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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
24 juillet 2008 4 24 /07 /juillet /2008 20:44


Nous continuons à publier des textes s'appuyant sur la notion d'impérialisme. Ils montrent comme le dit l'auteur de celui-ci que la notion n'est pas à ranger au rayon des vieilles lunes. Bien au contraire, elle reste opérationnelle pour mieux appréhender les réalités d'aujourd'hui ou du moins pour nous aider à réfléchir. Ici donc, un article sur l'impérialisme français sur le site canadien "alternatives".

L’impérialisme français, maillon faible ou supplétif de l’impérialisme mondial ?

mardi 29 avril 2003 par Gustave MASSIAH

Pourquoi parler aujourd’hui de l’impérialisme français pour des militants engagés, en France, dans le mouvement citoyen mondial ? D’abord parce qu’on ne peut pas renforcer le mouvement citoyen mondial sans prendre en charge nos responsabilités par rapport à notre propre impérialisme. Ensuite, le renforcement des luttes sociales implique la compréhension de la nature du système dominant en France. Enfin, l’impérialisme français peut nous servir d’analyseur pour comprendre la double évolution : celle du rapport entre capitalisme et impérialisme, et celle du rapport entre les formations sociales nationales et les systèmes-mondes.

L’impérialisme français se définit dans la recherche d’une stratégie internationale propre du capitalisme français. Il faut donc s’interroger sur l’évolution du capitalisme français, sur le rôle dans cette évolution de la dimension internationale. Quelle est la place du capitalisme français dans la mondialisation, dans le capitalisme mondial, directement ou à travers le capitalisme européen ? Il faut aussi apprécier l’évolution de la mondialisation en tant que système de domination et s’interroger sur la place de la France dans le système de domination mondiale. Quelle est la place de l’impérialisme français par rapport au système mondial, à l’Union Européenne, à l’unilatéralisme états-unien ?

Malheureusement, la notion d’impérialisme n’est pas à ranger dans le rayon des vieilles lunes. Même s’il y a des changements significatifs, il serait difficile d’analyser l’évolution et la situation actuelle s’en s’y référer. Nous faisons l’hypothèse qu’il est encore pertinent de parler d’impérialisme français. Dans son évolution, comment caractériser l’impérialisme français, comme maillon faible ou comme un simple supplétif de la chaîne impérialiste mondiale ?

Eléments historiques

Une approche historique est nécessaire pour comprendre l’impérialisme français et ce qui, à travers sa formation, le caractérise encore. Elle est indispensable pour éclairer les questions que nous nous posons aujourd’hui. Nous proposerons une périodisation qui croise trois approches : la place de l’impérialisme dans le capitalisme français, l’évolution du système international et de la mondialisation, les luttes et les stratégies anti-impérialistes. Cette périodisation s’organise autour d’une hypothèse : nous vivons une crise structurelle de l’impérialisme qui s’inscrit dans la série des trois dernières grandes crises (celles de 1815-40, de 1850-70, 1914-18). Pour apprécier les avenirs possibles, il faut tenir compte des caractéristiques de cette crise, des capacités et des tendances naturelles du système à la surmonter. Nous insisterons dans cette brève approche sur la zone d’influence de la France, en Afrique.

Le colonialisme primitif caractérise la première phase de l’impérialisme français. La bourgeoisie française, comme les autres bourgeoisies européennes, se constitue sous l’Ancien Régime, pour une large part à l’aube du capitalisme, grâce au commerce lointain qui permet d’acquérir à vil prix, et souvent par la force, des produits locaux, agricoles et artisanaux, revendus très cher en France et de vendre au dessus de leur valeur des produits manufacturés français. Ce commerce débouche sur la création de comptoirs et la conquête de territoires. Le colonialisme prolonge ce commerce lointain. Les colonies au départ sont considérées pour la fourniture des esclaves et l’extraction brute des matières premières ; toute transformation doit être faite en France, Colbert quand il définit le pacte colonial précise que les colonies ne doivent rien produire, "pas même un clou ".

