable de ces gens-là, quand nous voudrons faire avancer les masses. La situation est simple : August [Bebel] et tous les autres bien plus encore se sont dépensés sans compter pour le parlementarisme et s’y sont donnés tout entiers. Si les événements prennent une tournure qui déborde les limites du parlementarisme, ils ne seront plus bons à rien ; qui plus est, ils chercheront à tout ramener à l’aune parlementaire, traiteront donc d’« ennemi du peuple » et combattront avec rage tout mouvement et tout homme qui voudra aller plus loin. Les masses, et plus encore la grande masse des camarades, en ont assez, au fond d’eux-mêmes, du parlementarisme ; j’en ai le sentiment. Un courant d’air frais dans notre tactique leur arracherait des cris de joie : mais ils subissent encore le poids des vieilles autorités et plus encore celui de la couche supérieure des rédacteurs en chef, des députés et des leaders syndicaux opportunistes. Notre tâche à nous, actuellement, consiste simplement à agir contre l’encroûtement de ces autorités en protestant aussi vigoureusement que possible : et dans cette action, selon la situation, nous aurons contre nous, non pas tant les opportunistes que le Comité directeur et August. Aussi longtemps qu’il s’agissait de se défendre contre Bernstein et Cie, August et Cie acceptaient avec plaisir notre compagnie et notre aide - d’autant que tout au début, ils ont fait dans leur culotte. Si on en vient à une offensive contre l’opportunisme, alors les vétérans seront avec Ede [Bernstein], Vollmar et David, contre nous. C’est comme ça que je vois la situation et voilà l’essentiel : retrouve ta santé et ne te mets pas en colère ! Ce sont là des tâches qui se calculent sur de longues années. Porte-toi bien, je t’embrasse chaleureusement [3].
Sources :
— LUXEMBURG Rosa, Vive la lutte ! Correspondance 1891-1914, Textes réunis, traduits et annotés sous la direction de Georges HAUPT par Claudie WEILL, Irène PETIT, Gilbert BADIA, Editions François Maspero, Bibliothèque Socialiste n°31, Paris, 1975, p. 283-284 ;
— LUXEMBURG Rosa, Gesammelte Briefe, vol. 2, Karl Dietz Verlag, Berlin, 1999, p. 277-278 ;
— Original IML, Berlin ;