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Militarisme et impérialisme: l'actualité de Rosa Luxemburg
Comme le rappelle Rosa Luxemburg, «le militarisme a une fonction déterminée dans l'histoire du capital. Il accompagne toutes les phases historiques de l'accumulation 11». Elle décline ensuite quelques étapes de cette histoire, ce qui fait ressortir ce qu'on appellerait aujourd'hui «l'historicité» de la relation du militarisme au capital. La référence à Rosa Luxemburg n'est pas fortuite. La pertinence de ses analyses de l'impérialisme et du rôle qu'y joue la force armée demeure très forte. Après avoir défini «la phase impérialiste de l'accumulation [comme] phase de la concurrence mondiale du capital», elle écrit que cette phase «a le monde entier pour théâtre. Ici les méthodes employées sont la politique coloniale, le système des emprunts internationaux, la politique de la sphère d'intérêts, la guerre. La violence, l'escroquerie, le pillage se déploient ouvertement, sans masque.» Elle conclut: «La théorie libérale bourgeoise n'envisage que l'aspect unique de la "concurrence pacifique", des merveilles de la technique et de l'échange pur de marchandises ; elle sépare le domaine économique du capital de l'autre aspect, celui des coups de force considérés comme des incidents plus ou moins fortuits de la politique extérieure. En réalité, la violence politique est, elle aussi, l'instrument et le véhicule du processus économique ; la dualité des aspects de l'accumulation recouvre un même phénomène organique, issu des conditions de la reproduction capitaliste 12».
Cette analyse demeure indispensable si on veut comprendre les processus de militarisation contemporains qui sont à l'ôuvre principalement aux États-Unis La lutte contre ce que Rosa Luxemburg appelle l'«économie naturelle» (chapitre 27) n'est pas terminée. Elle atteint son apothéose avec l'appropriation des processus du vivant par le capital et la mise en danger des conditions de la reproduction physiques des classes et des peuples exploités 13. «L'emprunt international» (chapitre XXX) constitue depuis deux décennies, sous la forme du paiement d'une dette perpétuelle, un des facteurs majeurs de l'effondrement économique et de la tragédie sociale des pays dépendants, y compris ceux qu'on qualifie d'émergents.
Les guerres de la mondialisation du capital
Il faut utiliser les analyses de Rosa Luxemburg pour comprendre comment cette «dualité des aspects de l'accumulation» (violence politique et processus économiques) se retrouve dans la trajectoire du capitalisme contemporain. La domination qu'exercent les institutions du capital financier depuis vingt ans a permis au capital de concentrer sa puissance face au travail, et offert à la bourgeoisie et aux classes rentières un enrichissement considérable.
Toutefois, ni l'élévation considérable du taux d'exploitation de la main-d'oeuvre consécutive à l'offensive du capital contre le travail organisée par les politiques néolibérales, ni l'ouverture de nouveaux marchés en Russie et dans les pays de l'est n'ont redonné une nouvelle jeunesse au capitalisme. A l'échelle de la planète, l'extension du capital et des rapports de propriété sur lesquels il est fondé - soit au sens strict, l'extension de l'espace de la reproduction des rapports sociaux - n'a pas produit depuis deux décennies une augmentation durable et significative de l'accumulation du capital (reproduction élargie de la valeur créée). Tout au contraire, la domination du capital financier exprime avec force les traits prédateurs du capitalisme.
Dans un contexte où la mondialisation du capital a produit la misère, les guerres hors des métropoles impérialistes conduisant à l'extermination de masse se sont multipliées. Ces guerres sont à la fois produites par la mondialisation du capital, mais elles en sont également devenues une composante. Le génocide au Rwanda n'a pas arrêté l'exploitation des champs pétroliers par les groupes multinationaux, qui ont participé au financement des armées en guerre 14. Les ressources naturelles pillées par les bandes armées sont «recyclées» sur les marchés internationaux qui fournissent ainsi un financement pour la poursuite de ces prédations.