Dans ce colonialisme primitif, l’enrichissement rapide des bourgeoisies européennes n’entraîne pas de contradiction majeure à l’échelle internationale. Les structures sociales des pays colonisés ne sont pas entièrement détruites puisque le capitalisme en formation n’a pas atteint le stade de concentration, et de limitation des profits des marchés intérieurs, qui se traduira par l’exportation des marchandises puis celle des capitaux liée à la reproduction du mode de production capitaliste dans les colonies. Cette évolution du colonialisme primitif à des formes plus élaborées, qui se fera progressivement en Grande-Bretagne et dans les pays où le capitalisme est plus avancé, passera en France par une rupture économique et politique.

L’expansion coloniale française est plus le fait d’une caste militaire et d’une bureaucratie d’Etat qui ont besoin pour raffermir leur pouvoir en France de compenser par des opérations de prestige leurs défaites européennes. Jusqu’en 1914, le capitalisme français est un capitalisme de rentiers et de financiers plutôt que d’industriels et d’homme d’affaires. Ce capitalisme sera confronté à la nécessité de l’expansion extérieure pour exporter ses contradictions (chômage, baisse des taux de profit, saturation relative des marchés) bien plus tard qu’en Grande-Bretagne. Les profits substantiels du capitalisme colonial seront retirés par les marchands alliés aux militaires qui garantissent un domaine réservé ; les investisseurs coloniaux joueront un rôle marginal limité à quelques secteurs (coton, caoutchouc, huile, navigation maritime) et à certaines régions.

Les traits dominants de cette histoire caractériseront longtemps l’impérialisme français. L’importance des militaires, alliés aux marchands coloniaux, dans une expansion coloniale qui recherchera un prestige pour compenser les défaites économiques ou militaires de la France en Europe. Le rôle prépondérant de l’Etat dans l’organisation administrative des colonies, dans leur exploitation économique et dans la prise en charge directe des investissements coloniaux. L’importance prédominante des militaires et des fonctionnaires dans la société coloniale et dans les politiques coloniales, la reproduction de leurs privilèges devenant la justification principale des colonies. L’impérialisme français se présente comme un impérialisme politico-militaire, mercantile, usurier peu capable de rivaliser avec les puissances dominantes britannique et nord-américaine. Le colonialisme français encourage les tendances au sous-développement de l’économie française et masque l’affaiblissement de l’Etat français. Le taux de profit des entreprises coloniales et les monopoles commerciaux favorisent les secteurs marginaux de l’économie permettant de différer l’adaptation à la concurrence internationale et de préférer la distribution des profits aux investissements productifs.

Les concurrences inter-impérialistes sont particulièrement fortes dans la deuxième phase et caractéristiques de la période d’industrialisation qui marque le Second Empire. Les fractions les plus modernistes du capital industriel et bancaire sont engagées dans les aventures extérieures, rappelons notamment les Saint-Simoniens et le canal de Suez. Après la guerre de 1914, le réajustement de l’économie mondiale au profit des Etats-Unis et l’éviction des investisseurs français des marchés russes et danubiens par la révolution soviétique vont se traduire par des réorientations majeures des flux de capitaux vers les colonies. L’importance des colonies dans l’économie française va se développer sans atteindre pour autant un rôle comparable à celui de l’Amérique Latine dans l’économie nord-américaine ou du Commonwealth dans l’économie britannique.

La première période, de 1917 à 1947, est celle de l’alliance entre les mouvements communistes et les mouvements de libération nationale ; cette alliance formalisée en 1920 au Congrès des peuples d’Orient à Bakou, sera confirmée au Congrès des peuples opprimés à Bruxelles en 1927. Cette période est marquée par l’ébranlement des empires coloniaux, les mouvements de population liés aux guerres. Elle est marquée par l’émergence des nouvelles formes d’organisation politiques et syndicales, par la montée d’un encadrement local dans les colonies et d’une intelligentsia qui s’autonomise. C’est aussi dans cette période que s’élabore le modèle keynésien, ou fordiste, social-libéral comme réponse à la révolution soviétique, aux luttes ouvrières, aux résistances dans les colonies et à la montée des fascismes.

La décolonisation va marquer la période 1947 à 1962. Elle commence pour l’Afrique par les massacres coloniaux dès 1945 à Sétif, en Algérie, puis en 1947 à Madagascar. C’est aussi la montée des fronts et des alliances, la naissance des partis proches du PCF, le basculement de larges fractions de la petite bourgeoisie et de la paysannerie dans les fronts de libération nationale. Les luttes de libération emblématiques sont celles de l’Indochine, de l’Algérie puis du Vietnam. La SFIO va sombrer dans le colonialisme avec l’Algérie et avec l’expédition de Suez contre l’Egypte nassérienne. Une nouvelle gauche va se former sur le refus de la colonisation, en alliance conflictuelle avec la PCF. En Afrique Noire, les luttes se radicalisent et les manifestations se succèdent. Les milieux africains en France sont en pleine ébullition. La FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire) participe aux luttes anti-coloniales. Une partie des dirigeants des futurs Etats africains font leurs classes dans les gouvernements et les assemblées de la IVème République ; les réseaux, gaullistes et autres, commencent à esquisser la fratrie de la " Franc’Afrique ". La mobilité est très grande ; Mitterrand pour créer son groupe de l’UDSR, détache Houphouët-Boigny du groupe parlementaire du PCF. Houphouët et Sékou Touré commencent à diverger bien avant le non au référendum de la Guinée. Les intellectuels africains sont mobilisés, autour des " groupes de langues " du PCF et des mouvements politiques africains mais aussi autour des revues et des libelles.

La modernisation gaulliste a été esquissée pendant la guerre. Elle tient compte de la nouvelle situation internationale définie par les accords de Yalta, à la guerre froide et à la décolonisation. Dans le camp occidental, les Etats-Unis ont conquis une position hégémonique. Ils ont subordonné les capitalismes émergents allemand et japonais, secondarisé les britanniques et marginalisé les autres. L’impérialisme français est confronté aux luttes de libération des peuples colonisés au Vietnam, au Maghreb, en Afrique et à Madagascar. Les massacres coloniaux n’y font rien et l’essentiel de la classe politique, dont la majeure partie de la social-démocratie, confrontée à une crise sociale majeure, perd son honneur à la traîne de la bourgeoisie coloniale et de sa fraction militaire.

Après 1962, l’industrialisation prioritaire et la modernisation sociale n’excluent pas le recours massif à une main d’œuvre immigrée. La société coloniale sans disparaître a évolué, fonctionnaires et militaires se sont mués en coopérants. Une nouvelle forme d’alliance avec des bourgeoisies locales en formation connaît des succès divers. L’impérialisme français prend des formes d’exploitation indirectes mettant l’accent sur des mécanismes financiers et des institutions financières. Le conflit majeur entre les fractions archaïques liées à la domination directe (bureaucratie coloniale, sociétés commerciales, plantations) et les fractions modernistes grande industrie, banques, entreprises minières et pétrolières) tourne à l’avantage de ces dernières. La bourgeoisie française tente de se doter d’une stratégie mondiale autonome ; elle tente de combiner une stratégie européenne et une stratégie néocoloniale. Mais, malgré quelques succès, les résultats ne sont guère probants ; les intérêts anciens restent pesants, les rentes coloniales alimentent les réseaux et la corruption grandissante dans la société française. L’influence française, en dehors de quelques succès d’estime ne convainc pas, elle reste cantonnée dans les déclarations velléitaires ; la diplomatie française finit toujours par se rallier au grand frère états-unien.

Les luttes sociales et idéologiques des années soixante-dix vont achever le rêve gaulliste d’une indépendance impériale. Pompidou redéfinit un impérialisme aux dimensions du capitalisme français. La coopération s’éloigne des objectifs à long terme pour privilégier la rentabilité immédiate des affaires. La concurrence commerciale et les exportations retrouvent une place prépondérante ; les ventes d’armes définissent la coopération militaire. Avec Giscard d’Estaing l’impérialisme français s’inscrit dans une dépendance acceptée. Le capitalisme français recherche le soutien des capitalismes américains et ouest-allemands et des institutions internationales. Il n’hésite pas à faire intervenir ses troupes pour assurer la gendarmerie impérialiste dans sa zone.

La période de 1962 à 1977 pourrait être qualifiée comme celle du non-alignement. C’est une période d’intenses contradictions. Les nouveaux Etats ne sont pas stabilisés. C’est une période d’espoirs et d’initiatives. Des alliances considérées comme progressistes, mêlant des militaires, des syndicalistes, des secteurs des petites bourgeoisies, intellectuels et fonctionnaires accèdent au pouvoir. En Guinée, au Ghana, au Mali, au Sénégal, en Tanzanie, au Congo pour citer des équipes se référent à un modèle de développement d’indépendance nationale. Leur échec sera lié à des causes multiples. Elles sont bien sûr confrontées à la déstabilisation et aux coups d’état suscités par les puissances pas si anciennement coloniales. Mais, il ne faut pas oublier les erreurs internes. Ces équipes sous-estiment la paysannerie et l’importance des pouvoirs traditionnels ; elles ignorent superbement les libertés et la démocratie. Deux ans avant sa mort, un des sages de l’Afrique, Nyerere considérait que sa principale erreur était d’avoir théorisé le parti unique pour l’Afrique. Alors que le non alignement marque des points au niveau international, en Asie avec la défaite américaine au Vietnam, et avec les deux chocs pétroliers de 73 et 77, la décolonisation africaine est en pleine crise. L’Afrique australe et les pays lusophones sont toujours colonisés, le Congo de Lumumba est ravagé, la guerre du Biafra met en place les nouvelles représentations des conflits ethniques. En France, il y a de nombreux facteurs nouveaux. Le conflit sino-soviétique se traduit particulièrement dans la FEANF ; une immigration ouvrière africaine se développe ; les coopérants permettent la mise en place des nouveaux régimes. En 1968, il y n’a pas eu que la France, il y a eu aussi les mouvements au Mexique, au Sénégal, en Côte d’Ivoire ; sans oublier le mouvement de la jeunesse américaine pour la paix au Vietnam. Une nouvelle génération de cadres africains va se former dans le mouvement des années soixante-dix.

Nombreux sont ceux qui n’ont pas partagé l’euphorie de cette période qui a suivi les indépendances. Parmi d’autres, la lutte armée de l’UPC et l’engagement direct de la France dans la répression les ont alertés. Ils ne sont pas attirés par les mirages du pouvoir et voient avec effarement la course aux postes et les reniements. Mongo Beti, par exemple, dédie un de ses livres à un des nouveaux militants, " A Diop Blondin, … assassiné dans les geôles d’un dynaste d’Afrique. Afrique marâtre trop fertile en tyrans mercenaires ". Une revue comme PNPA, de 1978 à 1991, inlassablement, est venue rappeler dans les périodes les plus noires, que l’Afrique continuait de résister. Elle répondait à l’outrance de la domination, du mépris par l’indignation et la colère.

La reconquête néolibérale, de 1977 à 1995, s’appuie sur la crise de la décolonisation. Celle-ci trouve ses fondements dans la domination renouvelée par le Nord et la nature de l’économie mondiale, l’échec des régimes issus de la décolonisation, l’échec de la construction de ce que Samir Amin appelle le soviétisme. Elle s’appuie sur une gestion agressive et criminelle de la crise de la dette. Le front des non-alignés s’est effondré et, une dizaine d’années après, en 1989, c’est au tour de l’Union Soviétique. La mondialisation se traduit par l’ajustement de chaque société au marché mondial ; par la montée des inégalités entre le Nord et le Sud et dans chaque pays, par la précarisation dans les sociétés du Nord et le développement de la pauvreté dans les pays du Sud. La reprise en mains n’est pas seulement économique, elle est aussi militaire. La France, surtout giscardienne, s’est fait une spécialité de l’envoi de ses parachutistes pour soutenir les régimes en danger. En Afrique même, les indépendances des colonies portugaises et de l’Afrique Australe ouvrent de nouvelles perspectives. La victoire de l’ANC en Afrique du Sud, en 1993, met fin à la colonisation dans le continent et ouvre une nouvelle période. Mais, les tentatives de démocratisation s’enlisent, les guerres se multiplient ; le génocide au Rwanda montre jusqu’où peuvent entraîner les manipulations des représentations ethniques. L’embrasement de l’Afrique des grands lacs déstabilise le continent. Une image d’une Afrique marginalisée et à la dérive s’impose dans les représentations internationales ; on en saisit mal les tenants et les aboutissants. L’Union Européenne a subordonné ses rapports avec l’Afrique à l’ouverture à l’Europe de l’Est d’une part, et à la logique de l’Organisation Mondiale du Commerce de l’autre. En France même, la victoire de la gauche en 1981 avait donné quelques espoirs alimentés par les discours de Cancun sur le Sud. Mais il a fallu se rendre à l’évidence, la continuité des intérêts et des réseaux a vite repris le dessus, et les déclarations de La Baule sur la démocratisation n’ont même pas pu, après une décennie de déconvenues, raviver les illusions. La manière dont sont traités les sans-papiers, les délivrances de visas, les " normalisations " des foyers a malheureusement montré à quel point la France, dans son rapport à l’Afrique, reste marquée par sa culture coloniale.

La gauche sous ses différentes configurations, après quelques essais infructueux, se coule dans le moule de l’impérialisme français et en défend farouchement les avantages supposés. Elle ne remet pas en cause le rapport entre capitalisme français et impérialisme, elle adapte sa politique aux deux changements d’échelle avec le capitalisme européen et le capitalisme mondial. Elle banalise et légitime un système honteux. Penser que dans l’affaire Elf en France, on a beaucoup glosé sur les bottines de Roland Dumas mais que l’on a considéré que la question du rôle d’Elf en Afrique ne devait pas être abordé, est proprement scandaleux.

Eléments problématiques

Les prélèvements impérialistes servent à compenser les effets tendanciels de la baisse des taux de profit et à diminuer la pression des affrontements sociaux sur le partage de la plus-value. Ils servent à financer des alliances de classes. Ils se traduisent par des arbitrages entre les fractions de la bourgeoisie, et par le financement de compensations pour les classes moyennes et une partie des couches populaires. Il n’est pas facile d’apprécier ces prélèvements. Le CEDETIM avait tenté, en 1977, une estimation. Il estimait alors que les surprofits impérialistes représentaient pour la France environ 20% de l’accumulation annuelle de capital productif. Leurs effets sont considérables sur les équilibres entre les fractions du capitalisme français et sur les rapports entre capitalisme français, européen et mondial. Ils ont joué un rôle déterminant dans la " paix sociale " pendant la période des trente glorieuses pour financer l’Etat-providence à la française. Ces surprofits sont aujourd’hui socialisés dans le capitalisme mondial, ils sont directement liés à la structure du commerce mondial. Il est probable que la part qu’en retire le capitalisme français reste très importante, même si elle a relativement baissé, par rapport aux autres capitalismes, américains, japonais, allemands et même aux capitalismes émergents du Sud.

Les sources de surprofits méritent d’être précisées. La première est la sous-estimation des importations, particulièrement celle des matières premières ; elle provient des conditions de reproduction de la main d’œuvre dans les pays à bas revenus et du contrôle des ressources par la domination politique et militaire ; elle représentait, pour la France, plus de la moitié des surprofits. La surfacturation des produits exportés est plus faible pour la France, bien que certains marchés restent protégés, mais le développement du commerce intra-européen et la concurrence mondiale ont réduit cette source de gains qui représentait environ 10% des prélèvements. Bien que le monopole de fait sur les technologies introduit des surprofits de fait dont les brevets, abusivement nommés droits de propriété intellectuelle, ne donnent qu’une faible idée. Le montant des profits rapatriés représentait plus de 20% des surprofits ; sans compter l’accroissement considérable de valeur des actifs locaux et les remboursements indus de dette qui en font aussi partie. Pour illustrer cette situation, rappelons que les bénéfices de TOTAL en 2001 sont de 7,7 milliards d’euros, supérieurs à eux seuls à toute l’ " aide publique au développement " française. Il faut aussi souligner les profits tirés de la main d’œuvre immigrée, particulièrement dans l’économie des coûts de formation initiale. L’exode des cerveaux joue un rôle de plus en plus important dans cette évolution.

L’internationalisation des grandes entreprises françaises est une des principales modalités d’intervention de l’impérialisme français. Les grandes entreprises françaises tirent leur profit du commerce mondial et de l’échange inégal. Les principales sont : TOTAL-ELF dans le pétrole, IMETAL dans le Nickel, les métaux non ferreux et l’uranium, PECHINEY dans l’aluminium, AVENTIS groupe pharmaceutique mondial, AIR LIQUIDE dans le gaz liquéfié, SAINT GOBAIN dans le verre et l’isolation, PSA et RENAULT dans l’automobile, MICHELIN dans les pneumatiques, LAFARGE dans le ciment, BOUYGUES dans les TP, LVMH dans le luxe, L’OREAL dans les cosmétiques, CARREFOUR et PPR dans la distribution. Enfin, il ne faut pas oublier les banques BNP-PARIBAS, SOCIETE GENERALE et CREDIT AGRICOLE et les assureurs AXA, AGF (ALLIANZ) et GROUPAMA. Dans les nouveaux arrivants, il y a les rentiers des services publics : VIVENDI-ENVIRONNEMENT, SUEZ, EDF et France Télécom.

Les ventes d’armes sont un des secteurs essentiels d’intervention qui joue un rôle majeur dans la balance commerciale française et bénéficie de l’aide directe de l’Etat, à travers notamment la coopération militaire. La France a une longue tradition de marchand d’armes et même de trafiquant d’armes . On peut parler de ce point de vue d’un véritable complexe militaro-industriel français. Son importance est illustrée par la réussite des groupes DASSAULT et EADS -LAGARDERE, ce dernier a de plus réussi à contrôler l’édition et une partie des médias.

Le réaménagement structurel du capitalisme français est directement lié à la phase actuelle de la mondialisation. Comme ailleurs, la victoire du capital financier et le pouvoir grandissant des actionnaires accentuent une contre-offensive sociale remettant en cause le statut salarial et se traduit par une explosion des profits. Le réaménagement interne repose sur les secteurs rentiers (matières premières et pétrole, armes, eau) dans lesquels l’internationalisation et les surplus impérialistes jouent un rôle majeur. L’exportation joue le rôle de stabilisation mais dégage moins de surprofit, du fait de la concurrence ; le capitalisme français se fait violence pour investir ailleurs, comme par exemple Renault au Japon. Le cœur financier du capitalisme français est en restructuration constante autour des assurances et des banques. Les armes et les rentes (pétrole et eau) alimentent la corruption, permettent le contrôle des médias et assurent leurs emprises dans les allées du pouvoir. La bataille pour les liquidités entraîne des restructurations sauvages et favorise les " tycoons " (entendons les pirates) qui dans des niches, comme le luxe et la distribution, s’assurent des taux de profits élevés liés à leur faible intensité capitalistique. Le capitalisme français connaît quelques succès mais accroît sa fragilité. Le prix d’entrée dans le marché mondial, l’ouverture du marché français, l’oblige à des privatisations qui réduisent sa stabilité. L’élargissement du marché des capitaux l’amène à imposer les fonds de pension et à s’engager dans un affrontement douteux sur les retraites. La dernière période a été marquée par la volonté de restreindre le poids de la bourgeoisie étatique, accompagnant la fusion entre l’Etat et les oligopoles. Le ralliement des cadres supérieurs, à travers notamment les " stock-options " et l’affaiblissement du poids de la bourgeoisie étatique dans les alliances risque de lui aliéner les couches moyennes.

Les colonies françaises n’ont pas toutes disparues. Les confettis de l’empire ont été pacifiés par le contrôle direct, l’assistanat, l’émigration massive, une politique d’établissement dans l’agriculture, l’industrie, le tourisme, les administrations. Ils ont été transformés en sociétés improductives, coupées de leur environnements régionaux géoculturels. Régulièrement toutefois, en Nouvelle Calédonie, dans les Antilles, en Guyane, les luttes viennent rappeler le caractère toujours actuel de la situation coloniale.

La coopération joue, globalement, un rôle majeur dans l’extension du capitalisme dans les pays du Sud, dans le soutien aux régimes les plus contestables, dans le maintien et la reproduction de l’influence française. Comme le disait Mongo Beti, " que la France défende ses intérêts c’est normal, qu’elle cherche à tirer parti de son influence, pourquoi pas, ce que nous ne supportons pas c’est l’hypocrisie et de prétendre que c’est pour notre bien. Si la France veut aider l’Afrique, qu’elle laisse les Africains tranquilles. "

Le rôle de la France dans les organisations internationales lui donne des responsabilités écrasantes, par exemple au FMI et à la Banque mondiale. Pendant quatorze ans le directeur du FMI, a été par deux fois, l’ancien directeur du Trésor en France. On ne peut pas dire qu’il était contraint d’appliquer cette politique contre son gré, la France a donc défendu, soutenu, mis en place des politiques ultra-libérales. Elle continue à jouer un rôle qui va au-delà, en influence, de son poids financier dans ces institutions, directement et à travers l’Europe qui est l’actionnaire principal du FMI.

Le rôle de l’impérialisme est tout autant idéologique. Dans la grande communion du nationalisme français, les colonies ont toujours joué un rôle déterminant. Dans la construction de l’unité française, les trois jules de la Troisième République (Fabre, Simon et Ferry), se sont partagés : l’armée, les colonies, l’éducation ; toutes trois obligatoires ! Rappelons-nous aussi les visions racistes de Renan, pourtant défenseur d’une vision ouverte de la Nation, et les appels haineux de Jules Guesde contre les immigrés italiens. Voici un héritage exacerbé par les guerres en Indochine et en Algérie, que l’on retrouve dans le racisme bien présent, et toujours alimenté, qui englobe les immigrés, les musulmans, les noirs, et qui n’a garde d’oublier les juifs.

La perspective mondiale et européenne n’annule pas la spécificité de l’impérialisme français. Il y a une continuité et des éléments nouveaux. La mondialisation est clairement capitaliste, et le capitalisme a toujours été mondial. Avant Rosa Luxembourg, Lénine et Fernand Braudel, Karl Marx écrivait : La véritable mission de la société bourgeoise, c’est de créer le marché mondial, du moins dans ses grandes lignes, ainsi qu’une production conditionnée par le marché mondial". Comme le monde est rond, cette mission semble achevée depuis la décolonisation de la Californie et de l’Australie et l’ouverture du Japon et de la Chine. Le capitalisme français joue sa carte propre mais tente aussi de passer par le capitalisme européen pour organiser le capitalisme mondial et y négocier de meilleures positions. C’est le sens de la politique de l’Union Européenne, particulièrement de l’action de Pascal Lamy, dans les négociations de l’OMC. La négociation porte par rapport aux Etats-Unis en réaffirmant la référence cardinale à la prééminence du marché mondial et à la concurrence, en cherchant à faire passer des règles acceptables par les Etats-Unis, en gardant le contact avec les zones émergentes (Inde, Afrique du Sud, Brésil, Chine) mais sans jamais rompre avec le grand frère américain. Le capitalisme français a échoué à aller plus loin dans le capitalisme européen, soit en obtenant un domaine réservé, soit en faisant partager certains investissements sauf dans l’armement où émergent des groupes pan-européens. Sa tentative pour faire prendre en charge par l’Union Européenne sa zone d’influence directe n’a pas résisté à la libéralisation capitaliste à l’est de l’Europe.

L’impérialisme français s’inscrit dans un système international et une chaîne impérialiste. Ce système ne se réduit pas à l’économique. La forme empire est un des modes d’organisation des systèmes-mondes et n’est pas simplement le stade suprême du capitalisme. Le rapport entre la France, l’Europe et les Etats-Unis ne se déduit pas linéairement des rapports entre les capitalismes français, européen et états-uniens. Quelle est la nature de l’hégémonie américaine, la signification de l’unilatéralisme américain. Immanuel Wallerstein propose de considérer que les Etats-Unis ont perdu l’hégémonie économique et l’hégémonie idéologique ; il ne conserverait que l’hégémonie militaire ce qui est le propre des empires en déclin et qui rend encore plus grands les dangers de guerres. Dans cette situation, l’impérialisme français occupe sa place et tient son rang, il veille à l’évolution de sa zone d’influence. La question est posée au niveau de l’Europe. L’Europe est partie prenante de l’impérialisme mondial, notamment dans la part qu’elle prend dans la structuration du commerce mondial et des avantages qu’elle en retire. Même s’il existe des mécanismes convergents, il n’y a pas pour autant un impérialisme européen spécifiquement constitué et différencié des impérialismes nationaux, une stratégie internationale du capitalisme européen, une zone d’influence européenne, un statut de puissance. Plusieurs conceptions sont envisageables : une section européenne d’un impérialisme mondialisé fermement dirigé par les Etats-Unis ; un impérialisme européen assumant plus clairement une position concurrentielle par rapport à l’hégémonie américaine ; une Europe ouverte préfigurant une nouvelle perspective de région géoculturelle défendant une approche d’un système mondial fondé sur des avancées du droit international et un rééquilibre dans les rapports Nord-Sud.

L’avenir reste ouvert, même si la situation et les choix actuels ne conduisent guère à l’optimisme. La montée en puissance d’un mouvement social et citoyen européen, initié avec le processus des forums sociaux européens, sera-t-elle suffisante pour compenser l’inertie institutionnelle qui à travers diverses déclinaisons, reste marquée par la vision d’un système-monde caractérisé par des formes de domination et d’impérialisme ? Pour le mouvement citoyen, et plus particulièrement en France, une stratégie d’émancipation doit s’engager dans trois directions : soutenir les forces sociales et citoyennes qui remettent en cause les rapports de domination dans leurs sociétés ; remettre en cause les mécanismes qui dans le système mondial reproduisent les rapports de domination ; lutter contre tout ce qui, dans la société française, conforte la domination extérieure et s’appuie sur ces mécanismes de domination pour renforcer les inégalités, les discriminations, les exploitations dans la société française. Nous n’oublions pas qu’un peuple qui en opprime un autre n’est pas un peuple libre ; c’est le fondement de la solidarité internationale.

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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009